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Full text of "Chroniques de Louis XII"

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CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII 


PAR 


JEAN    D'AUTON 


IMPRIMERIE  DAUPELEY-GOUVERNEUR 
A   NOGENT-LE-ROTROU. 


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CHRONIQUES 

DE  LOUIS  XIl 


PAR 


JEAN    D'AUTON 


EDITION   PUBLIEE   POUR   LA   SOCIETE   DE    L  HISTOIRE    DE    FRANCE 


PAR  R.  DE  MAULDE  LA  GLAVIÈRE 


TOME   QUATRIÈME 


A  PARIS 

LIBRAIRIE     RENOUARD 

H.    LAURENS,    SUCCESSEUR 

LIBRAIRE     DE     LA     SOCIÉTÉ     DE     l'hISTOIRE     DE      FRANCE 

RUE   DE    TOURNON,    N»   6 


M  DCCC  XCV 


273 


EXTRAIT   DU   REGLEMENT. 

Art.  i4.  —  Le  Conseil  désigne  les  ouvrages  à  publier,  et 
choisit  les  personnes  les  plus  capables  d'en  préparer  et  d'en 
suivre  la  publication. 

Il  nomme,  pour  chaque  ouvrage  à  publier,  un  Commissaire 
responsable,  chargé  d'en  surveiller  l'exécution. 

Le  nom  de  l'éditeur  sera  placé  en  tête  de  chaque  volume. 

Aucun  volume  ne  pourra  paraître  sous  le  nom  de  la  Société 
sans  l'autorisation  du  Conseil,  et  s'il  n'est  accompagné  d'une 
déclaration  du  Commissaire  responsable,  portant  que  le  travail 
lui  a  paru  mériter  d'être  publié. 


Le  Commissaire  responsable  soussigné  déclare  que  le  tome  IV 
de  Védition  des  Chroniqdes  de  Louis  XII  par  Jean  d'Auton, 
préparé  par  M.  R.  de  Maulde  la  Clavière,  lui  a  paru  digne 
d'être  publié  par  la  Société'  de  l'Histoire  de  France. 

Fait  à  Paris,  le  ^  0  avril  i  895. 

Signé  :  BAGUENAULT  DE  PUGHESSE. 


Certifié  : 
Le  Secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
A.    DE   BOISLISLE. 


Ce  volume  contient  la  Notice  sur  Jean  d'Auton, 
qui  doit  être  placée  en  tête  du  tome  /*"". 


NOTICE 

SUR 

JEAN    D'AUTON 


Le  règne  de  Louis  XII  a  pour  caractéristique,  comme  on 
sait,  une  sorte  de  fièvre  littéraire.  Le  mouvement  part  d'en 
haut.  Depuis  le  plus  modeste  conseiller  au  Parlement  jus- 
qu'au cardinal  d'Amboise,  chacun  tient  à  honneur  déjouer 
au  Mécène  :  les  dédicaces  d'Andrelin,  deChampier,  de  Josse 
Bade  et  tant  d'autres  le  démontrent  abondamment^  Bouchet 
était  au  service  de  Louis  de  la  Trémoille^  :  MorviUiers^, 

1.  Bornons-nous  à  citer  les  Epistres  de  Bouchet;  les  vers  insé- 
rés'àla  suite  de  Guillermi  Piellei,  Turonensis,  de  Anglorum  ex  Gai- 
liis  fuga  et  Hispanorum  ex  Navarra  expulsione  (plaq.  de  1512-1513, 
chez  Ant.  Bonnemère). 

2.  Voici  une  lettre  relative  à  son  service  : 

«  Très  cher  seigneur,  je  me  recommande  a  vostre  bonne  grâce 
tant  de  bon  cueur  que  je  puis.  Vous  poursuivez  par  delà  un  pro- 
cès de  criées  pour  monseigneur  de  la  Tremoille  notre  maistre 
contre  Jehan  Giffart.  Il  a  paie  a  l'acquit  de'mondit  seigneur  cent 
livres  en  quelque  lieu  ou  ladite  somme  estoit  deue,  au  moyen  de 
quoy  on  luy  a  donné  terme  du  demourant  jusques  a  Pasques,  et, 
s'il  ne  paie  dedans  ledit  terme,  on  pourra  poursuir  lesdites  criées 
comme  auparavant.  Dont  je  vous  advertiz,  affin  que  supercedez  la 
poursuite  jusques  audit  terme.  Et,  a  tant,  je  pry  nostre  seigneur 
qui  vous  doint  ce  que  desirez.  A  Poictiers,  ce  vn^  jour  de  février. 

«  Le  tout  vostre  serviteur, 
«  Jehan  Bouchet.  » 

(Orig.  autogr.  Archives  de  M.  le  duc  de  la  Trémoïlle.  Sur 
papier;  écriture  fine,  très  lisible,  de  procureur.) 

3.  Valerand  de  Varanis  appelle  Raoul  de  Lannoy  :  «  Dulcis  mî 
Mecena  »  [Carmen  de  expugnatione  genuensi},  etc. 

IV  a 


ij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Ligny,  Gié,  TrivulceS  par  exemple,  se  constituaient  pro- 
tecteurs des  arts  ou  des  lettres 2.  Marguerite  d'Autriche, 
Anne  de  France^  Louise  de  Savoie  tenaient  de  véritables 
cours  intellectuelles^.  On  se  faisait  honneur,  non  seulement 
de  soutenir,  mais  de  pratiquer  les  choses  de  ^esprit^ 

La  cour  royale  tenait  la  tête  de  ce  courant.  La  reine  Anne 
de  Bretagne  usait  royalement  des  gros  revenus  de  son  duché 
personnel  et  de  son  douaire;  et,  comme  elle  ne  redoutait 
point  le  luxe  ni  la  flatterie,  les  lettres,  l'art,  les  industries 
artistiques  trouvèrent  auprès  d'elle  un  accueil  sans  rival. 
Quant  au  roi,  il  dépensait  moins  largement,  parce  qu'il  se 
considérait  comme  un  économe  du  denier  populaire,  mais  il 
encouragea  spécialement  l'histoire,  qu'il  s'agît  d'histoire 
ancienne  ou  moderne,  des  origines  fabuleuses  delà  dynastie 
ou  des  faits  contemporains*'.  D'abord,  il  hérita  des  protégés 

1.  Bibl.  Trivulziana,  à  Milan,  cod.  2062  :  recueil  de  poésies  de 
Grassus,  Scaurus,  Nagonius  et  autres. 

2.  Cf.  t.  IV,  p.  379  et  380,  notes. 

3.  La  Bibliothèque  nationale  a  récemment  recouvré,  par  les 
soins  de  M.  Léopold  Delisle,  l'exemplaire  de  l'Abrégé  des  Chro- 
niques de  France,  par  Regnault  Havart,  offert  par  l'auteur  à  Anne 
de  France,  vers  1500  (voy.  Notice  d'un  choix  de  manuscrits  des 
fonds  Lihri  et  Barrais  exposés  dans  la  salle  du  Parnasse  français, 
par  M.  Delisle.  Paris,  1888,  p.  30,  n»  120). 

4.  V.  notre  livre  Louise  de  Savoie  et  François  I<"\  trente  ans  de 
jeunesse.  Cf.  Quentin-Bauchart,  les  Femmes  bibliophiles  de  France. 
Paris,  Morgand,  1886,  2  vol.  ia-4o. 

5.  II  était  de  bon  ton  de  «  fuir  l'oisiveté  »  et  de  cultiver  person- 
nellement les  lettres.  Jean  Bouchât  rapporte  que  le  prince  de 
Talmont, 

«  Par  passetemps,  rondeaux  faisoit 
Et  composoit...  » 

[Le  Temple  de  bonne  renommée,  éd.  de  1517,  fol.  ix.)  Le  duc 
Charles  de  Bourbon  appartenait  à  cette  môme  école.  Aune  de 
Graviile  était  une  femme  de  lettres,  etc. 

6.  Nous  avons  indiqué,  dans  la  Revue  de  l'Art  français,  3"  année, 


NOTICE  SUR  JEAN  DAUTON.  iij 

de  son  prédécesseur,  des  «  Paulus  ^milius,  »  des  «  Nago- 
nius,  »  des  Simon  «  Nanquerius^  ;  »  il  en  acquit  d'autres  en 
Italie;  lorsqu'il  entre  à  Milan  en  1499,  il  agrée  l'hommage 
de  la  Genealogia  Vicecomitum,  de  Tristano  Calco,  ce 
serviteur  des  Sforza^.  A  Pavie,  en  1507,  il  demandait  insi- 
dieusement à  Jason  Maino  pourquoi,  célèbre  professeur,  il 
ne  s'était  pas  marié,  et  Maino  de  répliquer  très  hardiment  : 
Ut,  te  commendante ,  Julius  pontifex  ad  purpureum 
galerum  gestandum  me  habilem  sciat^.  En  1510, 
Louis  XII  recommande  même  au  pape  pour  des  bénéfices  le 
célèbre  Pierre  Martyr  d'Anghera^  pourtant  son  adver- 
saire. . . 

On  voit  ainsi  comment  se  récompensaient  les  mérites  litté- 
raires, non  par  de  l'argent,  mais  par  des  charges.  Aussi  la 
plupart  des  écrivains,  comme  Gaguin,  Antoine  du  Four,  Ni- 
cole Gilles,  Michel  Riz,  Amaury  Bouchard,  Laurent  Bureau, 
Claude  de  Seyssel,  Jean  Lascaris,  Louis  Hélien,  Guillaume 
Budé,  Charpentier,  Villebresme,  Octovien  de  Saint-Gelais, 
Jean  de  Saint-Gelais  et  autres  occupèrent  des  charges  de 
cour  ou  des  fonctions  publiques,  et  on  connaît  leur  vie  lors- 
qu'elle s'est  trouvée  mêlée  à  des  aventures  retentissantes, 
comme  celle  des  Saint-Gelais,  ou  à  des  missions  impor- 
tantes, comme  il  advint  à  Riz,  à  Hélien,  à  Seyssel...;  autre- 
janvier  1886,  p.  2,  les  motifs  qui  paraissent  reculer  au  règne  de 
Louis  Xn  la  date  de  la  rédaction  des  précieux  Mémoires  de  Fenin, 
publiés  par  M"e  Dupont  pour  la  Société  de  l'histoire  de  France. 
Cf.  fr.  25295. 

1.  Les  poésies  de  celui-ci  ont  été  publiées  en  1606,  à  Paris, 
in-B",  sous  ce  titre  :  Opusculum  de  funere  Caroli  VIII,  cum  com- 
mentario.  Elles  contiennent  des  vers  à  Ghr.  de  Billy,  à  Gaguin,  à 
Faustus  Andrelinus.  Cf.  Bibl.  nat.,  ms.  nouv.  acq.  lat.  169,  fol.  80. 

2.  Trivulziaua,  ms.  1436,  p.  445-453. 

3.  P.  Jove,  Vie  de  Jason  Maino. 

4.  Voy.  notre  Diplomatie  au  temps  de  Machiavel,  t.  III,  Pièces 
justificatives. 


iv  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

ment,  elle  échapperait,  et  l'on  ne  sait  rien  de  ceux  qui, 
volontairement  modestes,  se  sont  dérobés  au  bruit.  Nous 
connaissons  Jaligny  comme  secrétaire  du  duc  de  Bourbon", 
Nicole  Gilles  comme  secrétaire  du  roi^;  le  Sala,  qui  a 
écrit  Fables  et  emblèmes  en  vers,  traduit  le  roman 
de  Tristan,  décrit  les  Prouesses  des  princes,  par  des 
mentions  administratives^.  Cependant,  sur  une  requête  de 
Nicole  Gilles,  le  roi  lui  accorde  une  pension  de  cent  livres 
et  une  patente  où  il  énumère  ses  services  ^  Un  peu  plus 
tard,  Humbert  «  Velay  »,  d'Aix  en  Savoie,  louangeur  de 
Georges  d'Amboise"*  et  historien  de  Louis  XII,  écrira  aussi 
pour  réclamer  des  honoraires  ^. 

Jean  d'Auton  appartient  à  la  catégorie  des  âmes  simples, 
dont  on  ne  sait  rien.  On  a  été  jusqu'à  présent  réduit  aux 
conjectures  pour  retracer  son  existence. 

L'on  n'a  pas  même  pu  se  mettre  d'accord  sur  son  origine, 

1.  X<a  9320,  62;  lettre  de  Charles  VIII  au  Parlement.  Il  lui 
envoie  Nicole  Gilles,  son  secrétaire,  contrôleur  du  trésor  à  Paris, 
pour  parler  de  certaines  affaires.  Moulins,  15  février  (1490).  —  Nicole 
Gilles,  notaire  et  secrétaire  du  roi,  clerc  et  contrôleur  de  son  trésor, 
fit  de  ses  deniers  bâtir  la  chapelle  Saint-Louis  à  l'église  Saint- 
Paul  à  Paris.  Il  y  fut  enterré.  Il  mourut  le  10  juillet  1503;  son 
épitaphe  est  rapportée  ms.  fr.  5527,  année  1503. 

2.  Fr.  26110,  729.  15  déc.  1506.  Distribution  de  sel  ordonnée 
pour  dépenses  de  maison,  en  payant  le  droit  du  marchand  seule- 
ment :  Les  deux  élus  du  Lyonnais,  à  chacun  six  "îjuintaux;  à  des 
receveurs,  contrôleurs;...  «  à  la  poste  Estienne  Neel,  im  quin- 
taulx;  à  la  garde  dez  mignes  Jehan  Sala,  iiii  q.;  à  l'escuyer  Sala, 
son  frère,  nii  q.;  »  à  des  magistrats,  religieux,  fonctionnaires 
administratifs...  — Un  Jean  Salât  était  maître  des  requêtes  du 
duc  d'Orléans  en  1491.  Pierre  Sala  était  valet  de  chambre  de  Fran- 
çois I^r  (fr.  21449). 

*"  3.  Fr.  25717,  fol.  147. 

4.  Vers  latins  pour  le  tombeau  de  G.  d'Amboise  :  «  Humbertus 
Vellietus  Acquensis  Allobrox  dicavit  »  (ms.  Clair.  943,  fol.  126). 

5.  Lettre  d'Humbert  Yelliet  au  chancelier  :  Ghambéry,  jeudi 
(J.  967). 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  v 

ni  sur  la  simple  orthographe  de  son  nom.  On  l'a  appelé  par- 
fois «  d'Anton,  Danton  »  ou  «  Danthon*.  »  Laissons  de  côté 
l'apostrophe  et  1'^,  qui  ne  constituent  que  des  variantes  sans 
importance;  reste  à  savoir  s'il  faut  lire  un  u  ou  un  n, 
«  Anton  »  ou  «  Auton.  » 

Nous  ne  croyons  pas  qu'il  puisse  à  cet  égard  subsister  de 
doute  sérieux  ;  la  leçon  Anton  appartient  à  des  copies  secon- 
daires^  ou  à  des  textes  imprimés^;  or,  de  tout  temps,  mais 
surtout  au  commencement  du  xvi^  siècle,  il  faut  se  défier 
des  compositeurs  d'imprimerie  et  des  copistes^.  Dans  d'autres 
textes,  le  scribe  ou  l'imprimeur  nous  donne  Auton^;  par- 
fois même,  l'une  et  l'autre  version  se  suivent  ou  s'alternent®. 

1.  La  leçon  Anton  dans  Roman,  Chronique  du  Loyal  serviteur; 
Dupuy,  Traité  des  droits  du  Roy,  p.  20. 

2.  Ms.  fr.  1953,  fol.  23  :  «  Jehan  Danthon.  » 

3.  L'Exil  de  Gennes,  à  la  suite  de  les  Triumphes  de  France,  plaq. 
goth.  de  1508  («  Jehan  Danton  s);  les  Espistres  envoyées  au  Roy, 
plaq.  goth.  de  1509  (quatre  fois  :  «  Danton  »)  ;  J.  Le  Maire,  Plaincte 
sur  le  trespas  de  feu  messire  de  Ryssipat  («  Abbé  Danton  »);  Le 
Maire,  Illustrations  de  Gaule,  3^  partie,  l''^  éd.  («  l'abbé  Dange  en 
Poitou,  damp  Jehan  Danton  »).  M.  Picot  pense  qu'on  prononçait 
«  Dauton  »  même  en  écrivant  «  Danton  »  [Revue  d'histoire  litté- 
raire de  la  France,  n°  2,  p.  146,  note). 

4.  Dans  son  Epistre  aux  imprimeurs,  Jean  Bouchet  les  exhorte 
à  publier  désormais  ses  œuvres  plus  correctement  (Epistres  morales 
et  familières  du  Traverseur.  Poitiers,  1545). 

5.  Fr.  1716,  fol.  6  :  «  Jehan  Dauton;  »  fr.  5087  :  «  J.  d'Authon;  » 
fr.  1952  :  «  frère  Jehan  d'Authon;  »  Epistres  familières  de  Jean 
Bouchet,  éd.  de  1545  (épîtres  57,  67)  :  a  Jehan  Dauthon;  »  Épîtres 
insérées  en  tête  du  Panégyrique  de  Jean  Bouchet,  l'^e  éd.  :  «  Jehan 
Dauthon.  » 

.  6.  Le  ms.  23988  de  la  Plainte  du  désiré,  par  Le  Maire  de  Belges, 
porte  «  Dauton;  »  le  ms.  1683  de  la  même  Plainte  :  «  Danton.  » 
Le  bibliophile  Jacob  fait  remarquer  que,  dans  la  67«  épitre  fami- 
lière de  Jean  Bouchet,  «  Jean  d'Authon  »  rime  avec  «  haut  ton,  » 
mais  que  d'autre  part,  dans  l'Épître  de  Crétin  à  Macé  de  Ville- 
bresme,  il  rime  avec  «  en  ton.  »  Nous  devons  toutefois  observer 


vj  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Mais  nous  possédons  les  textes  officiels  et  authentiques  des 
Chroniques  de  Jean  d'Auton  ;  ces  manuscrits  portent  tous 
Auton.  M.  Richard,  archiviste  de  la  Vienne,  a  découvert* 
aussi  et  a  bien  voulu  nous  communiquer  un  bail  notarié,  où 
notre  auteur  comparaît  comme  abbé  d'Angle  le  27  avril  et 
le  28  août  1522,  et,  dans  cet  acte,  le  notaire  a  écrit  «  Jean 
Dauton.  »  Le  rôle  officiel  des  Officiers  de  Vostel  du  Roy 
l'appelle  également  «  Dauton  ^  »  Denis  et  Théodore  Gode- 
froy,  le  bibliophile  Jacob  ont  donc  eu  raison  de  conserver  le 
nom,  traditionnellement  accepté,  à'Auton^. 

Ce  premier  point  fixé,  il  reste  à  rechercher  le  pays  d'ori- 
gine de  Jean  d'Auton,  question  qui  présente  d'ailleurs  un 
intérêt  médiocre  pour  la  critique,  car  il  est  très  clair  que 
l'écrivain,  écho  de  certaines  inspirations,  fait  abstraction  de 
sa  personnalité  dans  la  rédaction  de  ses  Chroniques,  et  ne 
se  laisse  guider  par  aucune  considération  locale.  Trois 
indices  nous  permettent  cependant  de  l'éclaircir  :  1°  Jean 
d'Auton  a  l'habitude  personnelle  de  commencer  l'année  au 
25  mars"*;  2°  il  s'étend,  avec  beaucoup  de  complaisance, 
avec  une  bienveillance  anormale  et  des  détails  de  première 
main,  sur  les  faits  et  gestes  d'un  certain  Antoine  d'Auton, 
pour  lequel  il  éprouve  évidemment  une  sympathie  particu- 
lières et  dont  il  connaît  fort  bien  le  pays;  3"  il  appartenait 

que,  dans  le  ms.  fr.  1711,  fol.  13  v%  de  cette  épître,  le  nom  est 
écrit  «  Dauton.  »  L'Exil  de  Gennes,  imprimé  en  1508  pour  Guil- 
laume Eustace,  à  la  suite  des  Triumphes  de  France  de  J.  d'Ivry, 
est  a  faict  par  frère  Jehan  Danton,  »  mais  la  table  des  matières 
porte  «  Dauton.  » 

1.  Archives  de  la  Vienne,  abbaye  d'Angle. 

2.  Ms.  fr.  3087,  fol.  39. 

3.  Ainsi  que  Brunet,  Grœsse,  etc. 

4.  T.  I,  p.  241,  n.  2. 

5.  Ce  d'Auton   avait   pour   ami   et   compagnon   un   seigneur 
d'Aunis,  Jean  Ghappcron,  que,  dans  tout  le  cours  de  ses  Ghro- 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  vij 

à  une  famille  seigneuriales  car  Bouchet  le  déclare,  dans  son 
Épitaphe,  «  un  bon  seigneur,...  noble  de  sang,...  noble 
des  deux  côtés^.  »  Ainsi,  Jean  d'Auton  appartenait  à  une 
X  famille  des  seigneurs  d'Auton  ;  sa  seigneurie  se  trouvait  dans 
un  pays  de  comput  dit  florentin,  et  il  ne  paraît  pas  étranger 
à  Antoine  d'Auton. 

A  cette  époque^,  il  y  a  une  seigneurie  d'Auton  dans  le 
ressort  de  Châteaudun  S  qui  ne  peut  nous  arrêter,  puisqu'elle 
se  trouvait  dans  un  pays  de  style  de  Pâques  et  qu'elle  appar- 
tenait à  la  maison  d'Armagnac  ^   A  défaut  de  celle-là, 

niques,  Jean  d'Auton  met  constamment  en  relief,  sous  les  plus 
minces  prétextes  (voy.  Table  des  matières,  v°  Ghapperon). 

1.  On  peut,  à  ce  sujet,  remarquer  aussi  son  plaidoyer  en  faveur 
de  la  chasse  (t.  III,  p.  102),  bien  qu'au  dire  de  Bouchet  il  n'en 
usât  pas  personnellement. 

2.  Cette  déclaration  écarte  de  suite  un  grand  nombre  de  syno- 
nymes, les  noms  de  Dauton,  Danton  ou  équivalents  étant  extrê- 
mement répandus.  Ainsi  nous  trouvons  des  Danton  bourgeois  de 
Rouen  (Pièces  orig.,  G.  des  T.,  t.  973,  n»  21530;  t.  980,  n»  21865); 
bourgeois  d'Aubusson  (l'un  d'eux,  à  la  fin  du  xvi«  siècle,  s'appelle 
même  Jean  Dauthon  ou  Danthon.  Ibid.,  t.  973,  n"  21533);  des 
Dautan  laboureurs  à  Vincennes,  à  Montreuil  près  Paris  (Ibid., 
t.  980,  n°  21862).  Un  faux  monnayeur  picard  s'appelle  Nicolas 
d'Auton  (ou  Dautun.  JJ.  234,  83). 

3.  Il  y  a  actuellement  :  Authon  (Basseg- Alpes),  201  hab.,  arr. 
de  Sisteron;  Authon  (Charente-Inférieure),  690  hab.,  arr.  de  Saint- 
Jean-d'Angély  ;  Authon  (Eure-et-Loir),  1,427  hab.,  arr.  de  Nogent- 
le-Rotrou;  Authon  (Loir-et-Cher),  1,016  hab.,  arr.  de  Vendôme; 
Authon-la-Plaine  (Seine-et-Oise),  655  hab.,  arr.  de  Rambouillet; 
Anthon  (Isère),  356  hab.,  arr.  de  Vienne. 

4.  Ms.  Moreau  365,  p.  56  (mention). 

5.  Auton  ou  Anthon.  Inventaire  des  titres  de  la  maison  de  Bour- 
bon, II,  p.  436.  Cf.  R^  580,  32.  Procès  entre  la  duchesse  d'Orléans 
et  le  comte  du  Maine.  Arrêts  du  Parlement  du  8  mai  1470;  ordon- 
nance du  conseiller  Briçonnet,  commis  le  22  septembre  1471; 
procès-verbal  du  même,  15  juillet  1471,  pour  AUuye,  Authon, 
Montmirail,  Bazoche...  Briçonnet,  du  consentement  des  officiers 


viij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

devons-nous  rattacher  Jean  d' Anton  au  Dauphiné  ou  à  la 
Saintonge,  deux  provinces  où  l'on  commençait  l'année  au 
25  mars  *■  ? 

On  a  quelquefois  voulu  faire  de  Jean  d'Auton  un  dauphi- 
nois, et,  à  l'appui  de  cette  opinion,  on  pourrait  observer  qu'il 
emploie  souvent  une  expression  provinciale,  mais  surtout 
lyonnaise  et  dauphinoise^  «  aller  de  Lyon  en  France ^  » 
Aubert  du  Rousset,  gentilhomme  dauphinois,  commandait 
une  compagnie  d'hommes  d'armes,  composée,  au  dire  d'Ay- 
mar de  Rivail,  de  dauphinois,  et,  dans  cette  compagnie, 
nous  trouvons  un  Cyprien  d'Auton  homme  d'armes,  peut- 
être  dauphinoise  Enfin,  Jean  d'Auton  ne  s'exprime  pas  en 
poitevin  quand  il  appelle^  Cytran  Gilbert  des  Serpens,  sei- 
gneur de  Châtain  en  Poitou^. 

Mais,  d'autre  part,  sous  le  fatras  conventionnel  du 
langage  savant  de  ce  temps,  Jean  d'Auton  laisse  percer 
des  traces  du  langage  poitevin  et  saintongeais.  Ainsi,  il 

du  comte,  leur  enjoint  de  ressortir  du  gouverneur  du  duché  d'Or- 
léans et  d'Ienville  (Janville). 

1.  «  Le  XXV  de  mars,  jour  de  Nostre  Dame,  auquel  l'église  gal- 
licane commençoit  a  compter  mil  cinq  cens  et  xn...,  »  dit  Jean 
Thenaud,  cordelier  d'Augoulême  [le  Voyage  d'outremer,  publ.  par 
M.  Schefer,  p.  35). 

2.  En  tout  cas,  elle  exclut  l'idée  de  rattacher  Jean  d'Auton  au 
Perche  ou  au  Dunois;  elle  était  d'ailleurs  conforme  à  la  coutume. 
Ainsi  Jean  d'Auton  dira  de  même  :  «  gascon,  françoys,  savoizien  » 
(III,  129),  pour  distinguer  trois  personnes  diverses. 

3.  T.  I,  p.  312. 

4.  T.  I,  p.  212. 

5.  T.  I,  p.  24. 

6.  Nous  devons  observer  sur  ce  point  que  le  nom  de  Chitain 
subit  les  plus  nombreuses  variantes.  Dos  Serpens  lui-même  signe 
«  Ghitan  »  (ms.  Dupuy  2G1,  fol.  191),  «  Chitain  »  (Titres  orig., 
n»  7  :  reconnaissance  de  son  beau-frère  Gaspard  de  Goligny  ;  n*  8). 
Gf.  fr.  21449,  passim.  Jean  des  Serpens  s'intitulait,  en  1488, 
«  Gytain  »  (ibid.,  n°  5),  etc. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  ix 

dira  :  «  Entour  la  feste  sainct  HylaireS  »  en  bon  poite- 
vin. Il  prononce  et  écrit  «  cheulz  »  (chez),  «  fayerye  » 
(féerie) ^..  Enfin,  ses  relations  personnelles  sont  poitevines. 
Son  protégé  et  sou  meilleur  ami  est  Jean  Bouchet,  qui  lui  a 
adressé  des  épîtres,  qui  a  confectionné  son  épitaphe  et  qui 
se  fait  gloire  de  suivre  ses  préceptes.  Avec  Jean  Bouchet, 
Jean  d'Auton  trouve  encore  un  prôneur,  plus  exclusivement 
poitevin,  s'il  se  peut,  dans  la  personne  de  Pierre  Gervaise, 
poète  fort  obscur  de  Poitiers,  connu  par  une  épître,  conser- 
vée dans  les  œuvres  de  Bouchet,  où  il  exalte  Jean  d'Auton  ^. 
Ainsi,  notre  auteur  nous  apparaît  comme  le  patron  naturel 
des  poitevins  qui  aspiraient  aux  bienfaits  de  la  cour  et  aux 
honneurs  du  beau  langage^.  On  objectera  qu'il  se  rattachait 
au  Poitou  comme  abbé  d'Angle  ;  mais  Jean  d'Auton,  selon 
l'usage  du  temps,  ne  résida  point  dans  son  abbaye,  si  ce 
n'est  à  la  fin  de  sa  vie  ;  il  ne  pouvait  même  pas  y  résider, 
puisqu'il  suivit  professionnellement  la  cour.  Il  fut  également 
prieur  de  Clermont-Lodève ,  et,  de  ce  côté-là,  on  ne  lui 
trouve  aucunes  relations  semblables.  Enfin,  et  surtout, 
observons  que  Jean  Bouchet  fut  l'élève  de  Jean  d'Auton  ;  il 
le  dit  à  plusieurs  reprises s;  or,  Bouchet  fit  ses  débuts  à  la 
cour  un  peu  avant  la  mort  de  Charles  VIII  ^  ;  d'Auton  reçut 
son  abbaye  de  Louis  XII,  et  ainsi  il  faut  supposer  des  rap- 
ports antérieurs. 

i.  T.  m,  p.  103. 

2.  «  Queurée,  »  pour  curée  (III,  102). 

3.  Bouchet,  Épîtres  familières,  ép.  22,  fol.  22  v°. 

4.  L'abbé  Goujet  va  même  jusqu'à  dire  qu'il  était  de  Poitiers. 
Bayle,  Dreux  du  Radier,  Rainguet  {Biographie  saintongeaise. 
Saintes,  1851)  le  rattachent  sans  hé^tation  à  la  Saintonge. 

5.  "Voy.  ci-après. 

6.  Florimond  Robertet  voulut  bien  présenter  à  Charles  VIII  un 
échantillon  de  ses  vers  (J.  Bouchet,  Panégyrique,  Dédicace  à 
Robertet). 


X  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Quant  aux  autres  indices  en  faveur  du  Dauphiné,  ils 
cèdent  devant  le  fait  que  la  baronnie  d'Anton  (avec  un  n'),  en 
Dauphiné,  appartenait  au  sire  du  Bouchage^,  qui  en  portait 
le  titre  ^,  et  avec  lequel  Jean  d'Auton  n'a  incontestablement 
aucun  rapport.  La  circonstance  que  Jean  d'Auton  connais- 
sait bien  Lyon  et  qu'il  a  pu  employer  une  locution  dauphi- 
noise ou  lyonnaise  ne  prouve  rien,  attendu  qu'il  fit  à  Lyon 
avec  la  cour  des  séjours  fréquents  et  prolongés;  il  connaît 
Lyon  beaucoup  mieux  que  Paris^ 

Au  contraire,  la  baronnie  d'Auton^,  en  Saintonge,  appar- 
tenait à  une  famille  d'Auton,  peu  célèbre,  mais  dont  nous 
rencontrons  çà  et  là  des  traces  dans  l'histoire^.  Un  Loyset 

1.  Échange  entre  le  dauphin  de  Viennois  et  les  seigneurs 
d'Anthon  confirmés  par  Louis  XH,  oct.  1498;  fr.  2900,  fol.  39. 

2.  Imbert  de  Batarnay,  chevalier,  baron  d'Anthon  et  du  Bou- 
chage; fr.  2919,  fol.  63,  acte  de  1497.  Lettre  de  d'Aumont  à 
M"e  d'Anthon,  sa  nièce.  Amboise,  3  oct.;  fr.  2965,  fol.  64.  Cf. 
t.  II,  p.  146,  n.  3. 

3.  Voy.  t.  m,  p.  347. 

4.  Il  connaît  même  très  peu  Paris  (t.  U,  p.  221). 

5.  Actuellement  Authon,  cant.  deSaint-Hilaire-de-Villefranche, 
arr.  de  Saint-Jean-dAngély  (Charente-Inférieure). 

6.  D'après   Beauchet-Filleau   et   de   Ghergé  (Dictionnaire 

des  familles  de  l'ancien  Poitou.  Poitiers,  1841,  t.  I,  p.  156),  la 
famille  d'Authon,  d'Auton  ou  d'Aulthon,  comptait  un  grand 
nombre  de  membres  au  xv^  siècle;  ces  auteurs  citent  :  Jean, 
écuyer,  seigneur  de  Béruges,  en  '1424;  Jacques  et  Louis,  brigan- 
diniers  du  sire  de  Bressuire,  1467  ;  un  bâtard,  archer,  en  1485-1491  ; 
Ythier,  habitant  près  de  Givray,  1491-92;  Ythier,  seigneur  de 
Vausay,  archer,  1492;  Jean  (de  Ghampault),  archer,  1491-92; 
Antoine,  homme  d'armes,  1506;  Charles,  homme  d'armes  delà 
compagnie  La  Trémoille,  1517,  1519;  divers  des  xvi«  et  xvii«  siè- 
cles. Les  armes  sont  :  de  gueules,  à  aigle  éployé,  couronné  d'or. 
—  La  nouvelle  édition  de  Beauchet-Filleau  (I,  188)  donne  la  filia- 
tion suivante  :  Jean  d'Authon,  écuyer  du  duc  de  Guyenne  (1472), 
épousa  Marguerite  de  Mareuil,  dont  il  eut  :  1«  Nicolas,  qui  épousa 
Isabeau  Flament  de  Bruzac  (sans  postérité)  ;  2°  Pierre  (aveu  en 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xj 

Dauton,  écuyer,  était  même  homme  d'armes  de  la  compa- 
gnie personnelle  de  Louis  XII  avant  son  avènement,  et 
reçoit  de  lui  une  gratification  de  quarante  livres,  par  le  minis- 
tère de  Jacques  Hurault,  le  6  mai  1485*  ;  notre  chroniqueur 
put  donc  trouver  à  la  cour  des  voies  préparées.  Ajoutons 
que  la  famille  d'Auton  tint  par  la  suite  un  rôle  de  plus  en 
plus  brillant  en  Saintonge.  «  Seguin  Dauton,  seigneur  baron 
.dudit  lieu,  »  était  en  1610  sénéchal  de  la  province^  De 

1487  au  seigneur  de  Taillebourg),  qui  épousa  Souveraine  Flament 
de  Bruzac,  dont  il  eut  :  1»  Antoine;  2°  Isabeau  (qui  épousa, 
le  30  septembre  1500,  Georges  Guy);  3"  Marie  (qui  épousa,  le 
6  mars  1504,  Ant.  Goulard,  s.  de  la  Boulidière).  Antoine,  homme 
d'armes,  à  qui  on  rapporte  les  aventures  d Antoine  d'Auton 
décrites  dans  Jean  d'Auton,  épousa  vers  1500  Anne  de  Saint- 
Gelais,  de  la  branche  de  Séligny,  et  en  eut  plusieurs  enfants. 
Mais  cette  filiation  est  inexacte  ou  incomplète,  car  elle  n'établit 
rien  pour  notre  Jean  d'Auton,  ni  pour  un  autre  Jean  d'Authon, 
écuyer  du  duc  de  Guyenne,  qui  nous  est  connu  par  une  quittance 
de  ses  gages,  d'avril  1472  (fr.  6990,  fol.  200).  Un  Chariot  d'Auton, 
gentilhomme  saintongeais,  et  certainement  proche  parent  d'An- 
toine, figure  aussi  à  la  fin  du  xv^  siècle,  dans  une  assez  fâcheuse 
affaire,  l'enlèvement  d'une  jeune  fille  (JJ.  233,  fol.  112  et  suiv.). 
Les  Roolles  des  bans  et  arrière  bans  de  la  'province  de  Poictou... 
(extraits  des  originaux  estans  par  devers  Pierre  de  Savezay, 
escuyer,  sieur  de  Bois-Ferrand.  Poitiers,  1667,  in -4°)  citent 
encore  :  Daulton  Jacques,  Daulton  Louys,  brigandiniers  du  sire 
de  Bressuire  en  1467  (p.  17);  et,  en  1491,  dans  l'arrière-ban,  Daul- 
ton Ytier  (de  Civray),  pour  son  père,  qui  est  vieux  de  soixante- 
quinze  ans  (p.  41),  le  même  Daulton  Ytier,  pour  son  père,  s.  de 
Vansay  (p.  69);  le  môme,  en  archer  :  on  lui  enjoint  d'avoir  des 
gantelets;  Dauthon  Jean  (p.  57),  en  archer  (de  Ghampault,  contrée 
de  Niort).  Cf.  ms.  Clairambault  3,  cl.  5,  n»  90,  une  quittance  de 
Hugues  Dauton,  chevalier,  en  Saintonge  (1337).  Enfin  un  sceau 
d'un  Guillaume  d'Auton,  au  xm^  siècle  (Hist.  du  Languedoc,  V, 
pi.  5,  no  63),  difi'ère  tout  à  fait  de  celui  décrit  par  M.  Beauchet- 
Filleau.  On  manque  donc,  en  résumé,  de  données  précises. 

1.  Cabinet  des  titres,  Pièces  orig.,  t.  77,  n"  1549. 

2.  Quittance  d'un  quartier  de  gages,  24  mai  1610.  Cabinet  des 
titres,  Pièces  orig.,  t.  973,  n»  21539. 


xij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

plus,  Jean  d'Auton  qualifie  expressément  de  Saintongeals  le 
seigneur  d'Auton  dont  il  parle. 

Jean  d'Auton  naquit  donc  en  Saintonge,  et  en  1466  ou 
1467,  puisqu'il  mourut  en  janvier  1528,  âgé,  selon  son  épi- 
taphe,  de  soixante  ans  <^  ou  plus.  »  Il  était  religieux  de 
l'ordre  de  Saint-Benoît^.  Nous  ne  savons  rien  de  ses  œuvres 
avant  l'année  1499,  à  moins  que  l'on  ne  veuille  reporter  à 
cette  première  période  de  sa  vie  une  traduction  des  Méta- 
morphoses d'Ovide,  que  nous  ne  connaissons  que  par  une 
citation  de  Jean  Bouchet^  ;  mais  cette  hypothèse  nous  paraît 
peu  vraisemblable  ;  ses  œuvres  proprement  littéraires  appar- 
tiennent à  la  fin  de  sa  carrière  ;  nous  pouvons  établir  la  date 
de  toutes  les  autres,  et  nous  serions  porté  à  assigner  aux 
Métamorphoses  une  date  analogue^.  Sans  doute,  Ovide  se 
trouvait  fort  à  la  mode  sous  le  règne  de  Charles  VIII,  et 
l'évêque  d'Angoulême,  Octovien  de  Saint-Gelais,  lui  dut 
alors  une  partie  de  sa  faveur;  mais,  sous  Charles  VIII, 
personne  ne  connaissait  encore  Jean  d'Auton  ^  Tout  d'un 

1.  Godefroy  dit,  par  lapsus,  de  l'ordre  de  Saint-Augustin.  Cette 
erreur  vient  de  Jean  Bouchet,  dans  une  épître  adressée  à  Jean 
d'Auton  lui-même  (en  tête  du  Panégyrique). 

2.  67e  épître,  à  la  fin  (éd.  de  1545)  :  épître  à  «  Révérend  père 
en  Dieu  frère  Jehan  Dauthon,  abbé  d'Angle  et  croniqueur  du  feu 
Roy  Loys  XII,  faisant  mention  du  jeu  du  monde;  »  et  «  Res- 
ponce  faicte  par  ledict  révérend  abbé  d'Angle...  » 

3.  Bien  que  Jean  Bouchet,  lors  de  la  mort  de  Jean  d'Auton, 
cite  les  Métamorphoses  comme  une  œuvre  d'  «  autrefois.  » 

4.  Le  bibliophile  Jacob,  qui  cite  les  vers  suivants  de  Gervaise  : 

«...  Que  [Jean  d'Auton]  vis  jadis  en  son  saint  hermitage 
De  l'origine  composer  maints  beaux  faits...,  » 
est  porté  à  interpréter  ces  expressions  ambiguës  dans  le  sens  d'un 
commencement  de  Chronique,  qui  devait  remonter  à  l'origine  des 
Français.  Nous  croirions  plutôt,  mais  sans  pouvoir  rien  affirmer, 
que  Gervaise  fait  allusion  à  quelque  œuvre  de  début;  probable- 
ment, Jean  d'Auton  avait  dû  composer  d'abord,  au  fond  de  son 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xiij 

coup,  ce  personnage  sans  ambition,  jeune,  modeste,  peu 
remuant,  conçoit  et  exécute  le  projet  d'écrire  une  relation 
presque  officielle  de  la  campagne  de  Milan,  avec  un  poème 
solennel,  redondant  et  insipide,  mais  de  circonstance,  les 
Alarmes  de  Mars.  Il  prend  la  peine  d'aller  à  Milan.  Il 
présente  son  œuvre  sans  la  signer,  mais  le  bibliophile  Jacob 
a  parfaitement  eu  raison  d'y  suppléer  sa  signature*.  D'où 
put  lui  venir  cette  brusque  ambition  de  se  faire  l'historio- 
graphe de  la  cour?  Qui  donc  tira  Jean  d'Auton  de  son  cou- 
vent pour  lui  inspirer  un  acte  aussi  officiel^?  qui  lui  en 
donna  les  moyens?  qui  lui  fit  espérer  le  succès?  Ici,  nous 
n'avons  guère  de  doute  :  c'est  la  reine  Anne  de  Bretagne. 
Outre  que  nous  reconnaissons  là  le  procédé  de  la  reine  Anne, 
Jean  d'Auton,  à  plusieurs  reprises,  s'avoue  son  protégé;  le 
début  de  cette  protection  se  rapporte  précisément  à  la  prise 
de  possession  par  Anne  de  Bretagne  de  son  douaire.  Malgré 
son  mariage  avec  le  nouveau  roi  Louis  XII,  la  reine  con- 
serva, avec  une  administration  à  elle,  sa  très  opulente  dota- 
tion de  reine  douairière,  comme  veuve  de  Charles  VIII  ;  les 
vastes  domaines  qui  lui  furent  ainsi  attribués  s'étendaient 
surtout  en  Saintonge,  autour  de  la  Rochelle  et  de  Saint- 
cloître,  un  roman  de  «  beaux  faits,  »  selon  la  mode  du  temps. 
Rien,  dans  sa  Chronique,  n'annonce  un  préambule  ambitieux  ni 
même  un  préambule  quelconque,  au  contraire. 

1.  Avant  lui,  Th.  Godefroy  s'était  aperçu  que  le  récit  de  1499 
était  de  Jean  d'Auton  et  l'avait  réuni  à  la  Chronique  de  1501- 
1506,  dans  une  copie  actuellement  à  la  bibliothèque  de  l'Institut 
(ms.  Godefroy  228). 

2.  Jean  d'Auton  ne  rédigea  qu'en  1500  la  chronique  de  1499 
(t.  I,  p.  90,  n.  2),  mais  il  agit  dès  1499  avec  des  allures  officielles, 
voyant  par  lui-même  une  partie  des  choses  (il  fit  le  voyage  de 
Milan)  et  s'informant  des  autres  par  enquêtes  (t.  I,  p.  4,  n.  1;  87, 
n.  2),  et  déjà  alors  il  se  plaint  de  la  difficulté  de  se  montrer  exact 
et  impartial  (p.  109). 


xiv  NOTICE  SUR  JEAN  D'âUTON. 

Jean-d'Angély,  qui  y  étaient  compris  ;  le  douaire  compor- 
tait aussi  des  domaines  en  Languedoc,  près  de  Montpellier. 
Or,  par  une  coïncidence  digne  de  remarque,  le  moine  que 
nous  croyons  saintongeais  débute  à  la  cour  au  moment  de 
la  constitution  du  douaire,  et  il  va,  en  récompense  de  ses 
travaux,  recevoir  des  bénéfices  en  Poitou,  puis  près  de 
Lodève. 

Cette  remarque  est  fort  importante  pour  la  critique  des 
Chroniques.  La  reine,  dont  on  sait  l'esprit  volontaire,  joua 
un  grand  rôle  dans  les  faits  que  rapporte  Jean  d'Auton  ; 
c'est  elle  qui,  passionnée  pour  l'indépendance  de  la  Bretagne, 
poursuivit  une  lutte  ardente  et  opiniâtre  en  vue  de  marier 
sa  fille  Claude  au  fils  de  l'archiduc,  en  lui  donnant  comme 
dot  une  partie  de  la  France.  On  connaît  ces  mémorables 
événements,  couronnés  par  le  procès  du  maréchal  de  Gié, 
par  la  brouille  du  roi  et  de  la  reine,  par  le  mariage  de 
Claude  avec  le  comte  d'Angoulême.  Or,  dès  le  début  de  ses 
Chroniques  (et  c'est  le  plus  grave  reproche  qu'on  puisse 
leur  adresser) ,  Jean  d'Auton  s'inspire  manifestement  des 
goûts,  des  idées  et,  pour  tout  dire,  de  ïécole  de  la  reine. 
Cette  tendance,  dont  il  faut  tenir  compte  en  utilisant  son 
récit,  est  sensible  sur  bien  des  points  et  l'entraîne  jusqu'à 
contrecarrer  même  dans  certaines  circonstances  les  idées  du 
roi  et  du  cardinal  d'Amboise.  Ainsi,  une  dépêche  du  résident 
vénitien  Dandolo,  du  18  février  1502  (anc.  st.)^  expose  que 
César  Borgia  se  soutient  à  la  cour  par  l'appui  politique  du 
cardinal  d'Amboise  et  qu'il  a  contre  lui  une  grande  influence, 
la  reine;  en  l'absence  du  cardinal,  le  parti  de  la  reine  ne  se 
gênait  pas,  dit  l'ambassadeur,  pour  murmurer,  pour  accuser 
le  roi  de  laisser  le  Valentinois  trop  lever  la  crête  et  deve- 

1.  Archives  de  Venise. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  XV 

nir  dangereux;  le  roi  se  borne  à  hocher  la  tête,  en  disant 
qu'il  ne  laissera  pas  dépasser  les  bornes...  Eh  bien,  Jean 
d'Auton,  dans  ses  écrits  officiels,  n'imite  point  la  réserve 
du  roi;  il  témoigne  au  Valentinois  une  haine  profonde ^ 
Bien  plus  !  on  dirait  qu'il  craint  de  le  nommer  ou  de 
le  qualifier;  il  recourt  à  des  subterfuges  amusants;  il 
appelle  César  «  nepveu  du  frère  du  pape-,  »  pour  dire 
«  fils  du  pape  »  sans  le  dire.  Cyprien  d'Auton  servait 
dans  la  compagnie  Valentinois,  dont  Aubert  du  Rousset 
était  lieutenant  ;  Jean  d'Auton  appelle  cette  compagnie  Du 
Rousset. 

Pourtant,  lorsque  le  rôle  antipatriotique  de  la  reine  s'ac- 
centue et  aboutit  à  un  éclat,  Jean  d'Auton  commence  à 
éprouver  un  certain  malaise  et  modifie  légèrement  son 
accent.  Il  parle  encore  du  procès  du  maréchal  de  Gié  comme 
on  le  faisait  dans  l'entourage  de  la  reine,  mais  déjà  il  donne 
à  son  récit  un  préambule  d'étonnement  et  de  philosophie.  Il 
applaudit  néanmoins  à  la  chute  du  maréchal,  et  il  obtient 
aussitôt  après  de  l'avancement.  L'influence  de  la  reine  se 
fait  encore  jour  dans  le  récit  du  mariage  de  Claude  de 
France  et  dans  la  longue  mention  accordée  à  Antoine 
Duprat,  cet  astre  naissante  Le  chroniqueur  pousse  même  la 
conscience  jusqu'à  déclarer  «  très  belle  »  la  pauvre  Claude 
de  France,  qui  était  si  laide.  Mais  peu  à  peu  l'inspiration 
de  la  reine  décroît.  Le  consciencieux  chroniqueur  a  pris  au 
sérieux  son  rôle  officiel  ;  il  cherche  à  plaire  au  roi,  auquel 
il  offre  des  poésies  ;  il  se  débat  contre  les  influences  avec  un 
véritable  souci  d'indépendance.  Aussi  sommes-nous  fondé  à 
croire  que  son  étoile  pâlit  près  de  la  reine.  Nous  le  voyons 

4.  Voy.  notamment  t.  U,  p.  87. 

2.  T.  n,  p.  12. 

3.  T.  IV. 


xvj  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

supplanté  par  d'autres  dans  les  faveurs  d'une  princesse 
bonne,  mais  exigeante  ;  Jean  Marot  écrit,  pour  la  reine,  le 
récit  de  l'expédition  de  1507;  il  l'écrit  en  vers,  avec  un 
accompagnement  de  miniatures  fort  soignées;  la  reine  le 
prend  pour  poète,  et,  peu  après,  elle  prend  Jean  Le  Maire 
pour  son  historiographe.  A  ce  moment,  Jean  d'Auton, 
comme  nous  allons  le  dire,  abandonne  la  plume  de  l'histo- 
rien et  se  réfugie  dans  la  poésie.  On  peut  supposer  à  ces 
divers  événements  un  certain  lien,  nécessairement  tout 
moral,  et  il  ne  serait  pas  surprenant  que  la  reine,  après 
avoir  valu  à  Jean  d'Auton  sa  carrière,  ait  contribué  ensuite 
à  son  éloignement. 

Jean  d'Auton  intitule  simplement  Conqueste  de  Millan 
sa  première  chronique,  non  officielle.  Il  appelle  déjà  la 
seconde  Chronique  du  roy  Loys  XIF,  et  la  troisième 
devient  Chronique  de  France.  L'auteur  prend  alors  le 
titre  d' Historiographe  du  Roy^.  Au  début,  il  suivait  son 
propre  comput,  le  25  mars  ;  il  adopte  à  partir  de  1501  le 
comput  rojal  de  Pâques  ^ 

A  mesure  que  son  caractère  officiel  s'affirme,  sa  narration 
change  de  ton;  elle  devient  plus  prolixe,  plus  diffuse,  plus 
consciencieuse,  si  l'on  veut,  et  en  même  temps  plus  hâtive. 
En  maint  endroit,  il  proteste  de  son  soin  et  de  son  loyal 
désir  d'impartialité^;  il  nous  renseigne  sur  sa  manière  de 

1.  Le  récit  de  1499  est  un  récit  abrégé,  fait  évidemment  en  vue 
d'appeler  l'attention  du  prince.  Jean  d'Auton  dit  lui-même  qu'il 
le  fait  dans  du  temps  dérobé  à  d'autres  occupations.  Le  récit  de 
1500  forme  déjà  un  tout  plus  vaste  et  plus  complet.  Le  récit  de 
1501-1506  forme  un  volume  tout  à  fait  officiel. 

2.  T.  n,  p.  3. 

3.  Voy.  t.  III,  p.  158.  Il  insiste  sur  son  extrême  désintéresse- 
ment. Il  ne  prend  la  plume,  dit-il,  que  parce  qu'il  ne  peut  tenir 
l'épée,  par  haine  de  l'oisiveté,  qui  engendre  la  volupté  (ibid.,  et  I, 
3,  109,  117). 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xvij 

composer*,  et,  plus  il  va,  plus  il  multiplie  ces  affirmations 2. 
Il  suit  partout  la  cour;  il  accompagne  le  roi  dans  ses  expé- 
ditions en  Italie^;  il  fraie  avec  les  capitaines,  avec  les 
hommes  d'armes  de  tout  grade  ;  il  ne  craint  pas  de  boire 
et  de  manger  avec  eux^,  d'aller  sur  le  champ  de  bataille^, 
lui,  religieux  des  plus  paisibles,  pour  se  faire  une  idée 
de  l'art  de  la  guerre  et  recueillir  sur  l'artillerie,  sur  les 
bandes,  sur  les  exploits  de  tel  personnage,  des  renseigne- 
ments précis,  authentiques.  Déjà,  sous  Charles  VIII,  An- 
dré de  la  Vigne,  commis  «  à  mettre  par  écrit  ce  présent 
voyage,  »  avait  accompagné  le  roi  à  Naples,  en  lui  présen- 
tant çà  et  là  quelque  rondeau  de  circonstance  pour  le  diver- 
tir^. Jean  d'Auton  fait  de  même,  mais  son  œuvre  est  plus 
complexe,  plus  difficile.  Il  va  partout,  le  calepin  à  la  main, 
comme  un  journaliste  de  nos  jours  ',  et  il  lui  faut  composer  sa 

1.  Il  aime  surtout  parler  de  ce  qu'il  a  vu  (t.  I,  p.  4,  n.  i;  II,  107) 
ou  invoquer  au  moins  des  témoignages  oculaires  (III,  164,  166). 
En  célébrant,  sur  l'ordre  du  roi,  l'histoire  invraisemblable  de  la 
mort  de  Thomassine  Spinola,  il  a  soin  de  laisser  la  responsabilité 
du  récit  à  Germain  de  Bonneval  (IV,  12),  connu  alors  comme  con- 
teur de  Nouvelles  (IV,  361). 

2.  T.  m  et  IV.  Voy.  notamment  III,  230,  239,  317. 

3.  Il  va  à  Milan  en  1499  (I,  87,  n.  2),  à  Gênes  et  à  Milan  en 
1502  (II,  245;  III,  29,  75),  à  Gênes  en  1507  (IV,  passim);  il  vit  à 
la  cour  à  Lyon  (II,  106;  III,  96),àBlois  :  «  ...  Vostre  abbé  d'Angle, 
écrit  Jean  Bouchet  à  Louis  XII, 

Lequel  vous  suit  souvent  en  robbe  sangle 

Pour  mettre  au  vray  par  escrit  vos  haults  faits.  » 

4.  Il  fait  même  souper  à  ses  frais  et  chez  lui  des  gens  d'armes 
pour  en  tirer  des  récits  exacts  (III,  317). 

5.  A  Gênes,  en  1507,  il  prend  ses  renseignements  sur  le 
champ  de  bataille  et  de  visu  (III,  p.  229;  IV,  p.  12). 

6.  Godefroy,  Hist.  de  Charles  VIII,  p.  189. 

7.  Notamment  t.  III,  p.  315.  — 11  est  en  cour,  «  aux  escoutes,  » 
dit-il  (III,  339). 

IV  h 


xviij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Chronique  sur-le-champ,  afin  de  la  remettre  au  roi  sans  trop 
de  délai  ' .  Ajoutons  que  la  Chronique,  aussitôt  livrée  en  pâture 
à  un  certain  public,  valait  à  son  auteur  une  grande  répu- 
tation^  et  bien  des  critiques.  Gratifié,  en  1505,  par  le  cardi- 
nal-légat d'Amboise  du  prieuré  de  Clermont-Lodève,  où  il 
se  trouvait  dans  la  dépendance  directe  du  cardinal  de  Nar- 
bonne,  neveu  du  légat,  Jean  d'Auton  est  à  la  fois  satisfait  ^ 
et  gêné.  Il  n'aimait  point  la  lutte  ;  il  écrivait  par  goût,  pour 
éviter  l'oisiveté ,  pour  exalter  les  bons  et  réprouver  les 
méchants.  Quand  il  vit  qu'une  si  noble  mission  lui  attirait  des 
attaques  et  des  dégoûts  (à  propos  desquels  il  s'exprime  avec 
une  certaine  amertume  dès  1503^),  son  découragement  sur 

{.  T.  III,  p.  289,  il  dit  que  César  Borgia,  arrêté  en  1504,  pas- 
sera probablement  le  reste  de  sa  vie  en  prison.  Sa  chronique  de 
1499  fut  rédigée  en  1500,  celle  de  1500  en  1502  (I,  318). 

2.  m,  317.  Dès  1503,  évoquant  la  Rhétorique  sur  la  tombe  du 
comte  de  Ligny,  Jean  Le  Maire  de  Belges  met  les  vers  suivants 
dans  la  bouche  de  cette  dame  : 

«  Encores  est  hors  de  ce  mondain  fabricque 
Ung  mien  privé  Robertet  magnificque, 
Qui  mon  feu  George  en  grant  pleur  honnoura; 
Et  Sainct  Gelais,  coulourant  maint  canticque, 
Pleurant  son  Roy  plus  cler  que  nulle  antique, 
Les  a  suivy;  si  croy  que  Rhetoricque 
Finablement  avec  eulx  se  mourra. 
Ung  bien  y  a  que  encor  me  reste  et  dure  : 
Mon  Molinet,  moulant  fleur  et  verdure, 
Dont  le  hault  bruyt  jamais  ne  périra; 
Et  ung  Crétin,  tout  plain  de  flouriture, 
Qui  le  conserve  en  vigueur  et  nature; 
Et  toy,  Dauton,  car  la  sienne  escripture 
Et  ta  Cronicque  a  tousjours  flourira.  » 
Le  Maire  cite  ensuite  le  second  Robertet,  et  les  musiciens 
Josquin  de  Prez,  Hilaire  Évrart. 

3.  IV,  27. 

4.  En  tête  :  ch.  xxiv;  fin  du  ch.  xxir;  t.  III,  p.  317.  Dès  1499, 
il  commençait  à  se  plaindre  (I,  109). 


NOTICE  SUR  JEAN  DAUTON.  xix 

l'impossibilité  de  satisfaire  tout  le  monde  s'accentue  de  plus 
en  plus  et  finit  certainement  par  lui  inspirer  le  désir  de 
laisser  là  son  rôle  et  de  rentrer  dans  la  paix. 

Pour  rédiger  ses  Chroniques,  Jean  d' Au  ton  ne  devait  d'ail- 
leurs consulter  que  ses  propres  forces  ;  on  ne  lui  prêtait  aucun 
appui  officiel'.  Aussi  a-t-il  rarement  un  document  entre  les 
mains 2  et  ignore-t-il  des  faits  très  importants,  notamment 
les  négociations,  et  il  l'avoue  3. 

Il  raconte  les  faits  extérieurs,  ce  qui  se  sait  à  la  cour, 
et  cela  sans  parti  pris;  il  représente  ordinairement  l'opi- 
nion moyenne.  C'est  un  excellent  homme,  d'esprit  peu 
distingué,  plein  de  bonne  volonté  et  de  bienveillance, 
sincère  et  honnêtement  naïf.  Soit  réserve,  soit  éloignement 
naturel  ou  professionnel  pour  les  intrigues,  on  s'aperçoit 
qu'il  ne  connaît  pas  à  fond  le  personnel  de  la  cour,  parce 
qu'il  commet  de  petites  méprises  d'appellation'*.  Plusieurs 

1.  Il  se  plaint  amèrement  qu'on  ne  lui  dise  rien  et  rejette  sur  ce 
silence  les  lacunes  qui  peuvent  se  trouver  dans  ses  récits  (UI,  317). 

2.  Cependant  il  donne  le  texte  d'une  trêve  et  le  texte  des  dis- 
cours de  Gênes  en  1507.  Il  invoque  aussi  (t.  III,  p.  167)  un  rap- 
port officiel  ennemi.  A  la  même  époque,  la  Chronique  rédigée 
par  Haneton,  premier  secrétaire  du  roi  de  Castille,  ne  comprend 
presque,  à  l'inverse,  que  des  documents. 

3.  II,  213;  t.  III,  négociations  de  1504;  k  IV,  p.  343,  négocia- 
tions de  Savone;  négociations  de  1505  («  a  porte  cloze,  quant  a 
moy.  ï  m,  358). 

4.  Ainsi  il  appelle  Gaspard  de  Goursinges  «  Menna  j  (t.  I), 
«  Aymer  »  (t.  Il,  p.  12,  278);  Charles  de  Bourbon,  comte  de 
Roussillon,  «  Jacques  »  (II,  189),  ou  «  Louis  »  (II,  21);  Etienne 
Poncher,  évèque  de  Paris,  «  Jean  »  (passvn);  Louis  de  Gastelba- 
jac,  «  Bertrand  »  (II,  21);  Jacques  de  la  TrémoïUe,  seigneur  de 
Mauléon,  «  François  s  (II,  12);  le  marquis  Louis  de  Saluces, 
«  François;  »  Louis  de  Bigars,  seigneur  de  la  Lande,  tantôt  «  Jean 
de  la  Lande  »  (II,  13,  278),  tantôt  «  Pierre  de  la  Lande  »  (II,  287, 
290)  ;  le  sire  de  Rohan,  «  vicomte  de  Rohan  »  (I,  73)  ;  Antoine 
Duprat  «  Jean  Du  Prat  »  (III,  230). 


XX  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

de  ces  confusions  sont  d'ailleurs  imputables  à  la  hâte  de  la 
rédaction*. 

De  même,  il  a  quelquefois  erré,  soit  sur  des  faits  d'his- 
toire^  soit  sur  des  détails  de  géographie^  En  général,  ces 
légers  lapsus  ne  présentent  pas  de  gravité  (comme  on  peut 
le  voir  par  les  spécimens  que  nous  citons)  ;  il  appartient 
à  l'éditeur  de  les  reviser,  d'unifier  par  une  table  des 
matières  les  variations ,  et  on  ne  saurait  tenir  rigueur  à 
l'auteur,  qui,  évidemment,  recherchait  ses  renseignements 
avec  beaucoup  de  soin,  qui  les  a  pris  à  bonne  source^  et 
les  fournit  habituellement  fort  exacts^.  Sous  cette  réserve, 
nous  n'avons  pas  ménagé,  dans  notre  annotation,  les  petites 
chicanes  de  détail^. 


\ .  Il  lui  arrive  d'appeler  «  Jean  de  Rohan  »  Pierre  de  Rohan, 
maréchal  de  Gié,  personnage  connu  de  la  France  entière  ;  il  con- 
fond, à  un  moment,  Roquebertin  avec  Roquemartin,  qui  fut 
ambassadeur  en  Espagne  (II,  117);  il  donne  ici  son  vrai  nom  à 
James,  infant  de  Navarre  (II,  155),  et  quelques  pages  plus  loin  il 
le  nomme  infant  de  Foix  (II,  189,  198);  il  appelle  successivement 
le  même  homme  d'armes  Marc  du  Fresne  (II,  287)  et  Marc  du 
Chesne  (II,  290);  Jean  de  Dinteville  ou  de  Tinteville  (II,  21,  74, 
etc.;  cette  variante  autorisée  par  l'usage). 

2.  Il  dit  (I,  6)  que  Charles  d'Orléans  a  été  hostage  en  Angleterre; 
c'est  Jean,  frère  de  Charles. 

3.  Il  place  en  Fouille  Lecce,  qui  est  dans  la  terre  d'Otrante  (II, 
204);  il  appelle  Ghiavenna  tantôt  «  Glavene,  »  tantôt  Chavannes... 

4.  Voy.  les  renseignements  fournis  par  Bayard  (III,  108),  par  le 
cardinal  de  Prie,  par  Gabriel  de  la  Châtre  (III,  96),  par  d'Aubi- 
gny,  La  Palisse  et  autres  capitaines  (III,  314),  par  Antoine  de 
Gonflans  (II,  158),  etc. 

5.  Voy.  t.  n,  13;  I,  226. 

6.  Voy.  1. 1,  5  n.  2,  7  n.  1,  12,  18  n.  2,  47  n.  1,  50  n.  1,  63  n.  I, 
78  n.  3,  79  n.  3,  81  n.  1,  91  n.  4,  108  n.  5,  120  n.  1,  123  n.  1, 
124  n.  3,  135  n.  4,  148  n.  1  et  2,  150  n.  2,  164  n.  2,  195  n.  1,  197 
n.  1,  265  n.  2,  282  n.  2,  307,  314  n.  3;  t.  II,  p.  14,  33,  36,  71,  73 
n.  2,  87  n.  1,  91  n.  1,  93  n.  1  et  2,  97,  99,  113,  141  n.  2  et  3,  155 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxj 

Outre  cette  critique  intrinsèque,  nous  devons  constater 
que,  dans  sa  manière  générale  de  narrer  et  d'apprécier  les 
faits,  Jean  d'Auton  est  tout  simplement  l'homme  de  son 
temps.  Il  est  superstitieux*  ;  la  légende  médiéyale  de  Vir- 
gile magicien  trouve  en  lui  un  de  ses  plus  chauds  adeptes. 
Il  croit  fort  aux  esprits ^  et  aux  prodiges;  mais  il  admet 
parfaitement,  en  matière  de  merveilleux,  la  vérification  et 
la  controverse  2.  Il  se  montre  constamment  simple,  droit^ 
bon^,  doux^,  très  franc',  tolérant^  et  essentiellement  mo- 
deste^. Il  ne  cherche  à  faire  valoir  ni  lui  ni  même  ses  amis*"^. 
Donne- 1- il  la  liste  nominative  des  officiers  de  cour  qui 
accompagnent  Louis  XII  à  Gênes  en  1507,  il  s'y  omet. 

Sa  bienveillance  native  le  porte  plutôt  à  excuser  les 
faiblesses  ou  à  les  atténuer,  à  moins  que  son  indignation 
n'éclate  sur  un  fait  majeur.  En  y  regardant  de  près,  on  s'aper- 
çoit que,  si  quelqu'un  se  conduit  mal,  rend  une  place,  etc., 

n.  2, 174, 189,  209  n.  1,  210  n.  7,  213  n.  2,  216  n.  1,  218  n.  1,  219 
n.  1  et  2,  245,  254,  etc. 

1.  T.  m,  p.  281-282. 

2.  Voy.  l'histoire  de  l'esprit  pythonîque  à  Lyon  fil,  104). 

3.  "Voy.  ses  récits  de  miracles  (au  siège  de  Pise;  à  Novare,  un 
archer  guéri  instantanément  par  l'intercession  de  Notre-Dame  de 
Hautefaye).  Cf.  t.  m,  p.  75,  96. 

4.  «  De  conscience  il  estoit  fort  doubfeux; 
Il  fut  droit  homme  et  de  grant  amitié.  » 

(Bouchet,  ép.  57.) 

5.  «  Le  bon  Danton  »  (épître  de  Crétin). 

6.  Voy.  t.  II,  p.  222. 

7.  Voy.  t.  n,  p.  138;  m,  295. 

8.  T.  n,  p.  25. 

9.  T.  I,  p.  117. 

10.  Le  poète  Macé  de  Villebresme,  valet  de  chambre  du  roi,  était 
un  ami  et  admirateur  de  J.  d'Auton,  puisque  Crétin  lui  écrit  à 
cet  égard  en  termes  lyriques.  Cependant  J.  d'Auton  en  parle  peu. 
Lorsqu'il  le  cite,  comme  ambassadeur  ft.  III,  p.  263),  il  dit  :  «  Ung 
sien  (du  roi)  valet  de  chambre,  nommé  Mascé  de  Villebreme...  » 


xxij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Jean  d'Auton  le  nomme  le  moins  possible,  mais  qu'au  con- 
traire il  exalte'  l'exploit  du  moindre  homme  d'armes,  avec  un 
véritable  souci  de  ne  pas  oublier  les  petits.  Il  exaltera  égale- 
ment l'ennemi  :  dans  les  discours  un  peu  pompeux  qu'il  produit 
de  temps  en  temps,  il  aime  à  mettre  dans  la  bouche  de  l'orateur 
un  hommage  rendu  aux  adversaires.  Un  vif  sentiment  du 
devoir,  de  l'honneur,  de  la  patrie,  brille  à  chaque  page  ;  les 
questions  d'argent  n'y  tiennent  aucune  place.  Parfois, 
quelques  physionomies  de  femme  le  font  sourire  (et  il  le  faut 
bien)  ;  il  voit  sans  déplaisir  les  dames  italiennes,  mais  il  se 
ravise  aussitôt,  en  moine  pieux  et  vertueux. 

On  ne  sera  pas  surpris  qu'à  ces  bons  sentiments  il  ajoute 
un  grand  fond  d'humanité;  la  mort  de  vingt-cinq  ou  trente 
hommes  d'armes  sur  un  champ  de  bataille  le  met  hors  de 
lui^  Que  dirait-il  des  épopées  modernes!  Il  est  vrai  qu'il 
expose  sans  sourciller,  et  comme  une  loi  fatale  de  la  guerre, 
les  horribles  massacres  de  garnisons  emportées  d'assaut, 
massacres  destinés  à  répandre  une  terreur  salutaire,  et 
même,  selon  les  vainqueurs,  à  économiser  beaucoup  de 
sang. 

Enfin,  il  rapporte  les  faits,  si  complexes,  de  son  époque, 
avec  un  esprit  sincèrement  chrétien^.  Certes,  il  se  croirait 
déshonoré  s'il  ne  révélait  pas  sa  science  des  Grecs  et  des 
Romains^  en  invoquant  convenablement  Mars,  Vulcain, 
Neptune,  Phébus...  Ce  travers  ne  l'empêche  pas  de  recourir 
bravement  au  Dieu  unique,  auteur  de  toute  grâce  et  de  tout 

1.  Voy.  notamment  t.  III,  p.  238. 

2.  Voy.  son  éloge  de  la  mort  des  croisés  (II,  179).  Il  se  fait 
volontiers  moraliste  (III,  167).  Cf.  HI,  70,  65,  298. 

3.  Il  cite  Pline  (II,  188),  Sénèque...  Il  rend  hautement  justice 
aux  Grecs  et  aux  Romains,  tout  en  les  qualiflant  de  barbares  (lU, 
317).  Il  cite  volontiers  les  héros  anciens  (non  sans  quelques  con- 
fusions) et  leur  joint  les  preux  de  la  Table-Ronde  (III,  144). 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxiij 

bien.  Tout  ce  que  la  terre  produit  de  beau  porte,  à  ses  yeux, 
l'empreinte  du  Paradis  :  il  concède  à  l'Enfer  une  couleur 
exclusivement  païenne;  on  trouve  là  tant  qu'on  veut  les 
Parques,  les  Furies,  Proserpine,  Pluton...  et  Eurydice. 

Du  reste,  comme  tous  ses  contemporains,  et  surtout  comme 
le  cardinal  d'Amboise,  il  ne  nourrit  aucune  illusion  sur  la 
situation  religieuse  de  son  temps.  Il  évite  de  s'étendre  sur  le 
compte  d'Alexandre  VI  ;  mais,  une  fois,  il  lui  arrive  d'entrer 
nettement  dans  le  sujet,  car  le  tonnerre  est  tombé  dans  la 
chambre  du  pape,  par  un  accident  qui  pourrait  être  une 
vengeance  céleste;  et  alors,  malgré  le  profond  respect  avec 
lequel  le  bon  d'Auton  parle  du  Père  des  fidèles,  on  sent  bien 
qu'il  penche  pour  la  vengeance;  il  conclut  parles  pronostics 
les  plus  noirs  ;  il  croit  à  la  prochaine  dispersion  des  fidèles  ^ 

Mais  ce  sont  là  des  nuances  personnelles  discrètement 
exprimées. 

Ce  qui  donne  à  l'œuvre  de  Jean  d'Auton  une  portée 
unique,  c'est  que  Louis  XII  agréa  les  chroniques  de  son  his- 
toriographe et  les  mit  à  une  place  d'honneur  dans  la  biblio- 
thèque de  Blois^;  or,  Louis  XII  s'occupait  personnellement 
de  sa  bibliothèque  ='.  C'est  donc  une  œuvre  officielle. 

1.  T.  I,  p.  296.  Cf.  t.  m,  p.  201. 

2.  «  Item,  ung  aultre  livre  en  parchemin,  historié  et  illuminé, 
contenant  la  Gronicque  du  Roy  Loys  XII^  de  ce  nom,  couvert  de 
veloux  noir...  «  Item,  ung  aultre  livre  en  parchemin,  contenant 
les  Alarmes  de  Mars  sur  le  voyage  de  Milan,  en  ryme,  avec  la 
conqueste  et  entrée  d'icelle,  en  prose,  couvert  de  veloux  noir... 
(Chronique  deik99).  «  Item,  les  Cronicques  du  feu  royLoysXII^, 
en  parchemin,  couverte  de  velours  noir,  a  fermans  d'argent  :  » 
parmi  les  livres  «  aux  armaires,  soubz  le  pulpitre  de  la  cronicque 
de  Angleterre  et  de  la  Toison  »  (Michelant,  Catalogue  de  la  biblio- 
thèque de  François  /"  à  Blois,  en  1518,  p.  39,  40). 

3.  Voy.  M.  Delisle,  le  Cabinet  des  manuscrits,  t.  IV  ;  notre  livre 
Louise  de  Savoie  et  François  I^^.  Ghampier,  dans  son  Tropheum 


xxvj  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

avancent,  le  style  trahit  la  fatigue^  ;  que,  d'autre  part,  les 
difficultés  avec  la  reine,  avec  les  personnalités  politiques  ou 
militaires  troublaient  la  sérénité,  l'indépendance  de  l'hon- 
nête écrivain  et  le  dégoûtaient  de  sa  mission.  Après  avoir 
longuement  narré  les  exploits  d'Antoine  d'Auton ,  qui  dé- 
plurent fort  à  la  cour  et  au  roi,  il  cesse  brusquement  son 
récit.  Nous  n'en  sommes  point  surpris^.  Et  le  catalogue  delà 
Bibliothèque  du  roi  en  151 8  3,  l'année  même  où  Jean  d'Au- 
ton se  retira  du  monde ,  nous  montre  qu'aucune  suite  des 
Chroniques  n'avait  été  déposée.  Dès  1511,  Le  Maire  de 
Belges  ^  en  offrant  à  Louis  XII  la  Différence  des  scismes, 
se  présente  comme  historiographe  officiel^  (bien  qu'étran- 
ger), et  se  dit  encouragé  par  «  ung  de  voz  bons  serviteurs 
et  varletz  de  chambre  ordinaire^,  »  et,  le  1^""  mai  1512,  il 
signe  le  Tiers  livre  des  Illustrations  de  France,  «  indi- 

1.  Il  y  a  même  quelques  rabâchages  (voy.  t.  Il,  p.  135). 

2.  Jean  Le  Maire  de  Belges,  qui  se  tenait  aux  aguets  à  Lyon 
en  1509,  raconte,  dans  une  de  ses  lettres,  qu'il  vient  de  voir 
d'Auton,  «  illustrateur  des  croniques  de  France.  »  Jean  d'Auton 
arrive  d'Italie  ;  mais,  au  lieu  de  suivre  pas  à  pas  la  cour,  un  cale- 
pin à  la  main,  discrètement,  d'Auton  la  précède,  narrant  les 
exploits  de  vive  voix  à  qui  veut  les  entendre,  en  héraut,  en  poète, 
en  bon  serviteur,  non  plus  en  historien  prudent,  consciencieux, 
timoré  comme  autrefois  (lettre  du  12  août  1509,  insérée  à  la  suite 
de  la  Légende  des  Vénitiens). 

3.  Cité  ci-dessus,  p.  xxni,  n.  2. 

4.  Le  Maire  de  Belges,  neveu  de  Jean  Molinet  (fr.  1717,  fol.  96), 
était  auparavant  attaché  à  Marguerite,  régente  des  Pays-Bas. 

5.  «  Gomme  le  droicturier  office  et  debvoir  de  tous  bons  indi- 
ciaires,  cronicqueurs  et  historiographes  soit  de  monstrer  par  escrip- 
tures  et  raisons  apparentes  et  notiffier  a  la  gent  populaire  les  vrayes 
et  non  flateuses  louenges  et  mérites  de  leurs  princes  et  bonnes  et 
justes  querelles  d'iceulx...  A  ceste  cause,  je,  qui  suis  le  moindre 
et  le  plus  jeune  de  la  vocation  des  dessusnommez  indiciaires  et 
historiographes...  »  (Le  Maire  de  Belges,  Prologue  de  la  Différence 
des  scismes). 

6.  Jean  de  Paris. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxvij 

ciaire  et  hystoriographe  de  la  Royne^  »  Jusqu'à  la  mort  de 
Louis  XII,  auquel  son  caractère  devait  plaire,  Jean  d'Au- 
ton  ne  conserva  donc  que  le  titre  d'historiographe  et  la 
faveur  personnelle  du  prince^. 

En  abandonnant  le  rôle  ingrat  de  chroniqueur,  il  s'at- 
tacha à  la  poésie,  il  s'affirma  comme  littérateur  et  comme 
poète.  La  poésie,  dans  ce  moment,  menait  plus  commodé- 
ment à  tout  que  l'histoire.  Déjà,  J.  d'Auton  s'en  était  réclamé  : 
nous  avons  mentionné  les  Métamorphoses,  les  Alarmes  de 
Mars.  Il  offrit  sans  doute  au  roi  les  pièces  de  vers  insérées 
dans  sa  Chronique  de  1500  et  1501  ;  nous  savons  par  lui 
qu'en  1502  il  remit  un  rondeau  à  la  reine  de  Hongrie  Anne 
de  Foix^  ;  qu'en  1503,  à  Mâcon,  il  gratifia  le  roi  de  conso- 
lations et  de  conseils  en  forme  de  ballade  avec  rondeau^;  il 
écrivit,  en  1504,  le  Deffault  du  Garillant^ ;  il  offrit  au  roi, 
en  1505,  son  élégie  sur  Thomassine  Spinola^;  en  1507,  à 
Asti,  son  Exil  de  Gennes  la  Superbe"^.  Au  camp  devant 
Gênes,  en  1507,  il  composa  deux  ballades  et  deux  rondeaux 
contre  les  Génois  8,  et  ensuite  la  pièce  insérée  dans  la 
Chronique.  Au  même  moment,  il  translatait  de  latin  en 

1.  Audré  de  la  Vigne  était  secrétaire  de  la  reine.  Ajoutons  que 
le  poète  Guill.  Crétin  était,  à  la  même  époque,  trésorier  de  Vin- 
cennes  et  chapelain  ordinaire  du  roi  (Le  Maire,  Illustrations  de 
Gaule,  épître  en  tète  du  IIP  livre). 

2.  J.  Bouchet,  épitre  57.  Jean  Le  Maire,  Epistre  responsive  du 
Roy...  a  celle  de...  damp  Jehan  Danton,  chroniqueur  du  Roy  très 
crestien  Loys  douziesme  (1512;  impr,  en  1515). 

3.  Inséré,  t.  II,  p.  245. 

4.  Insérée,  t.  III,  p.  217.  Imprimée  dans  les  Excellentes  vaillances, 
vers  1509;  sans  le  rondeau  de  la  fin. 

5.  T.  m,  p.  340.  Imprimé  dans  les  Excellentes  vaillances. 

6.  T.  IV.  Gomme  nous  l'avons  observé,  un  certain  nombre 
d'exemplaires  de  cette  Gomplainta  furent  distribués  à  la  cour. 

7.  T.  IV. 

8.  Ibid. 


xxviij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

vers  français  l'épitaphe  de  Guy  de  Rochefort,  chancelier  de 
France  1.  Après  la  cessation  des  Chroniques,  il  resta  poète. 
C'est  vraisemblahlement  dans  cette  période  qu'il  composa 
pour  le  jour  de  l'an  du  roi^  en  guise  de  cadeau,  une  petite 
ballade  dont  nous  donnons  le  texte  en  note  3. 

1.  Cette  traduction,  ainsi  que  l'Exil  de  Gennes,  fut  imprimée  en 
1508,  à  la  suite  des  Triumphes  de  France  de  Jean  d'Ivry  (chez 
Guill.  Eustace,  plaq.  goth.). 

2.  L'usage  païen  du  jour  de  l'an  s'était  perpétué  au  l^r  janvier. 
Un  critique  de  la  Revue  des  Questions  historiques  s'étant  mépris  sur 
cette  assertion,  que  nous  avions  formulée  sans  détail  dans  l'His- 
toire de  Louis  XII,  et  la  Revue  ayant  refusé  d'insérer  notre  recti- 
fication à  cet  égard,  ainsi  que  sur  d'autres  erreurs  du  même  cri- 
tique, nous  avons  donné  quelques  preuves  à  cet  égard  dans  la 
Diplomatie  au  temps  de  Machiavel,  t.  III,  p.  129,  n.  3.  Les  poètes 
envoyaient  volontiers  une  poésie  pour  les  étrennes  des  grands  per- 
sonnages. Ainsi  Bouchet  [Epistres  familières,  ép.  15)  adresse  à 
François  du  Fou,  pour  le  jour  de  l'an,  une  épître 

«  Escript  le  jour  qu'on  donne  les  estreines.  » 

3.  Ms.  fr.  1953,  fol.  23.  —  «  Ensuyt  une  balade  composée  par 
frère  Jehan  danthon  {sic)^  abbé  dangle  et  historiographe  du  Roy 
Loys  XII«,  et  audict  seigneur  présentée  par  icelluy  abbé  ensemble 
ladite  epistre  a  ung  premier  jour  de  l'an  : 

«  A  ce  bon  jour,  Sire,  que  chascun  donne 
Nouveaulx  presens  et  qu'on  y  abandonne 
Divers  joyaulx  pour  l'un  l'aultre  estrener, 
Comme  le  temps  se  dispose  et  adonne, 
Selon  coustume  et  l'escript  qui  ordonne 
Qu'a  cestuy  la  qui  donne  il  fault  donner, 
Voulant  pour  vous  quelque  don  assigner 
A  mon  souhait,  soit  par  cueur  ou  par  lettre. 
Tout  au  premier  vous  vais  ores  transmettre 
Bon  jour,  bon  an,  des  milliers  plus  de  dix 
Et  de  bon  cueur  ce  qu'on  y  pourroit  mettre, 
Santé,  jeunesse,  long  vivre  et  paradis  ; 

«  Fortune  a  gré,  prospérité  si  bonne 
Que  vous  puissiez  porter  ceptre  et  couronne 
Sur  tout  le  monde  et  en  paix  y  régner; 
N'avoir  jamais  auprès  de  vous  personne 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxix 

En  1509,  il  rima  des  pièces  de  circonstance,  qui  furent 
imprimées  à  Lyon,  cette  année  même,  en  un  petit  volume, 
par  Claude  de  Troys  pour  la  librairie  Noël  Abraham.  Le 
volume  se  compose  essentiellement  d'un  petit  poème,  les 
Espitres  envoyées  au  Roy  très  chrestien  delà  les 
montzpar  les  Estatz  de  France^,  que  Jean  Bouchet  appelle 

Qui  vous  ennuyé  ou  voix  qui  mot  vous  sonne 

Dont  vous  deussiez  marrir  ou  indigner; 

Bon  appétit  a  l'heure  de  disner 

Et  au  soupper  bon  goust  et  bien  repaistre, 

Dormir  au  lict  a  dextre  et  a  senestre, 

De  beaulx  enfans  avoir  preux  et  hardis, 

De  joye  tant  qu'il  n'y  faille  a  remettre, 

Santé,  jeunesse,  long  vivre  et  paradis  ; 
«  N'avoir  le  froit  yver  n'obscur  autonne, 

Pluye,  ne  vent,  ne  tempeste  qui  tonne, 

N'autre  saison  subiette  a  yverner, 

Mais  doulx  printemps  qui  les  fleurs  assaisonne, 

Herbes  et  fruictz  produit  et  affoisonne 

Et  terre  fait  embellir  et  orner  ; 

Vivre  a  plaisir,  en  honneur  sesjourner, 

Avoir,  pour  myeulx  demeurer  en  seur  estre, 

Amys  parfaictz,  les  ennemys  submettre, 

Nom  florissant  sur  tous  ceulx  de  jadis, 

Tous  voz  désirs  acomplir,  sans  obmettre 

Santé,  jeunesse,  long  vivre  et  paradis  ; 
Envoy. 
«  Prince,  beaulx  faictz  veoir  en  prose  ou  en  mètre, 

Doulce  musicque  ouyr  soubz  voix  de  maistre, 

Comptes  plaisans  entendre  et  joyeux  dictz, 

Scavoir  tout  ce  qui  est  et  qui  doibt  estre, 

Avoir  tout  l'or  de  la  myne  terrestre, 

Santé,  jeunesse,  long  vivre  et  paradis.  » 
1.  Les  espitres  envoyées  au  Boy  très  chrestien  delà  les  montz,  par 
les  estatz  de  France,  composées  par  frère  Jehan  Danton,  historio- 
graphe du  dict  seigneur,  avec  certaines  ballades  et  rondeaulx  par 
ledict  Danton  sur  le  faict  de  la  guerre  de  Venise  composées  (sur  la 
première  page,  marque  à  l'écu  royal).  Petit  in-4o.  —  Au  même 
moment,  on  imprima  le  petit  recueil  :  les  Excellentes  vaillances^ 


XXX  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Trois  épîtres  «  moult  belles,  des  trois  Etats  contenant  les 
querelles.  »  En  réalité,  ce  sont  trois  harangues  de  chacun 
dés  États,  avec  un  prologue.  U Eglise  rappelle  les  services 
des  rois  très  chrétiens  envers  la  foi,  et  toute  l'histoire  de 
Louis  XII  :  ses  aventures  de  jeunesse  en  Bretagne,  qu'elle 
exalte;  le  siège  de  Novare  (1495),  à  propos  duquel  elle  le 
compare  à  Hercule  et  à  Hector  (selon  le  langage  ecclésias- 
tique du  temps)  ;  puis  les  conquêtes  de  Milan,  de  Naples,  de 
Gênes,  enfin  Agnadel.  La  Noblesse,  que  le  roi  maintient  et 
ennoblit,  dépeint  le  départ  du  prince, 

Dont  la  Royne  qui  se  plainct  a  bon  droict, 
Et  qui  tousjours  près  d'elle  te  vouldroit, 

et  les  exploits  de  la  bataille.  Labeur,  enfin,  se  congratule. 
Après  ce  poème  viennent  une  ballade  et  un  rondeau,  fan- 
fares d'encouragement  martial,  composées  avant  la  bataille 
d' Agnadel  ;  une  ballade  et  un  rondeau  d'enthousiasme  après 
la  bataille  ;  une  ballade  et  un  rondeau  très  humains  sur  les 
malheurs  de  la  guerre,  enfin  une  petite  épître  de  neuf  vers 
sur  les  vainqueurs  de  Venise.  Toutes  ces  poésies  sont  expres- 
sément signées  de  Jean  d'Auton  et  sufiSraient  à  prouver 
que  leur  auteur  suivit  encore  le  roi  dans  cette  glorieuse 
campagne.  L'évocation  des  Etats  ne  nous  étonne  point 
sous  la  plume  de  Jean  d'Auton  :  il  s'applique  toujours  à 
faire  remarquer  avec  quel  soin  Louis  XII  tenait  à  la  régu- 
larité des  Etats  ;  libéral,  comme  le  roi,  ce  qu'on  appellerait 
aujourd'hui  parlementaire,  il  relevait  de  ce  parti  des 
Etats,  que,  depuis  1484,  le  roi  avait  personnifié  comme 
duc  d'Orléans,  qui  gardait  en  France  de  profondes  racines. 


batailles  et  conquestes  du  Roy  delà  les  inons,  composées  par  plusieurs 
orateurs,  plaq.  goth.  s.  d.  Ce  recueil  contient,  sans  nom  d'auteur, 
avec  la  ballade  offerte  de  1503  et  le  DeffauU  du  Qarrillan,  un  frag- 
ment des  Alarmes  de  Mars. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxxj 

et  auquel  la  poésie  fait  souvent  allusion*;  une  autre  Com- 
plainte de  France  sur  le  départ  de  Charles  VIII  pour  l'Ita- 
lie pourrait  servir  de  pendant  à  l'œuvre  de  Jean  d'Auton, 
sauf  que,  là,  c'était  la  France,  qui,  au  lieu  d'être  haranguée, 
haranguait  successivement  Eglise,  Noblesse  et  Labeur  2. 

Sur  la  foi  d'un  titre  hasardeux,  le  Bibliophile  Jacob  a  fait 
encore  honneur  à  Jean  d'Auton  d'un  certain  nombre  de 
pièces  de  vers  contemporaines,  réunies  dans  deux  manus- 
crits de  la  bibliothèque  de  Colbert,  cotés  aujourd'hui  à  la 
Bibliothèque  nationale  mss.  fr.  1952  et  1953^.  Plusieurs  de 
ces  pièces  appartiennent  à  Crétin  et  à  Jean  Marot;  on  ne 
peut  attribuer  sûrement  à  Jean  d'Auton  que  celles  qui  portent 
nommément  sa  signature  ;  la  ballade  offerte  au  roi  pour  un 
jour  de  l'an  (fr.  1953,  fol.  23)  et  la  pièce  qui  ouvre  le  pre- 
mier volume  :  «  l'Epistre  du  preux  Hector  »  (fr.  1952, 
fol.  1).  La  donnée  héroïque  de  la  seconde  pièce  n'est  pas 
neuve;  elle  peut  remonter,  pour  le  moins,  à  la  fameuse  épître 
d'Othéa  à  Hector,  écrite  par  Christine  de  Pisan  pour  Louis  1" 
d'Orléans,  et  dont  de  nombreuses  transcriptions  prouvent  la 
popularité  persistante.  L'œuvre  de  Jean  d'Auton  obtint  elle- 
même  un  grand  succès;  elle  paraît  dater  de  1511.  Jean  Le 
Maire  composa,  sous  le  nom  du  roi,  une  Epistre  respon- 
sive*,  qui  trouva  place,  avec  les  Espistres  des  Estais, 

1.  Montaiglon  et  Rothschild,  Anciennes  poésies  françaises,  t.  III, 
p,  247-260,  la  Déploration  des  États  sur  l'entreprise  des  Anglais 
et  Suisses  (impr.  en  1513);  p.  80  et  suiv.,  l'Apostrophe  à  l'ÉgUse, 
Noblesse,  Labeur;  p.  97,  les  Complaintes  de  dame  Crestienté  et 
des  trois  États. 

2.  Montaiglon  et  Rothschild,  t.  VUI,  p.  74. 

3.  Deux  volumes  reliés  aux  armes  de  Colbert,  avec  le  titre 
inexact  de  Poésies  d'Authon. 

4.  Epistre  responsive  du  Boy  très  chrestien.  Le  Maire  dit  qu'Hec- 
tor parle  une  langue  «  de  lait  et  de  miel  :  » 

«  Certes  tu  as  ung  truchement  bien  dextre,  » 


xxxij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

dans  une  des  productions  de  l'art  contemporain,  le  recueil 
de  poésies,  vraisemblablement  fait  pour  la  reine,  qui 
se  trouve  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg*. 
Le  même  recueil  contient  encore  deux  morceaux  de  Jean 
d'Auton,  une  traduction  d'une  épître  au  roi  de  Jean-Fran- 
cisque Soardi,  auteur  italien  (de  Bergame)  qui  produi- 
sit aussi  un  éloge  de  Louis  XII,  et  surtout  YEpistre 
elegiaque  pour  l'Eglise  militante,  de  Jean  d'Auton, 
«  historiographe,  »  allusion  aux  démêlés  avec  Jules  II; 
cette  pièce  est  ornée  de  la  célèbre  miniature,  reproduite 
par  dom  Bernard  de  Montfaucon,  qui  représente  une  femme 
désolée  (l'Eglise)  assise  dans  une  basilique,  dont  Dissolu- 
tion, coiffée  de  la  tiare,  ébranle  une  colonne  et  fait  tomber 
la  voûte  ;  une  troisième  figure.  Charité,  tout  en  embrassant 
de  la  main  gauche  une  autre  colonne,  pour  la  soutenir,  pose 
la  main  droite  sur  un  chevalier  en  cotte  d'armes  fleurdelisée 
(le  roi  de  France),  qui  semble  venir  au  secours^. 

Jean  Bouchet  mentionne  encore  une  autre  œuvre  de  Jean 

ajoute-t-il  (épître  publiée  en  tète  du  ni»  livre  des  Illustrations  de 
Gaule,  éd.  de  1515).  UEpistre  d'Henri  VII  à  Henri  VIII,  par  Jean 
Bouchet  (1512)  fait  aussi  un  grand  éloge  de  l'Épître  de  J.  d'Auton 
(Montaiglon  et  Rothschild,  Anciennes  poésies,  III,  p.  26  ;  J.  Bouchet, 
Epistres  familières  du  Traverseur,  ép.  1). 

1.  Poésie,  in- fol.,  vélin,  8  D,  ms.  de  112  feuillets  et  11  minia- 
tures. Voy.  la  Notice  sur  le  Musée  de  l'Ermitage,  publiée  en  1860, 
p.  93  (l'auteur  attribue  au  ms.  une  date  erronée,  1509).  Ce  ms., 
provenant  des  bibliothèques  Séguier,  de  Harlay,  Coislin  évêque 
de  Metz,  Saint-Germaia-des-Prés,  fut  pillé  sous  la  Révolution  et, 
alors,  acheté  à  vil  prix  par  M.  Dombrowsky,  attaché  à  l'ambas- 
sade de  Russie,  qui  le  revendit,  en  1805,  au  tzar.  Deux  de  ses 
miniatures  ont  été  reproduites  dans  l'ouvrage  de  M.  Bancel  sur 
Jean  Perréal,  une  autre  dans  Mœurs,  usages  et  costumes  au  moyen 
âge,  par  Paul  Lacroix,  p.  87. 

2.  Ce  factum  (que  nous  n'avons  pu  voir  encore)  a  beaucoup  de  simi- 
laires à  cette  époque.  Il  y  a  toute  une  littérature  consacrée  à  exposer 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxxiij 

d'Auton,  dont  il  ne  nous  donne  pas  la  date  :  une  Ballade 
des  Dix  vertus^. 

Ces  poésies  mirent  le  comble  à  la  renommée  littéraire  de 
Jean  d'Auton  parmi  ses  amis  et  dans  le  monde  officiel.  Cré- 
tin, s'adressant  à  Macé  de  Villebresme,  valet  de  chambre  de 
Louis  XII,  traite  leur  auteur  d'  «  armonieulx,  suave  et 
doux^.  »  Jean  Le  Maire,  le  nouvel  historiographe,  veut 
bien  admettre  Jean  d'Auton  comme  son  égaP.  Jean  Bouchet 

les  vices  de  l'Église  et  l'urgence  d'une  réforme.  On  peut  en  rappro- 
cher notamment  l'amer  poème  de  Jean  Bouchet  :  la  Défloration 
de  l'Eglise  militante,  imprimé  chez  Guill.  Eustace,  le  15  mai  1512. 

1.  Thème  classique  que  Jean  Perréal  développa  sur  le  tombeau 
de  François  II  à  Nantes.  L'œuvre  de  Jean  d'Auton  date  peut-être 
de  1506."" 

2.  «  Il  te  plaira  supporter  les  defFaulx, 
Et  si  l'escript,  comme  on  le  voit  yssu 
De  moy,  n'est  tel  que  se  l'avoit  tissu 
Ce  révérend  abbé  le  bon  Dauton, 
Merveille  n'est,  car  il  abonde  en  ton 
D'armonieulx,  suave  et  doulx  langage. 
Et  ne  scauroys  y  mectre  de  l'an  gage 
Correspondant,  mais  me  fault  soubz  luy  taire 
Pour  demourer  remys  et  solitaire 

Gomme  recluz  en  ce  boys  de  Vincennes.  » 

(Fr.  1711,  fol.  13  v°.  Épître  de  Crétin  à  Macé  de 
Villebresme.)  .  , 

3.  «  Abbé  Danton  et  maistre  Jean  Le  Maire, 
Qui  en  nostre  art  estes  des  plus  expers. 
Ouvrez  l'archet  de  vostre  riche  aumaire 
Et  composez  quelque  plaincte  sommaire... 
...  Secourez  moy,  Bigne  et  Villebresme, 
Jehan  de  Paris,  Marot  et  de  la  Vigne.  » 

(Plaincte  sur  le  trespas  de  feu  messire  Guillaume 
de  Byssipat.) 
De  la  Bigne,  cité  ici,  était  un  écuyer  du  roi  et  du  duc  de  Bour- 
bon, auteur  du  récit  de  la  mort  de  Pierre  de  Bourbon  ;  Macé  de 
Villebresme,  valet  de  chambre  du  roi,  poète,  correspondant  de 
Crétin  ;  Jean  de  Paris  n'est  sans  doute  pas  le  peintre  de  ce  nom, 
valet  de  chambre  du  roi,  mais  plutôt  un  Jean  Le  Roy  de  Paris, 
IV  c 


xxxiv  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

se  distingue  par  un  lyrisme  extrêmement  chaud  et  affec- 
tueux ;  il  vante  surtout  le  prosateur,  l'historien  ^ 

nommé  par  Le  Maire,  et  qui,  pour  le  dire  en  passant,  pourrait  bien 
être  l'auteur,  encore  inconnu,  du  célèbre  roman  :  «  Jehan  de  Paris. 
Sensuyt  ung  très  beau  et  excellent  romant  nommé  Jehan  de  Paris, 
roy  de  France...,  imprimé  à  Lyon,  par  Pierre  de  Saincte  Lucie,  dict 
le  Prince,  près  Nostre  Dame  de  Confort,  »  s.  d.,  in-4°. 

1.  Dans  le  Temple  de  bonne  renommée,  publié  en  1517,  passant 
en  revue  les  gloires  littéraires  de  la  France,  il  écrit  : 

«  Si  le  françois  aussi  beau  que  latin 

Voulez  savoir,  allez  devers  Crétin, 

Semblablement  devers  l'abbé  Danthon, 

Qui  tant  a  fait  de  livres  (ce  dit-on), 

Desquelz  partie  ay  veu...  » 
Cf.  Epistres  familières.  Dans  l'épître  57,  sur  la  mort  de  Jean 
d'Auton,  il  écrit  : 

«  Ou  est  celuy  qui  en  langue  vulgaire 

Ait  mieulx  escript  pour  les  lecteurs  attraire, 

Qui  proposa  plus  que  luy  doulcement, 

Qui  prouva  mieulx  et  plus  subtillement, 

Qui  excita  par  plus  grand'vebemence, 

Ne  qui  tempta  par  plus  doulce  éloquence? 

En  grave  prose  il  coucboit  tous  ses  vers 

Sans  rien  contraindre,  a  l'endroit  ou  envers  ; 

Il  estoit  brief,  ressemblant  a  Salluste, 

Bref  florissant,  aucunes  fois  aduste, 

Fort  abondant,  comme  Pline  second, 

Et  coppieux  comme  Tulle  et  facond. 

Il  estoit  grave  en  parolle  et  facile. 

Et  Sainct  Gelaiz  et  luy  n'avoient  qu'un  style. 

...  Oncq'  n'en  congneu  de  plus  doulce  élégance, 

Mieulx  escripvant,  sans  tache  d'arrogance.  » 
Bouchet  cite  ensuite  sa  traduction  des  Métamorphoses,  traduction 
d'  «  autrefois,  »  qu'il  dit  exquise  ;  sa  Ballade  des  Dix  vertus  : 

«  En  si  hault  style  et  beau  que  les  malades 

Se  gueriroient  en  icelles  lisant...  » 
Il  vante  :  «  son  esprit  tant  subtil. 

Tant  inventif,  tant  bening,  tant  fertil.  » 
Dans  l'épître  61,  à  Fr.  Thibault,  avocat  à  Poitiers,  il  dit  : 

«  Priant  a  Dieu  qu'il  te  donne  le  style 

Des  deux  Grebans,  dont  grant  doulceur  distille, 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxxv 

Nous  ne  pouvons  pas  nous  associer  sans  réserve  à  ces 
éloges  amicaux.  Nous  avons  loué  l'annaliste.  Mais,  comme 
littérateur,  Jean  d'Auton  débuta  mal  ;  il  a  une  connaissance 
superficielle  de  la  littérature  ancienne,  dont  il  n'a  point  tiré 
le  suc,  et  qu'il  étale  avec  un  pédantisrae  intolérable  \  encore 
que  mitigé.  Ses  premières  œuvres  particulièrement  con- 
finent au  ])}ir  pathos.  Comme  historien,  il  lui  arrive,  hélas, 
de  viser  à  l'éloquence  académique,  mais  jamais  de  s'élever 
au-dessus  de  ce  qu'il  a  vu  ;  il  a  l'esprit  vulgaire,  la  philo- 
sophie banale;  il  ne  peint  pas,  il  photographie  avec 
quelques  lourdes  retouches  ;  aucun  de  ces  traits  qui  font 
valoir  un  personnage ,  qui  illuminent  une  physionomie  ! 
D'ailleurs,  comme  historien  ofiîciel,  il  ne  pouvait  guère  se 
les  permettre,  et  par  cela  même  qu'il  ne  prétend  pas,  comme 
Commines,  démêler,  pénétrer  profondément  les  affaires,  il  pré- 
sente pour  nous  l'immense  avantagedu  désintéressement,  delà 
sincérité.  Il  n'a  pas  non  plus  le  style  piquant  de  Jean  de  Saint- 
Gelais,  la  phrase  pure,  fine  et  spirituelle  de  Seyssel,  deux 
écrivains  qui  écrivent  pour  eux-mêmes;  lui,  il  écrit  offi- 
ciellement, et  le  genre  pompeux  lui  paraît  le  seul  à  la  hauteur 
de  ses  fonctions.  Aussi,  dans  ses  Chroniques,  demeure-t-il 
presque  invariablement  lourd  et  boursouflé.  Certes,  il 
recherche  parfois  la  couleur,  mais  alors  U  la  prodigue  ;  tire- 

Et  de  Gastel  l'invention  des  laiz, 

De  Georges  l'art,  la  veine  Sainct  Gelaiz, 

De  Charretier  la  prose,  et  le  vulgaire 

De  l'abbé  d'Angle  et  maistre  Jan  Le  Maire, 

Le  facil  art  de  maistre  Jehan  Marot 

Et  le  moral  tant  bon  de  Meschinot.  » 

Dans  l'épître  67,  à  Germain  Colin  : 

«  Georges  avoit  une  veine  élégante, 
Grave  et  hardie,  et  frère  Jehan  d'Authon 
Doulce  et  venuste,  et  Le  Maire  abondante.  » 

1.  Voy.  Hist.  du  XVI'  siècle,  III,  318. 


xxxvj  NOTICE   SUR  JEAN  D'AUTON. 

t-on  un  coup  de  canon,  il  embouche  la  trompette  épique,  il  pro- 
clame que  la  terre  tremble,  que  les  eaux  refluent,  qu'un  tour- 
billon voragineux  enveloppe  l'univers.  D'après  le  Bibliophile 
Jacob,  Jean  d'Auton  serait  l'inventeur  de  ce  genre,  et  il  fau- 
drait le  rendre  responsable  de  tous  les  défauts  de  goût  faciles  à 
constater  chez  ses  contemporains  Le  Maire,  Bouche t,  Cham- 
pier,  d'Ivry...  C'est,  croyons-nous,  lui  faire  trop  d'honneur; 
il  n'exerça  certainement  aucune  influence  ni  sur  Le  Maire, 
ni  sur  Champier,  ni  sur  d'Ivry.  Il  y  a,  à  cette  époque,  deux 
écoles;  celle  des  écrivains  non  professionnels,  hommes  poli- 
tiques ou  hommes  d'action,  qui  écrivent  dans  un  but  extra- 
littéraire, simplement  pour  dire  ce  qu'ils  ont  à  dire.  Ceux-là, 
surtout  s'ils  touchent  à  la  cour,  parlent  une  langue  claire 
et  exquise;  mais  ils  sont  peu  nombreux.  Et  puis,  il  y  a 
l'école  des  écrivains  de  profession,  qui  ont  fait  leur  rhéto- 
rique et  connaissent  leur  Olympe;  ceux-ci  se  soucient 
peu  du  sens,  ils  cultivent  la  phrase,  et  quelle  phrase! 
Loin  de  se  faire  le  chef  de  cette  école,  Jean  d'Auton,  qui 
arrivait,  par  elle,  du  fond  de  sa  province,  en  sentit  les 
défauts  ;  à  partir  de  son  séjour  à  la  cour,  son  style,  comme 
poète,  s'épure  sensiblement  et  surtout  se  simplifie.  Il  suffit, 
pour  s'en  rendre  compte,  de  comparer  ses  dernières  œuvres 
poétiques  aux  Alarmes  de  Mars. 

Ce  bon  et  pieux  personnage,  dépourvu  d'intrigue  et  de 
brillant,  ne  pouvait  réussir  à  la  cour  de  François  I".  Aussitôt 
la  mort  de  Louis  XII,  il  perdit  tout  crédita  Ses  moines  en 
profitèrent  pour  lui  intenter  un  procès,  bien  probablement 
injuste,  mais  qui  ne  lui  en  coûta  pas  moins  beaucoup  d'argent 
et  surtout  de  gros  ennuis^.  Il  quitta  la  cour  en  1518  et  s'en 

1.  Il  ne  figure  pas  dans  la  chapelle  du  nouveau  roi  (fr.  21446). 

2.  «  Quelquun  des  siens  de  secte  monachalle, 
Bientost  après,  par  fureur  Megeralle, 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxxvij 

alla  finir  sa  vie  dans  une  retraite  toute  monacale.  A  sa  louange 
et  à  celle  de  ses  amis,  nous  devons  dire  que,  malgré  sa  dispa- 
rition, les  amitiés  de  la  cour  lui  demeurèrent  fidèles.  Jean 
Bouchet,  alors  triomphant,  lui  fit  parvenir  dans  son  abbaye 
d'Angle  des  épîtres,  dont  l'une  est  imprimée  à  la  suite  du 
Labyrinthe  de  Fortune^.  Se  rappelant  que  Jean  d'Auton 
lui  a  appris  à  boire  à  la  fons  Castallie,  il  lui  soumet,  avec 
une  rare  modestie,  quelques  vers.  L'abbé  répond  par  une 
poésie  encore  plus  modeste  :  «  Tout  grossement,  selon  mon 
rude  stille,...  scelon  mon  petit  savoir,  »  il  exalte  Bouchet  et 
s'excuse  de  la  mission  que  le  poète  veut  bien  lui  confier.  Son 
ami  Bouchet,  dit-il,  est  l'élève  direct  de  Démosthènes,  de 
Cicéron,  de  Quintilien  :  lui,  d'Auton,  moins  hasardeux  que 
jamais,  il  compare  les  hommes  de  la  génération  nouvelle  qui 

Voulut  brouiller  cest  abbé  par  procès, 
Ou  furent  fais  quelques  legiers  excès  ; 
Dont  cest  abbé,  qui  ne  les  feit  onc  faire, 
Eut  a  grant  tort  par  long  temps  de  l'affaire. 
Il  en  sortit,  non  sans  mise  et  douleur, 
Victorieux  a  son  très  grant  honneur.  » 

(J.  Bouchet,  ép,  57.) 
1.  Jean  Bouchet,  dans  ses  Epistres  familières,  a  inséré  (ép.  22) 
une  épître  que  lui  adressa,  vers  la  même  époque,  Jean  Gervaise  ; 
Gervaise,  après  un  pompeux  éloge  de  BoucUet,  cite  Jean  Gerson, 
Jean  Michel,  évêque  d'Angers,  Octovien  de  Saint-Gelais, 
«  Dont  a  jamais  en  sera  mention.  » 
Il  ajoute  ; 

«  Voy  tu  pas  la  le  très  humble  abbé  d'Angle, 
Qui  est  musse  dedans  ce  coing  ou  angle. 
Qui  du  feu  Roy  Loys  fut  croniqueur, 
Ouquel  mon  art  florist,  par  grant  liqueur, 
Tant  doulcement,  par  brief  et  doulx  langage. 
Que  veis  jadis,  en  son  sainct  hermitage, 
De  l'origine  composer  maints  beaulx  faictz 
Qu'il  a  laissez  comme  tous  imperfaictz.  » 
Il  cite  ensuite  Pierre  Rivière  (traducteur  de  la  Nef  des  folz), 
Pierre  Blancbet  (pour  ses  satires,  farces),  Guill.  Crétin. 

c* 


xxxviij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

veulent  tout  voir,  tout  savoir,...  à  l'indiscret  Actéon.  Il  ter- 
mine ainsi  : 

Escript  et  faict  en  ung  petit  bout  d'angle 

De  cabinet,  en  l'abbaye  d'Angle. 

En  1525,  après  le  désastre  de  Pavie,  Jean  Bouchet 
adresse  encore  à  l'ancien  chroniqueur  de  Louis  XII  une 
longue  épître  mélancolique,  où  il  le  prie  de  reprendre  son 
excellente  plume  des  Chroniques  afin  de  relever  les  esprits 
abattus  et  de  chanter  la  gloire  des  preux  chevaliers  de 
Louis  XII  disparus  dans  cette  folle  tourmente*.  L'abbé 
d'Angle  répond  par  une  pièce  où  il  déplore  la  catastrophe, 
en  style  libre  et  simple.  L'épître  et  la  réponse  furent  publiées 
par  Jean  Bouchet  lui-même  en  tête  du  Panégyrique  ou  Vie 
de  Louis  de  la  Trémoille^. 

Dans  sa  retraite,  Jean  d'Auton  vivait  comme  le  dernier 
de  ses  religieux  :  austère,  solitaire,  dormant  à  la  dure,  précé- 

1 .  «  A  ce  regard  orateur  excellent, 
De  bien  escripre  et  parler  opulent. 
Qui  du  feu  roy  les  triumphes  et  gestes 
Mis  par  escript  en  parolles  digestes, 
Je  te  supplye  employer  ton  esprit 

Et  ta  main  doulce  a  mettre  par  escript 

Les  nobles  faictz  et  proesses  louables 

De  ces  seigneurs  qu'on  veit  insuperables.  » 

2.  Épître  de  Jean  Bouchet  «  à  l'abbé  d'Angle,  »  sur  Pavie,  et  la 
variation  de  Fortune,  et  Epistre  dudit  abbé  d'Angle  a  l'acteur,  fai- 
sant mencion  de  la  perte  d^aucuns  princes  et  aultres  gens  occis  a 
ladicte  journée.  La  première  est  adressée  «  a  révérend  père  en 
Dieu  Jehan  Dauthon,  abbé  d'Angle,  de  l'ordre  sainct  Augustin.  » 
Dans  sa  réponse  {Epistre  dudict  Dauthon,  abbé  dangle,  audit  Bou- 
chet)., Jean  d'Auton  déplore  la  bataille  et  les  morts;  il  prend  la 
plume,  dit-il,  sur  le  désir  de  Bouchet  : 

«  Car  c'est  la  fleur  de  la  chevalerie 
De  France,  helas  !  qui  est  morte  et  perie.  » 
Il  signe  : 

«  Le  tien  amy  et  frère  l'abbé  d'Angle, 
Qui  pour  l'esté  a  prins  sa  robe  sangle.  » 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xxxix 

dant  tout  le  couvent  à  matines,  sans  suite  ni  maison ,  méprisant 
le  monde,  n'aimant  ni  le  plaisir  ni  la  chasse.  Il  passa  ainsi 
dix  ans  et  mourut  en  bon  chrétien  dans  son  abbaye,  au  mois 
de  janvier  1528  ;  il  y  fut  enterré.  Jean  Bouchet,  qui  lui  con- 
sacra une  épitaphe  chaleureuse,  insérée  dans  le  recueil  Les 
Généalogies,  effigies  et  épitaphes  des  rois  de  France^ 

1.  1545,  in- fol.  Au  fol.  79  v°  (épitaphe  60).  Voici  le  texte  de  cette 
épitaphe,  que  nous  avons  citée  plusieurs  fois  : 

a  Gy  dessoubz  gist,  en  ce  bien  estroict  angle, 

Ung  bon  seigneur,  aultreffoiz  abbé  d'Angle, 

Religieux  :  c'est  frère  Jehan  Dauthon, 

Noble  de  sang,  qui  vescuit,  ce  dist  on, 

Par  soixante  ans  et  plus  en  bon  estime; 

Grand  orateur,  tant  en  prose  qu'en  ritme. 

Il  ordonnoit  comme  en  prose  ces  vers. 

Sans  rien  contraindre,  a  l'endroict  ou  envers; 

Il  estoit  grave  en  son  mètre  et  facille; 

Brief,  onc  ne  vy  de  plus  grand  style. 
a  Plusieurs  traictez  en  ritme  composa, 

Ou  le  sien  sens  et  scavoir  exposa; 

Du  Roy  Loys,  de  ce  nom  le  douziesme, 

Tant  qu'il  porta  le  Royal  diadesme, 

Fut  croniqueur,  et  en  prose  a  escript 

Ses  nobles  faictz,  ou  monstra  son  esprit. 

«  En  ritme  a  fait  trois  epistres  moult  belles, 
Des  trois  Estatz  contenans  les  querelles; 
Et  ce  bon  Roy,  voyant  que  moyne  estoit 
Et  que  très  bien  estre  abbé  meritoit, 
Le  fit  pourvoir  de  ceste  prelature 
En  attendant  plus  féconde  avanture; 
Car  il  eust  eu  chose  de  plus  hault  prix. 
Si  fiere  mort  n'eust  ce  bon  Roy  surpris. 

«  Dix  ans  avant  que  mourust  ce  bon  père, 
Austère  vie  il  tint  on  monastère. 
En  mesprisant,  par  merveilleux  desdaing, 
Les  gens  du  monde  et  tout  honneur  mondain  ; 
Il  ne  dormoit  en  mol  lict,  soubz  courtines, 
Tousjours  estoit  le  premier  a  matines; 
Il  se  rendoit  si  très  humble  et  abject 


xl  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

célébra  pathétiquement  sa  mort  dans  une  longue  épître  à 
l'abbé  de  la  Fontaine-le-Gomte  %  et  continua  encore  par  la 
suite  à  vénérer  sa  mémoire. 

Cependant,  Jean  d' Auton  fut  vite  oublié.  Pierre  Grognet, 
dans  la  Louange  et  excellence  des  bons  facteurs  qui 
ont  bien  composé  en  7'ime^,  où  il  cite  des  poètes  bien  peu 
connus,  ne  le  nomme  même  pas  :  André  Du  Chesne,  dans  la 
Séries  auctorum  omnium^  qu'il  voulait  publier,  indique 
Seyssel,  Barthélémy  de  Loches  (sans  le  nommer),  Ben.  da 
Portu,  Champier,  Flori,  Riz,  Gaguin,  Paul  Emile,  A.  Per- 
ron, Papire  Masson...;  d' Auton,  point.  Le  P.  Nicéron  ne  le 
mentionne  pas  dans  les  Mémoires  des  hommes  illustres. 

Un  siècle  environ  après  la  mort  de  Jean  d' Auton,  grâce 
aux  savants  Godefroy,  les  Chroniques  sortirent  delà  tombe. 
Théodore  Godefroy  en  donna  des  fragments  dans  les  Entre- 

Qu'll  ne  sembloit  estre  abbé,  mais  subject, 
Et  tellement  qu'on  ne  l'eust  peu  congnoistre 
Entre  les  siens  religieux  on  cloistre. 

«  Par  luy  estoient  grans  boubans  reboutez, 
Combien  qu'il  fust  noble  des  deux  coustez  ; 
Il  ne  vouloit  chasse  ne  vénerie, 
Riches  habitz  ne  pompeuse  escuerie; 
En  solitude  il  vivoit  tout  seulet, 
Se  contantant  d'un  prebstre  et  d'un  varlet; 
Il  ne  Youloit  compaignée  pompeuse, 
De  conscience  estoit  fort  timoreuse. 

«  Puis,  en  janvier  mil  cinq  cens  vingt  et  sept  (1528), 
Il  trespassa,  disant  maint  beau  verset. 
Le  corps  duquel  repose  soubz  la  lame  : 
Priez  a  Dieu  que  pardon  face  a  l'ame.  » 

1.  Épître  57.  Il  appelle  Jean  d'Auton  «  ung  de  noz  amys;  »  il 
se  dit  son  élève  et  donne  sur  lui  de  nombreux  détails.  Cette  épître 
de  deuil  fut  écrite  le  28  janvier  1527  (1528),  «  un  jour  de  janvier 
palle  et  blesme.  »  Dans  des  épîtres  postérieures,  Bouchet  vante 
encore  très  vivement  son  ami. 

2.  Montaiglon,  Anciennes  poésies,  VII,  1  et  suiv. 

3.  Paris,  1633,  in-fol. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xlj 

veues  de  Charles  IV,  de  son  fils  Vuenceslaus,  Roy  des 
Romains,  et  de  Charles  V,  Roy  de  France,  a  Paris, 
l'an  1378,  et  de  Louys  XII,  Roy  de  France,  et  de  Fer- 
dinand, Roy  d'Arragon,  a  Savonne,  l'an  1507  (1612)^ 
Il  publia  aussi,  avec  des  coupures,  la  plus  grande  partie 
des  Chroniques  :  c'est-à-dire,  en  1605  ^  la  Chronique  de 
1506-1508  comprise  dans  notre  tome  IV;  en  1620,  les 
Chroniques  de  1500-1501^  et  de  1502^  celles-ci  en  deux 
volumes  séparés.  Il  ne  donna  pas  celle  de  1499,  ni  celles  de 
1503  et  1504. 

Plus  tard,  dans  le  Cérémonial  françois,  Denis  Gode- 
froy  a  publié  de  nouveau  le  remarquable  récit  de  l'entrevue 
de  Savone  en  1507^  et  renvoyé  à  Jean  d'Auton  pour  la 
réception  de  l'archiduc  en  1501  ^. 

1.  Paris,  1612,  in-4%  p.  1-46.  L'extrait  est  anonyme.  L'ouvrage 
de  Godefroy  a  été  réimprimé  deux  fois. 

2.  Histoire  de  Louys  XII,  roy  de  France,  père  du  peuple,  et  des 
choses  mémorables  advenues  de  son  règne  dès  l'an  MDVI  jusques  en 
l'an  MDVIII,  par  Jean  d'Auton,  son  historiographe  et  abbé  d'Angle, 
de  l'ordre  Sainct  Augustin.  Extraicte  de  la  Bibliothecque  du  Roy  et 
mise  en  lumière  par  Théodore  Godefroy,  advocat  au  Parlement  de 
Paris.  A  Paris,  chez  Abraham  Pacard,  rué  Sainct  Jacques,  a  l'Es- 
toille  d'or.  M  D  CXV  (ia-4°  de  388  p.,  plus  la  table). 

3.  Histoire  de  Louys  XII,  roy  de  France,  père  du  peuple,  et  des 
choses  mémorables  advenues  de  son  règne  fs  années  lk99,  1500  et 
1501,  tant  en  France  que  au  recouvrement  du  duché  de  Milan,  en 
la  conqueste  du  royaume  de  Naples  et  autres  lieux.  Par  Jean  d'Au- 
ton, son  historiographe.  Tirée  de  la  Bibliothecque  du  Roy  et  nouvel- 
lement mise  en  lumière  par  Théodore  Godefroy,  advocat  au  Parlement 
de  Paris.  A  Paris,  chez  Abraham  Pacard,  rue  Sainct  Jacques,  au 
Sacrifice  d'Abraham.  MDGXX  (in-40,  356  p.). 

4.  Histoire  de  Louys  XII,  roy  de  France,  père  du  peuple,  et  des 
choses  mémorables  advenues  de  son  règne,  tant  en  France,  Italie  que 
autres  lieux,  en  l'année  M  D II,  par  Jean  d'Auton,  son  historiographe 
et  abbé  d'Angle,  de  l'ordre  de  Sainct  Augustin.  Tirée...  (le  reste 
comme  au  volume  précédent.  In-4o,  188  p.). 

5.  T.  I,  p.  715. 

6.  T.  II,  p.  735.  Wulson  de  la  Golombière  emprunta  également 


xlij  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

Dreux  du  Radier,  dans  la  Bibliothèque  histotHque  et 
critique  du  Poitou  (Poitiers,  1842,  in-8%  t.  I,  p.  99  et 
suiv.),  a  fait  connaître  certains  morceaux  de  la  partie  lais- 
sée inédite  par  les  Godefroy.  Cimber  a  encore  publié  le  récit 
de  SavoneS  Leroux  de  Lincy  la  Ballade  sur  la  Prise  de 
Gênes 2,  ou  Eœil  de  Gennes  la  Superbe^. 

Enfin,  le  Bibliophile  Jacob  (M.Paul  Lacroix)  a  donné  une 
édition  complète  des  Chroniques,  avec  l'histoire  d'Humbert 
Velay  en  appendice  (4  volumes  in-S").  Dans  cette  édition, 
qui  a  rendu  un  véritable  service  à  la  science,  l'éditeur  s'est 
malheureusement  cru  autorisé  à  moderniser  Jean  d'Auton , 
ou  plutôt  à  le  modifier  ;  il  a  abandonné  l'usage  orthogra- 
phique du  temps  de  Louis  XII  ;  parfois,  il  a  corrigé  les  mots 
eux-mêmes,  pour  en  tirer  une  sorte  de  néo-vieux  français, 
qui  n'est  ni  notre  langue  courante  ni  celle  du  xvii*  siècle, 
encore  moins  celle  du  xvi".  Par  certains  détails,  il  vieillit 
même  Jean  d'Auton;  ainsi,  il  transforme  «  à  la  fin  »  en  «  a 
la  parfin.  »  Ces  corrections,  imparfaitement  systématiques, 
ont  altéré  la  couleur  du  récit  et  çà  et  là  le  sens.  De  plus,  le 
Bibliophile  Jacob  s'est  permis  de  corriger,  sans  en  avertir  le 
lecteur,  certaines  erreurs.  A  un  point  où  Jean  d'Auton  parle 
de  100,000  hommes  (ce  qui  est  exagéré),  l'éditeur  met 

à  Jean  d'Auton  d'importants  détails  sur  les  tournois,  dans  son 
Théâtre  d'honneur. 

1.  Archives  curieuses,  t.  II,  p.  27  et  suiv. 

2.  Chants  historiques  français,  t.  II,  p.  37. 

3.  M.  le  D"-  Knuth  a  publié  sur  Jean  d'Auton  une  note  qui  n'ap- 
porte aucun  nouveau  détail,  sous  le  titre  suivant  :  Beitràge  zur 
Kritik  des  Geschichtsschreibers  Jean  d'Auton,  Hofhistoriographen  des 
Kônigs  Louis  XII  von  Frankreich.  Inaugural-Dissertation  der  hohen 
philosophischen  Fahultât  der  Universitât  Greifsioakl  zur  Erlangung 
der  Doktorwûrde  vorgelegt  und  nebst  den  beigefiigten  Thesen,  Mitt- 
woch,  den  5  november  1890,  nachmittags  3  Uhr,  ôffentlich  vertei- 
digt,  von  Garl  Knuth,  aus  Stettin.  Greifswald,  Druck  von  Julius 
Abel,  1889,  in-8»,  46  p. 


NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON.  xliij 

«  30,000,  »  chiffre  qu'il  estime  sans  doute  convenable.  Cette 
édition  ne  pouvait  donc  passer  pour  définitive. 

Quant  au  sobre  commentaire  dont  le  Bibliophile  Jacob  l'a 
entourée,  quelques  erreurs  s'y  sont  glissées  ^ 

Il  existe  un  certain  nombre  de  transcriptions  des  Chro- 
niques^  et  des  Œuvres*  de  Jean  d' Au  ton.  Mais  nous  n'avons 
pas  à  nous  en  occuper,  puisque  nous  possédons  l'exemplaire 
original  des  Chroniques,  de  1500  à  1507,  fait  pour  Louis  XII, 
et  conservé  depuis  lors  dans  la  Bibliothèque  du  roi,  à  Blois, 
à  Fontainebleau,  puis  à  Paris.  Cet  exemplaire  forme  trois 
volumes,  actuellement  cotés  mss.  fr.  5081,  5082,  5083, 
reliés  en  maroquin  rouge  au  xvii®  siècle^. 

Pour  la  Conqueste  de  Milan  (Chronique  de  1499),  la 
Bibliothèque  nationale  de  Paris  possède  également  l'exem- 
plaire de  Louis  XII.  Ce  ms.,  in-4°,  coté  autrefois  9707, 
actuellement  fr.  5089,  est  un  volume  de   53  feuillets,  à 

1.  Nous  n'en  indiquerons  que  quelques-unes  à  titre  de  spécimen, 
sans  insister  autrement  :  t.  I,  sur  la  p.  89,  Jean  de  Polignac,  sei- 
gneur de  Beaumont,  pris  pour  Claude  de  Beaumont,  seigneur  de 
Pélafol;  p.  97,  Godebert  Carre  et  Poquedenare  pris  pour  une  même 
personne;  p.  132,  François  de  Rochechouart,  seigneur  de  Champ- 
deniers,  pris  pour  le  sieur  de  Chandée,  etc.  Quelques  identifica- 
tions géographiques,  quelques  explications  linguistiques  sont  con- 
testables ou  erronées. 

2.  Ms.  de  la  Conqueste  de  Milan,  fr.  5089,  fr.  5090;  des  copies 
plus  modernes  dans  la  coll.  Dupuy;  ms.  fr.  17519,  fol.  256  à  312; 
une  copie  des  chroniques  de  1499  et  de  1501-1506,  pour  les  Gode- 
froy,  à  la  bibl.  de  l'Institut,  ms.  Godefroy  238;  fr.  17522  (chro- 
nique de  1500);  fr.  10155  (chron.  de  1501-1506);  fr.  4055,  fol.  87 
(extraits). 

3.  Citons  encore,  outre  les  mss.  déjà  indiqués,  des  exemplaires 
du  XYi«  siècle  de  l'Exil  de  Gennes  (ms.  fr.  1716,  fol.  9);  du  poème 
sur  le  Garillan  (ms.  fr.  5087). 

4.  Nous  donnons  la  description  de  chacun  de  ces  manuscrits  en 
son  heu.  Voy.  t.  I,  p.  113  (ms.  5081);  t.  II,  p.  1  (ms.  5082);  t.  IV 
(ms.  5083). 


xliv  NOTICE  SUR  JEAN  D'AUTON. 

reliure  moderne,  intitulé  :  les  Alar7nes  de  Mars  sur  le 
voyage  de  Milan,  avecques  la  conqueste  et  entrée 
dHcelle.  On  lit  encore  sur  la  garde  :  «  Cest  livre  appartient 
au  Roy  Loys  XIF.  »  Il  porte  en  tête  une  belle  miniature  : 
le  Triomphe  de  MarsK  Les  yingt-cinq  premiers  feuillets 
sont  occupés  parle  poème  les  Alarmes  de  Mars^.  A  la  fin 
se  trouve  une  plaisanterie  dans  le  goût  du  temps,  de  pseudo- 
vers latins,  qu'il  faut  lire  en  français^. 

1.  Cette  miniature  présente  une  particularité  digne  de  remarque. 
Elle  paraît  issue  d'une  miniature  représentant  le  même  sujet  et 
exécutée  par  1'  «  enlumineur  »  Robinet  Testard  pour  le  comte 
Charles  d'Angoulême,  vers  1490-1495  (ms.  des  Échecs  amoureux, 
fr.  143,  fol.  36)  ;  il  y  a  même  une  sorte  de  parenté  entre  l'écriture 
des  Échecs,  exécutée  par  l'écrivain  Michel,  et  la  transcription  du 
manuscrit  de  Jean  d'Auton.  En  1499,  Louise  de  Savoie,  fort  mal 
vue  du  roi,  vit  un  moment  sa  pension  diminuée  et  licencia  une  partie 
de  son  personnel  :  Michel  ne  fit  plus  partie  de  la  maison  et  Tes- 
tard n'y  recevait  qu'un  émolument  fort  modeste.  Il  se  pourrait  que 
ces  deux  personnages,  habitués  aux  travaux  de  cour,  eussent 
encouragé  Jean  d'Auton  à  profiter  de  la  constitution  du  douaire  de 
la  reine,  comme  nous  l'avons  dit.  Mais,  bien  entendu,  c'est  là  une 
pure  hypothèse.  D'un  autre  côté,  Vérard,  qui  se  rendit  plusieurs 
fois  en  1497  à  la  cour  de  Cognac,  a  donné  dans  son  édition  de 
la  Généalogie  des  Dieux,  de  Boccace,  en  1498,  une  gravure  de  Mars 
qui  rappelle  singulièrement  la  composition  de  Testard  :  guidé  par 
une  étoile,  Mars  s'avance  sur  un  char,  le  fléau  à  la  main  (fol.  ccxx, 
chap.  xxvii,  de  Thoas  et  Euneus,  filz  de  Jason). 

2.  Voy.  t.  I,  p.  1,  n.  1. 

3.  T.  I,  p.  2,  note. 


CY  COMMANCE 

LA  CRONICQUE  DE  FRANCE 

DE  L'AN  MILLE  CINCQ  CENS  ET  CINCQ. 


I. 

Parlant,  au  premier,  d'une  grief ve  maladye 
DONT  LE  Roy  fut  lors  durement  actainct. 

En  l'entrant  du  moys  d'apvril,  en  l'an  mille  cincq  cens 
et  cincq,  le  Roy,  de  rechief,  se  trouva  tout  debille  et 
fort  mallade,  et  tant  que  ses  médecins  ne  savoyent 
bonnement  par  quel  régime  y  remédier,  dont  eurent 
grant  doubte  en  son  affaire,  car  de  fieuvre  continue  et 
chault  mal  fut  tant  espris  que,  plusieurs  jours,  le 
boyre,  le  manger  et  le  dormir  perdit,  si  que  chascun 
pencoit  qu'il  en  fust  faict*.  La  Roy  ne,  qui  plus  en  son 
mal  se  sentoit  intéressée  et  qui  l'amoit  comme  soy 
mesmes,  estoit  nuyt  et  jour  en  place  pour  le  servir  de 
ce  qu'elle  pouvoit  et  le  secourir  de  ce  que  mestier  luy 
estoit,  et,  pour  le  rejouyr,  devant  luy  monstroit  visage 
riant,  et  luy  usoit  de  joyeuses  parolles  ;  mais,  a  part, 

1.  L'Ystore  Anthonine,  écrite  en  1507,  dit  (fr.  1371,  fol.  294  vo)  : 
«  Endit  an  M  Vc  et  V,  le  Roy  oit  une  griefve  maladie  ou  il  sous- 
tint  une  si  grant  passion  qu'il  perdi  long  temps  la  parole,  tant 
qu'on  n'y  attendoit  que  la  mort.  » 

IV  1 


2  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Avril-Mai  1505 

toute  couverte  de  larmes,  se  doulloit  si  très  amèrement 
que  nul  la  veoyoit  qui  de  pitié  ne  plorast  :  nul  entroit 
en  sa  chambre,  reservez  ceulx  qui  estoyent  ordonnez 
pour  le  service,  desquelz  furent  :  Françoys  d'Orléans, 
conte  de  Dunoys*;  messire  Loys  de  la  Trimoille, 
premier  chamberlant;  maistre  Florimond  Robertet; 
l'evesque  de  Perigueulx,  son  aumosnier,  et  frère  Jehan 
Clairée,  son  confesseur,  lequel  l'enhortoit  moult  bien 
de  son  salut.  Ausi  de  luy  se  monstra  très  cathohcque 
prince,  car  il  se  confessa  reverentement,  et  les  divins 
sacremens  de  l'Eglize  très  dévotement  receupt,  et,  en 
la  présence  de  messire  Guy  de  Rochefort,  son  chan- 
cellier,  et  de  Florimont  Robertet,  fist  son  testament  2. 

1.  Nommé  grand  chambellan  par  patentes  de  Blois,  7  juillet 
1504  (A.  Du  Chesne,  Histoire  des  chanceliers,  p.  542). 

2.  Louis  XII,  par  son  testament,  donnait  entièrement  raison 
aux  prévisions  du  maréchal  de  Gié  contre  la  reine  ;  il  ordonnait 
que  sa  fille  épousât  François  d'Angoulême.  Ce  testament,  ampli- 
fié le  31  mai,  constituait  la  reine  tutrice  personnelle,  avec  un 
conseil  de  régence  et  de  gouvernement,  composé  de  la  reine,  de 
Louise  de  Savoie,  du  cardinal  d'Amboise,  du  comte  de  Nevers, 
du  chancelier,  de  la  TrémoïUe  et  de  Robertet  ;  le  roi  interdisait 
à  sa  fille  de  sortir  de  France  jusqu'à  son  mariage  avec  le  duc  de 
Valois  et  lui  léguait  tous  les  biens  de  la  maison  d'Orléans,  y 
compris  Blois,  Gênes  et  le  Milanais  (fr.  2831  ;  fr.  3911  ;  Dupuy  85). 
Par  un  codicille  séparé  de  la  même  date,  il  ordonnait  que  sa  fille 
épousât  le  plus  tôt  possible  le  duc  de  Valois,  malgré  les  enga- 
gements pris  avec  le  duc  de  Luxembourg,  engagements  con- 
traires au  serment  du  sacre,  puisqu'ils  préjudicient  au  royaume, 
et  dont,  d'ailleurs,  nous  sommes  «  deuement  et  légitimement 
dispensez  »  par  le  cardinal  d'Amboise,  légat  apostolique  dans  le 
royaume  (originaux  du  testament  et  du  codicille,  J.  951,  u°^  4,  6. 
Cf.  Musée  des  Archives,  n°  546).  La  reine  fut  obligée,  bien  à  contre- 
cœur, de  se  réconcilier  avec  Louise  de  Savoie  et  de  jurer  avec 
elle,  sur  la  vraie  croix,  l'exécution  du  testament.  Jean  d'Auton 
passe  légèrement  sur  ces  dispositions,  qui  atteignaient  si  vive- 


Avril-Mai  1505]  D'UNE  GRIEFVEMALADYE  DONT  LE  ROY,  ETC.    3 

Or  avoit  il  singulière  fience  en  Dieu  et  souveraine  envye 
de  guérir,  qui  sont  deux  choses  qui  de  mort  a  vie 
souvant  rameinent  les  humains;  dont  luy,  estant  en 
son  grabat,  se  voua  a  la  saincte  hostie  de  Disjon,  ou 
tousjours  avoit  eu  entière  devocion  et  souveraine  révé- 
rence^. 

Durant  ceste  maladie,  aux  evesques  et  seigneurs  de 
l'Eglize  du  Royaume  de  France,  et  par  tous  les  pays  du 
Roy,  fut  commandé  de  faire  processions  et  prières 
pour  sa  sancté;  ce  qui  fut  faict  par  plusieurs  jours 
ou  le  clergié  et  les  nobles  se  assemblèrent  de  toutes 
pars,  faisans  leurs  dévotes  oraisons  envers  le  Consola- 
teur des  désolez  pour  la  guerison  de  leur  bon  prince  ; 
a  ce  ne  faillit  le  pauvre  peuple  de  France,  qui  mist 
lors  son  labeur  en  oubly  pour  y  accourir  a  troupeaulx, 
les  maintz  joinctes  et  les  yeulx  tendus  a  mont,  criant 
a  haulte  voix  :  «  Helas!  vray  Dieu,  salut  des  esperens 
en  toy,  gecte  sur  nous  les  yeulx  de  ta  miséricorde,  et 
nous  estans  la  main  de  ta  grâce  et  regarde  en  pitié 
Testât  du  Royaume  de  France,  que  des  armes  célestes 
tu  as  ennobly  et  enrichi  de  ta  foy  crestienne,  ouquel 

ment  la  reine.  Cependant,  tout  cela  était  si  public  que,  dès  le 
29  mai,  l'ambassadeur  vénitien  signalait  la  présence  du  duc  de 
Valois  à  la  cour  comme  héritier  du  royaume  et  la  décision  de 
son  mariage  avec  Claude  (Sanuto,  VI,  179). 

1.  h'Ystore  Anthonine  dit,  de  son  côté  :  «  En  laquelle  passion 
portant,  il  oit  une  affectée  devocion  au  saint  sacrement  de 
l'autel,  qu'il  promist  en  son  courage  que,  s'il  retournoit  a  con- 
valescence, qu'il  feroit  par  tout  son  royaume  une  autreffoys 
la  solennité  et  procession  dudit  sacrement  et  impetreroit  du 
saint  père  pardon  gênerai  a  tous  ceulx  qui  y  assisteroient.  »  Il 
guérit,  obtint  une  bulle  et  fit  une  procession  le  jeudi  après  la 
Saint-Jean-Baptiste  (fr.  1371). 


4  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Avril-Mai  1505 

ton  nom  divin  est  haultement  honnoré  et  ta  saincte  foy 
dignement  exhaulcée.  Ore  y  avoit  ta  bonté  mys  ung 
prince  de  florissant  bruyt,  renommé,  loué  de  toutes 
vertus,  sur  les  requys  le  plus  exquis  et  entre  les  bons 
le  meilleur  :  helas!  Fortune,  ennemye  de  prospérité 
et  marrastre  d'umaine  gloire,  le  tient  ores  languissant 
en  la  couche  de  maladye,  de  qui  la  main  tenoit  jadis 
en  craincte  ses  ennemys  et  ses  subgectz  en  repos. 
Regarde,  Dieu,  regarde  a  la  playe  de  nostre  chief,  tant 
griefve  que  nous,  ses  pauvres  menbres,  en  commain- 
çons  a  sentir  l'amere  douleur,  et  ne  nous  lesse  comme 
peuple  sans  ducteur  ou  brebis  sans  pasteur  :  escoute 
les  piteuses  clameurs  de  ton  pauvre  peuple,  sire  Dieu, 
et  ne  mectz  le  cry  de  la  commune  gent  a  despris,  car 
l'oreille  de  ta  doulceur  a  tousjours  sa  voix  ouye  et  sa 
prière  exaulcée  ;  si,  te  suplions,  nostre  père  Dieu,  que 
a  ceste  oraison  nous  soyes  enclin,  et  a  ceste  requeste 
propice,  en  donnant  prompte  santé  et  longue  vye  a 
nostre  Roy  très  crestien.  j> 

Ainsi  faisoit  le  peuple  de  France  piteuse  conplaincte 
pour  la  maladye  du  Roy^  et  dévote  oraison  pour  sa 
santé;  avecques  ce,  la  Royne  transmist  hastives  postes 
devers  le  Père  Sainct  pour  avoir  pardons  et  indul- 
gences a  tous  ceulx  qui  dévotement  vouldroyent  prier 

1.  Les  poètes  s'en  mêlèrent.  Dardanus  écrivit  : 
«  Pro  valitudine  regia. 
Surge,  pater  Mavors,  tua  si[n]t  tibi  prelia  cordi, 

Si  te  tangit  amor  militieque  decus. 
Improba  letiferis  pharetram  mors  plena  sagittis 

Ecce  parât  régi,  fata  suprema,  suo. 
...  Si  cadet  ille,  cadet  tune  quoque  martis  honos...  » 
[Dardant,  poète  laureati,  Epigramma,  fr.  1717,  fol.  88.) 


Avril-Mai  i 505]  D'UNE  GRIEFVE  MALADYE  DONT  LE  ROY,  ETC.    5 

Dieu  pour  sa  guerison  et  prospérité;  dont  ledit  Sainct 
Père  le  pape  y  eslargist  tant  du  trésor  divin  et  aposto- 
licque  grâce  que,  en  tout  le  Royaume  de  France  et  par 
tous  les  pays  du  Roy  deçà  et  delà  les  mons,  envoya  le 
jubillé  et,  affin  que  chascun  fust  plus  enclin  de  prier 
Dieu  pour  le  bon  prince,  ordonna,  ledit  Père  Sainct, 
que,  au  xv®  jour  du  moys  de  juillet  ensuy  vant,  seroient 
faictes  processions  generalles  et  porté  le  corps  sacré 
de  Jhesu  Grist  comme  au  jour  de  sa  feste^  et  que  tous 
confex  et  repentens,  en  priant  Dieu  pour  le  Roy  et  sa 
santé,  gaigneroyent  les  grans  pardons,  comme  en  l'an 
du  jubillé  a  Romme^. 

Le  cardinal  d'Amboise,  légat  susdit,  s'en  retournoit 

Fauste  Andrelin  publia  une  poésie  dont  nous  détachons  les  vers 
suivants  : 

«  Fausti,  poète  laureati,  pro  valitudine  regia,  carmen. 
...  Aime  Deus,  cuncta  est  cui  summa  in  secla  potestas, 

Qui  prono  effusas  suscipis  ore  preces, 
Aspice  jam  raptum  suprema  in  funera  regem 

Et  grate  optatam  ferto  salutis  opem.. 
Innumera  ex  una  dependet  vita  salute, 
Mox  aut  infœlix,  si  cadet  ille,  cadet. 
Fac  tua,  fac  cœlo  pietas  descendat  ab  alto, 
Fac  sit  ad  instantes  reddita  vita  preces, 
Ecce  gemens  soli  francus  tibi  supplicat  orbis!...  » 
(Fr.  1717,  fol.  92;  cf.  Sanuto,  VI,  178.) 

1.  Cf.  Saint-Gelais  (p.  177),  qui  emploie  les  mêmes  expressions 
et  dépeint  vivement  l'angoisse  de  la  France. 

2.  La  bulle  d'indulgence  du  17  mai  1505  déclare  que  Louis  XII, 
«  nuper  gravi  et  periculosa  segritudine...  quasi  in  mortis  articulo 
constitutus,  veto  Altissimo  facto  per  virtutem  sacratissimi  Cor- 
poris  Domini  nostri  Jesu  Ghristi,  quod  pientissime  veneratur, 
statim  dolore  quo  premebatur  levatum  se  et  pristine  sauitati  sen- 
serit  restitutum.  »  Louis  XII  désire  voir,  en  souvenir  de  cet  évé- 
nement, instituer  des  prières  dans  l'octave  du  Corpus  Ghristi. 
Gomme  sa  vie  importe  fort  à  l'action  de  la  chrétienté  contre  les 


6  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Avril-Mai  1505 

lors  de  son  voyage  d'AlIemaigne^  qui,  parles  postes 
courans  de  lieu  en  autre,  sceut  les  piteuses  nouvelles 
de  ceste  griefve  maladye  ;  s'il  fist  lors  mauvaise  chère, 
non  sans  cause  ;  car  il,  a  l'effort  de  ce  malleur,  veyoit 

Turcs  et  qu'il  est  «  S.  R.  E.  pientissimus  et  observatissimus 
filius,  »  le  pape  institue  en  effet  une  procession  pour  le  26  juin 
prochain,  avec  transport  du  saint  sacrement  (Archives  du  Vati- 
can, Juin  H  Regesta  sécréta,  reg.  984,  fol.  209). 

1.  Le  cardinal  d'Amboise  venait  de  recevoir  àflaguenau,  pour 
Louis  XII,  l'investiture  impériale  du  duché  de  Milan.  L'investi- 
ture lui  fut  accordée  par  diplôme  du  5  avril  (J.  506,  n»  12  bis). 
Procès -verbal  de  son  hommage  fut  dressé  et  coUationné  en 
chancellerie  le  6  avril  (J.  506,  n°  12;  bibl.  de  l'Institut,  ms.  Gode- 
froy  129,  fol.  76).  Il  avait  été  convenu  que,  pour  cette  investiture, 
le  roi  verserait  100,000  livres.  11  y  eut  à  ce  sujet  des  difficultés 
préalables,  parce  que  le  roi  avait  déjà  remis  aux  ambassadeurs 
allemands  3,500  livres  sous  diverses  formes  et  que,  par  suite,  il 
avait  prétendu  s'acquitter  en  mandatant,  le  24  février  1504  (anc. 
st.),  96,500  livres  seulement  (ms.  Glairambault  224,  fol.  413),  Il 
fallut  s'exécuter,  et  le  cardinal  reçut,  le  15  avril,  quittance  de 
100,000  livres  (fr.  10433,  fol.  171  v»).  Le  cardinal  dut,  en  outre, 
répandre  à  la  cour  diverses  libéralités,  dont  nous  avons  le 
curieux  état  (ms.  Glairambault  16,  p.  1053)  :  Gyprian  Gertaine, 
chancelier  de  la  comté  de  Tyrol,  pour  les  «  officiers,  commen- 
saulx,  secrétaires  et  autres,  »  reçut  1,400  livres  tournois;  et 
encore,  pour  lui-même,  la  même  somme,  «  tant  en  faveur  des 
services  qu'il  a  faiz  au  Roy  nostredit  seigneur,  en  traictant 
la  paix  d'entre  lui  et  les  Roys  des  Rommains  et  de  Gastille,  que 
a  cause  de  l'investiture  du  duché  de  Milan,  et  aussi  afin  qu'il 
soit  plus  enclin  faire  service  audit  s'"  le  temps  a  venir.  »  Phil- 
bert  Naturel,  conseiller,  prévôt  d'Utrecht,  même  somme,  mêmes 
motifs;  Mathieu  Lenque,  conseiller,  coadjuteur  de  Giirck,  de 
même  ;  Paul  d'Estain,  chevalier,  conseiller,  maréchal  de  Saint- 
Pryam,  de  même;  Paulus  Bris,  Bonyral  deela  Rien(?)  et  Hans 
von  Schaullemberg,  capitaines  de  gens  d'armes  à  Trêves,  70  liv. 
tournois,  pour  avoir  accompagné  le  légat  avec  douze  de  leurs 
hommes,  de  Trêves  à  Haguenau,  «  pour  la  seurté  des  chemyns, 
qui  estoient  dangereux  ;  »  Baltazart  de  Dobenburgk,  gentilhomme 
de  Bohême,  serviteur  du  roi  des  Romains,  pour  avoir  accompagné 


Avril-Mai  1505]  D'UNE  GRIEFVE  MALADYE  DONT  LE  ROY,  ETC.    7 

la  chaire  de  son  auctorité  esbranlée  et  l'appuy  de  sa 
prospérité  froissée  et  tout  le  Royaume  de  France  en 
chemin  perileux  et  dangereulx  hazart,  ce  qui  luy 
ramplist  le  cueur  d'ennuyeulx  suspirs,  et  les  yeulx 
d'angoisseuses  larmes,  et,  pour  avoir  extrême  reffuge 
au  souverain  remède,  tendit  les  mains  aux  cyeulx  et 
la  pencée  envers  Dieu,  a  qui  fîst  très  humble  prière  et 
dévote  oraison  pour  l'alegement  du  mal  de  son  bon 
prince  et  souverain  seigneur  le  Roy  ;  puis  adressa  sa 
requeste  a  la  glorieuse  mère  de  Dieu,  advocate  des 
humains,  et,  le  plus  tost  qu'il  peut,  s'en  vint  a  Glery, 
ou,  devant  l'ymage  de  la  Vierge  Marie,  célébra  t[rjes 
dévotement  et  fist  ses  oblacions  et  prières  d'intencion 
pure  et  bonne  volunté,  et  puys  s'en  revint  devers  le 

le  légat  par  les  pays  d'Allemagne  «  et  l'avoir  servy  de  truchement 
durant  ledit  veaige,  »  28  livres  tournois  ;  Simon,  bastard  de  Bisse, 
capitaine,  pour  avoir  accompagné  le  légat  par  l'Allemagne  «  avec 
ung  nombre  de  gens  de  guerre,  »  43  livres  tournois.  —  Somme  : 
7,141  livres. 

«  Presentacion  et  délivrance  de  vaisselle  d'argent. 
«  A  Eitlfritz,  conte  de  Sorne,  »  6  tasses,  2  flacons,  2  aiguières 
découvertes,  d'argent  (comme  ci-dessus),  «  pesans  50  marcs 
6  onces  3  gros  ;  »  «  conte  Fustamberg,  portant  l'espée  devant 
ledit  Roy  des  Rommains,  »  6  tasses,  2  flacens  d'argent,  pesant 
37  marcs  6  gros  ;  Jean,  fils  du  comte  de  Sorne,  1  bassin,  1  pot 
d'argent,  pesant  8  marcs  60  onces  7  gros;  R.  P.  en  Dieu  l'évéque 
de  «  Trigesce,  »  conseiller  du  roi,  6  tasses  pleines,  2  aiguières 
découvertes,  pesant  24  marcs  6  deniers  ;  Honcbiden,  conseiller 
et  docteur,  6  tasses,  1  pot,  pesant  13  mars  6  onces  1  gros;  comte 
Félix,  serviteur  du  roi  des  Romains,  6  tasses,  2  pots,  pesant 
19  marcs  2  onces.  —  Somme  :  7^013  marcs  6  onces  1  gros,  valant, 
à  12  livres  10  sous  le  marc,  1,922  livres  9  sous  2  deniers.  —  Total 
des  deux  parties  :  9,063  livres  9  sous  2  deniers.  Certificat  du  car- 
dinal d'Amboise  que  Henri  Bohier,  receveur  général  des  finances, 
a  payé  ces  sommes,  8  avril  1505  {Sign.  autogr.  :  G.,  cardinal 
d'Amboyse.  Sceau  pendant  sur  simple  queue). 


8  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.      [Avril-Mai  1505 

Rov,  qui  tousjours  estoit  au  lit.  La  Royne  ne  cessoit 
de  prier  Dieu  et  les  sainctz  et  faire  votes  et  promesses 
pour  sa  santé. 

Messire  Loys,  sire  de  la  Trimoille,  qui  moult  se  dou- 
loit  de  ce  cas,  le  voua  a  Nostre  Dame  de  Lyence,  pro- 
mectant  y  aller  a  pié.  Somme,  chascun  pour  luy  pro- 
mectoit  de  offrir  sa  chandelle  au  sainct  ou  sa  devocion 
estoit'.  Quoy  plus?  tout  le  royaume  de  France  estoit 
troublé  de  cest  affaire.  Or,  fut  le  Roy,  durant  ceste 
maladie,  par  deffault  de  repos,  tant  affoibly  que  ses 
spirituelz  sensitifz  entrèrent  en  resverie,  et,  après 
divers  propos ,  demanda  madame  Claude ,  sa  fille, 
laquelle  luy  fut  présentée  par  la  damme  de  Tournon^, 
sa  gouvernante  ;  puys  voulut  avoir  son  espée  et  une 
javelline  dont  il  luy  souvint  lors  :  pour  luy  conplaire, 
luy  fut  baillé,  en  lieu  de  ce,  quelque  baston,  lequel 
voulut  bailler  a  madame  Glaude,  disant  que  nul  autre 
qu'elle,  s'il  ne  vouloit  incontinent  mourir,  y  touchast; 
mais  celle  dame  de  Tournon,  voulant  ayder  a  souste- 
nir  celluy  baston,  y  toucha  ;  ce  que  le  Roy  advisa  et 
dist  qu'elle  estoit  morte,  puysque  a  ce  baston  avoit 
touché.  Dont  ses  médecins  et  ceulx  qui  autour  de  luy 
estoyent,  pour  soustenir  son  dire  et  ayder  a  son  yma- 
ginacion,  lui  dirent  qu'il  estoit  vray  et  la  firent  oster 
de  la  et  cacher  par  ung  temps,  et  puys  ramener  devant 
luy;  de  quoy  s'esmerveilla ,   en  disant  qu'il  pensoit 


1.  Cf.  le  Rosier  historial. 

2.  Jeanne  de  Polignac,  dame  de  Tournon,  «  gouvernante  de  la 
personne  de  M™«  Glaude  de  France.  »  L'année  suivante,  la  reine 
lui  fit  don  du  revenu  net  de  la  châtellenie  de  Mehun-sur-Yèvre 
(valant  35  livres),  «  pour  se  mieux  entretenir  au  service  de 
madite  dame  »  (fr.  -26110,  fol.  792). 


Avril-Mai  1505]  DE  LA  MORT  D'UNE  DAME  GENEVOISE,  ETC.     0 

qu'elle  fust  pieça  merle,  laquelle  dist,  pour  tousjours 
luy  conplaire,  qu'il  estoit  vray,  et  que,  après  sa  mort, 
avoit  esté  en  paradys,  ou  Nostre  Dame  l'avoit  ressus- 
citée,  laquelle  mandoit  au  Roy  qu'il  beust  et  mengeast, 
et  que  tantost  seroit  guéri  :  ce  qu'il  fist,  et  peu  après 
reposa  bien  a  point,  dont  ses  médecins,  qui  toute  peine 
prenoyent  a  luy  secourir,  furent  joyeulx  et  peu  a  peu, 
a  l'ayde  de  Dieu,  le  misrent  sus,  dont  tout  le  peuple 
du  Royaume  de  France  rendit  grâces  a  Nostre  Sei- 
gneur. 

Durant  le  grant  axés  de  ceste  maladye,  partout,  et 
mesmement  par  les  pays  du  Roy,  furent  nouvelles 
qu'il  estoit  mort;  dont  aucunes  des  villes  de  France 
furent  fermées  et  les  chasteaulx  gardez,  et  en  la  duché 
de  Millan  faict  bon  guect,  et  tant  que  messire  Charles 
d'Amboise,  gouverneur  dudit  pays,  fist  serrer  les  gens 
d'armes  et  mectre  vivres  par  les  places  fortes  de  ladite 
duché  de  Millan  et  prya  les  seigneurs  dudit  pays  estre 
bons  et  loyaulx  envers  la  couronne  de  France,  soubz 
laquelle  seroyent  tenus  en  liberté  et  deffendus  des 
ennemys. 

II. 

De    la    MANIERE    ESTRANGE    DE    LA    MORT    d'uNE   DAME 
GENEVOISE    NOMMÉE  ThOMASSINE   ESPINOLLE  ,    INTEN- 

dyo  du  roy,  qui  mourut  lors  en  la  ville  de 

Gennes. 

A  Gennes  pareillement  fut  dit  pour  vray  nouvelles 
de  la  mort  du  Roy  :  de  quoy  les  Gennevoys  mons- 
trerent  par  semblant  estre  moult  troublez,  et  pen- 
cerent  sur  leur  affaire  ce  qu'ilz  voulurent;  et,  entre 


40  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

autres,  fut  une  dame  genevoise  nommée  Thomassine 
Espinolle,  dont  j'ay  parlé  cy  devant  ;  laquelle  monstra 
bien  icy  le  neu  de  l'amour  des  bonnes  femmes  indis- 
soluble et  leur  constance  inmobille,  car,  a  l'exemple 
de  la  bonne  Julya,  femme  de  Ponpée,  qui,  voyant  les 
habitz  de  son  seigneur  tainctz  du  sang  des  bestes 
ordonnées  au  sacrifice,  le  cuydant  mort,  sans  autre- 
ment s'en  enquérir,  crieva  de  dueil,  ceste  dame 
recommandable,  au  seul  rapport  de  la  première  voix 
disant  :  «  Le  Roy  est  mort  !  » ,  laissa  toute  cure  mon- 
daine et  plaisir  humain  pour  se  retirer  en  sa  chambre 
de  dueil,  ou  respandit  ung  torrent  de  larmes  et  rendit 
ung  milion  de  soupirs,  disant  :  «  Ores  est  mort  le 
myen  intendyo,  accroist  de  mon  estât,  support  de  ma 
vye  et  deffence  de  mon  honneur  ;  ce  qui  me  oste  l'envye 
de  plus  vivre  et  me  donne  vouloir  de  finir  mes  jours.  » 
Ainsi  se  douloit  l'esplorée  dame,  monstrant  comment 
son  intendyo  estoit  d'elle  bien  voulu,  et  l'amour  dont 
elle  luy  en  vouloit,  qui  estoit,  comme  j'ay  dit,  entre 
eulx  honnorable  et  au  préjudice  de  nuly.  Ores  en  fut 
tant  que  la  pauvre  dame,  esprise  de  dueil  et  avironnée 
de  regretz,  fut,  par  l'axés  de  melencolye,  conduyte 
jucques  au  lit  de  la  mort,  qui,  huyt  jours  après  ce,  par 
une  douleur  de  fièvre  continue,  lui  sépara  l'ame  du 
corps;  dont  les  Genevoys  en  firent  funeralle  feste  et 
moy  historial  récit,  tant  pour  reveller  la  nouvelleté  du 
cas  que  pour  magnifier  le  féminin  amour. 

En  ce  temps,  la  Royne,  voyant  le  Roy  convalescer 
et  recouvrer  santé,  et  que  hors  du  danger  de  sa  mala- 
dye  estoit,  s'en  alla  en  son  pays  de  Bretaigne,  accom- 
paignée  des  princes  et  seigneurs  de  France  et  des 
barons   et   gentishommes   de   sondit   pays  a   grant 


Mai  1505]  DE  LA  MORT  D'UNE  DAME  GENEVOISE,  ETC.  H 

nombre,  ou  tant  honnorablement  fut  receue  que  ce 
fut  ung  merveilleux  triumphe.  Toutes  les  villes  ou  elle 
passoit  luy  furent  tendues  et  les  chemyns  nectyez  ;  les 
seigneurs  de  l'Eglize  et  gentishommes  du  pays,  avec- 
ques  les  marchans  et  tout  le  peuple,  luy  furent  au 
devant  et  l'accueillirent  tous  de  vouloir  cordial  et 
joyeuse  chère.  A  Nantes  et  a  Renés,  et  es  autres  prin- 
cipales villes  de  son  pays^,  se  tint  l'espace  de  cincq 
moys,  ou  presque,  durant  lequel  temps  tint  ses  Estatz 
et  mist  ordre  en  toutes  les  affaires  de  ses  terres  de 
Bretaigne,  et,  de  jour  en  autre,  avoit  nouvelles  du 
Roy  ^,  lequel  estoit  sus  et  faisoit  très  bonne  chère,  et 
ainsi,  se  trouvant  allègre,  eust  envye  de  s'en  aller  a 
Tours,  ce  qu'il  fist,  et  passa  par  Amboise,  ou  séjourna 
quatre  jours.  La  estoit  madame  d'Angolesme  et  mon- 
seigneur Françoys  d'Angolesme  son  filz,  et  Marguerite 

1.  Alain  Bouchard  décrit  en  grand  détail  le  voyage  d'Anne  en 
Bretagne,  ses  entrées  solennelles  à  Morlaix,  Saint-Brieuc,  Dinan. 
Sur  ce  pèlerinage,  voyez  aussi  Albert  Le  Grand,  Vie,  gestes...  des 
saints  de  la  Bretagne  armoricaine.  Nantes,  1637,  in-4o,  p.  493. 
Cf.  Desjardins,  Négociations,  t.  II,  p.  97.  Les  allures  trop  pure- 
ment bretonnes  de  la  reine,  l'affectation  qu'elle  mit  à  se  réins- 
taller dans  son  duché  et  à  y  prolonger  son,  séjour  finirent  par 
vivement  déplaire  au  roi  ;  mais  cette  indépendance  ravit  naturel- 
lement les  Bretons.  Le  poète  cornouaillais  Disarvoez  Penguern 
écrivait  encore  à  ce  sujet,  en  1510  : 

«  L'an  mil  cinq  cens  et  cinq,  alla  tout  droit 
En  Bretaigne  ceste  haulte  princesse 
Pour  visiter  son  pais,  et  a  Folgouet, 
Acompaigné  d'une  grande  noblesse, 
Comme  d'une  souveraine  duchesse, 
Fust  receue  en  grande  reverance.  » 

(Ms.  fr.  24043.) 

2.  Le  roi  se  plaignait  fort.  Le  cardinal  d'Amboise  s'entremit 
vivement  pour  réconcilier  les  deux  époux. 


12  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

sa  fille,  lesquelz  le  Roy  enmena  avecques  luy  a  Tours 
et  les  fist  loger  en  son  logys  du  Plessis,  ou  la  séjourna 
par  l'espace  de  deux  moys  ou  environ,  en  passant  le 
temps  a  divers  esbatz,  l'une  foys  a  veoir  tirer  ses 
archiers,  l'autre  a  regarder  chevaucher  ses  grans  che- 
vaulx  et  l'autre  a  chacer  les  sangliers  dedans  le  boys 
du  parc,  ou  monseigneur  d'Angolesme  estoit  tousjours 
quant  et  luy  ;  tous  plaisans  deduys  et  joyeulx  passe- 
temps  luy  furent  faictz  lors,  pour  tousjours  le  tenir 
en  lyesse;  chascun  luy  disoit  propos  nouveaulx  et 
estranges  nouvelles,  et,  entre  autres,  luy  fut  dit,  par 
vray  rapport*  d'aucuns  Genevoys  et  autres  qui  estoyent 
venus  de  Gennes,  commant  dame  Thomassine  Espi- 
nolle,  dont  j'ay  escript  cy  dessus,  estoit  morte,  et  ce, 
pour  avoir  ouy  dire  que  le  Roy  estoit  mort,  et  luy  fut 
compte  des  regretz  qu'elle  avoit  faictz  et  de  la  manière 
de  sa  mort  ;  de  quoy  le  Roy  fut  moult  esmerveillé  et 
bien  marry;  mais  a  ce  ne  peut  nullement  remedyer 
ne  autrement  satisfaire,  si  n'est,  pour  pubHer  sa  vertus, 
et  anpliffyer  son  mérite,  voulut  que,  par  escript  pré- 
sent, en  fust  mémoire  future,  et,  pour  ce  faire,  me 
donna  la  charge,  qui  lors  escripvoye  sur  les  gestes  de 
France,  et  me  dist  que  messire  Germain  de  Bonneval, 
gouverneur  de  Lymosin,  m'advertiroit  de  cest  affaire, 
comme  celuy  qu'il  en  avoit  embouché  et  la  vérité  en 
savoit.  Dont  m'en  allay  au  logys  de  celuy  gouverneur, 
lequel  me  de[c]laira  toute  la  chose,  ainsi  que  par  escript 
je  l'ay  cy,  en  ma  cronicque,  rédigée, 

1.  Nous  avons  indiqué  précédemment  que  ce  bruit  était  erroné. 
Tliomassine  Spinola  mourut  en  1516. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCTB  DE  GENNES.  13 

III. 

La  Gonplaincte  de  Gennes  sur  la  mort  de  dame 
Thomassine  Espinolle,  Genevoise,  dame  intendyo 
DU  Roy,  avegques  l'Epitaphe  et  le  Regret^ 

L'impetueulx  vent,  coursoire  Vulturue, 
En  Orient  menant  bruyt  diuturne, 
Contre  Aquillon  descendant  de  son  polie, 
Lassus  en  l'air  faisant  leur  monopolle 

1.  La  Complainte  de  Gênes,  œuvre  de  courtisan,  offerte  au  roi, 
fut  reproduite  en  un  certain  nombre  d'exemplaires  manuscrits 
pour  les  princes  ou  les  gens  de  la  cour.  La  Bibliottièque  natio- 
nale possède  trois  de  ces  exemplaires  de  seconde  facture  (mss. 
fr.  6169,  1684,  25419).  Tous  trois  sont  contemporains,  sur  par- 
chemin ;  deux  sont  ornés  de  trois  miniatures  semblables,  quoique 
modifiées  dans  leurs  répétitions  par  certaines  variantes  voulues. 
En  tête,  Thomassine,  sur  la  jetée  ou  aux  portes  de  Gênes,  suivie 
de  trois,  de  quatre  compagnes,  regardant,  les  yeux  rouges,  s'éloi- 
gner le  vaisseau  de  Louis  XII;  au  début  de  VÉpitaphe,  mort  de 
Thomassine,  dans  son  palais,  entourée  de  ses  suivantes  ;  en  tête 
du  Regrect,  le  roi,  en  deuil,  dans  son  palais  en  deuil,  debout,  les 
bras  croisés,  dans  l'attitude  de  la  douleur;  derrière  lui,  quatre  ou 
six  courtisans  en  deuil  compatissant  à  son  chagrin;  dans  le  fond 
à  droite,  un  hallebardier  en  deuil;  derrière,  une  porte  s'ouvre  sur 
un  corridor  au  bout  duquel  une  autre  porte'avec  un  personnage 
ou  une  vue  de  jardin.  Dans  le  ms.  6169,  la  place  des  miniatures 
est  restée  en  blanc.  Le  ms.  25419,  in-S^  carré,  porte  au  revers 
du  folio  de  garde  l'ex-libris  suivant  :  «  Este  libro  es  de  Luis  de 
Mendoça;  »  il  vient  de  la  bibliothèque  Lavallière.  Le  ms.  fr,  6169, 
grand  in-8°,  porte  au  verso  du  feuillet  de  garde  un  écu  de  gueules, 
à  trois  tours  (deux  et  une)  d'argent,  avec  la  devise  ;  Nan  Dotes.  Il 
vient  de  la  bibliothèque  de  Golbert.  Le  ms.  fr.  1684,  in-4'',  portant 
en  tête  la  mention  contemporaine  :  «  la  Complainte  de  dame  Espi- 
nolle, »  paraît  avoir  toujours  appartenu  à  la  Bibliothèque  royale. 
11  paraît  être  l'exemplaire  de  don.  Cependant,  le  blanc  réservé 
sur  le  feuillet  de  garde  n'a  point  été  rempli.  Ce  dernier  manuscrit 
est  aussi  le  seul  où  l'on  trouve  une  prétention  à  quelque  exacti- 


14  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

Et  bruyans  crys  sur  l'eure  conticine  ^  ; 

Saturne,  ayant  sa  bucyne  ^  argentine 

En  l'assendant  du  palais  Capricorne, 

A  son  public  par  les  cieulx  crye  et  corne, 

Et  retentist  ses  tons  melodyeulx^ 

Pour  reveiller  les  déesses  et  dieulx, 

Disant  a  tous  les  célestes  consors  : 

«  Levez  vous  sus,  mectez  vous  aux  essors 

Et  allez  veoir^  la  région  terrestre 

Pour  ne  lesser  plus  la  bas  en  terre  estre 

Celle  qui  est  tant  digne  de  louanges. 

Qu'elle  doit  bien  estre  avecques  les  anges  ; 

Car  sa  vye  louable  et  méritoire 

A  deservy  son  lieu  au  consistoire 

Des  immortelz  et  posséder  le  trosne 

Sidereal,  comme  saincte  matrone, 

Qui  a  son  loz  tant  faict^  magnifier 

Que  après  sa  mort  se  doit  deiffler  ; 

C'est  le  vouloir  des  dieux®  et  le  plaisir 

Qu'elle  viengne'^  les  cieulx^  prendre^  el  saisir 

Et  qu'elle  soit  tost  eslevée  et  source, 

Et  mise  sus  les  Plyades  et  l'Ource  ; 

Car  elle  fut  en  vertus  coustumiere, 

Dont  sera  la  spectacle  de  lumière, 

Pour  la  gloyre"'  d'icelle  ampliffyer^', 

tude  pour  les  portraits.  Nous  indiquons  ses  variantes  relativement 
au  texte  de  notre  Chronique.  Les  autres  exemplaires  sont  des 
copies  courantes  dont  les  variantes  n'offrent  point  d'intérêt.  Il 
existe  aussi  à  la  bibliothèque  de  Montpellier  un  de  ces  exemplaires 
courants,  qui  a  été  pubUé  par  M.  Kùhnholtz,  avec  une  reproduc- 
tion des  miniatures  (Kùhnholtz,  Des  Spinola  de  Gênes  et  de  la 
Complainte  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours. 
Montpellier,  1852,  in-4°);  mais  l'auteur  nous  parait  avoir  attaché 
trop  d'importance  à  l'exemplaire  qu'il  avait  sous  les  yeux,  et  il  a 
joint  à  son  édition  des  renseignements  difîiciles  à  accepter. 

\.  Intempestine  (ms.  1684).  —  2.  Bucine.  —  3.  Melodieulx.  — 
4.  Voir.  —  5.  Fait.  —  6.  Dieulx.  —  7.  Vieigne.  —  8.  Cyeulx.  — 
9.  Prandre.  —  10.  Gloire.  —  11.  Ampliffler. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCïE  DE  GENNES.  15 

Et  aux  autres  myeulx^  exempliffyer^.  » 
Sur  ce,  j'oy  ce  cry  finir  et  taire, 
Et  Jupiter  lesser  le  Sagitaire, 
Pour  saillir  hors  de  sa  clere  maison. 
Disant  aux  corps  célestes  :  a  C'est  raison, 
Puys^  qu'en  terre  fut  d'honneur  tant  parée, 
Que  aux  cieulx  luy  soit  mansion  préparée, 
Et  qu'il  n'y  aict  zodyacal*  degré 
Que  a  son  plaisir  ne  monte  et  a  son  gré.  » 
Ce  dit,  Phebus,  du  palais  du  Lyon 
Gecta  sa  bas  des  raidz  ung  railhon^, 
Pour  esclarcir  le  monde  bruyneulx 
Et  faire  a  mont  ung  chemin  lumineulx  ^ 
Mercure  y  vint,  o  sa  teste  canyne. 
Qui  doulcement  o  sa  Virge  bénigne 
Se  monstra  le  gracieulx  champion  ^  ; 
Mars  destourna  la  queuhe  au  Scorpion, 
Pour  ne  vouloir  le  chemin  empescher; 
Venus  ausi  vint  sa  libre  approcher 
Pour  la  parer  de  rameaulx  et  de  fleurs; 
Dyane  n'eust  lors  voulu  estre  ailleurs, 
Mais  la  chambre  du  Cancre  avoit  ouverte. 
Et  de  nymphes  tappissée  et  couverte. 
Ainsi  chascun  d'iceulx  fist  son  devoir 
Pour  accueillir  la  dame  et  recepvoir, 
Comme  estoit  deu  a  celle  bienheurée 
Plaisante  au  monde  et  aux  cieulx  dësirée. 
Je  ne  savoye  ancore  a  qui  c'estoit 
Que  tant  d'onneur  lassus  on  apprestoit, 
Mais  tost  après  au  vray  fuz  advertye'^ 
Que  une  dame  myenne^  estoit  departye^ 
De  ce  siècle,  en  celle  nuyt  passée, 
Et  qu'elle  estoit  de  douleur  trépassée^". 
Or  en  sceu  je  les  piteuses  nouvelles, 

1.  Mieulx.  —  2.  ExempUffler.  —  3.  Puis.  —  4.  Zodiacal.  — 
5.  Millyon.  —  6.  Champyon.  —  7.  Advertie.  —  8.  Mienne.  — 
9.  Départie.  —  10.  Trespassée. 


16  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

Qui  ne  me  sont  ne  plaisantes  ne  belles, 
Par  les  clameurs  du  peuple  Gennevoys, 
Que  j'entendy  cryer^  a  haulte  voix, 
Disant  :  «  Helas^!  Thomassine^  EspinoUe, 
Qui  nous  estoit  guydon  et  baneroUe, 
Et  Tentretien  du  Roy  nostre  bon  prince, 
Le  seul  recours  de  la  nostre  province, 
La  ressource  de  nostre  adversité, 
Est  morte  !  Helas  !  que  fera  la  cyté  * 
Desollée,  puysque  celle  perdons. 
Que  ne  pouvons  plus  recouvrer  par  dons?  » 
Ainsi  estoit  pleurée  et  regrectée, 
Dont  en  sera  ma  Gomplaincte  trectée. 

GOMPLAINCTE   ELEGIACQUE. 

Oyant  les  crys,  les  lamentz  et  delas. 
Les  pleurs,  les  plainctz,  les  souppirs  et  helas. 
Que  pour  la  mort  de  celle  furent  faictz, 
De  larmoyer  mes  yeulx  ne  furent  las  ; 
Mais,  en  laissant  tout  plaisir  et  soûlas, 
Et  chargée  de  dueil  outre  mon  faix. 
En  recordant  ses  grâces  et  bienffaictz. 
Et  sa  valleur  tant  regrectée  et  plaincte, 
J'ay  bien  voulu  dicter  une  complaincte 
Pour  faire  icy  commémorer  son  nom, 
Disant  a  tous  :  «  Si  sa  vye  ^  est  estaincte, 
Tousjours  en  loz  florira  son  regnon  ^.  » 

Pourquoy  doncques  ^  n'eut  elle  longue  vye 
Puysqu'elle  avoit  bon  vouloir  et  envye 
De  profficter^  en  vertueulx  propos? 
Elle  n'avoit  pas  la  mort  deservye^. 
Ne  ne  devoit  si  tost  estre  ravye^o, 
Mais  tous  temps  vivre  en  très  heureux  repos  ? 

1.  Crier.  —  2.  Hellaa.  —3.  Tommassine.  —  4.  Cité.  —  5.  Vie.  — 
6.  Regnom.  —  7.  Donques.  —  8.  Profiter.  —  9.  Dexervie.  —  10.  Ravie. 


Mai  1505]  la  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  17 

Respons  icy,  o  fatalle  Atropos, 

Qui  sans  raison,  de  tes  cruentes  mains, 

Romps  les  fillectz^  de  la  vye^  aux  humains, 

Malgré  Gloto  et  Lacchesis^  tes  seurs? 

Tes  faictz  sont  trop  cruelz  et  inhumains, 

Quant  soubz  ta  main  nulz  hommes  ne  sont  seurs  I 

Par  coup  soubdain  celle  as  rendue  morte, 
En  demonstrant  ta  périlleuse  sorte. 
Dangereuse,  diverse  et  importune  ; 
Mais  ung  remort  sur  ce  me  reconforte. 
C'est  qu'elle  fut  constante,  ferme  et  forte. 
Contre  l'assault  de  parverse  fortune. 
On  n'en  devroit  pas  louer  plus  fort  une 
Que  ceste  cy,  que  chascun  dit  et  vante 
Avoir  esté  belle,  bonne  et  savante, 
Sage,  riche,  gracieuse  et  bénigne, 
Honnorable,  très  faconde  et  prudente, 
Et  paragon  de  grâce  féminine. 

Si  par-i  larmes  espandre  et  ruisseller, 
Ou  richesses  tost  desamoncelier, 
Estoit  permis  ^  de  révoquer  les  âmes. 
Je  ne  vouldroye  ja  tant  dissimuller  ^ 
Que  tout  ne  misse  a  celle  rappeller. 
Gomme  la  plus  désirée  des  dames. 
Or,  est  son  corps  trancy,  entre  les^ lames 
De  ses  parens  trépassez  et  amys. 
Helas!  pourquoy  est  il  ainsi  la  mys, 
Pour  devenir  si  ville  pourricture^, 
Et  aux  vermetz  de  terre  estre  submys^, 
Qui  fut  le  chief  des  œuvres  de  nature? 

0  Gennevoys,  que  ferez  vous  ycy^, 
Si  n'est  douloir  et  plourer  de  soucy, 

1.  Filletz.  —  2.  Vie.  —  3.  Lachesis.  —  4.  Pour.  —  5.  Promis.  — 
6.  Dissimuler.  —  7.  Pourriture.  —  8.  Soubmys.  —  9.  Icy. 
IV  2 


là  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

Pour  la  perle  qui  vous  est  advenue 

Par  le  decez  de  corps  qui  est  trancy, 

Que  vous  voyez  en  la  terre  estre  ainsi. 

Ce  qui  vous  est  dure  desconvenue  ? 

Le  temps  requiert  ausi\  Teure  est  venue 

Que  vous  devez  porter  le  noir  habit 

Pour  demonstrer  le  funeral  obit 

D'une  qui  fut  la  plus  qu'autre  extimée  ; 

Celle  perdez  par  ung  cas  trop  subit, 

Qui  seulle  estoit  myeulx^  digne  d'estre  amée. 

Que  faictes  vous,  mesdames  Genevoises, 
Damoiselles,  marchandes  et  bourgeoises, 
Chambarieres,  servantes  et  exclaves? 
Aprochez  vous  plus  près  que  de  deux  ^  toises. 
Pour  lamenter  en  lieu  de  faire  noises, 
Et  ne  soyez  a  plourer  icy  graves. 
Lessez  a  sec  sur  le  sablon  voz  naves, 
Et  espuysez^'  toute  l'eau  de  la  mer 
Pour  la  venir  en  ce  lieu  consumer^ 
Par  le  degouct  de  voz  yeulx  larmoyens  ^. 
Celle  est  morte,  qui,  pour  vous  renommer, 
Sur  les  autres  a  trouvez  les  moyens  ! 

Vous,  Neptunus,  qui  la  mer  gouvernez 
Et  ses  voisles  faictes  singler  au  vent, 
Venez  ycy  ^  et  nous  entretenez  ; 
Plus  ne  pouvons  sans  vous  aller  avant, 
Car  nous  avons  perdu  par  cy  devant 
Le  gouvernail  de  nostre  navigage, 
La  conduyte  de  tout  nostre  passage, 
L'appuy  tenant  nostre  seure  esperence^, 
L'yntendyo  du  noble  Roy  de  France. 

Dame  Aurora,  qui  avez  arrosée 

\.  Et.  —  2.  Mieulx.  —  3.  Denlx.  —  4.  Espuisez.  —  5.  Gonsum- 
mer.  —  6.  Lermoyens.  —  7.  Icy.  —  8,  Espérance. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCÏE  DE  GENNES.  19 

De  voz  larmes  la  lerre  en  plusieurs  lieux  \ 
Pleuvez  icy  celle  doulce  rosée 
Que  pour  Gynus  dégoûtez ^  de  voz^  yeulx  : 
Vous  ne  pouvez,  ce  croy  je,  faire  myeulx'', 
Car  celle  la,  qui  plus  estoit  louée 
D'excellant  priz  de  beaulté  avouée, 
Et  qui  portoit  tous  les  tiltres  donneur, 
A  rendu  l'ame  au  céleste  Seigneur. 

Vous,  Eacus,  Mynos  et  Radamant, 
Qui  de  tous  droiclz  infernaulx  décidez, 
Gardez  vous  bien  de  faire  jugement 
Contre  celle,  et  que  n'y  procédez, 
Ou  si  de  tant,  certes,  vous  excédez, 
Tantost  sera  sentence  révoquée  ; 
Car  ja  sa  cause  est  mise  et  évoquée 
Au  grant  conseil  du  divin  consistoire, 
Ou  tous  les  dieulx  tiennent  leur  auditoire. 

Thesiphone,  Aletho  et  Megere, 
Pluton,  Caron,  Bellides,  Tantallus, 
Et  tous  ceulx  qui  en  lieu  de  réfrigère 
Estez  plungez  es  infernaulx  palludz, 
A  ceste  cy  ne  ferez  voz  sallutz. 
Car,  du  gouffre  obscur,  puant  et  noir 
Ou  vous  estes  ^,  jucques^  a  son  manoir. 
Qui  est  plus  beau  que  les  champs  Elisées, 
N'a  seur  chemin  adresses  ne  brisées. 

Lessez  les  fleurs,  o  déesses  Nappées, 
Et  appeliez  les  fontalles  Nayades^, 
Et  aux  forestz  de  verdure  drappées 
Allez  quérir  Satires  et  Dryades  ^  ; 
Sonnez^  ausi  a  ses  Amadryades"* 
Que  trouverez  sur  les  arbres  perchées, 

1.  Lieulx.  —  2.  Degouctez.  —  3.  Vox.  —  4.  Mieulx.  —  5.  Estez. 
—  6.  Jusques.  —  7.  Naydes.  —  8.  Driades.  —  9.  Sonnés.  — 
10.  Ainadriades . 


20  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

Dessus  les  mons  Oreades  *  couchées, 
Phaunes  aux  champs,  en  mer  les  Nereydes  ; 
Amenez  les  icy  a  mes  aydes. 

0  Narcisus,  qui  eustes  en  desdain 
La  doulce  Eco,  en  bon  poinl  jeune  et  belle, 
Vous  n'eussez  pas  faict  reffus  si  souldain  ^ 
De  ceste  cy,  ne  tant  esté  rebelle, 
Tant  de  vertus  avoit  et  grâce  telle, 
Mais  qu'elle  n'eust  parolle  ou  regard  chiche 
Qu'onques  homme,  tant  fust  grand,  bel  ou  riche, 
Ne  la  sceut  voir,  adviser  ou  oyr, 
Qui  n'eust  désir  de  son  amour  joyr. 

Sus,  Terpander,  florisant  en  ^  musique. 
Et  AppoUo-î  le  doulx  armonizant, 
Mectez  a  part  la  science  et  praticque  ^ 
De  vostre  chant;  plus  n'est  ycy^  duysant. 
Vous,  Orpheus,  tant  bien  citharizant 
Que  les  Enfers  endormez  par  voz  sons, 
Et  Haryon,  qui  faictes  les  poissons 
Dancer  en  mer,  quant  la  harpe  touchez. 
Fuyez  dMcy^  et  plus  ne  m'approchez. 

Par  vraye  amour  et  douloureulx  regret, 
Dont  elle  fut  jucques  au  cueur  actainte, 
Pour  son  seigneur  intendyo^  segret. 
Le  cuydant  mort  et  sa  vye  estre  estaincte, 
Las,  elle  en  print^  celle  mortelle  estraincte. 
Pour  trop  serrer  le  lyen  d'amytyé"^; 
C'est  ung  bienfaict  et  ung  cas  de  pityé^* 
Qui  ne  se  doit  a  jamais  oublyer'^. 
Mais  en  tous  lieulx  cryer  et  publyer^^. 

1.  Oreades.  —  2.  Soubdain.  —  3.  Inventeur  de.  —  4.  Appolo. 
—  5.  Pratique.  —  6.  Icy.  —  7.  Ici.  —  8.  Intendio.  —  9.  Elle 
print.  —  10.  Amityé.  —  11.  Pitié.  —  12.  Oublier.  —  13.  Crier  et 
publier. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  21 

Que  diront  plus  orateurs  et  poètes 
De  Tisbée<,  d'Ero  et  de  Philys, 
De  Medée,  fille  du  Roy  OEtes, 
Dont  amours  ont  les  corps  ensevellys3, 
D'Erigone,  de  Gyla^,  dont  je  lys, 
De  Jullya  et  Dido  de  Gartage? 
Celles  doy vent  ''  lesser  en  bas  estage, 
Et  a  ceste  funder  ung  oratoire, 
Ou  tous  ses  faictz  seront  mys  en  histoire. 

Elle  a  bien  faict  des^  œuvres  tant  louables 
Que  par  escript  se  doyvent  rédiger 
Et  emgraver  en  pierres  et  en  tables 
Pour  les  mectre  en  veue  et  ériger  ; 
Elle  a  voulu  les  vices  corriger 
Et  approuver  les  grâces  et  vertus, 
Les  afïamez  a  peuz,  les  nudz  vestus, 
Servy^  a  Dieu  et  bien  amé  l'Eglize^, 
Et  tout  son  temps  vescu  en  ceste  guise. 

Ennuyeulx  n'est  ^  ce  compte  a  reciter, 
Dont  le  surplus  du  dire  je  révoque. 
Mais,  toutesfoys,  pour  mon  deu  aquicter, 
Vestue  en  noir  et  portant  mesme  toque, 
Mes  cytoyens  a  ce  dueil  je  convoque, 
A  celle  fin  que  chascun  soit  recors 
De  la  dame  dont  icy  gist  le  corps,' 
Et  qu'elle  soit  tant  plourée  et  doulue. 
Qu'on  cognoisse  qu'elle  estoit  bienvoulue. 

Le  long  propos  de  ce  piteulx  affaire 
Tant  me  reduyt  a  courroux  et  a  dueil 
Que  je  ne  say  certes  se  je  doy  faire 
Plaincte  de  bouche  ou  fondre  en  larmes  d'ueil. 
C'est  ung  regret  dont  si  fort  je  me  dueil 

1.  Thisbée.  —  2.  Ensevelys.  —  3.  Cila.  —  4.  Doivent.  —  5.  De. 
—  6.  Servi.  —  7.  Eglise.  —  8.  M'est. 


22  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 

Que  mes  souppirs,  qui  tousjours  sont  en  l'er, 
Me  sincoppent  et  rompent  le  parler, 
Tant  que  je  suys<  a  ce  moyen  contraincte 
Faire  sillence  et  finir  ma  conplaincte^. 

L'Epitaphe  parlant  par  la  bouche  de  la  deffuncte. 

Gomme  chascun  au  tour  du  malleur  tumbe, 
Icy,  dessoubz  ceste  massive  tumbe, 
Suys  morte,  helas!  et  perye^  avant  âge, 
Sans  nul  respit  avoir  pour  l'avantage 
De  jeunesse  dont  j'estoye  emparée, 
Et  de  beaulté  moult  richement  parée. 
De  biens  mondains  dont  ausi  j'en  aquys'^ 
Moult  largement,  quant  a  Gennes  nasquys^, 
Ou  j'ay  vescu  doulcement  a  séjour 
Et  demeuré  la  jucques  a  ce  jour. 
Auquel  lieu  vint,  comme  j'estoye  en  vye^, 
Le  noble  Roy  de  France,  ayant  envye^ 
De  visiter  sa  supperbe  cyté, 
Ou  se  trouva  comme  s'il  fust  cyté  ; 
G'estoit  le  preux  Roy  doziesme  Louys. 
Je  le  veiz  la,  l'enlendy  et  Pouys, 
Parlay  a  luy  au  myeulx  que  faire  peuz, 
Et  mon  regard  sur  luy  a  faix  repeuz. 
Si  bien  que  amour  me  fist^  tost  mectre  en  queste 
De  Taccoincter,  dont  je  feiz  mon  enqueste 
Et  demanday  la  grâce  du  bon  prince, 
Qu'il  m'octroya,  disant  que  je  la  prince; 
Puys  me  voulut  laisser  et  retenir, 
L'intendyo^,  sans  autre  erre  tenir. 
Helas!  j'en  bien  ce  noble  don  prou  cher. 
Car  oncques  puys  ne  Jaissay  approucher 
Homme  de  moy,  non  certes  mon  mary, 
Qui  maintes  foys  en  a  esté  marry. 

1.  Suis.  —  2.  Complamcte.  —  3.  Perie.  —  4.  Aquis.  —  5.  Nas- 
quis.  —  6.  Vie.  —  7.  Envie.  —  8.  Fcist.  —  9.  Intendio. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  23 

Deux  ans*  ou  plus,  j'ay  tousjours  maintenue 

Geste  vye  ^  et  pour  luy  main  tenue, 

Et  eusse  faict  tant  qu'au  monde  eusse  esté, 

Et  pour  luy  seul  tout  mon  cueur  excepté  ; 

Mais  Fortune,  celle  marrastre  adverse, 

Disant  ainsi  qu'elle  m'aura  traverse, 

Et  ne  voulut  suffrir  ce,  ne  parmectre, 

Comme  sera  icy  touché  par  mectre  ; 

Car  une  voix  m'envoya  pour  me  dire 

Qu'il  estoit  mort,  dont  fuz  esprise  d'ire 

Et  de  courroux,  tant  que  lors  je  m'accouche, 

Ne  oncques  puys  ^  ne  levay  de  ma  couche. 

Disant  :  «  Helas!  ha!  Mort!  trop  est  mortel 

Ton  dur^  assault,  si  par  toy  est  mort  tel! 

Car  s'il  estoit,  comme  ^  on  dit,  trépassé, 

Mon  corps  vouidroit  ce  pas  estre  passé.  » 

En  ce  disant,  la  fieuvre  continue. 

Me  vient  saisir  et  tant  me  continue 

Qu'a  la  parfîn  mes  espritz  tant  lassez 

Ne  peurent  plus  soustenir  tel  acez. 

Dont  commainçay  les  membres  a  estandre. 

Tirer  du  cueur  qui  du  travail  est  tendre; 

Lors  vient  la  mort  que  les  deux  ^  yeulx  me  bousche, 

M'estrainct^  le  poux  et  me  ferme  la  bouche. 

Ainsi  laissay  les  choses  temporelles, 

Dont  maincles  ont  souvant  mal  temps  pour  elles. 

Helas  !  sire,  soyez  cy  enseigneur, 
Si  vraye  amour  est  ou  gist  en  seigneur, 
Si  vous  estes  après  moy  survivant 
En  ce  monde  ou  n'y  a  seur  vivant, 
Ne  mectez  pas  celuy  corps  en  oubly 
Que  vous  avez  tant  de  grâce  ennobly  ; 
Puysque  pour  vous  il  est  mort  ;  soubz  la  lame, 
Vueillez  avoir  souvenance  de  l'ame. 

1.  Dueulx.  —  2.  Vie.  —  3.  Puis.  —  4.  Deur.  —  5.  Corne.  — 
6.  Dueulx.  —  7.  Estainct. 


24  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1505 


Regret  que  faict  le  Rot  pour  la  mort  de  sa  dame  intendyo  '. 

Cruelle  Mort,  de  dur  venin  esprise, 
D'amer  poison  enracynée  et  prise 
Et  de  fièvre 2  pestiffere^  entachée, 
Pour  quoy  as  tu  par  celée  entreprise 
Celle  dame  au  despourveu  surprise, 
Et  contre  elle  ta  fureur  actachée  ? 
Elle  n'estoit  pas  encores  tachée 
De  vieriesse\  ne  de  son  griz  pellage, 
Mais  au  printemps  de  son  florissant  age^, 
Belle,  bonne,  sage,  riche  et  discrète; 
Or,  est  elle  morte  par  ton  oultrage; 
Tousjours  la  plains  et  sans  fin  la  regrecte^  ! 

En  faict  d'honneur  estoit  si  bien  aprise 
Qu'elle  ne  fut  en  sa  vie  reprise 
D'aucun  meffaict  et  de  mal  reprochée. 
Or  Tavoye  je  pour  intendyo  prise, 
Et  elle  moy,  de  quoy  myeulx^  je  me  prise, 
Veu  les  vertus  dont  elle  estoit  merchée. 
Tant  fut  certes  de  mon  cueur  aprochée 
Que  pour  son  bien  maintenir  en  usage 
J'eusse  bien  faict  a  Gennes  ung  voyage  -, 
Mais  de  maleur  est  morte  la  pauvreté. 
Helas  !  c'est  bien  ung  merveilleux  domage  : 
Tousjours  la  plains  et  sans  fin  la  regrecte  1 

Elle  vivant,  j'ay  sa  valleur  comprise, 
Tant  qu'il  ne  fault  que  morte  la  desprise; 
Mais  est  requys^  que  par  moy  soit  cherchée, 
Voire  du  cueur  que  regrect  auctorise 

1.  Le  Roy.  —  2.  Pieuvre.  —  3.  Pestiféré.  —  4.   Vieillesse. 
5.  Aage.  —  6.  Regrete.  —  7.  Mieulx.  —  8.  Requis. 


Mai  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  25 

De  ce  faire,  et  le  cas  favorise, 
Disant  que  amour  ne  peut  estre  cachée; 
Ce  que  scet  bien  ma  pencée  empeschée, 
Mes  sens  ravys'  et  mon  triste  courage, 
Qui  ne  peuvent  oublyer"^  l'avantage 
Que  me  fist  lors  tant  que  ores  en  suffrecte  : 
Son  corps  en  est  en  terre  pour  hostage. 
Tousjours  la  plains  et  sans  fin  la  regrecte! 


Prince,  j'ay  eu  son  amour  en  partage, 
Dont  elle  aura  de  moy,  pour  héritage, 
Prierre^,  adieu  et  oraison  segrecte. 
Je  ne  luy  peuz  donner  autre  suffrage. 
Si  n'est  que  icy  en  ce  bas  monde  et  frage, 
Tousjours  la  plains  et  sans  fin  la  regrecte 


Celle  est  morte  qui  a  vescu  sans  blasme, 
Et  eu  le  bruyt  de  tant  eureuse  famé 
Que  impossible  seroit  de  trouver  homme 
Qui  sceust  nombrer  la  moytyé^  de  la  somme 
Des  grans  vertus  qu'avoit  la  noble  dame. 

Qui  veust  savoir  commant  elle  se  clame, 
Je  ne  la^  veulx  certes  celler  a  ame  : 
Thomassine  EspinoUe  se  nomme 
Celle. 

Cy  finira  ma  piteuse  epigrame. 
Louant  ses  faictz  et  priant  pour  son  ame, 
Comme  regret  de  ce  faire  me  somme, 
Et  vraye  amour  qui  me  commande  en  somme, 
Sy  j'amay  lors,  ancores  veust  que  j'ame^ 
Celle. 

1.  Ravis.  —  2.  Oblier.  —  3.  Prière.  —  4.  Moytié.  —  5.  Le.  — 
6.  Je  ame. 


26  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1505 

Après  que  j'cu  ceste  elegye  mise  a  fin',  j'en  presen- 
tay,  audit  lieu  de  Tours  ^,  ce  que  j'en  avoye  faict  au 
Roy,  pour  luy  donner  de  ma  part  quelque  diverse 
nouvelleté  et  moyen  d'agréable  passe  temps  :  ce  qu'il 
advisa  de  mot  a  mot,  et,  comme  depuys  par  aucuns 
me  fut  dit,  l'envoya  a  Gennes  pour  faire  mectre  sur 
le  tumbeau  de  la  deffuncte,  en  signe  de  continuelle  sou- 
venance et  spectacle  mémorable. 

En  ceste  manière  se  passa  une  partye  du  temps  de 
celle  année,  que  le  Royaume  florissoit  en  paix  et  le 
peuple  prosperoit  a  prouffict.  Quoy  plus?  si  n'est  que 
le  très  louable  prince,  comme  chief  des  vertueulx  et 

1.  Jean  d'Auton,  qui  honore  tant  ce  deuil  de  fantaisie,  n'a  point 
mentionné  la  mort  de  la  première  femme  du  roi,  Jeanne  de 
France,  morte  en  odeur  de  sainteté  à  Bourges,  le  4  février  1505 
(V.  notre  livre  Jeanne  de  France,  et  ci-dessus,  t.  III,  p.  359).  Jeanne 
avait  fondé  un  ordre  de  religieuses,  l'Annonciade,  que  sa  sœur 
Anne,  d'accord  avec  Jules  II,  s'occupait  pieusement  alors  d'as- 
seoir sur  des  bases  solides  (bref  de  Bologne,  6  id.  jan.  1506. 
Arch.  du  Vatican,  VwZù"  //  Regesta  sécréta,  reg.  984,  fol.  263  r°- 
267  v»).  On  assure  cependant  que  Louis  XII,  qui  n'était  pas 
heureux,  entourait  Jeanne  du  plus  respectueux  souvenir  (not. 
déposition  de  Michelle,  veuve  de  Noël  Guyon,  au  procès  de  cano- 
nisation). Cette  sainte  femme  laissait  dans  l'esprit  pubhc  une 
trace  profonde.  Jean  Bouchet,  dans  le  Temple  de  bonne  renommée, 
en  faisait  une  sainte  quelques  années  plus  tard  (éd.  1517,  fol.  77)  : 

«  Or,  en  sortant  du  cousté  latéral  (du  côté  des  saints), 

Ung  grant  tumbeau  je  aperceu,  de  coural, 

Enrichy  d'or  et  pierres  par  oultrance. 

Ou  reposoit  dame  Jehanne  de  France, 

Qui  de  Berry  fut  duchesse  et  vesquit 

Si  sainctement  que  le  monde  vainquit. 

Et  ses  bombans  dont  elle  ne  tinst  compte. 

L'ame  est  au  ciel,  ainsi  que  chascun  comte.  » 

2.  Louis  XII  passa  à  Tours  tout  le  mois  de  juillet  1505  et  le 
commencement  d'août.  Il  demeura  à  Blois  ou  aux  environs  tout 
le  reste  du  temps. 


Juillet  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  27 

exemple  des  bons,  eut  tousjours  cognoissance  du  ser- 
vice de  ses  gens  et  souvenance  de  leurs  biensfaictz, 
tant  que,  soubz  sa  main,  le  mérite  de  chascun  estoit, 
scelon  son  estât,  haultement  rémunéré  et  recompancé 
deuement  :  a  ses  serviteurs  lays  donnoit  grosses  offices 
et  bons  gages  ;  a  ceulx  de  l'Eglize,  prelatures  et  béné- 
fices, et,  affin  que  nul  demeurast  sans  en  avoir,  quant 
de  quelque  evesché  ou  abbaye  faisoit  pourvoir  ses  plus 
recommandez,  de  leur  despoille  revestoit  les  autres  ; 
et,  qui  plus  est  en  grâce  de  recognoissance  estoit 
tant  cler voyant  que,  de  son  propre  motif,  pourvoyoit 
ceulx  des  siens  qui  n'avoyent  en  court  amys  pour  les 
advancer  ou  audace  pour  en  demander,  qui  est  œuvre 
louée  de  la  bouche  de  tous  et  moyen  d'actraire  le 
cueur  de  chascun.  En  ce  mesme  temps,  en  colloca  plu- 
sieurs, dont  le  bienfïaict  m'est  reduyt  a  mémoire  pour 
en  avoir  eu  ma  part,  telle  que,  par  son  commande- 
ment, du  cardinal  de  Nerbonne^,  lequel,  devant  ce, 
avoit  pourveu  de  plus,  j'en  lors  le  prieuré  de  Glermont 
de  Lodève  en  Languedoc,  ce  qui  de  moult  rainfforça 
l'entretiennement  de  mon  estât  et  m'obligea  de  plus  a 
prier  Dieu  pour  la  prospérité  du  donneur. 

Or,  avant,  icy  est  a  dire  que  Phelippes  d'Autriche, 
archiduc,  faisoit  lors  la  guerre  au  duc  de  Gueldres, 
parent  du  Roy-,  et  de  tout  son  pouvoir  contrarioit  au 
vouloir  dudit  seigneur,  et  mesmement  pour  l'evesché 
de  Tournoy,  dont  il  vouloit  pourvoir  ung  des  seigneurs 
de  son  conseil,  nommé  Charles  du  Haultboys,  et, 
avecques  ce,  faisoit  prises  et  surprises  sur  les  droictz 

1.  Fr. -Guillaume  de  Glermont-Lodève,  cardinal  de  Narbonnc, 
neveu  du  cardinal  d'Amboise. 

2.  Charles  d'Egmont,  duc  de  Gueldre,  fils  d'une  Bourbon. 


28  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1505 

de  la  juridiction  de  Tournay,  apartenant  au  dommaine 
de  la  couronne.  Par  quoy  le  Roy  envoya  en  embaxade 
par  devers  luy  Angilbert  Mons',  conte  de  Nevers,  avec- 
ques  grant  nonbre  de  gentishommes,  et  bien  accom- 
paigné  de  gens  de  conseil,  desquelz  estoyent  maistre 
Jehan  Poncher,  evesque  de  Paris ^;  maistre  Pierre  de 
Sainct  Andrieu,  juge  mage  de  Garcassonne^,  et  maistre 
Jacques  Olivier^,  son  advocat  en  parlement;  ausquelz 
ne  voulut  ledit  archiduc  donner  audience  ne  tenir 
parolles  d'aniytié,  ni  faire  raison  de  son  tort.  De  quoy 
le  Roy,  adverty,  délibéra  donner  secours  contre  luy 
au  duc  de  Gueldres  et  luy  faire  reparer  par  force  le 
meffaict  que  par  amytié  ne  vouloit  amender*. 

Toutes  ses  choses  révolues,  le  Roy  s'en  alla  de  Tours 
a  Amboise,  ou  séjourna  cincq  jours,  et  puys  tira  droict 
a  Bloys^,  ou  devers  luy  vint  en  ambaxade,  pour  le  Roy 
d'Angleterre,  ung  chevallier  angloys  nommé  messire 
Charles  de  Sombrecet^,  parent  dudit  Roy  d'Angleterre  ; 

1.  Etienne  Poncher  (et  non  Jean  Poncher,  comme  nous  l'avons 
déjà  observé),  d'abord  conseiller  au  parlement  de  Paris,  employé 
par  Charles  VIII  dans  les  affaires  de  Saluées  (fr.  2919,  fol.  9  bis), 
puis  chancelier  de  Milan,  était  devenu  évêque  de  Paris  en  1503 
et  avait  prêté  serment  en  cette  qualité  le  30  avril  1503  à  Lyon 
(fr.  25718,  fol.  74;  cf.  Cérémonial  français,  II,  866). 

2.  Pierre  de  Saint-André,  juge-mage  de  Carcassonne,  puis  pré- 
sident de  Toulouse,  chef  de  la  justice  de  Gênes,  premier  président 
de  Toulouse,  venait  de  jouer  un  rôle  important  dans  le  procès  du 
maréchal  de  Gié. 

3.  Jacques  Olivier,  avocat  de  la  reine  à  Toulouse  contre  le 
maréchal  de  Gié  ;  il  devint  avocat  général  et  premier  président 
du  parlement  de  Paris. 

4.  L'archiduc  fut  assigné  au  parlement  de  Paris  le  6  septembre 
{Lettres  de  Louis  XII,  I,  24). 

5.  Il  était  à  Blois  le  16  août  (Desjardins,  Négociations,  II,  114). 

6.  Somerset. 


Sept.  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  29 

lequel  ambaxadeur  fut  du  Roy  honnorablement  receu 
et  festyé  a  souhet  et  ouy  sur  ce  qu'il  vouloit  dire  et 
demander,  qui  estoit  que  ledit  Roy  d'Angleterre,  qui 
bon  pour  les  Françoys  avoit  tousjours  esté  et  estoit,  en 
voulant  de  plus  en  plus  fort  estre,  et,  pour  acroistre 
l'alyence  et  ranforcer  l'amytié  d'entre  le  Roy  et  luy, 
demandoit  avoir  en  mariage  Marguerite  d'Angoulesme, 
proche  parente  du  Roy  ;  et,  sur  ce,  bailla  ledit  amba- 
xadeur, par  articles,  l'intencion  dudit  Roy  d'Angle- 
terre et  tout  ce  qu'il  vouloit  dire. 

Le  Roy  veist  iceulx  articles  et  lut  de  point  en  point, 
et  icelz  mist  en  conseil  pour  en  avoir  l'oppinion  :  le 
cas  fut  debatu  a  plusieurs  foys,  et,  sur  ce,  alléguez 
divers  propos  et  mainctes  choses,  et,  entre  autres, 
dit  que,  si  le  Roy  n'avoit  aucuns  hoirs  masles  de  sa 
chair  procréés  et  que  si  mons"  Françoys  d'Angou- 
lesme, par  defFault  de  ce,  succedoit  a  la  couronne 
comme  le  plus  proche  et  ausi  que  en  hoirs  masles 
deffaillist,  au  moyen  du  mariage  de  ladite  Marguerite 
d'Angoulesme,  seur  dudit  monseigneur,  pourroyent 
les  Angloys,  en  l'advenir  et  contre  l'ordonnance  de  la 
loy  sallicque,  quereller,  comme  par  ung  tel  cas  ont 
faict,  le  royaume  de  France  ;  ce  qui  j)ourroit  a  telle 
heure  mouvoir  guerre  qui  seroit  immortelle  entre  les 
Françoys  et  Angloys,  et  a  la  perte  de  tout  le  royaume 
de  France.  Par  quoy  fut  conclut,  a  la  fin,  que  celuy 
mariage  ne  se  feroit  ;  dont  s'en  retourna  ledit  ambaxa- 
deur sans  autre  chose  faire. 

Le  Roy  s'en  estoit  allé  lors  a  une  petite  place  nom- 
mée Madon,  a  deux  lieues  de  Bloys,  ou  fist  venir  la  con- 
tesse  d'Angoulesme  et  ses  enfens^  lesquelz  fist  loger 

1.  Il  Qous  faut  préciser  en  quelques  mots  les  négociations  aux- 


30  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Sept.  1505 

au  Moutis  soubz  Bloys,  et  la  vint  ausi  la  duchesse  de 
Bourbon  ^  bien  accompaignée.  Souvant  fut  le  Roy  a 
la  chace  des  cerfz  et  des  sangliers  en  la  forest  de 
Bloys,  qui  près  de  la  estoit,  et  passa  le  demeurant  de 
la  belle  saison  audit  lieu  de  Madon',  ou  se  trouva  tous- 
jours  en  bon  point  ;  puys  s'en  retourna  a  Bloys  avec- 
ques  toute  sa  seigneurie^,  ou,  tantost  après,  la  Royne 

quelles  fait  allusion  Jean  d'Auton  et  qui  n'ont  jamais  été  bien 
élucidées  jusqu'ici.  Ferdinand  le  Catholique  demanda  la  main  de 
Louise  de  Savoie,  qui  vint,  à  ce  propos,  trouver  le  roi  à  Madon  ; 
elle  refusa,  en  déclarant  que  le  fiancé  lui  paraissait  trop  mùr.  Un 
ambassadeur  d'Angleterre,  lord  Herbert,  se  trouvait  là,  et  on 
reparla  d'un  projet  de  mariage  en  Angleterre  pour  Marguerite  de 
Valois,  qui  avait  échoué  en  1503;  cette  fois,  ce  n'était  plus  le 
prince  de  Galles,  mais  le  vieux  roi  d'Angleterre,  veuf  depuis 
deux  ans,  qui  désirait  se  marier.  Il  demandait  Louise,  qui  refusa 
encore;  lord  Herbert  alors  demanda  Marguerite.  Louise  de  Savoie 
ne  faisant  pas  d'opposition,  la  chose  parut  décidée.  Le  roi  accepta, 
et  l'on  échangea  des  notes  diplomatiques.  On  alla  jusqu'à  fixer  le 
chiffre  de  la  dot.  Mais  Marguerite,  quand  on  lui  en  parla,  refusa 
absolument;  elle  avait  une  passion  en  tête;  elle  trouvait  l'Angle- 
terre éloignée  et  «  estrange,  »  le  roi  vieux,  et,  malgré  la  présence 
de  Louis  XH,  elle  disait  que,  «  quant  l'aventure  viendra  que  son 
frère  sera  roy,  qu'elle  trouvera  lors  bien  josne,  riche  et  noble 
mary,  et  sans  passer  la  mer  »  (Deux  notes,  J.  965,  n^^  28,  24  ; 
Sandret,  Revue  des  Questions  historiques,  1873,  p.  210-211  ;  Desjar- 
dins, Négociations,  II,  113,  126,  130,  131,  150;  Deuxième  voyage  de 
Philippe  le  Beau,  publ.  par  Gachard,  p.  202;  J.  Gairdners,  Letters... 
of  Richard  III,  II,  133-142,  143,  146;  dépêches  de  l'envoyé  portu- 
gais Lopes  en  France,  analysées  dans  les  Archives  des  missions, 
2«  série,  t.  V  [1868],  I,  no^  84,  133,  150). 

1.  Anne  de  France. 

2.  Il  alla  simplement  à  Madon  au  commencement  de  septembre 
et  revint  à  Blois  le  10.  Il  repartit  pour  Madon  le  15,  et  il  était  de 
retour  à  Blois  le  22. 

3.  Le  roi  fit  jurer  par  ses  capitaines  l'exécution  de  son  testa- 
ment, c'est-à-dire  (comme  le  voulait  le  maréchal  de  Gié)  d'em- 
pêcher Claude  de  sortir  du  royaume.  Le  premier  serment  fut 
prêté  le  31  mai  1505  (Berault  Stuart).  Les  autres  s'échelonnèrent. 


Sept.  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  31 

vint  de  son  voyage  de  Bretaigne,  toute  ravye  de  joye 

Ils  furent  prêtés  par  écrit,  en  double  expédition,  avec  la  signa- 
ture du  capitaine  (J.  951;  cf.  portefeuilles  Fontanieu,  154-155; 
Vidaillan,  Histoire  des  conseils,  I,  398;  fr.  2831,  fol.  89,  90,  91; 
fr.  15536,  fol.  5,  6).  L'importance  de  ce  fait  nous  oblige  à  indiquer 
sommairement  la  teneur  des  serments  originaux  contenus  dans 
le  carton  J.  951  : 

Blois,  30  septembre  1505.  —  Serment  de  Berault  Stuart  d'Au- 
bigny,  à  Dieu,  sur  la  damnation  de  son  âme  et  sa  part  de  para- 
dis, sur  la  vraie  croix  et  les  saints  évangiles,  en  sa  présence  et 
celles  du  cardinal  d'Amboise,  du  secrétaire  Robertet  :  si  le  roi 
va  de  vie  à  trépas  sans  enfant  mâle,  de  servir  Claude  et  le  duc 
de  Valois,  sans  nul  excepter,  ici  et  hors  du  royaume,  lui  et  les 
cent  archers  écossais  de  la  garde,  jusqu'à  la  mort  inclusivement, 
au  cas  où  «  aucuns,  quelz  qu'ilz  soient,  »  voudraient  emmener 
Claude  hors  du  royaume,  et  l'empêcher  d'observer  le  testament 
fait  par  le  roi  à  Blois  le  31  mai  dernier  :  et  spécialement  de 
servir  la  reine  pour  le  mariage  de  Claude  avec  François,  Signé  : 
«  Berault  Stuart.  » 

Même  serment,  par  Jean  Stuart.  Signé. 

Madon,  17  septembre  1505. —  Serment  de  Jacques  de  Crussol, 
capitaine  des  200  archers  de  la  garde  (semblable,  sauf  la  dernière 
phrase).  Signé  par  lui  et  son  heutenant. 

Blois,  19  octobre  1505.  —  Serment  de  Guillaume  de  la  Marck, 
seigneur  de  Montbason.  Signé.  Apostille  signée  de  ses  deux  lieu- 
tenants. 

8  novembre  1505.  —  Serment  de  Gabriel  de  la  Châtre,  seigneur 
de  Nançay,  capitaine  des  100  archers  de  la  garde.  Signé. 

16  mars  1505  (anc.  st.).  —  Cédule  de  Roger'de  Béarn,  seigneur 
de  la  Bastide,  de  son  serment,  prêté  aux  mains  de  l'évêque  de 
Paris,  de  ne  remettre  la  place  de  Mauléon-de-Soulle  que  sur  ordre 
exprès  du  roi  et  de  la  remettre  sur  cet  ordre  ;  de  n'y  commettre 
nul  lieutenant  gascon  qui  ne  soit  bon  et  naturel  français. 

Même  date.  —  Serment  d'Antoine  de  Lonbes,  seigneur  de 
Fontaines ,  capitaine  de  Granville  (  semblable ,  sauf  la  dernière 
phrase). 

Même  date.  —  Serment  de  Jean  Bertran,  seigneur  de  Villemer, 
commis  capitaine  d'Angers,  jusqu'à  ce  qu'il  en  soit  autrement 
ordonné  {idem). 

Même  serment  de  Guillaume  Criston,  capitaine  de  Milan,  pro- 


32  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Sept.  1505 

de  voir  le  Roy  prospérer  en  estât  et  revenu  en  santé*. 
En  ce  mesmes  temps,  fut  trecté  le  mariage  du  Roy 
Ferrand  d'Arragon  et  de  madamoiselle  Germaine  de 
Foix,  nyepce  du  Roy  ;  lequel  Ferrand  estoit  vefve  de 
dame  Ysabel  de  Castille,  morte  quelque  peu  de  temps 
devant  ce~;  et,  pour  conduyre  le  démené  de  cedit 
mariage,  celuy  Ferrand,  Roy  d'Arragon,  avoit  envoyé 
ses  ambaxadeurs  devers  le  Roy^,  lesquelz  y  besoi- 
gnerent  tellement  que,  par  le  vouloir  du  Roy  et  l'oppi- 
nion  de  son  conseil,  le  mariage  fut  conclut  et  accordé  ^, 

mettant  aussi  de  servir,  si  le  roi  mourait,  ses  enfants  mâles,  ou 
à  défaut  Claude  et  celui  qui  l'épousera  ;  prêté  devant  le  roi,  le 
cardinal  d'Amboise,  légat  en  France,  le  chancelier,  les  arche- 
vêques de  Sens  et  de  Tours,  les  évêques  d'Albi  et  de  Paris,  les 
abbés  de  Fécamp  et  de  Saint-Ouen  (de  Rouen),  les  seigneurs  du 
Bouchage,  Jean  Stuart,  capitaine  de  la  garde  écossaise,  les  géné- 
raux des  finances  et  autres. 

1.  Le  cardinal  d'Amboise  venait,  au  contraire,  de  lui  écrire  de 
Madon,  le  17,  une  lettre  suppliante  pour  mettre  fin  à  sa  mésin- 
telligence avec  son  mari  (Leroux  de  Lincy,  III,  158). 

2.  V.  t.  m,  p.  352. 

3.  V.  Humbert  Veiay.  Le  premier  appointement  avait  été 
signé  le  28  juillet  par  Louis  XII,  confirmé  par  le  roi  d'Aragon  le 
26  août. 

4.  12  octobre.  François  d'Angoulême  le  ratifia,  avec  le  titre  de 
dauphin  (cf.  Léonard  :  la  Diplomatie  au  temps  de  Machiavel,  t.  III, 
p.  213).  L'original  de  cette  confirmation  se  trouve  aux  Archives 
nationales,  K.  1639,  d.  3.  Il  est  signé  Françoys,  avec  grand  sceau 
rouge  pendant  sur  queue  de  parchemin  et  le  sceau  du  cardinal 
d'Amboise,  intervenant  dans  l'acte  comme  tuteur.  Les  patentes 
de  Louis  XII,  instituant  la  tutelle  du  cardinal  d'Amboise  sur  le 
jeune  prince  et  datées  du  même  jour,  consacrent  habilement 
l'hégémonie  du  cardinal  par  des  considérations  de  politique  exté- 
rieure. Pour  le  bien  du  royaume,  il  est  nécessaire,  disent-elles, 
que  notre  très  cher  et  très  amé  neveu  le  duc  de  Valois,  comte  d'An- 
goulême, notre  successeur  en  notredit  royaume,  en  cas  que  nous 
n'ayons  pas  d'enfant  mâle,  soit  compris  dans  l'alhance  avec  Ferdi- 
nand. Gomme  il  est  mineur,  et  considérant  les  grands  services 


Octobre  1505J       LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  33 

et  ladite  Germaine  de  Foix  fiencée  et  esposée  audit 
Roy  Ferrand,  par  procureur  ^  ou  furent  faictz  divers 
esbatz  et  joyeulx  passetemps,  par  lequel  mariage  fut 
dit  et  accordé  que  tous  les  princes  et  seigneurs  du 
royaume  de  Naples,  qui  lors  estoyent  en  court  fuytifz 
de  leur  pays  pour  avoir  tenu  pour  le  Roy,  seroyent 
remys  en  leurs  terres  et  seigneuryes^. 

du  cardinal  d'Amboise,  qui  n'a  épargné  sa  personne  ni  ses  biens, 
nous  «  baillons  »  au  cardinal  «  la  totalle  administracion  de  la 
personne  de  nostredit  nepveu  le  duc  de  Valoys  durant  son  bas 
aage  et  pupilarité  »,  et  lui  donnons  pouvoir  de  l'assister  comme 
tuteur  pour  son  accession  à  l'alliance  avec  Ferdinand  (signées  du 
roi,  contresignées  de  Robertet.  Blois,  8  oct,  1505;  orig.,  K,  1639, 
d.  3). 

1.  La  dispense  nécessaire  fut  donnée,  séance  tenante,  au  châ- 
teau de  Blois,  le  17  octobre  1505,  par  l'évèque  d'Albi  et  l'évoque 
de  Paris  (Orig.,  deux  sceaux  pendants  sur  simple  queue,  K.  1639, 
d.  3). 

2.  Mais  on  excepta  César  Borgia  par  la  convention  suivante  : 
«  Ludovicus  Dei  gratia  Francorum  Rex,  ac  Mediolani  dux, 

etc.  Universis  et  singulis  présentes  litteras  inspecturis.  Notum 
facimus  quod,  quamvis  inter  nos  et  catholicum  et  potentissimum 
Ferdinandum  Hispaniarum,  etc.  Regem,  fratrem  nostrum  et  con- 
federatum,  sit  inter  alia  in  capitulis  pacis,  unyonis  et  lige  concor- 
datum  quod  princeps  Rosani,  marchio  Bitruti  et  alii  cujuscunque 
status,  nacionis  et  condicionis  sint,  qui  pendente  guerra  inter  nos 
et  prefatum  Regem  fuerunt  capti  et  tenentuc  captivi  per  dictum 
Regem  catholicum  vel  per  alios  suarum  partium,  scilicet  in  Ita- 
lya,  Arragonia,  Gastella  et  Hispania  vel  alio  loco  sint  illico  res- 
tituti  in  plena  et  pura  deliberacione  absque  aliqua  pecuniarum 
solucione.  Nichilominus  tamea  fuit  inter  nos  et  prefatum  catho- 
licum Regem  seu  ejus  oratores  nomine  suo  concordatum  quod 
certis  causis  et  respectibus  in  supradicto  capitulo  seu  concordia 
non  intelhgantur  Gesar  de  Borgia  dux  Valentinensis  nec  etiam 
comes  de  Pallas  qui  per  dictum  Regem  catholicum  capti  detinen- 
tur,  immo  non  obstante  dicta  concordia  et  capitulacione  Catho- 
licus  Rex  possit  eos  detinere  ut  sibi  visum  fuerit.  In  cujus  rei 
testimonium  présentes  publicas  litteras  herijussimus  manu  nos- 
tra  signatas  et  sigillo  nostro  pendenti  munitas.  Datum  Blesis  die 
IV  3 


34  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Décembre  1505 

L'archiduc,  a  qui  lors,  a  cause  de  sa  femme,  fille  de 
la  feue  Royne  d'Espaigne'',  appartenoit  ledit  royaume, 
fist  son  armée  et  amas  de  gens  pour  aller  prendre 
pocession  de  ses  pays  d'Espaigne  et  faire  la  son  entrée, 
et,  premier  que  partir,  prist  trêves  et  abstinence  de 
guerre  avecques  le  duc  de  Gueldres^,  duquel  il  avoit 
prises  quelques  places  ou  mist  grosses  garnisons  et 
bonnes  gardes,  et  ausi  ordonna  de  ses  affaires  de  son 
pays  de  Flandres,  et  laissa  gouverneurs  et  lieutenans 
pour  luy  audit  pays.  Et,  ce  fait,  avecques  grant  nombre 
de  Flamens  et  Allemans,  bien  garny  de  finences,  se 
mist  sur  mer,  tirant  vers  la  terre  d'Espaigne,  et,  par 
quelque  temps,  luy  et  ses  gens  eurent  vent  a  gré  ; 
mais,  a  l'approcher  d'Espaigne,  leur  survint  une  for- 
tune de  mer  tant  impétueuse  que  tout  son  navigage 
fut  soubdainement  séparé  et  esparty,  les  ungs  d'un 
costé,  les  autres  d'autre,  desquelz  périrent  par  nauf- 
frage  troys  navires  et  grant  nombre  de  gallyons,  ou 
noyèrent  de  troys  a  quatre  mille  hommes  ;  et  est  assa- 
voir que  la  pluspart  d'iceulx  furent  par  tempeste 
reculiez  jucques  a  la  coste  d'Angleterre,  ou  ledit  archi- 
duc et  ceulx  qui  estoyent  en  son  navire  cuyderent  tous 
periller,  car  leurdit  navire  fut  rompu  et  esclaté  contre 
les  terres  ;  si  fut  ledit  archiduc  incontinant,  avecques 
ceulx  qui  près  de  luy  estoyent,  secourus  par  legiers 
brigandins  et  petites  barches,  tant  que  a  seureté  furent 
menez  en  terre  ferme  ;  et,  pour  ce  que  ledit  nauffrage 

xn-"»  mensis  octobris  anno  Doiniai  millesimo  quingentesimo  quinto, 
et  regni  nostri  octavo. 

«   LOYS.   » 

(Sur  le  repli  :J  «  Per  Regem,  Robertet  »  (Orig.,  parcb.,  K.  1639, 
d.  3). 

1.  Morte  le  26  novembre  1506. 

2.  Lettres  de  Louis  XI f,  I,  34  et  suiv. 


Décembre  1505]  LA  COMPLAINCTE  DE  GENNES.  35 

s'estoit  taict  en  Angleterre,  ledit  archiduc  fut  mené 
et  conduyt  a  Lomdres,  ou  le  Roy  d'Angleterre  estoit 
lors,  lequel  le  festya  honnorablement  et  le  consoUa  au 
myeulx  qu'il  peut  de  la  deffortune  de  sa  perte,  en  le 
trectant  le  plus  humainement  qu'il  sceut  faire  ;  et,  après 
que  quelque  bonne  espace  de  temps  eut  la  demeuré, 
il  demanda  s'en  aller  en  ses  pays,  priant  le  Roy  d'An- 
gleterre ne  le  plus  détenir,  veu  les  affaires  qu'il  avoit; 
auquel  dist  le  Roy  d'Angleterre  que  de  droict  pouvoit 
estre  son  prisonnier,  veu  que  son  nauffrage  avoit  faict 
en  Angleterre,  mais  ne  le  vouloit  trecter  comme  pri- 
sonnier; ains  luy  feroit  comme  a  frère  et  bon  amy,  en 
luy  disant  :  «  Vous  avez  en  voz  pays  Emond  de  la  Pôle, 
conte  de  Suffolk,  lequel  se  dit  avoir  droict  a  la  cou- 
ronne d'Angleterre  et  veust  quereller  mes  pays.  De 
quoy  je  le  repute  mon  mortel  ennemy  et  luy  en  veulx 
de  toute  ma  puissance.  Par  quoy,  si  vostre  délivrance 
voulez  avoir,  avant  ce,  vous  veulx  prier  que  celuy 
conte  de  Suffolk  me  vueillez  mectre  entre  les  mains, 
et,  ce  faict,  aurez  non  seullement  franche  délivrance, 
mais  secours  de  mon  pouvoir  et  ayde  de  mon  effort.  » 
L'archiduc,  voyant  que  besoing  luy  estoit  de  ainsi  le 
faire,  mist  ledit  de  Suffolk  entre  les  mains  du  Roy 
d'Angleterre,  en  luy  priant  le  trecter  le  plus  doulcement 
qu'il  pourroit,  ce  que  luy  promist  de  faire*.  Ainsi  fut 
délivré  l'archiduc-,  lequel,  estant  en  Angleterre,  fist 
la  de  rechief  sa  provision  pour  aller  en  Espaigne,  ou 
s'en  alla,  bien  accompaigné  par  mer  comme  devant, 
et  eut  le  temps  doulx  et  la  mer  transquille,  tant  qu'en 

1.  Suffolk,  ainsi  extradé,  fut  enfermé  à  la  Tour  de  Londres. 
Plus  tard,  en  dépit  de  l'engagement  pris,  Henri  VIII  lui  fit  tran- 
cher la  tête  (1513). 

2.  Après  une  captivité  de  plus  de  trois  mois. 


36  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Jauv.-Mars  1506 

son  royaume  d'Espaigne  fut  en  brief,  et  la  receu  des 
seigneurs  et  gens  du  pays  a  grant  sollempnité  et  joyeuse 
feste^. 

Apres  la  feste  de  Nouel,  madame  Germaine  de  Foix, 
Royne  d'Arragon,  s'en  alla  de  court  pour  tirer  vers 
Espaigne,  accompaignée  de  grant  noblece  de  France, 
et  avecques  elle  s'en  allèrent  les  princes  et  seigneurs 
du  royaume  de  Naples,  qui,  au  moyen  de  ce  mariage, 
devoyent  estre  remys  en  leurs  seigneuryes  ;  ausquelz  le 
Roy  donna  force  argent  et  lectres  pour  bailler  au  Roy 
d'Arragon,  touchant  la  délivrance  de  leurs  places  et 
possessions.  Aussi  ordonna  le  Roy  que,  pour  icelle 
conduyre  jucques  en  Espaigne,  l'evesque  d'Alby  feroit 
le  voyage  avecques  plusieurs  autres^  et  que,  par  toutes 
les  villes  et  lieulx  du  royaume  de  France  ou  elle  pas- 
seroit,  feroit  entrée  et  seroit  receue  comme  la  personne 
du  Roy,  ayant  puissance  de  donner  grâces  et  remis- 
sions et  eslargir  prisonniers  ;  et  ainsi  s'en  alla  celle 
noble  princesse,  laquelle  partit  de  Tours,  entour  la 
feste  des  Roys,  et  adressa  vers  son  pays^  par  ung 
temps  si  très  froict  a  merveilles  qu'en  plusieurs  lieulx 
les  arbres  gellerent  et  mesmement  les  noyers  et  les 
ollyviers  en  Languedoc,  les  amendiers  et  les  chastai- 
gniers  jucques  a  la  racyne  et  les  vins  dedans  les  pipes 
par  les  caves  et  celliers;  et  eust  gellé  le  blé  semmé 
en  terre,  n'eust  esté  la  nege,  qui  en  plusieurs  lieulx 

1.  Mai  1506. 

2.  L'ambassade  d'apparat  chargée  de  l'escorter  se  composait  de 
Louis  d'Amboise,  évêque  d'Albi,  Hector  Pigaatelli  et  Pierre  de 
Saint-André,  juge-mage  de  Garcassonne  (un  des  juges  du  maré- 
chal de  Gié).  Louis  d'Amboise,  d'abord  évêque  d'Autun,  neveu 
du  cardinal,  avait  succédé  en  1503  à  sou  oncle  Louis  d'Amboise 
sur  le  siège  d'Albi. 

3.  Son  mariage  eut  lieu  le  18  mars  (fr.  4329,  toi.  93). 


Janv.  1506]    GOMMANT...  DEUX  GENTISHOMMES,  ETC.  37 

couvroit  les  champs  de  plus  de  quatre  piedz  de  hault. 
Les  petilz  oyseaulx,  qui,  pour  l'empeschement  de  la 
nege  et  par  la  force  du  vent  et  froidure  desmesurée, 
ne  trouvoyent  a  pasturer,  mouroyent  sur  le  champ, 
et  prenoit  on  les  perdriz  et  les  merles  et  d'autres  assez 
a  la  course  par  les  champs;  et,  oultre,  ceulx  qui,  mal 
vestus,  se  mectoyent  en  pays  de  plaine  estoyent  tan- 
tost  tranciz  et  geliez,  et  tant  que  plusieurs,  que  j'ay 
veu  depuys,  en  perdirent  les  doiz  des  mains  et  en 
furent  perclus  des  membres*. 

IV. 

Gommant,  en  celuy  temps,  deux  gentishommes  de 

BrETAIGNE  furent  PRES  A  COMBATRE  POUR  LA 
QUERELLE  d'UNE  DAME  DUDIT  PAYS  DE  BrETAIGNE. 

Ce  temps  durant,  fut  ung  combat  a  l'oustrance  mys 
sus  entre  deux  gentishommes  de  Bretaigne,  dont  l'ung 
estoit  de  ceulx  de  Ghasteaugiron  et  l'autre  a  la  Royne, 
et  ce  pour  ce  que  celuy  de  Ghasteaugiron  avoit  accusé 
une  damoiselle  maryée  dudit  pays  de  Bretaigne  d'avoir 
commys  adultère,  et  qu'il  en  avoit  veji  telles  enseignes 
qu'il  vouloit  dire  et  maintenir  qu'il  estoit  vray  ;  ce  que, 
par  ladite  damoiselle,  fut  nyé  comme  meurdre,  et  tant 
fîst  qu'elle  trouva  ledit  gentilhomme  qui  voulut  sous- 
tenir  sa  querelle  et  deffendre  son  honneur  contre  ledit 
de  Ghasteaugiron  ;  mais,  au  premier  que  procéder  par 
faict  d'armes,  la  Royne  voulut  que  la  chose  fust  mise 
devant  son  chancellier  de  Bretaigne  pour  savoir  de  la 

1.  Néanmoins,  cette  année  fut  très  fertile.  En  Lombardie,  le 
blé,  qui,  en  1505,  année  de  disette,  avait  valu  jusqu'à  trois  livres 
et  demie,  descendit  à  quinze  sous  (Cro)iaca  di  Cremona). 


38  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.        [Janvier  1506 

preuve,  de  laquelle  ne  fut  trouvé  autre  chose  que  la 
seulle  accusation  de  celuy  de  Ghasteaugiron  ;  par  quoy 
furent  remys  au  combat,  et  le  tout  devant  et  a  l'or- 
donnance du  Roy,  qui  pareillement  les  envoya  a  son 
grant  conseil  ;  touteffoys  fut  délibéré  leur  donner  le 
champ,  et  fist  faire  les  lices  dedans  le  chasteau  de 
Bloys  et  semer  la  place  de  fumier  et  de  sable  pour 
soustenir  a  ferme  les  chevaulx  des  champions,  lesquelz 
devoyent  combatre  ung  sapmedy  de  après  les  Roys, 
ou  se  trouvèrent  les  gentishommes  de  tout  le  pays  et 
autres  a  grant  nombre,  et  les  querelleurs  prestz  d'ac- 
complir leurs  armes.  Mais,  premier  que  passer  oultre, 
le  Roy  voulut  savoir  sur  ce  l'oppinion  de  son  conseil, 
qui  fut  tel  par  conclusion  que,  par  une  telle  querelle 
que  ceste,  ne  devoit  avoir  combat,  combien  que  tous 
duelles,  qui  sont  combatz  de  deux,  soyent,  a  la  pro- 
bacion  de  la  vérité  cellée,  trouvez,  et  mesmement  a 
cause  de  meurdre,  de  trahison  et  de  crime  leze  incog- 
nuz,  fors  pour  indice  de  seulle  accusacion.  Touteffoys, 
scelon  toutes  les  loix,  sont  iceulx  combatz  reprouvez, 
qui  par  nul  prince  catholicque  se  doyvent  recepvoir 
ne  parmectre,  car  en  telles  choses  est  veu  Dieu  contre 
son  divin  commandement  estre  tempté,  pour  ce  qu'il 
est  vraissemblable  que  le  plus  fort  submarche  le  plus 
debille.  Et  de  tels  exécrables  combatz  soloyent  user 
les  Romains,  disans  aucuns  estre  une  devocion  envers 
Fortune  qu'ilz  avoyent,  affin  que  icelle,  enyvrée  du 
sang  de  leurs  cytoyens  par  manière  de  batailles,  leur 
fust  en  guerre  propice  et  aux  armes  adventageuse  : 
autre  raison  plus  a  croire  est  sur  ce  cas  assignée,  disant 
que  les  ducteurs  des  légions  romaines,  destinez  aux 
batailles,  devoyent  veoir  dedans  sceines  et  teatres  telle 
manière  de  combatz  et  hommes  nudz  joxter  a  l'ostrance 


Avril  1506]     GOMMANT...  DEUX  GBNTISHOMMES,  ETC.  30 

et  exploicter  les  glayves  et  blecer  et  occyre  plusieurs, 
affin  que  en  mortelle  bataille  ne  trouvassent  chose 
espouventable  de  veoir  leurs  ennemys  armez,  et  que 
frayeur  n'eussent  des  playes  des  navrez  et  orreur  du 
sang  des  mors  ;  lesquelles  choses  furent  depuys,  sce- 
lon  les  mesmes  loix  romaines,  reprouvées  et  deffen- 
dues,  pour  ce  que  tels  jeux  gladiatoires  sont  préparez 
pour  délecter  de  sang  humain  la  volupté  des  yeulx 
creuelz,  ou  l'omme  sans  cause  est  occys  pour  l'apetit 
deshordonné  de  l'omme.  Ce  qui  fut  remonstré  au  Roy, 
et  plusieurs  autres  raisons  contre  ledit  combat  ;  par 
quoy  il  deffendit  le  champ  ausditz  querelleurs  et  volut 
que,  a  son  grant  conseil,  en  fust  de  tous  pointz  décidé  ; 
dont  lesdites  armes  furent  arrestées. 

Le  Roy  tinst  lors  a  Bloys  ses  Estatz,  et  la  ordonna 
des  affaires  de  son  royaume  et  entretenement  de  ses 
subgectz,  sans  gueres  desemparer  la  chambre,  pour 
le  dangier  du  grant  froict,  qui  durant  ses  jours  estoit 
en  saison  ;  et,  lorsque  le  temps  se  commança  a  eschauf- 
fer,  il  sortit  a  l'esbat,  prenant  son  deduyt  a  ce  que 
myeulx  luy  sembloit  requys  pour  sa  prospérité  main- 
tenir. La  passa  tout  doulcement  la  saison  du  caresme 
et  puys  très  dévotement  célébra  la' joyeuse  feste  de 
Pasques*  ;  sur  laquelle  mectray  paille  a  mon  escript 
jucques  a  temps,  en  faisant  fin  au  récit  de  ce  présent 
historial  volume  contenant  les  faictz  de  France  de  l'an 
mille  cincq  cens  et  ung,  continuant  jucques  a  l'an  mille 
cincq  cens  et  six. 

1.  11  avril.  Le  6  avril,  François  d'Orléans,  comte  de  Dunois, 
épousa  à  Blois  Françoise  d'Alençon  (fr.  4329,  fol.  88). 


EXORDE 

SUR  LES  GESTES  ANNALLES 

DU  CHRISTIANISSIME  ROY  LOYS  Xll^^e  DE  CE  NOM, 

FAITTES  PAR  FRERE  JEHAN  D'AUTON,  HISTORIOGRAPHE 

DUDIT  SEIGNEUR  <. 


Voyant  le  loz,  le  bruyt  et  le  renon 
Du  Roy  Loys,  douzième  de  ce  nom, 
Environner  le  monde  et  ses  climatz, 
Et  que  chascun  faict  recueilz  et  amas 
De  ses  œuvres  dignes  et  honnorables, 
Comme  de  faietz  non  oys  et  mirables, 
Dont  les  fluans  orateurs  rethoriques 
Enrichissent  leurs  chambres  et  boutiques, 

1.  D'après  le  ms.  original,  actuellement  coté  fr.  5083;  ms.  in-4°, 
comprenant,  actuellement,  155  feuillets,  anciennement  numéro- 
tés, plus  9  feuillets  de  garde  en  tête,  et  2  à  la  fin.  Les  feuillets  de 
garde  6  et  7  r»  et  v,  et  partie  du  r»  du  feuillet  8  sont  occupés 
par  une  table  des  titres  des  chapitres.  Uexorde  occupe  le  v°  du 
feuillet  9  de  garde  et  se  continue  au  feuillet  1.  Ce  ms.  a  toujours 
appartenu  à  la  Bibliothèque  du  roi.  En  haut  du  v"  du  4^  feuillet 
de  garde  initial,  se  trouve  la  mention  de  la  Bibliothèque  de 
Blois  :  «  Ex  Hbris  historialibus,  pulpito  ultimo,  ad  parietem  ver- 
sus curiam.  Litlera  o  b.  »  Au  y°  du  feuillet  5,  on  lit  les  mentions 
suivantes,  d'écritures  plus  modernes  :  «  Le  Roy  Loys  douzième 
commença  a  régner  lan  de  grâce  1506  [ce  chiffre  exponctué)  et 
régna  17  ans.  —  Les  Annales  du  Roy  Loys  douzième,  lesquelles 
commencent  en  lan  1506.  »  (A  cette  dernière  note,  une  autre 
main  a  ajouté  :  «  1507  ».)  Le  ms.  a  porto  autrefois  le  n"  1225, 
puis  le  n"  8421. 


Avril  1506]  EXORDE  SUR  LES  GESTES  ANNALLES,  ETC.  41 

Faisant  aucuns,  sur  ce,  nouveaulx  ditez 
Et  louanges  de  biensfaictz  méritez, 
Et  les  autres,  par  cueur  ou  ouyr  dire, 
Comme  ilz  scavent  reciter  et  descrire, 
En  composent,  par  mètres  et  en  vers. 
Cas  estranges  et  maintz  propos  divers  ; 
Je,  toutesfoys,  comme  le  moings  scavant 
De  tous  autres,  voulant  mettre  en  avant 
Plume  et  papier,  pour  faire  mon  recueil 
De  ce  que  j'ay  sur  ce  cogneu  a  Tueil 
Et  sceu  par  vray  comme  le  temps  s^exploicte, 
Pour  avoir  fait  sur  les  lieux  mon  amplecte. 
En  ensuyvant  mes  annalles  histoires 
Sur  les  combatz,  conquestes  et  victoires 
Et  autres  faitz  encherchez  et  actainctz 
Par  les  Gaules  et  lieulx  ultrammontains  ; 
Affm  aussi  que  ceulx  de  l'avenir 
Ayenl,  des  faitz  des  presens,  souvenir, 
Prenant  le  bien  et  vertus  pour  exemple. 
Et  le  defFault  pour  ung  chasty  très  ample, 
Et  pour  donner,  scelon  la  vérité, 
Loz  a  celuy  qui  loz  a  mérité, 
Et  reprouver,  par  raison  satiriques. 
Les  griefz  effors  et  excès  des  iniques  ; 
Sachant  le  faict  de  louange  ennobly 
Ne  devoir  pas  estre  mys  en  oubly, 
Ay  présumé  mettre  les  mains  a  l'œuvre. 
Tout  grossement  comme  rude  mennevre, 
Pour  publyer,  ainsi  comme  j'entens, 
Les  gestes,  clers  et  faictz  de  nostre  temps. 
Que  j'ay  voulu  rédiger  par  exprès 
Comme  s'ensuyt  cy  dessoubz  en  après. 


42  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1506 

I. 

Cy  commencent  les  croniques  annalles  sur  les 
gestes  du  christianissime  roy  loys,  xu"®  de  ce 
nom,  des  ans  mille  cincq  cens  et  six  et  mille 
cinq  cens  et  sept^ 

Les  pères  rommains,  comme  recitent  leurs  hysto- 
riographes  et  orateurs,  soloyent  dire  que,  en  regar- 
dant les  ymages  honnorables  et  arcz  de  triumphe  de 
leurs  prédécesseurs,  ayant  souvenance  de  leurs  œuvres 
magnificques  et  mémoire  de  leurs  biensfaictz,  estoyent 
pour  ce  plus  emflammez  a  vertus;  toutesfoys,  scelon 
la  sentence  du  divin  Iheronime,  les  vrays  escriptz  et 
approuvées  hystoyres  des  gestes  florissans  sont  les 
perpetuelz  sépulcres  et  eternelz  monumens  des  hommes 
dignes  de  louenge  ;  par  lesqueulx  les  corps  estainctz 
par  temporelle  mort  revivent  en  éternelle  mémoire, 
et  les  noms  oubliez  par  trect  de  temps  sont  remys  en 
perpétuelle  souvenance.  A  ceste  cause,  tenant  la  doc- 
trine de  ceulx  qui  les  simulacres  triumphaulx  lessent 
pour  les  riches,  et  la  mémoire  de  vertus  pour  les 
bons,  voyant  le  cristianissime  Roy  Loys,  xii'"®  de  ce 
nom,  prospérer  en  gloire,  accroistre  en  honneur  et 
proffiter  en  vertus,  et  aussi  en  ensuyvant  mon  propos 

1.  Une  grande  miniature  (fol.  1  v°)  représente  le  mariage  de 
François  d'Angoulême  avec  Claude  de  France.  Le  cardinal  d'Am- 
boise,  assisté  de  deux  cardinaux,  les  unit.  A  droite,  Louise  de 
Savoie  et  ses  dames;  à  gauche,  la  reine  et  ses  dames.  Dans  le 
fond,  le  roi  et  la  cour.  Miniature  d'exécution  hâtive  et  de  facture 
défectueuse,  comme  toutes  celles  de  ce  volume.  L'artiste  ne  s'est 
point  préoccupé  de  la  ressemblance  des  figures. 


Avril  1506]   CY  COMMENCENT  LES  CRONIQUES  ANNALLES.        43 

hystorial  sur  les  gestes  des  Françoys,  commançant  en 
l'entrant  de  l'an  mil  cincq  cens  et  six,  ou  j'ay  falot 
fin  des  faictz  precedens  par  volumes  abrégez;  pour 
continuer  doncques,  et  affin  que  la  mémoire  des  choses 
recordables,  par  defFault  de  les  recueillir  et  mectre  en 
lumière,  n'esvanoyssent  comme  les  temps  ou  dépé- 
rissent comme  les  corps,  tout  ainsi  que  au  plus  vray 
j'ay  peu  veoir  et  savoir,  ay  voulu,  par  manière  de 
vrayes  cronicques  et  gestes  annalles,  des  modernes  et 
futures  choses  de  mon  temps  faire  ample  description. 
Disant  au  premier  que  le  très  cristien  Roy  Loys, 
doziesme  de  ce  nom,  au  comancement  de  l'an  susdit 
mil  cincq  cens  et  six,  estoit  dedans  sa  ville  de  Bloiz, 
la  Royne  avecques  luy,  et  madame  Glaude  leur  fille, 
laquelle  estoit  en  l'âge  de  sept  a  huyt  ans^  très  belle^ 
et  moult  bien  enseignée,  et  la  se  passa  le  temps  en 
toute  joye  et  plaisir  ;  car  le  Roy  estoit  lors  très  sain 
et  en  bon  point,  et  tous  ses  pays  eureulx  en  paix  et 
plantureux  en  biens.  Advint  que,  en  ce  temps,  sur  la 
fin  du  moys  d'apvril,  le  Roy,  pencent  en  ses  affaires, 
s'en  alla  a  Tours,  la  Royne  et  madame  Glaude  avec- 
ques luy,  et  fist  venir  devers  luy  Loyse  de  Savoye, 
contesse  d'Angolesme^,  et  ses  deux  ejifens,  lesqueulx 
estoyent  tant  bien  apriz  que  le  Roy  les  aymoit  moult 
a  certes,  et  tant  luy  estoit  agréable  le  filz,  qui  le  plus 

\.  Six  ans  et  demi. 

2.  Bonne,  excellente,  parfaite,  mais  belle,  non;  elle  était  même 
infirme. 

3.  Louise  de  Savoie  avait  obtenu  du  roi  la  tutelle  de  ses  enfants, 
qu'elle  gérait  avec  beaucoup  de  soin  et  d'économie.  Elle  profita 
des  circonstances  pour  obtenir  des  accroissements  de  pension. 
Le  roi  lui  donnait  en  outre  2,500  livres  par  an,  pour  arrérages 
d'un  prêt  de  40,000  livres  consenti  par  Charles  d'Angoulême  en 


44  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1506 

proche  a  venir  estoit  de  la  couronne,  que,  pour  ce  et 
autres  raisons  apparentes,  délibéra  luy  donner  madame 
Claude,  sa  fille,  en  mariage^,  pour  laquelle  chose  trec- 
ter  voulut  audit  lieu  de  Tours  tenir  conseil.  Dont 
envoya  a  tous  ses  parlemens  de  France  et  a  toutes  ses 
villes  pour  faire  venir  vers  luy  de  chascun  lieu  gens 
sages  et  hommes  consultez,  et  tant  que  en  peu  de 
temps  furent  en  ladite  ville  de  Tours,  de  chascune 
court  de  parlement,  presidans  et  conseilliers,  et  de 
toutes  les  principales  villes  de  France,  hommes  sages, 
ordonnez  et  députez  par  lesdites  villes  et  pays  de 
France,  comme  dit  est.  Aussi  y  estoyent  tous  les  sei- 
gneurs du  sang,  grant  nonbre  de  prelatz,  le  chancel- 
lier  et  tout  le  grant  conseil,  avecques  la  pluspart  de 
la  noblesse  du  Royaume  de  France.  Lorsque  tous  les 
Estatz  furent  la  ainsi  assemblez,  le  lundi,  le  mardi  et 
le  mercredy  des  Roisons^,  dedans  la  grant  salle  du 
Plessix,  le  Roy  tint  siège  royal,  auquel  lieu  furent 
assemblez  les  Estatz^,  c'est  assavoir  :  les  prelatz  de 

1495,  lors  de  la  campagne  de  Novare.  Louis  XII  remboursa  à 
Louise  ce  capital  en  1508  (fr.  20379,  p.  62). 

1.  Le  mariage  que  Louis  XII  avait  préparé  avec  tant  de  labeur 
devait  être  bien  peu  heureux,  car  les  deux  futurs  époux  recevaient 
une  éducation  fort  différente.  La  fille  de  Louis  XII  était  très 
sérieusement  élevée,  et  son  futur  mari  très  gaiement.  «  Ce  jeune 
prince,  »  dit  ÏHeptaméron  (nouvelle  IV),  «  étoit  fort  sujet  à  son 
plaisir,  aimant  la  chasse,  passetemps  et  danses...;  et  avoit  une 
femme  fort  fâcheuse,  à  laquelle  les  passetemps  du  mari  ne  plai- 
soient  point.  »  Aussi  avec  sa  femme  menait-il  toujours  sa  sœur, 
«  qui  étoit  de  joyeuse  vie...,  toutefois  sage  et  femme  de  bien.  » 

2.  Les  Rogations,  H,  12,  13  mai. 

3.  Le  13  mai  1506  seulement,  le  résident  impérial  J.  de  Cour- 
teville  écrit  que  les  États  vont  requérir  le  mariage  de  Claude  et 
du  «  dolphin  »  (Le  Glay).  Il  reçoit  fort  mal  cette  nouvelle,  inatten- 
due pour  lui  (Sanuto). 


Mai  1506]   CY  COMMENCENT  LES  CRONIQUES  ANNALLES.  45 

l'Eglise,  les  princes  et  seigneurs  du  royaume,  le  con- 
seil des  parlemens  et  des  villes  de  France;  sur  les- 
queulx  dudit  conseil  presidoit  messire  Guy  de  Roche- 
fort,  lors  chancelier  de  France.  Et  la  fut  tenu  conseil 
sur  le  trecté  dudit  mariage  et  oy  l'oppinion  de  chas- 
cun,  ou  plusieurs  belles  choses  furent  alléguées  et 
saines  oppinions  proposées,  comme  l'affaire  le  reque- 
roit,  en  quoy  gisoit  l'onneur  du  Roy,  la  seureté  du 
royaume  et  le  salut  de  la  chose  publicque.  Par  quoy, 
toutes  allegacions  oyes,  fut  uniquement  conclut  et  dit 
que,  pour  le  bien  et  utillité  du  royaume  de  France, 
ledit  mariage  se  devoit  aconplir  et  parfaire',  et,  de  ce 
faire,  chascun  desditz  Estatz,  et  tous  ensemble,  prye- 
rent  le  Roy.  Et,  pour  faire  la  proposicion  au  Roy, 
pour  les  villes  et  pays  de  son  royaume  de  France,  ung 
nommé  messire  Jehan  Rricot,  docteur  régent  a  Paris 
etchanoyne  de  Nostre  Dame,  fut  a  ce  ordonné^,  lequel 
monstra  au  Roy,  et  a  tous  les  assistans,  le  grant  bien 
et  proffitable  utiUité  qui,  pour  les  bonnes  aliénées  des 

1.  Il  manquait  le  consentement,  très  important,  des  Bretons, 
qui,  pour  mieux  marquer  leur  autonomie,  arrivèrent  à  part  et  ne 
se  mêlèrent  point  à  la  réunion.  Dès  que  les  Bretons  eurent  requis 
aussi  le  mariage,  le  roi  le  ût  de  suite  notifier'aux  ambassadeurs 
d'Allemagne  et  des  Pays-Bas  (Dépêche  de  Gourteville,  21  mai 
1506.  Le  Glay,  I,  138). 

2.  Il  prononça  du  roi  un  chaleureux  éloge;  il  en  dit  «  toutes 
les  louenges  que  on  sauroit  ne  pourroit  dire  de  roy  parfait  »  (Le 
Glay,  Négociations,  I,  136),  écrit  Gourteville  le  16  mai.  «  Quant 
aux  nouvelles  de  par  deçà,  il  y  en  a  de  bien  nouvelles,  telles  que, 
après  que  le  Roy  est  venu  en  ceste  ville,  se  sont  icy  assemblez 
les  Estats  de  France  :  aussi  y  sont  tous  les  princes  et  princesses 
de  ce  royaulme.  »  Jeudi  dernier,  leur  orateur,  en  audience  solen- 
nelle des  États,  «  en  salle  ouverte,  »  requit  le  mariage  :  le  chan- 
celier répondit  qu'on  en  conférerait.  On  attend  les  envoyés  de 
Bretagne. 


46  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1506 

amys  cognuz,  et  le  grant  péril  et  mortel  danger  de 
celles  des  reconcilyez  et  ennemys  couvers,  se  peuvent 
ensuyvre  et  advenir  sur  le  royaume  de  France  et  a 
toute  la  chose  publicque,  comme  autresfoys  par 
aliénées  estranges  en  estoit  advenu;  a  quoy  estoit 
obvyer  sur  toutes  choses  et  a  ce  avoir  singulier  esgard. 
Plusieurs  autres  bonnes  raisons  et  propos  afferens  a 
ladite  matière  dit  ledit  Bricot*,  et  tant  que  le  Roy, 
veu  l'oppinion  de  son  conseil  ^  et  la  prière  de  chascun, 

1.  Cette  célèbre  scène  fut  fort  émouvante.  Tous  les  députés,  à 
genoux,  pleuraient.  Le  roi  était  ému  jusqu'aux  larmes,  lorsque 
Bricot  le  proclama  Père  de  la  France  (cf.  Cl.  de  Seyssel,  p.  2; 
Lettres  de  Louis  XII,  I,  43  et  suiv.;  Saint-Gelais,  p.  181).  C'est  de 
là  qu'est  venu  à  Louis  XII  le  surnom  si  justifié  de  Père  du  peuple. 
Il  faut  observer  que,  dans  le  langage  de  l'époque,  cette  expression 
n'avait  pas  le  sens  précis  que  nous  lui  attribuons.  Le  commence- 
ment du  xvi«  siècle  est  une  époque  de  paix  sociale  très  profonde, 
d'accord  parfait.  On  attribuait  volontiers  aux  souverains  le  nom 
de  «  Père,  »  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui  en  Russie.  Lau- 
rent de  Médicis,  à  Florence,  prit  ce  titre  (Roscoe,  Vie  de  Laurent 
de  Médicis,  édit.  franc.,  I,  397);  l'amiral  de  Graville,  puis  le  car- 
dinal d'Amboise,  comme  lieutenants  généraux  de  Normandie,  en 
furent  honorés  par  les  États  de  ce  pays  (notre  Histoire  de  Louis  XII, 
t.  III).  En  octobre  1501,  Louis  XII  prend  envers  l'empereur  l'en- 
gagement de  ne  jamais  «  nous  porter  ne  nommer  père  du  pays 
d'itallye  »  (K.  1639,  d,  3).  Néanmoins,  le  nom  de  Père  du  peuple, 
qui  fut  donné  à  Louis  XII,  témoigne  d'un  état  d'àme  tout  parti- 
culier et  d'un  véritable  élan  d'affection  populaire.  L'appréciation 
de  Jean  d'Auton  à  cet  égard  est  corroborée  par  celle  de  Jean 
Bouchet  {Épistres  familières,  ép.  14«,  et  dédicace  du  Panégyrique 
à  FI.  Robertet),  d'après  lequel  Louis  XII  reçut  ce  nom  de  Père 
du  peuple  à  cause  de  son  extrême  souci  de  ne  pas  accroître  les 
tailles,  et  aussi  à  cause  de  sa  bonté  et  de  son  soin  de  la  justice. 
Il  est  le  seul  roi  de  France  qui  l'ait  reçu. 

2.  Dans  sa  dépêche  du  21  mai  1506,  Courteville  rapporte  qu'il 
a  été  tenu  un  grand  conseil  extraordinaire  des  princes  du  sang, 
prélats,  conseillers,  qui  furent  unanimes  à  appuyer  la  demande 


Mai  1506]   CY  COMMENCENT  LES  CRONIQUES  ANNALLES.  47 

consentit  ledit  mariage,  et  devant  tous,  par  la  main 
de  maistre  Georges,  cardinal  d'Amboyse  et  légat  en 
France,  les  fist  fyencer  le  jour  de  l'Ascencion,  dedans 
la  grant  salle  du  Plessiz  lez  Tours^.  De  quoy,  par  tout 
le  royaume  de  France,  furent  faictz  les  feuz  de  joye~. 

des  États  :  mardi  dernier,  l'archevêque  de  Sens,  MM.  de  Piennes, 
du  Bouchage  et  un  maitre  des  requêtes  vinrent  trouver  Courte- 
ville  pour  lui  notifier  la  nouvelle.  Ils  alléguèrent  les  promesses 
du  sacre,  qui,  selon  eux,  priment  toutes  les  autres.  Gourteville 
les  écouta  patiemment,  sans  dissimuler  son  étonnement  par 
suite  des  traités  et  de  la  ratification  de  l'année  précédente  (Le 
Glay,  I,  138).  Haneton,  dans  sa  Oironique,  donne  un  récit  ana- 
logue de  la  scène  des  États. 

1.  Le  chancelier  annonça  les  fiançailles  le  19  mai,  et  elles  furent 
célébrées  le  21.  Jean  d'Auton  passe  assez  rapidement  sur  ces  évé- 
nements :  «  la  Royne  estoit  moult  desplaisante  de  che  que  se  fai- 
soit  »  (Le  Glay,  Négociations,  I,  142). 

2.  Le  contrat  de  mariage  avait  été  solennellement  signé.  On  le 
fit  confirmer  par  un  serment  spécial  des  bonnes  villes  (J.  951; 
Musée  des  Archives,  n»  550;  Archives  de  Lyon,  AA.  160;  Archives 
de  Dijon,  B.  7  ;  Mémoires  de  Bretagne,  U,  1572;  Dumont,  IV,  i,  56; 
Le  Glay,  1, 138;  Sanuto,  etc.).  Le  traité  de  mariage  contenu  dans 
les  patentes  du  22  mai  1506  stipule  le  mariage  (les  fiançailles  étant 
déjà  faites)  :  on  s'engage  à  l'accomphr  dès  la  puberté  des  époux. 
La  dot  de  Claude  comprendra  les  terres  d'apanage  (Blois,  Asti, 
Soissons,  Goucy)  ;  le  roi  s'en  réserve  l'usufruit.  S'il  a  un  fils  mâle, 
il  pourra  les  retirer,  en  échange  d'une  rente  de  20,000  livres  avec 
titre  ducal;  la  reine  donne  en  dot  100,000  écus  d'or,  en  deux 
annuités.  Mais,  si  la  reine  a  un  fils,  elle  pourra  disposer  du  duché 
de  Bretagne  pour  ce  fils,  nonobstant  son  propre  contrat  de  mariage 
avec  le  roi,  auquel  on  est  d'accord  de  déroger.  On  convient  du 
douaire  habituel  des  reines.  Le  contrat  est  signé  à  Montils-lès- 
Tours,  par  le  roi,  la  reme,  Louise  de  Savoie;  contresigné  par  le 
cardinal  d'Amboise,  i'évèque  de  Paris,  l'évèque  de  Nantes,  MM.  de 
Rohan,  de  Uieux,  le  chancelier  de  Bretagne,  Jean  de  Ganay, 
le  général  de  Bretagne  (Rousset,  Suppl.  du  Corps  diplomatique, 
II,  1, 12).  On  voit  que,  pour  obtenir  le  consentement  de  la  reine, 
il  avait  fallu  lui  faire  une  concession  importante.  —  La  forme  du 
serment  prêté  par  les  villes  varie  beaucoup.  Le  carton  J.  951  des 


48  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1506 

Apres  les  fiençailles  faictes,  les  princes  et  seigneurs 
de  France  et  autres  gentisliommes  a  grosses  bendes 

Archives  nationales  contient  les  serments  prêtés  par  Troyes, 
Lyon  (19  mai),  Tours  (27  mai),  Orléans  (28  mai),  Rouen  (30  mai), 
Reims(8  juin),  Dijon  (14  juin),  Amiens  (17  juin),  Toulouse  (18  juin), 
Bourges  (22  juin),  Montpellier  (3  juillet),  Abbeville  (7  juillet),  Bor- 
deaux (8  juillet).  Sens,  Angers  (10  juillet),  Poitiers  (22  juillet).  On 
voit  par  ces  dates  que  des  mesures  préventives  avaient  été  prises. 
Les  habitants  furent  réunis  par  les  députés,  ou  bien  à  son  de  trompe. 
A  Orléans,  même,  ils  reçurent  l'ordre  d'envoyer  une  personne  par 
feu,  sous  peine  de  cinq  sous  d'amende.  Dans  la  réunion,  on  lut 
l'engagement  pris  par  les  députés  d'obtenir  la  ratification  du  ma- 
riage par  les  habitants  de  la  ville  avant  la  Madeleine,  ou  bien  les 
députés  exposèrent  verbalement  l'engagement  qu'ils  avaient  sous- 
crit. Partout,  les  habitants  promirent  ou  jurèrent  de  maintenir  le 
projet  de  mariage.  Le  roi  se  préoccupa  très  vivement  d'obtenir 
aussi  l'engagement  des  Milanais.  Un  ordre  du  sénat  de  Milan, 
du  4  juin  1506,  prescrivit  au  vicarius  provisionum  de  réunir  les 
habitants  par  paroisse,  pour  élire  des  députés  [nuntii)  chargés 
d'aller  en  France  accomplir  ce  que  réclamait  le  roi  (Angiolo 
Salomoni,  Memorie  storico-diplomatiche,  p.  6).  Le  viguier  répondit 
qu'à  Milan  on  n'avait  pas  l'habitude  de  semblables  élections, 
qu'il  n'y  avait  pas  de  précédents  pour  un  vote  au  suffrage  univer- 
sel. Il  demanda  que  les  députés  fussent  élus  par  les  XII  de  provi- 
sion et  quelques-uns  des  principaux  citoyens  :  le  sénat  autorisa, 
le  2  juillet,  cette  procédure  (J.  951,  n"  7).  Jean-Étienne  GastigUone, 
sénateur,  et  Scaramouche  Visconti  furent  ainsi  délégués,  le 
3  juillet;  la  chancellerie  reçut  ordre,  le  18  juillet,  de  leur  libeller 
des  lettres  de  créance,  comme  à  des  envoyés  ordinaires  (A.  Sa- 
lomoni, op.  cit.,  p.  6).  L'assemblée  électorale  se  composait  de 
citoyens  notables,  dévoués  à  la  France,  Antonio-Maria,  marquis 
Pallavicini,  Teodoro  Trivulzio,  le  comte  Lodovico  Bonromeo, 
sénateur,  etc.,  et  les  envoyés  reçurent,  avec  le  titre  d'ambassa- 
deurs, la  simple  mission  de  féliciter  le  roi,  de  jurer  l'observation 
de  sa  décision  (Copie  du  procès-verbal,  J.  951).  Louis  XII  jugea 
prudent  d'aller  plus  loin  :  un  ordre  royal,  signé  au  Plessis-lès- 
Tours,  le  21  juillet  1506,  et  revêtu  du  grand  sceau  de  majesté  en 
cire  jaune,  ordonna  que  tous  les  capitaines  des  places  de  Milan 
et  de  Gênes,  tous  les  commandants  de  bandes  ou  de  compagnies 
jureraient  de  bien  et  loyalement  servir,  si  le  roi  mourait  sans 


-Mai  1506]  CY  COMifENCEXT  LES  OROMQUES  ANN.iLLES.  49 

se  préparèrent  a  faire  joxtes  et  tournoys^,  dont,  des- 
soubz  le  Plessix.  près  le  colUege  des  Bons  Hommes-, 
entre  la  muraille  du  parc  et  la  rivière,  furent  faictes 
les  lices.  Ce  jour,  le  Roy  fist  faire  la  monstre  de  ses 
gentishommes  entre  la  muraille  du  parc  et  la  rivière, 
ou  furent  tous  armez  et  montez,  leurs  chevaulx  bardez 
et  couvers  de  draps  d'or  et  d'orfevrerye,  dont  plu- 
sieurs d'iceulx  menoyent,  les  ungs  xn  grans  chevaulx, 
les  autres  xiiii  et  les  autres  xx.  tous  chevaulx  de  priz 
et  gorierement  acoutrez,  et  eulx  tous  vestus  de  drap 
d'or  et  autres  riches  paremens.  Ausi  les  quatre  cens 
archiers  de  la  garde  firent  la  leur  monstre. 

Messire  Guyon  d'Amboise  tint  ce  jour  ung  combat 
en  foulle  de  xn  gentishommes  contre  xn,  desquelz  il 
en  menoit  xn,  et  ung  autre  gentilhomme,  nommé 
Mollart  SutB^ay  \  les  autres  doze.  Avecques  eulx  estoit 
ung  nommé  messire  Françoys  de  Daillon,  lequel  avoit 
avecques  luy  quarante  autres  gentishommes,  tous 
montez  et  armez  a  lalbanose  et  a  la  turque,  lesquelz, 

enfants  mâles,  jusqu'au  mariage  effectif  de  Claude  :  nul,  sauf 
Louis  xn,  ne  pourrait  les  délier  de  ce  serment  ni  les  destituer 
pour  ce  motif,  avant  que  Louis  XII  eût  un  âls  mâle  ou  que  sa 
fille  Claude  fût  mariée  (J.  951).  Pour  expliquer  ce  luxe  extraor- 
dinaire de  précautions  et  l'émotion  intense  du  royaume,  il  faut 
se  rappeler  que  la  vie  du  roi,  au  dire  des  médecins,  ne  pouvait 
pas  dépasser  le  mois  de  janvier,  que  la  France  se  trouvait  entou- 
rée d'ennemis  acharnés  et  que  son  avenir  dépendait  entièrement 
du  mariage  de  Claude  avec  l'héritier  de  la  couronne,  contraire- 
ment aux  vœux  de  la  reine. 

1.  Le  mariage  est  fait;  il  y  a  o  feus  et  joie  >  par  la  ville;  la 
semaine  prochaine,  on  donnera  de  grandes  joutes  et  tournois. 
«  Quy  quy  en  ait  joie,  je  n'y  prens  nul  plaisir,  »  écrit  le  résident 
J.  de  Courteville,  le  24  mai*  1506  (Le  Glay,  I,  142). 

2.  Couvent  de  Saint-Françuis  de  Paule. 

3.  Mollart  SuÛYay,  seigneur  d'Uriage. 

IV  '        "  4 


50  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1506 

premier  que  assembler,  firent  leur  descœuvre,  courses 
et  escarmouches  de  chevaulx  legiers  en  manière  de 
mortelle  bataille  et  guerre  ouverte.  Le  Roy  fist  la 
mectre  et  atiltrer  force  grosse  artillerye,  qui,  durant 
l'escarmouche,  fut  tirée  et  ruée  contremont  autour  de 
la  bataille,  comme  en  manière  de  donner  sur  les  enne- 
mys.  Et,  après  lesdictes  courses  et  escarmouches,  les 
gens  d'armes  des  deux  batailles,  tous  en  fouUe,  adres- 
sèrent les  ungs  contre  les  autres  de  telle  roydeur  que, 
au  choquer,  toutes  les  lances  allèrent  par  esclatz,  et 
puys  a  grans  coups  d'espée  s'entremeslerent  et  com- 
batirent  longuement,  et  tant  que  le  Roy  les  fist 
départir.  Ce  faict,  le  seigneur  de  la  Crote,  avecques 
ses  chevaulx  legiers,  donna  sur  l'artillerye,  et  luy  et 
ses  gens  icelle  gaignerent  et  enmenerent,  en  faisant 
toute  la  manière  de  guerre  mortelle.  Ce  que  la  Roy  ne 
regarda,  et  les  dames  qui  avecques  elle  estoyent\ 
disant  que  c'est  estrange  chose  que  la  guerre  et  mer- 
veilleuse a  regarder. 

Deux  jours  après,  ledit  messire  Guyon  d'Amboise 
tint  ung  pas  aux  lices,  et  avecques  luy  messire  Fran- 
çoys  de  Daillon,  Françoys  de  Maugiron,  le  seigneur  de 
Gimel,  l[e]  bastard  de  Luppé,  Ghevrieres,  Rochebaron, 
le  seigneur  de  Beaumont,  le  seigneur  de  la  Fayete,  le 
seigneur  de  Gastelpers  et  ung  nommé  Le  Croc,  les- 
quelz  tindrent  le  pas. 

Les  assaillans  furent  le  duc  de  Bourbon,  lequel 
ouvrit  le  pas,  le  conte  de  Vandosme,  le  prince  de 
Talmont,  Guy  de  Laval,  Jacques  de  Bourbon,  conte 

1.  Parmi  les  dames  alors  présentes  à  la  cour,  Saint-Gelais  cite 
Mmes  de  Bourbou,  d'Alençou  et  leurs  tilles,  M™«s  je  Taillebourg, 
de  Veudùme,  de  Nevers,  de  Dunois,  de  la  TrémoïUe  et  sa  fille. 


Mai  1506J  GOMMANT  LE  ROY  BNVOYA,  ETC.  51 

de  Roussillon,  messire  Jacques  du  Fahy  et  Françoys 
d'Ars,  lesquelz  combatirent  a  cheval,  et  a  la  bariere 
a  pié,  ou  fut  la  donné  mains  coups  de  lance  et  d'es- 
pée,  tellement  que  chascun  des  combateurs  y  eut  hon- 
neur et  le  Roy  plaisir^ . 

Gela  faict,  les  estrangiers  se  retirèrent,  et  la  court 
demeura  audit  lieu  de  Tours. 


II. 


Gommant  le  Roy  envoya  messire  Françoys  de  Roghe- 

CHOUART  AVECQUES  AUTRES  EN  EMBAXADE  DEVERS 
LE  ROY  DES  ROMMAINS. 

Le  mariage  faict,  comme  j'ay  dit^,  le  Roy  envoya 

1.  Cf.  Sanuto. 

2.  Par  une  coïncidence  singulière,  Jean  de  Saint-Gelais,  l'his- 
torien, dont  on  incriminait,  à  tort  ou  à  raison,  les  rapports  avec 
Louise  de  Savoie,  maria  sa  fille  unique  quelques  jours  plus  tard, 
le  17.  juin  1506.  Le  contrat  ne  met  en  cause  que  des  familiers  de 
Louise  de  Savoie;  d'un  côté  :  Jean  de  Saint-Gelais,  seigneur  et 
baron  de  Montlieu,  et  demoiselle  Jeanne,  sa  fille;  de  l'autre  : 
noble  et  puissant  seigneur  Jean  de  Mareuil,  seigneur  et  baron  de 
Montmoreau,  et  vénérable  personne  Jean  ÇaJveau,  conseiller  des 
requêtes  de  la  comtesse  d'Angoulême  et  du  duc  de  Valois,  pro- 
cureur du  cardinal  Philippe  de  Luxembourg,  évêque  du  Mans, 
tuteur  et  curateur  de  noble  et  puissant  seigneur  Charles  Chabot, 
baron  et  seigneur  de  Jarnac,  et  de  demoiselle  Catherine  Chabot, 
ses  neveu  et  nièce  (fils  et  fille  de  Madeleine  de  Luxembourg); 
Saint-Gelais  donne  à  sa  fille  2,000  livres  comptant,  pour  meubles 
qui  deviennent  communs,  et  à  son  décès  16,000  livres,  ou  600  fr. 
de  rente;  en  attendant,  une  pension  de  300  livres  par  an.  S'il  n'a 
pas  de  fils,  elle  héritera  de  tous  droits,  aînesse  et  autres.  Elle 
succédera  toujours  à  Montlieu  et  Sainte-Aulaire,  s'il  n'a  que  des 
filles.  Charles  Chabot  et  ses  hoirs  seront  tenus  de  porter  le  nom 
et  les  armes  de  Saint-Gelais  avec  les  leurs  :  s'ils  s'y  refusaient. 


52  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1506 

en  ambaxade,  devers  le  Roy  des  Rommains,  messire 
Françoys  de  Rochechouart,  et  avecques  luy  maistre 
Anthoine  du  Prat,  maistre  des  requestes,  et  maistre 
Anthoine  Jourdan,  segretaire  dudit  seigneur,  lesquelz, 
près  a  partir,  despescherent  par  le  commandement 
du  Roy  ung  ayrault,  lequel  envoyèrent  devant  porter 
les  lectres  du  Roy  au  Roy  des  Rommains,  et  pour 
l'avertir  de  la  venue  d'iceulx  ambaxadeurs^.  Lequel 
ayrault  se  mist  a  chemin  a  toute  diligence,  et  tant 
qu'il  arriva  en  Ongrye,  ou  trouva  ledit  Roy  des 
Rommains  en  camp,  faisant  la  guerre  a  ung  conte  du 
pays,  nommé  le  conte  Estephe,  pour  ce  qu'il  vouloit 
avoir  la  fille  du  Roy  de  Hongrie^,  que  le  Roy  des  Rom- 
mains vouloit  avoir  pour  le  filz  du  Roy  de  Gastille.  Le 
Roy  des  Rommains,  après  avoir  receues  les  lectres  du 
Roy,  despescha  ledit  ayrault  et  luy  bailla  ung  de  ses 
postes  pour  le  mener  devers  lesdiz  ambaxadeurs  de 
France,  et  iceulx  advertir  de  son  vouloir.  Sur  ce,  se 
mirent  a  chemin  ledit  ayrault  et  la  poste  pour  retour- 
ner devers  lesditz  ambaxadeurs,  lesquelz  estoyent  par- 
tiz  de  Tours  le  xxv""®  jour  du  moys  de  may  en  l'an 

Monilieu  et  Sainte- Aulaire  passeraient  aux  héritiers  les  plus  rap- 
prochés, avec  la  même  obligation,  et  M.  et  M™^  Chabot  auraient, 
en  tout  et  pour  tout,  25,000  livres.  Le  contrat  porte  enfin  par- 
tage de  M.  et  M^'^  Chabot  ;  celle-ci  reçoit  les  biens  laissés  par  sa 
mère  en  Picardie,  plus  10,000  livres  (Copies  ;  fr.  2748,  fol.  267  et 
suiv.;  fr.  11195,  2"  partie). 

1.  Cette  précaution  était  utile,  car  la  mission  avait  pour  but 
d'expliquer  au  roi  des  Romains  le  mariage  de  Claude,  qui  renver- 
sait tous  les  projets.  On  disait  Maximilien  d'accord  avec  la  Hon- 
grie et  prêt  à  expédier  à  Gonzalve  de  Cordoue  une  armée  de 
secours  (Desjardins,  II,  171).  D'après  Sanuto  (VI,  357),  Accurse 
Maynier  fut  aussi  envoyé  pour  les  négociations  avec  la  Hongrie. 

2.  Agée  de  deux  ans. 


Juin  1506J  GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  53 

susdit  mille  GGGGG  et  VI,  et  avoyent  pris  leur  chemin 
a  Orléans,  a  Troys,  a  Bar  le  Duc,  a  Nanxi  et  a  Stra- 
bourg.  Or,  avoit  ledit  messire  Françoys  de  Roche- 
chouart  lectres  du  Roy  pour  bailler  a  l'evesque  de 
Strabourg^  frère  du  duc  de  Bavyere;  ausi  avoit 
lectres  adressans  au  marquis  de  Baulde  et  au  duc  de 
Virtamberg,  lequel  duc  estoit  a  une  sienne  place, 
nommée  Estoquart^;  d'Estoquart  furent  a  Orne^,  et 
la  se  misrent  sur  la  reviere  de  la  Dunoe^  et  par  icelle 
rivière  furent  jucques  a  une  ville  nommée  Regense- 
bourg^,  es  aultcs  AUemaignes,  ou  illecques  trouvèrent 
leur  ayrault  et  le  poste  du  Roy  des  Rommains,  lequel 
leur  bailla  lectres  par  lesquelles  leur  mandoit  qu'il 
leur  envoyoit  deux  de  ses  gentishommes  pour  les 
mener  en  la  conté  de  Garinte^  en  Autrice,  leur  man- 
dant que  la  oyroyent  de  ses  nouvelles.  Or,  estoit  ladite 
conté  de  Garinthe  a  plus  de  dix  journées  loings  du  lieu 
ou  estoit  lors  le  Roy  des  Rommains.  Dont  messire 
Françoys  de  Rochechouart,  principal  ambaxadeur  pour 
le  Roy,  voyant  l'esloing  de  son  chemin  et  la  haste  de 
son  message,  dist  qu'il  n'yroit  audit  lieu  de  Garinte, 
mais  remanda  au  Roy  des  Rommains,  par  son  poste, 
qu'il  avoit  charge  du  Roy  son  maisfre  de  luy  dire  de 
bonnes  choses  et  dilligenter  son  voyage;  par  quoy  le 
prioit  qu'il  luy  plust  ne  le  renvoyer  si  loings  de  luy, 
mais  le  vousist  despescher  au  plus  tost  qu'il  auroit 


1.  Albert  de  Bavière. 

2.  Stuttgart. 

3.  Ulm. 

4.  Donau  (Danube). 

5.  Regensburg  (Ratisbonne). 

6.  Garinthie. 


54  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1506 

temps  de  ce  faire.  Tantost  que  le  Roy  des  Rommains 
eut  sceue  l'intencion  de  l'ambaxade,  luy  remanda, 
puys  qu'il  ne  se  vouloit  eslongner  ne  aller  en  ladicte 
conté  de  Carinthe,  qu'il  s'en  allast  en  la  ville  de  Lins* 
en  Autrice,  assés  près  de  luy,  et  que  la  sauroit  ou  se 
devroit  trouver  pour  aller  a  luy.  Dont  s'en  alla  avec- 
ques  les  autres  ambaxadeurs  le  long  de  la  Dunoue 
jusques  au  lieu  de  Lins,  très  belle  ville,  en  laquelle  le 
feu  empereur  Frederich,  père  dudit  Roy  des  Rom- 
mains, se  tenoit  et  y  mourut,  ou  la  lesditz  ambaxa- 
deurs actendirent  l'espace  de  huyt  jours  pour  cuyder 
avoir  responce  dudit  Roy  des  Rommains,  lequel  ne 
sonnoit  mot.  A  cette  fin  renvoyèrent  par  devers  luy 
pour  savoir  qui  luy  plaisoit  de  faire  sur  leur  charge. 
Lequel  de  rechief  leur  manda  qu'il  l'alassent  actendre 
a  ung  autre  lieu  nommé  Isenays,  en  la  conté  d'Estayez^, 
aux  montaignes  d'Autrisse,  au  mesme  lieu  ou  sont  les 
mynieres  de  fer,  dont  il  tire  tous  les  ans  plus  de  cent 
mille  florins  de  proffict.  La  ariverent  lesditz  ambaxa- 
deurs le  premier  jour  d'aoust.  Ce  mesme  jour  arriva 
illecques  ung  des  gentishommes  du  Roy  des  Rom- 
mains pour  dire  ausditz  ambassadeurs  qu'il  leur  man- 
doit  qu'il  n'yroit  audit  lieu,  mais  qu'il  s'en  allassent 
l'actendre  a  ung  autre. lieu  nommé  Graiz^,  quatre 
journées  plus  bas,  tirant  en  la  Hongrie  a  une  repeue 
près,  ce  qu'il  firent;  et  eulx  estant  la  furent  quatorze 
jours  entiers  sans  avoir  aucunes  nouvelles  du  Roy  des 
Rommains,  lequel  faisoit  toutes  ses  dissimullations  et 
csloing  de  parler  ausditz  ambassadeurs,  atïîn   qu'il 

1.  Linz. 

2.  Eisenerz,  en  Styrie. 

3.  Graz,  capitale  de  la  Styrie. 


Août  1506]         GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  55 

n'allassent  par  devers  luy  et  qu'ilz  n'eussent  veue  et 
cognoissance  de  l'armée,  qu'il  avoit  tant  pouvre  et 
desordonnée  que  a  iceulx  Françoys  ne  l'eust  voulu 
monstrer  pour  chose  du  monde  ;  car  ses  gens  estoyent 
a  peu  de  nombre  et  nudz  comme  Arabbes.  Mais,  pen- 
dant ce  qu'il  desloignoit  lesditz  ambassadeurs,  il  trecta 
d'appoinctement  avecques  les  Hongres,  qui  plus  puis- 
sans  de  beaucoup  estoyent  que  luy  ;  car,  estans  lesditz 
ambassadeurs  a  Lins,  iceulx  Hongres,  jucques  a  une 
lieue  près  du  camp  du  Roy  des  Rommains,  brullerent 
trente  et  cinq  villaiges  de  ses  pays,  sans  ce  qu'il  leur 
donnast  ung  seul  allarme;  ains  trecta  d'appoincte- 
ment, et  après  avecques  ses  gens  s'en  alla  a  une  ville 
nommée  Vyenne  en  Autrisse,  et  de  la,  pour  conclure 
dudit  appoinctement,  envoya  devers  les  Hongres  ung 
chevallier  des  siens,  bien  fort  son  recomandé,  lequel 
s'en  alla  droict  au  camp  d'iceulx  Hongres,  a  une  lieue 
près  du  heu  ou  le  Roy  des  Rommains  avoit  tenu  son 
camp.  Et,  lorsque  ledit  chevallier  approcha,  cuydant 
faire  son  ambassade,  la  commune  gent  du  camp  des 
Hongres  se  meut,  et,  sans  avoir  esgart  a  la  seurté  que 
doyvent  avoir  ambassades,  coururent  sus  audit  che- 
valier, disant  :  «  Nous  ne  voulons  appoinctement  ne 
paix  au  Roy  des  Rommains,  qui  sans  juste  querelle 
vient  assaillir  noz  pays  et  nous  faire  la  guerre;  »  et, 
ce  disant,  sans  vouloir  oïr  ledit  chevallier,  le  tuèrent 
sur  le  camp. 

Dedans  Vienne  estoient  lors  les  ambassades  des 
Hongres  devers  le  Roy  des  Rommains,  qui  tantost 
sceut  la  mort  de  son  chevalier  que  les  Hongres  avoient 
occys;  de  quoy  fut  moult  courroucé,  mais  dissimulla 
pour  l'eure.  Toutesfoys  le  peuple  de  Vienne  se  meut 


56  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1506 

ausi,  voulant  tuer  les  ambassades  des  Hongres  et  leur 
faire  jeu  party  ;  ce  que  ne  voulut  le  Roy  des  Rom- 
mains  pour  l'onnesteté  garder  et  l'envye  qu'il  avoit 
d'avoir  paix  avecques  eulx  ;  par  quoy  rapaisa  tout  et  la 
conclut  son  appoinctement  tel  que  les  Hongres  luy 
baillèrent  deux  mille  beufz  et  troys  mille  aulnes  de 
drap  pour  nourir  et  vestir  ses  gens,  qui  bon  besoing 
en  avoyent,  lesqueulx  il  disoit  vouloir  mener  avecques 
luy  a  Romme  pour  se  faire  la  couronner  empereur. 
Ainsi  fut  conclut  le  trecté  d'entre  luy  et  les  Hongres. 
Par  quoy,  fist  partir  ce  qu'il  avoit  de  gens  d'armes  en 
son  armée  et  les  fist  marcher  le  chemin  de  Romme 
jusques  au  bout  de  ses  pays,  et  arrester  en  une  ville 
nomée  Vilhac^  prochaine  ville  de  la  terre  de  Sainct 
Marc,  et  luy  demeura  dedans  les  montaignes  d'Au- 
trice,  a  la  chace  des  cerfz  et  des  cliamoys,  ou  print 
ung  grant  cerf  a  merveilles,  et  plus  grant  que  autre 
communément,  car  il  avoit  cinq  piedz  de  haulteur, 
duquel  il  fist  mectre  la  grandeur  en  toille,  qu'il  donna 
pour  la  nouvellecté  a  messire  Françoys  de  Roche- 
chouart,  ambassadeur  pour  le  Roy,  et  depuys  luy 
envoya  les  cornes  jusques  a  Grenoble,  lesquelles 
estoyent  si  grandes  et  massyves  qu'elles  pesoyent  qua- 
rente  et  deux  livres,  et  icelles  donna  pour  estrange 
présent  au  cardinal  d'Amboise-. 

Or  estoyent  lesdiz  ambassadeurs  audit  lieu  de  Graiz, 
ausquculx  il  ennuyoit  moult  de  ce  qu'ilz  n'avoyent 
nouvelles  du  Roy  des  Rommains,  dont  messire  Fran- 
çoys de  Rochechouart,  gi*ant  ambassadeur  ])our  le  Roy, 

1.  Villach? 

2.  Le  roi  fit  monter  des  cornes  de  ce  genre,  sur  un  cerf  de 
cire,  dans  le  jardin  de  Blois. 


Août  1506]  GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  57 

luy  envoya  ung  gentilhomme  des  siens,  nommé  Ger- 
main de  Mauleon,  pour  le  prier  et  requérir  que  son 
plesir  fust  de  le  vouloir  oyr,  ou  autrement,  veu 
la  longtaineté  du  temps  de  son  voyage  et  la  charge 
hastive  qu'il  avoit  du  Roy  son  maistre,  s'en  retourne- 
roit  sans  luy  dire  ladicte  charge.  Et,  sur  ce,  manda  le 
Roy  des  Rommains  audit  ambassadeur  qu'il  se  ren- 
dist  a  une  ville  nommée  Loven  ^  a  troys  journées 
dudit  Graiz,  sur  la  rivière  de  Meure  ^,  qui  passe  audit 
lieu  de  Graiz,  ou  se  rendit  ledit  messire  Françoys  de 
Rochechouart  avecques  les  autres  ambassadeurs,  et  la 
trouva  les  gens  du  Roy  des  Rommains,  lesquelz  les 
logèrent  dedans  une  petite  abbaye,  a  ung  cart  de 
heue  de  Loven,  ou  deux  jours  après  se  rendit  le  Roy 
des  Rommains.  Et,  le  lendemain  qu'il  fut  la  arrivé, 
manda  lesditz  ambassadeurs  et  leur  envoya  cinquante 
gentishommes  des  siens  jucques  a  leur  logis  pour  les 
conduyre  et  mener  audit  lieu  de  Loven  par  devers 
luy,  lesqueulx  se  mirent  a  chemin,  en  divisant 
ensemble  de  choses  joyeuses.  Et,  en  aprochant  la 
porte  de  la  ville  d'ung  trect  d'arc  près,  leur  vint  au 
devant  l'arcevesque  de  Tresves,  filz  du  marquis  de 
Baulde,  ung  sien  jeune  frère  avecques  luy,  et  grant 
suyte  d'autres  gentishommes  du  pays,  lesqueulx  menè- 
rent lesditz  ambassadeurs  descendre  au  logis  dudit 
arcevesque.  Et,  après  collation  faicte,  et  qu'ilz  furent 
prestz,  le  Roy  des  Rommains  les  manda  venir  par 
devers  luy,  ce  qu'ilz  firent,  et  s'en  allèrent  a  son  logis 
et  montèrent  en  sa  chambre.  Messire  Françoys  de 
Rochechouar  entra  le  premier,  ou  trouva  le  Roy  des 

1.  Leoben. 

2.  Muhr. 


58  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1506 

Rommains,  la  accompaigné  du  duc  de  Juilliers',  du 
marquis  de  Brandebourg-,  du  conte  de  Sorne*  et  de 
l'evesque  de  Gurse. 

A  la  venue  desditz  ambassadeurs,  le  Roy  des  Rom- 
mains se  leva  de  la  chaire  et  fut  au  devant  jucques  a 
moylié  de  la  chambre,  et  la  mist  la  main  au  bonnet, 
en  demandant  a  messire  Françoys  de  Rochechouart, 
principal  ambassadeur,  commant  se  portoit  le  Roy  de 
France,  son  frère  ;  lequel  de  Rochechouart  luy  dist  : 
«  Sire,  il  faîct  très  bonne  chère  et  se  recommande  a 
vous.  »  Et  lors  le  Roy  des  Rommains  le  prist  par  la 
main  et  le  tira  a  part  a  une  fenestre  de  la  chambre, 
ou  luy  demanda  s'il  vouloit  dire  sa  charge  en  public 
ou  a  part,  lequel  dist  que  tout  ainsi  qu'il  luy  plairoit 
et  qu'il  vouloit  bien  dire  devant  tous  ;  ce  qu'il  accorda 
voluntiers.  Et  lors  maistre  Anthoyne  du  Prat,  ung 
desditz  ambassadeurs,  s'avança  et,  pource  que  tous 
les  assistans  n'entendoyent  le  françoys,  commança  a 
dire  en  hault  et  rethoric  latin  la  charge  de  leur  ambas- 
sade, laquelle  contenoit  commant  le  Roy,  pour  le 
bien  et  utilité  du  royaume  de  France,  et  a  la  prière 
et  requeste  et  par  l'advys  et  délibération  du  conseil 
des  Troys  Estatz  de  France,  il  avoit  donné  en  mariage 
madame  Glaude,  sa  tîUe,  a  Françoys  d'Orléans,  conte 
d'Angolesme,  le  plus  proche  a  venir  de  la  couronne  ; 
de  quoy  en  vouloit  bien  advertir  ledit  Roy  des  Rom- 
mains, et,  au  surplus,  que  le  Roy  vouloit  et  desiroit 
avoir  tousjou[r]s  bonne  paix  et  amour  avecques  luy,  et 
en  oultre  vouloit  savoir  si  le  Roy  des  Rommains  vou- 

1.  Guillaume  de  Juliers. 

2.  Joachim  de  Brandebourg. 

3.  Le  comte  de  ïlorn? 


Août  1506]  GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  59 

loit  tenir  l'accord  qu'i  avoit  faict  touchant  l'investi- 
ture de  la  duché  de  Millan  pour  madamme  Glaude  et 
ses  sucesseurs. 

Autres  articles  furent  la  pour  le  Roy  dictz  et  declai- 
rez  par  ledit  maistre  Anthoine  du  Prat.  A  chief  des- 
quelles choses  le  Roy  des  Rommains  demanda  ausditz 
ambassadeurs  s'il  avoient  autre  chose  a  dire  :  «  Si 
avons,  sire,  dist  messire  Fran[ç]oys  de  Rochechouart, 
mais,  s'il  est  vostre  plaisir,  ce  sera  a  vous  seul,  et  a 
part.  —  Or  bien,  dist  le  Roy  des  Rommains,  je  say 
bien  qu'avez  prou  de  choses  a  dire,  mais  vous  venez 
de  loings  et  estes  las,  et  avez  mestier  de  repos;  par 
quoy  vous  vous  pouvez  retirer  a  vostre  logis  quant  vous 
plaira,  et  demain,  a  l'eure  que  je  seray  prest  de  vous 
oyr,  je  vous  manderay.  »  Et,  sur  ce,  s'en  allèrent  a 
leur  logis,  accompaignez  de  grant  nombre  de  gentis- 
hommes  du  Roy  des  Rommains. 

Le  lendemain,  sur  les  deux  heures  après  mydi, 
furent  iceulx  ambasadeurs  transmys  quérir  par  ledit 
Roy  des  Romains.  Si  s'en  allèrent  par  devers  luy,  et, 
eulx  venus  en  sa  chambre,  leur  dist  :  «  Or,  dictes, 
seigneurs,  vostre  charge  quant  vous  plaira.  Mais, 
premier,  je  veuix  savoir  si  vous  vouldrez  bien  qu'au- 
cuns de  ceulx  de  mon  conseil  soyent  avecques  moy 
pour  oyr  vostre  charge.  —  Oy,  sire,  dirent  les  ambas- 
sadeurs, qui  vous  plaira.  »  Dont  appella  a  ce  l'arce- 
vesque  de  Trêves  ^  le  duc  de  Juillieres,  le  marquis  de 
Brandebourg,  Tevesque  de  Gurse,  le  conte  de  Sornes 
et  le  chancellier  de  Tirolle  pour  assister;  lesqueulx 
tous  assemblez,  le  Roy  des  Rommains  se  mist  en  sa 

\.  Jacques  de  Baden. 


60  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1506 

chaire,  son  conseil  tout  autour  de  lu  y.  Lors  maistre 
Anthoyne  du  Prat,  maistre  des  requestes,  dist  en  latin 
leurdicte  charge  pour  ce  que  autre  que  le  Roy  des 
Rommains  n'entendoit  le  françoys,  disant  que  le  Roy 
leur  avoit  donné  charge  luy  dire  ce  que  par  avant  luy 
avoyent  dit,  et  davantage,  que  touchant  les  cent  mille 
francz  qu'il  demandoit  pour  l'investiture  de  la  duché 
de  Millan,  laquelle  il  avoit  accordée  pour  les  hoirs 
qui  en  l'avenir  sortiroyent  de  madame  Glaude,  atendu 
que  le  mariage  d'elle  et  du  fîlz  du  Roy  de  Castille, 
archiduc,  ne  s'acomplissoit,  entendoit  le  Roy  que  de 
riens  ne  luy  en  estoit  tenu  ;  mais  que,  la  ou  il  vouldroit 
bailler  ladicte  investiture  a  madame  Glaude  et  a  ceulx 
qui  d'elle  descendroyent,  il  luy  feroit  bailler  les  cent 
mille  frans  qu'il  luy  avoit  promys,  et  iceulx  délivrer 
au  lieu  et  jour  qui  seroit  entre  eulx  advisé  et  ordonné; 
par  ainsi,  qu'il  fist  bailler  le  consentement  des  élec- 
teurs. Ce  dit,  le  Roy  des  Rommains  demanda  ausditz 
ambassadeurs  s'il  avoyent  autre  chose  a  dire.  Les- 
queulx  dirent  que  si  avoyent,  ce  qu'il  feroient  après 
ce  qu'ilz  auroyent  eue  responce  de  luy  sur  les  choses 
par  eulx  alléguées.  Sur  quoy  ne  voulut  ledit  Roy  des 
Rommains  rendre  responce,  mais  les  fist  semondre 
par  aucuns  des  siens,  et  luy  mesmes  les  somma  par 
plusieurs  foys  de  dire  toute  leur  charge;  ce  que  ne 
voulurent,  s'ilz  n'avoyent  premièrement  responce  de 
luy;  lequel  ne  voulut  dire  autre  chose,  si  n'est,  quant 
au  regard  dudit  mariage,  qu'il  touchoit  plus  au  petit 
archiduc  qu'a  nul  autre,  et  que  a  celuy  manderoit  ce 
que  le  Roy  luy  en  avoit  faict  dire  pour  y  pourveoir 
comme  il  sauroit  ;  et  ausi,  tant  que  touchoit  l'investi- 
ture de  madame  Glaude,  que  ausi  il  le  manderoit  aux 


Août  1506]     GOMMANT  LE  ROY  DE  CASTILLE,  ETC.  61 

électeurs  de  l'Empire  pour  en  savoir  leur  vouloir,  et 
de  ce  en  avertiroit  le  Roy*.  Et,  sur  ce,  lesditz  ambas- 
sadeurs prindrent  congé  de  luy,  lequel  au  partir  leur 
donna  charge  faire  ses  recommandacions  au  Roy  de 
France,  son  frère,  et  leur  bailla  ung  gentilhomme  alle- 
mant,  lequel  parloit  bon  françoys,  nommé  ledit  gen- 
tilhomme Symon  de  Ferrete.  Quatorze  journées,  par 
le  pays  dudit  Roy  des  Rommains  celuy  gentilhomme 
mena  et  conduyt  lesditz  ambassadeurs,  et  tant  qu'ilz 
arrivèrent  a  Trente,  ville  près  de  terre  Saint  Marc, 
et  de  la  tirèrent  a  Millan,  ou  estoit  lors  lieutenant  du 
Roy  messire  Charles  d'Amboise,  lequel  advertirent  de 
l'armée  du  Roy  des  Rommains.  Et,  de  la,  messire 
Françoys  de  Rochechouart  manda  au  Roy  de  tout  ce 
qu'il  avoit  explecté  en  son  ambassade  et  sceu  envers 
ledit  Roy  des  Rommains  2. 


m. 


Gommant  le  Roy  de  Castille,  archiduc,  après  avoir 
SCEU  le  mariage  de  madame  Claude  et  du  conte 
d'Angoulesme,  mal  content  de  ce,  prist  allience 
A  plusieurs  et  se  declaira  ennemy  du  Roy,  et  de 

LA  MORT  DUDIT  ROY  DE  GASTILLE. 

Le  Roy  de  Castille,  estant  lors  en  ses  pays  d'Es- 
paigne,  fut  adverty  du  mariage  de  madame  Claude, 
fille  du   Roy,   avecques  Françoys   d'Orléans,   conte 

1.  Maximilien,  toutefois,  écrivit  au  roi  d'Angleterre  urie  lettre 
extrêmement  violente,  où  il  traitait  Louis  XII  de  parjure  sans 
aucune  périphrase  (J.  Gairdner,  Letters...  of  Richard  III,  I,  301). 

2.  Cf.  Lettres  de  Louis  XII. 


62  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1506 

d'Angoulesme ,  laquelle  pensoit  estre  pour  son  filz; 
dont  autres  foys  par  cy  devant  a  voit  esté  paroUes.  Par 
quoy  se  mal  contenta^,  disant  que  autres  foys  pro- 
messes avoyent  esté  faictes  de  madame  Glande  et  de 
son  filz,  a  quoy  il  s'atendoit^.  Toutesfoys  ne  sceut 
autre  chose  que  faire  sur  ce,  si  n'est  user  de  menasses^ 
et  dire  que  tous  ses  amys  et  aliez  luy  fauldront,  ou  en 
France  fera  telle  guerre  que  mainctes  qui  de  ce  ne 
pevent  mais  le  compareront  chèrement,  et,  des  lors, 
print  alyences  et  confédérations  a  tous  ceulx  qu'il 
peult  savoir  estre  ennemys  cou  vers  du  Roy,  car  nul 
pour  lors  estoit  declairé  ennemy  de  France,  et,  en 
oultre,  volut  anymer  les  autres  a  son  pouvoir,  et  tant 
fist  que  le  Roy  des  Rommains,  son  père,  toutes  les 
Espaignes  et  Angletaire,  comme  se  disoit,  avecques 
les  Venissyans,  suyvant  les  plus  fors,  et  grant  partie 
des  Italles  se  tindrent  de  son  party  contre  le  Roy.  Dont 
soy  voyant  de  luy  moult  puissant,  et  de  tant  d'alyences 
fortiffyé,  se  declaira  ennemy  du  Roy,  qui  délibéra  de 
sa  part  obvyer  a  tous  ses  dangiers,  avecques  l'ayde 


1.  Louis  XII  écrivit  lui-même,  le  31  mai,  à  M.  de  Ghièvres  une 
longue  lettre  personnelle  pour  lui  expliquer  le  vœu  des  États  et  le 
mariage  (lettre  insérée  dans  la  Chronique  de  Haneton). 

2.  Il  provoqua,  à  ce  sujet,  une  consultation  de  cinq  juriscon- 
sultes tlamands,  qui  lui  donna  tort  (Le  Glay,  1, 195).  Cette  curieuse 
consultation  émet  l'avis,  en  substance,  que  :  1°  le  roi  de  France 
n'est  pas  parjure;  2"  la  clause  de  garantie  du  mariage  avec  l'ar- 
chiduc, immorale  en  soi,  est  morale  seulement  pour  les  princes; 
3°  Charles  d'Autriche,  mineur,  n'a  pas  actuellement  d'action 
pénale  pour  réclamer  le  dédit  stipulé. 

3.  Il  écrivit  de  Valladolid,  le  20  juillet  1506,  à  Louis  XU  que  le 
mariage  de  Claude  ne  serait  pas  une  cause  de  rupture,  mais  qu'il 
avait  besoin  d'en  parler  à  son  père  et  à  son  beau-père  (Lettres  de 
Louis  XII,  I,  54). 


Juill..Sept.  1506]  GOMMANT  LE  ROY  DE  CASTILLE,  ETC.  63 

souveraine,  disant  qu'il  mectra  sus  telle  armée  que  se 
sera  pour  devoir  rabbatre  les  coups  a  tous  ses  enne- 
mys.  Or,  advint  que  le  Roy  des  Rommains,  comme 
prest  de  tous  temps  de  faire  aux  Françoys  quelque 
allarme,  voulut  mectre  sus  grosse  armée  pour  courir 
sur  la  duché  de  Millan  ;  le  Roy  de  Castille,  ausi  faire 
une  autre  armée  en  Espaigne  pour  vouloir  descendre 
en  Languedoc  et  en  Guyenne,  et  les  autres  ses  confe- 
derez,  chascun  en  son  cartier,  mectre  sus  grosse  puis- 
sance pour  ennuyer  le  Roy  et  assaillir  son  royaume 
de  France.  De  quoy  ne  se  meut  le  Roy  que  bien  a 
point;  ains  tint  conseil  sur  son  affaire  et  envoya  par 
ses  pays  faire  mectre  sus  tant  de  gens  que  le  nombre 
et  pouvoir  d'iceulx  luy  sembloit  devoir  suffire  a 
garder  sa  terre  et  chacer  ses  ennemys,  et  en  oultre 
fist  renforcer  de  gens  d'armes  sa  duché  de  Millan, 
disant  que,  si  le  Roy  des  Rommains  commance  par  se 
costé,  que  luy  mesmes  yra  en  personne  pour  luy  cop- 
per  le  chemin  et  empescher  le  passaige. 

Or,  estoit  le  royaume  de  France  menacé  de  toutes 
pars,  et  le  Roy  en  propos  délibéré  de  bien  le  def- 
fendre  et  despendre  grant  trésor  a  l'affaire  dont  en 
avoit  plus  que  prince  de  cristienté  ;  c£  qui  tenoit  moult 
ses  ennemys  en  craincte,  car  il  avoit  gent  et  argent, 
ce  qui,  après  l'ayde  de  Dieu  et  le  cueur  des  amys, 
faict  obtenir  les  victoires,  faire  les  conquestes  et 
entretenir  les  royaumes.  Combien  que  amas  de  pecune 
soit,  a  tout  prince  libéral,  détestable,  si  est  elle,  a 
tout  affaire,  secourable. 

Or  advint,  en  deduysant  le  moyen  de  ses  menées, 
comme  il  peut  a  Dieu  qui  des  royaumes  dispose,  que 
le  Roy  de  Castille,  estant  en  son  pays  d'Espaigne,  fut 


64  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

soubdainement  actaint  de  si  griefve  maladie*  que, 
malgré  le  remède  des  médecins,  en  moings  de  huyt 
jours  fut  mort^;  dont  tous  ses  alyez  baissèrent  le  nez 
et  firent  sillence,  si  que  de  tous  pointz  leur  entreprise 
fut  abbatue  et  anyentye.  Dont  le  Roy  demeura  en  son 
entier  et  paisible  en  son  royaume  de  France^. 


IV. 


Gommant  le  Roy  envoya  messire  Charles  d'Amboise 
avegques  grosse  armée  a  roullongne  pour  icelle 

SOUBMEGTRE  A  l'OBEISSANGE  DU   PAPE,   ET  GOMMANT 

Franco YS  de  Clermont,  cardinal  de  Nerbonne, 

FUT  POUR  GE  ET  AUTRES  CHOSES  DEVERS  LEDIT  SaiNCT 
PerE  le  PAPE. 

En  ce  mesme  temps  et  an  mil  GGGGG  et  six,  le 
pape  Julius  second  mist  armée  sus  pour  vouloir  sou- 
mectre  et  reduyre  a  son  obéissance  Roulongne  la  Grasse, 
laquelle  avoit  esté,  cincquante  ans  ou  plus,  hors  la 
sugetion  de  l'Eglize,  a  qui  elle  appartenoit  d'encien- 
neté,  mais  estoit  lors  par  force  occuppée  et  gouver- 
née par  ung  Roulonnoys,  nommé  messire  Jehan  Renti- 
volle,  lequel  ausi,  sachant  l'armée  du  pape  mise  sus,  a 
ceste  cause  fist  de  sa  part  grosse  gent  d'armée,  t'or- 
tiffier  la  ville  et  mectre  dedans  grant  nombre  de  gens 

1.  Une  pleurésie.  VYstore  Anlhonine,  contemporaine  (fr.  1371), 
affirme  qu'il  fut  empoisonné  (fol.  295),  mais  ce  soupçon  était  alors 
formulé  contre  toutes  les  morts  rapides  ou  inattendues. 

2.  25  septembre  1506. 

3.  On  ne  regretta  pas  Philippe,  qui  a  avoit  semé  (en  Franco)  un 
grain  qui  peu  y  eust  proufité  »  [Le  Loyal  serviteur,  p.  127). 


Août  1506]  GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  65 

d'armes,  et  icelle  bien  garder.  Le  pape,  voyant  que 
difficille  chose  luy  seroit  venir  a  chief  de  son  intencion 
sans  autre  secours  que  de  sa  main  forte,  envoya  devers 
le  Roy  luy  pryer  qu'il  luy  pleust  donner  en  son  affaire 
quelque  ranfort,  et  que,  par  le  pouvoir  de  son  armée, 
qui  estoit  lors  en  la  duché  de  Millan,  luy  pourroit 
aysement  faire  telle  ayde  que  Boulongne  pouroit  estre 
remise  et  reduyte  a  la  seigneurie  apostolique,  a  qui  de 
droict  elle  appartenoit,  et  ausi  que,  si  ung  tel  service 
faisoit  a  l'Eglize,  que  a  tousjoursmais  de  plus  icelle 
obligeroit  envers  le  royaume  de  France,  qui  a  tout 
grant  besoing  et  extrême  nécessité  avoit  tous  temps  eu 
l'espée  au  poing  pour  icelle  augmenter,  secourir  et 
deffendre  ;  dont,  pour  le  loyer  de  ses  mérites,  en  por- 
toit,  entre  les  autres  royaumes  crestiens,  l'excellant 
titre  d'onneur  souverain  du  nom  très  cristien.  Et 
ausi  mandoit  le  pape  au  Roy  que,  s'il  voulloit  passer 
les  mons  pour  voir  de  ses  affaires  et  visiter  ses  pays, 
que  voluntiers  se  trouveroit  en  quelque  lieu  entre 
eulx  advisé,  ou  bien  qu'il  l'actendroit  a  Boulongne 
pour  illecques  le  veoir  et  pa[r]ler  avecques  luy.  Oyant 
le  Roy  la  requeste  et  dire  du  Sainct  I^ere  le  pape,  et 
la  promesse  qu'il  luy  faisoit  de  l'actendre  a  Boulongne, 
comme  prince  très  chatollicque ,  conservateur  des 
droictz  de  l'Eglize,  deffensseur  de  sa  franchize  et  filz 
obéissant  d'icelle,  disposa  d'employer  son  pouvoir 
audit  affaire,  en  tant  qu'il  manda  a  messire  Charles 
d'Amboise,  son  lieutenant  delà  les  mons,  qu'il  tinst 
prestz  ses  gens  d'armes  et  qu'il  fist  aniastz  de  gens  de 
pié  jucques  a  grant  nombre;  et  lors  qu'il  luy  mande- 
roit  qu'il  allast  en  avant,  la  ou  son  plaisir  seroit;  ce 
que  fist  ledit  messire  Charles  d'Amboise  si  a  point  que 
IV  5 


66  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1506 

en  peu  de  jours  ses  gens  furent  tous  prestz  de  marcher. 
Durant  ce,  le  Roy  transmist  devers  le  pape,  qui  ja 
estoit  sorty  de  Romme^   ung  nommé  Françoys  de 
Glermont,  cardinal  de  Nerbonne,  par  lequel  mandoit 
audit  Père  Sainct  qu'il  luy  donneroit  tel  secours  en 
toutes  ses  choses  que  riens  n'espairgneroit  a  ce,  et  que, 
des  gens  d'armes  siens  estans  en  la  duché  de  Millau, 
se  tinst  tout  seur,  lesquelz  il  auroit  toutes  foys  que 
besoing  en  seroit,  et  que  ja  l'avoit  mandé  a  messire 
Charles  d'Amboise,  son  lieutenant  delà  les  mons.  Et, 
en  oultre,  mandoit  audit  Sainct  Père  qu'il  estoit  déli- 
béré de  s'en  allé,  après  l'yver  passé,  delà  les  mons,  et 
que  très  voluntiers  aussi  voiroit  Sa  Saincteté  et  se 
trouveroit  en  quelque  ville  de  par  delà,  ou  seroit  par 
luy  advisé.  Autres  charges  et  créances  eut  ledit  cardi- 
nal de  Nerbonne  devers  le  pape,  que  je  lesse  pour 
abréger  et  dire  que  celuy  cardinal,  très  bien  accom- 
paigné,  prist  son  chemin  de  Romme;  et,  première- 
ment, fut  passer  par  Avignon,  ou  séjourna  quelque 
peu  de  jours,  puis  marcha  par  la  conté  de  Venisse^, 
puis  par  le  Daulphiné,  a  Briençon,  a  Ourse^  a  Suze, 
en  Ast,  a  Ahxandrie  et  a  Pavye,  ou  estoit  lors  messire 
Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  et  la  furent 
deux  jours  a  courir  les  cerfz  dedans  le  parc  de  Pavye, 
ou  prindrent  ung  grant  cerf.  Et,  après  ce  qu'il  eurent 
parlé  de  leurs  affaires,  ledit  cardinal  monta  sur  la 

1.  Le  pape  quitta  Rome  le  26  août  1506.  L'extrait  du  Diarium 
de  Paris  de  Grassis,  relatif  à  cette  campagne,  a  été  publié  à  part, 
par  M.  Luigi  Frati,  sous  le  titre  de  :  Le  Due  spedizioni  militari  di 
Giulio  II  (Bologna,  1886,  in-S»).  Nous  renvoyons  à  cette  édition. 

2.  Le  comtat  Venaissin,  gouverné  comme  légation  par  le  car- 
dinal d'Amboise. 

3.  Oulx. 


Août  1506]  GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  67 

rivière  du  Pau  et  fut  par  eau  jucques  a  Plaisance  en 
Lombardye,  de  Plaisance  a  Parme,  a  Modeine  et  a 
Boulongne,  ou  avoit  ja  grant  nombre  de  gens  d'armes 
que  messire  Jehan  Bentivolle,  gouverneur  d'icelle, 
avoit  la  mys,  sachant  que  le  pape  avoit  faict  armée 
pour  venir  assiéger  ladicte  ville  de  Boulongne.  Or  ne 
savoit  ancores  celuy  Bentivolle  que  le  pape  eust 
demandé  secours  au  Roy,  et  que  le  Roy  le  luy  eust 
promis  ;  par  quoy,  sachant  la  venue  dudit  cardinal  de 
Nerbonne,  voulant  a  celuy  faire  tout  l'onneur  qu'il 
pouroit,  envoya  devant  luy  ses  enfans,  bien  accompai- 
gnez  de  gens  d'armes,  montez  et  armez,  et  leurs  che- 
vaulx  bien  bardez,  lesquelz  marchèrent  au  devant 
dudit  cardinal  troys  mille  hors  Boulongne,  ou  mirent 
pié  a  terre  pour  luy  faire  la  révérence.  Ce  faict, 
remontèrent  et  marchèrent  tous  ensemble  vers  la  ville, 
ou,  a  ung  mille  près,  se  trouva  messire  Jehan  Benti- 
volle, accompaigné  de  gens  d'armes  a  toute  puis- 
sance, lequel  vouloit  descendre  pour  faire  la  révérence 
audit  cardinal,  ce  que  ne  voulut,  mais  s'entrembras- 
serent  tout  a  cheval  ;  et,  ce  faict,  en  parlant  de  plu- 
sieurs choses,  marchèrent  jucques  a  la  ville,  ou  ledit 
Bentivolle  fist  entrer  honnorablement  celuy  cardinal, 
et  le  mena  descendre  et  loger  dedans  son  palais  de 
Boulongne,  ou  le  festya  grandement  et  le  desfroya 
avecques  tout  son  train  pour  le  disner  ;  et,  après  ce, 
s'en  alla  ledit  cardinal  coucher  assez  près  de  la,  une 
ville  nommée  Plenore,  terre  de  Boulongne.  Le  lende- 
main, print  le  travers  des  Alpes,  t[i]rant  le  grant  chemin 
de  Romme  jucques  a  Florence,  et  la  sceut  que  le  pape 
estoit  party  de  Romme  pour  s'en  venir  a  Boulongne 
a  toute  grosse  armée,  et  qu'il  tenoit  le  chemin  de  la 


68  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Septembre  1506 

Marque  d'Ancone.  Par  quoy  celuy  cardinal,  pour 
adresser,  prinst  le  chemin  de  Perose,  terre  de  l'Eglize, 
et  passa  oultre  deux  milles  loings\  ou  trouva  le  pape 
avecques  grant  nombre  de  cardinaulx  et  gens  d'armes, 
et  la  luy  fist  ledit  cardinal  son  salut,  comme  il  devoit, 
et  luy  dist  ce  que  le  Roy  luy  mandoit  de  par  luy,  et 
toutes  ses  charges;  de  quoy  le  pape  fut  moult  joyeux, 
et  fist  très  bonne  chère  audit  cardinal  et  le  festya  très 
honnorablement,  en  s'enquerant  souvant  de  la  pros- 
périté du  Roy  et  de  ses  affaires.  Apres  long  propos  et 
parolles  joyeuses,  chascun  se  retira,  et,  le  lendemain, 
le  pape  fist  son  entrée  audit  Perose,  ou  les  seigneurs 
et  le  peuple  de  la  ville  le  receurent  a  grant  triumphe^. 
La  dedans  séjourna  doze  jours,  durant  lequel  temps 
le  marquis  de  Mantoue,  lieutenant  de  son  armée,  se 
rendit  a  luy  audit  lieu  de  Perose,  entour  la  fin  du  moys 
de  septembre^,  et  la  fist  la  monstre  de  ses  gens 
d'armes,  ou  avoit  environ  six  cens  hommes  d'armes, 
armez  a  la  mode  d'Itallye,  legierement,  et  montez  sur 
chevaulx  legiers  ;  ausi  y  avoit  troys  mille  hommes  de 
pié  ou  quelque  peu  moings. 

Les  montres  d'iceulx  gens  d'armes  faictes,  le  pape 
avecques  son  armée  partit  de  Perose '^  et  prist  son 
adresse  vers  la  ville  de  Urbin,  ou  fut  receu  et  festyé 
par  le  duc  et  la  duchesse^,  et  trecté  tout  a  plaisir, 
auquel  Ueu  séjourna  quatre  jours. 


1.  ATorricella,  12  septembre  (P.  de  Grassis,  p.  39;  Guichardin). 

2.  13  septembre  1506.  Voir  Paris  de  Grassis,  p.  40  et  suiv. 

3.  Il  entra  solennellement  à  Pérouse  le  17. 

4.  21  septembre  (Paris  de  Grassis). 

5.  25  septembre,  au  matin.  Le  duc  d'Urbin  fit  enlever  les  portes 
de  la  ville  pour  la  réception  du  pape.  Le  pape  repartit  le  29. 


Octobre  1506]     GOMMANT  LE  ROY  ENVOYA,  ETC.  69 

Le  Roy  avoit  ja  seu  que  le  pape  marchoit  avecques 
son  oust,  par  quoy  avoit  mandé  a  messire  Charles 
d'Amboise,  son  lieutenant,  que,  a  toute  dilligence, 
marchast  celle  part  avecques  huyt  cens  hommes  d'ar- 
mes, et  les  gens  de  pié  qu'il  avoit  amassez  ;  et,  de  tout 
ce,  voulut  avertir  le  pape  par  ses  postes,  et  tant  que 
audit  lieu  d'Urbin  '  sceut  ledit  Sainct  Père  les  nouvelles 
du  Roy,  et  comment  sondit  lieutenant,  avecques  grosse 
armée,  se  devoit  rendre  a  luy  a  Boulongne,  et  qu'il 
avoit  mandé  marcher  son  armée,  qui  ja  estoit  sur  les 
champs  preste  de  le  secourir  et  se  joindre  avecques 
luy.  De  quoy  le  pape  fut  moult  joyeulx,  et  se  dist 
tousjours  estre  tenu  au  Roy,  en  le  remercyant  de  tout 
son  pouvoir. 

Apres  ses  nouvelles  sceues,  le  pape,  avecques  son 
armée,  marcha  droict  a  Boulongne  et  prist  son  che- 
min vers  Sezayne^,  a  Fourly^  et  devant  Fayence, 
terre  d'Eglize,  que  les  Venissyains  par  force  occup- 
poyent  lors  et  estoyent  dedans  tous  en  armes,  tenans 
les  portes  clozes*.  Par  quoy  le  pape  passa  oultre  et 
marcha  jucques  a  Ymolle,  et  la  demeura  troys  sep- 
maines  en  actendant  approcher  l'armée  du  Roy,  qui 
ja  estoit  a  la  route.  Et  ausi  ce  pendant' fîst  marcher  son 
armée  jucques  a  une  ville  nommée  Castel  Sainct  Pierre, 
terre  de  Boulongne,  estant  a  huyt  mille  d'Ymolle. 

1.  Légère  erreur.  La  lettre  du  roi  n'arriva  au  pape  que  le  matin 
du  30  septembre,  à  Macerata.  Dans  cette  lettre,  Louis  XII  décla- 
rait vouloir  venir  lui-même  en  Italie  au  moment  du  carême. 

2.  Gesena,  2  octobre. 

3.  Forli,  9  octobre. 

4.  Ce  passage  fut  très  dif6cile.  Le  pape  licencia  sa  cour  et  se 
dépouilla  lui-même  de  ses  objets  les  plus  précieux,  tant  il  redou- 
tait une  attaque  des  Vénitiens  (P.  de  Grassis). 


70  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

Tantost  après  que  l'armée  du  pape  fut  devant 
Castel  Sainct  Pierre  ^  ceulx  de  la  ville  parlamenterent, 
et  a  la  parfin  se  rendirent  a  la  mercy  dudit  Père  Sainct. 


V. 


Gommant  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du 
Roy  DELA  LES  mons,  fist  marcher  son  armée  droict 

A  BOULONGNE  POUR  SECOURIR  LE  PAPE. 

Messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy  delà 
les  mons,  sachant  qu'il  estoit  heure  de  partir  pour  aller 
au  secours  du  pape,  avoit  faict  assembler  ses  gens 
d'armes  a  Parme  et  mys  en  marche,  comme  le  Roy 
luy  avoit  mandé,  et  tenoit  ordre  tel  que,  nonobstant 
l'empeschementdes  pluyes  et  l'ennuy  de  l'y  ver  qui  lors 
avoient  cours,  gens  d'armes,  piétons  et  artillerye,  et  tout 
le  sommaige  n'avoit  arrest,  car  soubz  ledit  lieutenant 
du  Roy  avoit  capitaines  expertz  et  lieutenans  advisez  en 
faictz  d'armes,  et,  pour  ce  que  j'ay  sceu  les  noms  des- 
ditz  capitaines  qui  la  estoient,  je  les  ay  voulu  commé- 
morer, affin  que,  si  bienffaict  y  a,  que  ce  soit  a  la 
loucnge  d'eulx  et  a  l'exemple  des  futurs.  Première- 
ment, y  estoit  présent  messire  Charles  d'Amboise, 
gênerai  lieutenant  du  Roy,  lequel  avoit  a  luy  cent 
hommes  d'armes;  messire  Jacques  de  Chabanes,  sei- 
gneur de  La  Palixe,  lequel  avoit  cincquante  hommes 
d'armes  ;  messire  Yves  d'Allègre,  cincquante  hommes 
d'armes;  messire  Robert  Stuart,  cent  hommes  d'armes 
escossoys;  Adrien   de  Brimeu,   lieutenant  des  cens 

1.  Castel-San-Pietro,  sur  le  Sillaro,  à  23  kilom.  do  Bologne. 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHAIILES  D'AMBOISE,  ETC.  71 

hommes  d'armes  du  marquis  de  Mantoe;  messire 
Jehan  de  Durefort,  seigneur  de  Duras,  cincquante 
hommes  d'armes;  messire  Rogier,  baron  de  Beart, 
cincquante  hommes  d'armes;  messire  Galeas  Palvesin, 
quarante  hommes  d'armes;  messire  Anthony  Marie 
de  Sainct  Severin,  cincquante;  messire  Phihbert  de 
Glarmont,  seigneur  de  Montoison,  cincquante  ;  le  sei- 
gneur d'Oroze,  quarante  ;  le  seigneur  de  Ghastellart, 
quarante;  le  seigneur  de  Fontrailles,  trente;  le  conte 
de  Misoc,  cincquante  ;  messire  Mercure,  cent  Albanoys. 
Les  capitaines  des  gens  de  pié  estoyent  MoUart^,  alle- 
mant  ;  Jacques  d'Allègre  ;  Peralte ,  espaignol  ;  Cos- 
sains  et  ung  italyen,  nommé  le  marquys  Bernato,  les- 
quelz  avoyent  soubz  leur  charge  quatre  mille  hommes, 
allemans,  daulphino[y]s  et  piemontoys.  Aussi  y  avoit 
XV  pièces  d'artillerye  soubz  la  main  de  messire  Jehan 
de  Bessé,  gruyer  de  Bourgoigne.  Et  ainsi  fut  mise 
l'armée  de  France  au  champs,  tirant  le  droict  chemin 
de  Boulloigne,  et  tant  que,  devant  une  place  bouloi- 
gnoise,  nommée  Gastelfranc^,  furent  les  Françoys,  et 
la  misrent  le  siège.  Puys  commancerent  a  tirer  quelques 
menues  pièces  d'artillerye  pour  voir  que  ceulx  de  la 
place  vouldroyent  dyre,  lesquelz  se -deffendirent  tout 
lâchement  en  tirant  bien  peu  de  coups,  et,  sans 
actendre  sur  eulx  plus  grant  effort,  se  rendirent,  leurs 
bagues  sauves.  Ge  faict,  ledit  lieutenant  du  Roy,  avec- 
ques  ce  qu'il  voulut  de  ses  gens  d'armes,  entra  dedans  ; 
ce  que  tantost  sceut  le  pape,  qui  lors  estoit  a  Ymolle, 
de  quoy  fut  bien  joyeulx,  pencent  que,  au  moyen  dudit 
secours,  Boulongne  seroit  bientost  a  luy  soubmise. 

1.  Suffray. 

2.  Castel-Franco,  à  12  kilom.  de  Modène,  à  25  de  Bologne. 


72  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

Messire  Jehan  de  BentivoUe,  qui  lors  estoit  a  Bou- 
longne,  sachant  la  venue  de  l'armée  du  Roy  et  la  prise 
de  Gastelfranc,  fut  bien  esbahy,  disant  qu'il  ne  pour- 
roit  longuement  tenir  contre  ladicte  armée,  et  que  de 
deux  maulx  luy  failloit  eschever  le  pire,  ne  voulant 
pour  riens  cheoir  entre  les  mains  du  pape,  qui  de  mort 
luy  en  vouloit,  par  quoy  advisa  que  myeulx  estoit  pour 
luy  se  rendre  au[x]  Françoys,  pencent  estre,  entre  leurs 
mains  et  soubz  la  clémence  du  Roy,  humainement 
trecté;  et,  pour  y  ouvrer  sommairement,  envoya 
ambaxades  a  Gastelfranc  par  devers  messire  Charles 
d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  pour  luy  dire  que,  si 
son  plaisir  estoit  de  prandre  a  mercy  luy  et  sa  famille 
et  tous  ses  biens  saufz,  que  a  luy  voluntiers  se  ren- 
droit  et  luy  mectroit  Boulongne  entre  les  mains.  Les- 
ditz  ambaxades  portèrent  leur  parolle  et  firent  sur  ce 
tout  ce  que  enchargé  leur  estoit,  et  advertirent  ledit 
lieutenant  du  Roy  du  vouloir  dudit  messire  Jehan  de 
BentivoUe,  et  comment  entre  ses  mains  se  vouloit 
rendre  et  mectre  ladicte  ville  de  Boulongne  en  son 
obbeissance.  A  quoy  fist  responce  que  pour  l'eure  ne 
povoit  avecques  luy  riens  composer,  et  qu'il  n'avoit 
autre  charge  du  Roy  son  maistre  que  de  venir  au 
secours  de  l'Eglize  et  faire  ce  que  le  pape  luy  comman- 
deroit,  parquoy  ne  pouvoit  de  luy  riens  conclure  sans 
en  advcrtir  ledit  Père  Sainct.  Ce  nonobstant,  veu  le 
party  humain  de  celuy  Bentivoille,  luy  manda  que, 
s'il  vouloit  bailler  sauf  conduyt  pour  quelqun  de  ses 
gens,  qu'il  envoyroit  devers  le  pape,  et  que  a  son 
pouvoir  trecteroit  de  la  paix.  Dont  ledit  BentivoUe, 
voyant  (jue  la  chose  ne  pouvoit  pour  l'eure  prendre 
meilleur  fin  pour  luy,  bailla  sauf  conduyt  et  seurté 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMBOISE,  ETC.  73 

pour  passer  par  ses  dangiers  et  aller  vers  le  pape.  Ce 
faict,  ledit  lieutenant  du  Roy  transmist  a  YmoUe  ung 
sien  segretaire,  trésorier  des  guerres  de  Millan,  pour 
advertir  le  pape  comment  messire  Jehan  de  Bentivoille 
se  vouloit  rendre  et  mètre  entre  les  mains  du  Roy,  et 
la  ville  de  Boulongne  en  son  obbeissance,  pourveu  que 
luy,  sa  famille  et  tous  ses  biens  fussent  saufz  et  gar- 
dez, et  commant,  sur  ce,  ledit  lieutenant  n'avoit  voulu 
riens  conclure,  mais  avoit  le  tout  remys  au  vouloir  et 
a  l'ordonnance  du  pape,  en  luy  mandant  que  Sa  Sainc- 
teté  y  advisast  pour  y  besoigner  scelon  son  plaisir  et 
commandement,  et  que  tout  ainsi  le  feroit  sans  faillir, 
et  qu'il  luy  pleust  sur  ce  luy  faire  savoir  son  vouloir. 
Oyant  le  pape  les  choses  susdictes,  fut  contant  de  la 
réduction  de  Boulongne  ;  mais,  quant  a  ce  que  ledit  de 
Bentivoille  et  ses  choses  demouroyent  sauves,  ne  luy 
vint  pour  l'eure  a  plaisir  et  si  avoit  bonne  envye  de  le 
trecter  autrement;  car,  durant  leur  discord,  ledit  de 
Bentivolle  avoit  faict  mourir  le  père  du  dataire  du 
pape,  dont  avoit  conceue  hayne  mortelle  contre  luy. 
Mais,  après  avoir  pencé  a  tout,  et  que  user  de  ven- 
gence  estoit  contre  le  comandement  de  Dieu ,  con- 
sentit que  ledit  de  Bentivolle  seroit  rays  entre  les  mains 
du  lieutenant  du  Roy  pour  en  faire  a  son  plaisir,  et  ses 
biens  saufz;  et  ainsi  despescha  ledit  trésorier  des 
guerres  et  le  renvoya  devers  ledit  lieutenant  du  Roy, 
lequel  estoit  a  Castelfranc. 

Tantost  après  qu'il  eut  renvoyé  ledit  messager  fran- 
çoys,  luy  souvint  de  quelque  chose  qu'il  avoit  oblyé 
a  mectre  en  ses  lectres  :  par  quoy  de  rechief  transmist 
après  ung  autre  des  siens,  qui  estoit  son  chambrier; 
et,  pour  ce  qu'il  ne  savoit  parler  françoys,  demanda  au 


74  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

cardinal  de  Nerbonne,  qui  avecques  luy  estoit,  ung  de 
ses  gens  pour  accompaigner  son  homme  et  rapporter  la 
parolle,  lequel  luy  bailla  ung  sien  chappellain,  qui  chan- 
toit  devant  luy.  Si  s'en  allèrent  iceulx  ensemble  et 
passèrent  par  le  camp  du  pape,  dont  estoit  chief  le 
marquys  de  Mantoue,  lequel  advertirent  de  leur  affaire  ; 
et,  voyant  qu'ilz  n'avoyent  sauf  conduyt,  leur  dist 
que  sur  leur  chemin  n'avoit  nulle  seurté,  pour  ce  que 
ce  jour  avoyt  envoyé  devant  Boulongne  cent  de  ses 
Albanoys  qui  ne  savoyent  riens  du  trecté  de  la  paix. 
Mais,  pour  ce,  ne  s'arresterent,  pencent  qu'ilz  passe- 
royent  au  moyen  dudit  chambrier,  qui  savoit  parler 
itallien,  et  qu'ilz  diroyent  aux  Boulongnoys  que,  pour 
le  bien  et  proffîct  de  la  ville,  estoyent  envoyez  du  pape 
au  lieutenant  du  Roy.  Or  advint  que,  a  l'approcher 
de  ladicte  ville,  comme  a  deux  mille  près  ou  environ, 
rencontrèrent  les  Albanoys  du  marquis  de  Mantoue 
venans  de  leur  course,  lesquelz  avoyent  trouvé  ung 
capitaine  de  Boulongne  avecques  trente  chevaulx 
legiers  sortiz  pour  descouvrir,  desquelz  ne  s'estoit 
sauvé  que  ledit  capitaine,  que  tous  ne  fussent  tuez  ou 
priz.  Dont  celuy  capitaine,  tout  effr[a]yé,  s'en  estoit 
retourné  a  bride  abatue  jucques  a  Boulongne,  ou  la 
fist  assavoir  aux  BouUonnoys  commant  les  gens  d'armes 
du  pape  leur  avoyent  couru  sus  et  leurs  gens  def- 
faictz,  dont  les  ungs  estoyent  mors  et  les  autres  pri- 
sonniers, tellement  que  de  tous  n'en  estoit  eschappé 
que  luy  tout  seul,  qui,  a  force  de  courir,  avoit  gaigné 
la  ville.  Oyant  les  BouUonnoys  ses  nouvelles,  grant 
nombre  d'iceulx  s'armèrent  et  montèrent  a  cheval, 
puys  se  misrent  aux  champs  a  la  suyte  desditz  Alba- 
noys, qui  ja  estoyent  près  de  leur  camp,  dont  ne  les 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  DAMBOISE,  ETC.  75 

rencontrèrent,  mais  troverent  le  chambrier  du  pape 
et  son  compaignon  courans  la  poste.  Et,  pour  ce  que 
ledit  chambrier  estoit  myeulx  monté  que  le  prestre  du 
cardinal  de  Nerbonne,  estoit  devant  plus  de  deux  gectz 
d'arc.  Or  advint  que  celuy  chambrier  fut  priz  par  les 
Boulonnoys,  lesquelz  le  voulurent  tuer;  mais  il  leur 
dist  commant  le  pape  l'envoyoit  devers  le  grant  maistre 
de  France,  lieutenant  du  Roy,  pour  le  proffict  de  la 
ville  et  trecter  de  la  paix,  et  ausi  que,  s'il  estoit  ques- 
tion de  guerre  contre  le  pape  et  eulx,  qu'il  ne  le 
fissent  mourir,  car  il  avoit  de  quoy  payer  cent  escuz 
pour  sa  rençon.  Tant  jouha  de  doulx  parler  que  autre 
mal  ne  luy  firent,  mais  le  prindrent  et  gardèrent  très 
bien.  Son  compaignon,  qui  tout  de  loings  voyoit  les 
Boulongnoys  jouer  de  force,  ne  sceut  que  faire,  si 
n'est  tourner  le  dos,  et  se  voulut  mectre  a  fuyr;  mais 
fut  ad  visé  par  aucuns  d'iceulx  Boulongnoys,  dont  l'ung 
d'eulx  bien  monté  se  mist  seul  a  la  course  après  luy, 
et  tant  que  bientost  l'eut  actainct,  en  luy  voulant  courir 
sus.  Le  prestre,  voyant  son  cheval  las,  et  qu'il  ne  se 
pouvoit  sauver  a  fuyr,  et  ausi  qu'il  n'avoit  a  besoigner 
que  a  ung  homme  seul,  raist  la  main  a  l'espée  et  se 
deffendit  en  manière  que  la  javellirle  de  son  ennemy 
saisist  et  la  luy  osta  du  poing  ;  et,  de  faict,  l'eust  tué 
et  defifaict,  n'eust  esté  que  sept  ou  vili  des  autres,  qui 
virent  la  deffence  de  celuy  prestre,  hastivement  cou- 
rurent la  et,  sans  le  vouloir  ouyr  parler  ne  escouter 
sa  raison,  donnèrent  sur  luy  a  tous  costez,  et  tant  que, 
en  se  deffendant,  l'abbatirent  et  le  tuèrent  sur  le 
champ.  Le  chambrier  du  pape  fut  mené  a  Boulongne  et 
présenté  a  messire  Jehan  de  Bentivoille,  auquel  dist 
celuy  chambrier  la  charge  qu'il  avoit  du  pape  ;  par 


76  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

quoy  fut  incontinant  délivré  et  a  luy  baillé  seurté  pour 
aller  faire  son  messaige. 

Durant  ses  jours,  la  pluye  estoit  en  ce  lieu  conti- 
nuelle nuyt  et  jour,  et  dura  tant  longuement  que  les 
fanges  estoyent  si  grandes  par  les  chemins  que  gens 
et  chevaulx  y  estoyent  jucques  au  genoilz,  tellement 
que  l'artillerye  ne  se  pouvoit  charryer,  et  la  failloit 
tirer  a  force  de  gens  et  chevaulx,  qui,  a  toute  la  peine 
du  monde,  la  menoyent  de  lieu  en  lieu.  Ce  nonobs- 
tant, messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy, 
mist  tel  ordre  a  tout  ce,  que,  pour  l'empeschement  de 
celuy  temps,  ne  demeura  riens  en  arrière,  mais  partist 
de  Castelfranc  avecques  son  armée  et  artillerye,  et  tira 
vers  Boulongne  de  tant  qu'il  fut  a  ung  pont,  deux 
mille  près  dudit  lieu  de  Boulongne.  La  le  trouva  le 
messager  du  pape  et  luy  présenta  ses  lectres,  des- 
quelles fut  bien  joyeulx,  mesmement  pour  ce  qu'il  con- 
sentoit  que  messire  Jehan  de  Bentivoille  fust  mys  entre 
les  mains  du  Roy,  et  ses  biens  estre  saufz.  Lorsque 
ledit  messire  Jehan  de  Bentivoille  sceut  le  vouloir  du 
pape  et  l'armée  de  France  estre  si  près  de  Boulongne, 
partit  dudit  lieu  et,  a  l'aube  du  jour,  se  rendit  audit 
pont  ;  et  la  s'en  alla  mectre  entre  les  mains  dudit  lieu- 
tenant du  Roy,  comme  avoit  promys  de  faire,  et 
avecques  luy  ung  de  ses  filz  nommé  messire  Alixandre 
de  Bentivoille  ;  lesquelz  receupt  doulcement  et  iceulx 
bailla  en  garde  a  ung  lombart,  nommé  messire 
Anthoyne  Marye  de  Palvezin,  auquel  donna  charge  de 
les  mener  a  Millan  et  les  faire  garder  tant  que  seroit  le 
plaisir  du  Roy.  Et,  au  partir,  ledit  messire  Jehan  de 
Bentivoille  bailla  les  clefz  de  Boulongne  a  messire 
Charles  d'Amboise,  en  luy  recommandant  sa  pauvre 


1506]       GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMBOISE,  ETC.  77 

femme  desollée  et  ses  biens,  la  face  toute  couverte  de 
larmes  et  le  cueur  serré  de  doulleur,  en  faisant  les 
plus  piteulx  regretz  et  doulloureux  plainctz  qu'onques 
fist  pauvre  chevaillier,  disant  :  «  Helas!  Fortune, 
ennemye  de  gloire  et  marrastre  de  prospérité,  que 
t'ay  je  meffaict  quant ,  en  mes  jours  florissans ,  et  au 
temps  de  ma  doulce  juvente,  m'as  laissé  quelque 
temps  féliciter  a  plaisir,  et,  aux  ennuyeulx  ans  de  ma 
chanue  veillesse,  me  mectz  en  exil  perpétuel?  Ores, 
me  faictz  tu  a  cler  cognoistre  que  le  plus  malleureux 
geurre^  de  tes  adversitez  est  avoir  esté  longuement 
prospère,  et  puys  de  choir  sans  ressource  !  »  Plu- 
sieurs autres  lamentacions  desolables  fist  le  pauvre 
chevaillier,  et  tant  que  le  lieutenant  du  Roy  mesmes 
fut  meu  de  telle  pytié  que  des  yeulx  luy  sortirent  les 
larmes;  mais,  pour  rentrer,  envoya  ledit  de  Benti- 
voille  a  Millau.  La  femme  et  ung  des  enfens  dudit 
Bentivoille,  après  ce,  s'en  allèrent  avecques  huyt  cens 
chevaulx  hors  Boulongne  et  tirèrent  vers  la  duché  de 
Ferrare,  ou  portèrent  la  plus  grant  partye  de  leurs 
bagues  et  choses  portatives. 

Le  heutenant  du  Roy,  ayant  les  clefz  de  la  ville  de 
Boulongne,  pencent,  sans  nulle  r&sistance,  entrer 
dedans,  transmist  la  ung  nommé  messire  Galeas  Vis- 
conte,  avecques  ses  fourriers,  pour  faire  les  logys  ;  les- 
quelz  fourriers,  cuydant  mercher  lesditz  logys,  furent 
assainis  de  la  commune  de  Boulongne,  qui  fist  ung 
cry  sur  eulx  et  ung  tel  hutin  que  ce  fut  jucques  a 
charger,  en  manière  que  iceulx  fourriers  furent,  les 
ungs  blecez  et  aucuns  tuez  et  menez  tellement  que  a 
grant  peine  se  peut  sauver  ledit  messire  Galeas  Vi- 

i.  Sic,  pour  ;  la  guorre  (joyeuseté,  fête)? 


78  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

conte,  avecques  partye  de  ses  fourriers,  lesquelz  s'en 
allèrent  d'effroy  au  devant  du  lieutenant  du  Roy,  qui, 
avecques  son  armée,  approchoit  la  ville  ;  et,  sachant  la 
rébellion  susdicte,  comme  ennemyd'icelle,  fist  la  droict 
marcher  l'armée  et  mectre  le  siège  devant,  et  a  toutes 
mains  faire  pecter  artillerye  et  abbatre  tours  et  mu- 
railles, en  l'assaillant  si  vivement  qu'il  n'y  eut  dedans 
si  hardy  qui  n'eust  frayeur  de  ce  bruyt.  Et,  ce  voyant, 
aucuns  de  ceulx  de  la  ville,  qui  ja  savoyent  l'appoinc- 
tementdu  pape  et  de  Bentivoille,  envoyèrent  en  poste 
devers  ledit  Sainct  Père  et  devers  aucuns  des  cytadins 
de  la  ville,  qui  ja  c'estoyent  allez  rendre  au  pape  pour 
iceulx  advertir  du  siège  et  de  la  continuelle  baterye 
que  faisoit  le  lieutenant  du  Roy  devant  Boulongne,  et 
que,  si  tost  n'y  estoit  pourveu,  ladicte  cité  estoit  en 
danger  d'estre  prise  d'assault  et  pillée  par  les  Fran- 
çoys,  qui  tous  effors  mectoyent  en  avant  pour  y 
entrer. 

Oyant  le  pape  ses  nouvelles,  fut  tant  esmerveillé 
que  plus  ne  pouvoit,  et  esbahy  de  ceste  affaire,  veu 
les  lectres  que,  peu  devant,  luy  avoit  envoyées  ledit 
lieutenant  du  Roy,  disant  que,  après  que  messire 
Jehan  de  Bentivoille  seroit  entre  ses  mains,  il  s'en 
yroit  loger  dedans  Boulongne.  Or  savoit  le  pape  ja 
que  ledit  Bentivoille  avoit  rendu  les  clefz  de  la  ville, 
et  que  a  Millan  l'avoit  envoyé  le  lieutenant  du  Roy. 
Sur  quoy  ne  savoit  que  penser,  si  n'est  que  quelque 
nouvelle  rébellion  eussent  faicte  les  Boulonnoys,  ou 
que  les  Françoys  voulussent  piller  ladicte  ville,  qui 
estoit  moult  riche  et  plaine  de  tous  biens;  par  quoy 
pença  que,  si  ladicte  ville  estoit  ainsi  prise  et  pillée, 
qu'il  feroit  double  perte  et  que  son  entreprise  luy 
seroit  plus  dommaigeuse  que  proffictable  ;  car  il  auroit 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMROISE,  ETC.  79 

perdu  les  fraiz  et  mises  qu'il  auroit  faictes  pour  sous- 
tenir  son  armée,  ou  ja  avoit  grant  trésor  despendu, 
et  ausi  que  la  cyté  qui  estoit  sienne  seroit  destruyte 
et  désolée,  ce  qui  dedans  estoit  pris  et  pillé,  le  peuple 
mys  a  sac  et  les  biens  d'icelle  ravys  et  emportez,  ce 
qui  seroit  totallement  a  son  desavantage.  Dont,  pour  a 
ce  vouloir  mectre  provision,  transmist  hastivement  le 
cardinal  de  Nerbonne  devers  messire  Charles  d'Am- 
boise,  lieutenant  du  Roy,  luy  pryer  et  dire  qu'il  ces- 
sast  de  batre  la  ville  et  qu'il  fist  tenir  coy  ses  gens. 
Si  s'en  alla  ledit  cardinal,  et,  luy  estant  par  chemin, 
couroyent  incessaument  postes   de  Boulongne  pour 
haster  les  messaigiers  du  pape,  disant  que  les  Fran- 
çoys  avoyent  ja  tant  batue  la  ville  d'artillerye  et  faict 
telle  ouverture  qu'on  n'actendoit  que  l'assault,  et  que, 
sans  faillir,  elle  seroit  emportée  et  prise,  qui  ne  mec- 
troit  sur  ce  hastif  remède  et  sommaire  provision.  Le 
cardinal  de  Nerbonne,  qui  du  pape  avoit  charge  de 
hastivement    aller  faire  cesser    l'armée  de   France, 
voyant  que  assez  tost  ne  pouvoit  courir,  et  ausi  que 
plus  de  XV  mille  de  chemin  avoit  encores  a  faire, 
transmist  la  ung  de  ses  gens  nommé  Jehan  Roussart, 
accompaigné  d'une  des  postes  de  -Boulongne,  pour 
advertir  le  lieutenant  du  Roy  du  vouloir  du  pape  et 
de  la  venue  dudit  cardinal,  et  pour  faire  cesser  le  siège 
jucques  a  ce  que  ledit  cardinal  eust  parlé  a  luy.  Or  se 
mirent  les  coureurs  en  voye  et,  tant  que  les  chevaulx 
peurent  aller,   tirèrent  vie  en  manière  que,    après 
qu'ilz  eurent  chevauché  viii  mille  de  pays,  le  cheval 
dudit  Roussart  fut  defferré  et  tant  las  qu'il  demoura 
tout  court;  par  quoy  la  poste  de  Boulongne,  qui  sans 
celuy  Françoys  ne  pouvoit  faire  bon  message  pour  les 


80  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

Boulongnoys,  se  mist  a  pié  et  luy  bailla  sa  monture,  en 
luy  monstrant  son  adresse  et  luy  priant  bien  fort 
qu'il  se  hastast,  car  long  chemin  avoit  a  faire;  ce  qu'il 
fist,  et  tant  que,  sur  les  deux  eures  de  nuyt,  arriva 
ledit  Roussart  devant  la  ville  de  Boulongne,  du  costé 
d'Ymolle,  ou  la  trouva  gros  guet  et  les  gardes  de 
ladicte  ville  en  armes,  lesquelz  salua  et  leur  dist  com- 
mant,  de  par  le  pape,  venoit  la  pour  les  affaires  de 
Boulongne,  et  iceulx  advertist  de  la  venue  dudit  car- 
dinal son  maistre,  que  le  pape  envoyoit  la  a  tout  grant 
haste,  et  que,  pour  plus  avancer  l'affaire,  ledit  cardi- 
nal l'a  voit  transmys  devant  a  delligence  extrême.  Par 
quoy  prya  lesdictes  gardes  que,  pour  plus  tost  estre 
au  siège  des  Françoys  et  pour  le  proffict  de  la  ville,  le 
lessassent  passer  par  la  dedans,  qui  estoit  pour  le  plus 
court  ;  ce  que  ne  voulurent,  pour  ce  qu'il  estoit  Fran- 
çoys, et  ausi  que  seurement  n'eust  sceu  passer,  veu 
que  guerre  mortelle  se  faisoit  lors  entre  eulx  et  les 
Françoys,  et  que  l'ung  n'espairgnoit  l'autre.  Mais  icel- 
luy  adressèrent  hors  la  ville  par  ung  chemin  touchant 
le  long  des  fossez,  et  l'advertirent  de  cryer  en  passant  : 
VEglize!  qui  estoit  le  cry  commun  de  la  ville,  ou, 
autrement,  ceulx  du  guet  luy  pourroyent  tirer  quelque 
coup  d'artillerye  ou  de  trect.  Si  se  mist  a  passer  le 
long  dudit  chemin  tout  coyement,  en  cryant  :  VEglize! 
et  ne  luy  demandèrent  riens  les  ennemys  jucques  il 
approchast  le  camp  des  Françoys;  et,  lorsque  au 
roiz  de  la  lune,  qui  estoit  clere,  le  virent  adresser  vers 
le  camp,  luy  tirèrent  a  la  passée  plusieurs  coups  de 
haquebutes  et  de  trect,  et  tant  qu'il  fut  contrai  net, 
pour  se  sauver,  de  mectre  pié  a  terre  et  habbandon- 
ner  son  cheval  pour  gaigner  les  hayes  et  jardrins,  qui 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMBOISE,  ETC.  81 

la  dessoubz  estoyent;  et  ainsi,  comme  il  peut,  se  ren- 
dit au  siège,  ou  trouva  sur  les  piedz  le  lieutenant  du 
Roy,  armé  de  toutes  pièces,  faisant  tirer  artillerye  aux 
roiz  de  la  lune  contre  la  ville  et  abatre  murailles,  sans 
cesser,  délibérant  le  lendemain  donner  l'assault. 

Par  ledit  messaiger  fut  adverty  de  la  venue  du  car- 
dinal de  Nerbonne,  que  le  pape  luy  envoyoit  pour  faire 
cesser  le  bruyt;  et,  tantost  qu'il  sceut  les  nouvelles  de 
ce,  fîst  arrester  l'artillerye  et  accoiser  le  siège;  mais, 
pour  tant,  fist  faire  ses  aproches  et  trenchées,  et  mist 
guetz  de  toutes  pars.  Jucques  a  l'eure  de  la  mynuyt, 
des  deux  costez  firent  sillence,  sans  tirer  ni  faire  bruyt. 
Mais,  après  ce,  BouUongnoys  commancerent  le  hutin 
et  a  tirer  coups  d'artillerye  sur  le  camp  des  Françoys, 
lesquelz  ausi  ne  leur  faillirent,  mais  tirèrent  de  plus 
belle  et  plus  qu'onques  mais,  car  il  avoyent  ja  appro- 
ché leurs  pièces  près  des  fossez  de  la  ville.  Et  ainsi 
tirèrent  l'ung  contre  l'autre  jucques  a  une  heure  après 
mynuyt  que  le  cardinal  de  Nerbonne  survint  au  champ, 
et  la  advertist  le  lieutenant  du  Roy  commant  le  pape 
ne  vouloit  que  ladite  ville  fust  prise  par  force,  en  priant 
ledit  lieutenant  qu'il  cessast  de  faire  plus  tirer  contre 
ladicte  ville  ;  parquoy  la  baterye  fut  cessée  et  le  siège 
arresté,  combien  qu'il  ennuyast  moult  audit  lieutenant 
et  aux  Françoys  qui  la  estoyent,  veu  la  défiance  que 
iceulx  BouUongnoys,  après  rappoi[n]clement,  fa[i]- 
soyent;  mais,  pour  obeyr  au  pape,  tout  fut  arresté. 

Tantost  après  vindrent  ambaxades  de  la  ville  devers 
ledit  lieutenant  du  Roy,  disant  qu'ilz  avoyent  charge 
des  cytadins  et  peuple  de  ladicte  ville  de  dire  au  lieu- 
tenant du  Roy  que  icelle  dicte  ville  et  les  habitans 
avecques  tous  leurs  biens  estoyent  au  pape,  et  de 
v  6 


82  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

l'Eglize;  et,  veu  que  ledit  lieutenant,  qui  la  se  disoit 
pour  le  pape,  vouloit  icelle  prendre  et  destruyre, 
s'esbahissoyent,  en  le  priant,  pour  l'onneur  de  leur 
souverain  seigneur  le  pape,  qu'il  se  vousisent  désister 
de  plus  leur  courir  sus,  et  que  de  leur  part  feroyent 
leur  devoir  et  viendroyent  a  la  raison.  Sur  quoy  fist 
ledit  lieutenant  responce,  en  disant  :  «  Vous  savez 
assez  Gommant,  par  le  consentement  du  pape,  messire 
Jehan  de  Bentivoille,  lors  vostre  chief  et  gouverneur, 
s'est  rendu  au  Roy,  luy,  sa  famille  et  ses  biens  saufz, 
et  commant,  après  qu'il  m'eut  baillé  et  rendu  les  clefz 
de  BouUongne,  mes  fourriers,  en  voulant  mercher 
dedans  les  logys,  ont  estez,  par  vous  et  vostre  co- 
mune,  les  ungs  occis,  les  autres  blecez  et  chacez  ;  et 
ausi  commant,  nonobstant  tout  autre  appoinctement 
entre  le  pape  et  aucuns  de  voz  citadins  faict,  vostre 
cyté  s'est  rebellée  et  faict  tout  l'effort  de  guerre  qu'elle 
a  peu  faire  contre  l'armée  du  Roy  qui  cy  est  :  ce  qui 
est  mal  monstre  a  vous,  que  soyez  ou  veillez  estre 
sugectz  au  pape,  pour  lequel  ladicte  armée  est  icy 
venue.  Dont  a  ceste  cause,  de  ma  part,  je  suys  déli- 
béré de  vous  faire  reparer  tous  ses  mesfaictz  et  d'en- 
trer dedans  Boulongne,  vueillez  ou  non.  »  Sur  ce,  ne 
répliquèrent  lesdiz  ambassadeurs  autre  chose,  doub- 
lant avoir  pys;  mais,  après  plusieurs  autres  raisons, 
conclurent  que  ledit  lieutenant  et  ses  gens  de  cheval 
entreroyent  dedans,  et  les  piétons  demoureroyent  hors, 
esquelz  seroit  de  la  ville  transmys  force  vivres.  Tou- 
tesfoys  ne  fut  du  tout  la  conclusion  arrestée,  par  ce 
que  ancores  n'avoyent  le  consentement  de  tout  le 
peuple  de  la  ville,  mais  fut  dit  que  le  lendemain  a 
quatorze  heures,  qui  sont  viii  heures  en  France,  vien- 


1506]        GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMBOISE,  ETC.  83 

droyent  rendre  responce  sur  ceste  affaire.  Ainsi  retour- 
nèrent lesdiz  ambaxadeurs  pour  raporter  ce  que 
avoieni  faict  et  conclut,  et  besongner  au  surplus.  Pen- 
dant lequel  temps,  messire  Charles  d'Amboise,  lieute- 
nant du  Roy,  et  le  cardinal  de  Nerbonne  parièrent  de 
leur  affaire,  et  après  délibérèrent  entre  eulx  aller 
disner  au  pont,  deux  mille  près  de  la.  Les  ambaxa- 
deurs de  Boulongne  retournez  en  la  ville,  après  leur 
raport  faict,  meurent  la  ville  de  tenir  conseil,  ou  les 
seigneurs  et  la  plus  grant  partye  de  la  commune  furent 
assemblez;  et  la  furent  debatues  plusieurs  choses. 
Toutesfoys  a  la  parfin,  par  comun  assentement,  fut 
dit  que  le  lieutenant  du  Roy,  avecques  les  gens  de 
cheval,  comme  avoit  esté  appoincté  par  lesdiz  ambaxa- 
deurs, entreroyt  en  ladicte  ville.  Dont  s'en  retour- 
nèrent iceulx  ambaxadeurs  devers  ledit  lieutenant  du 
Roy  et  luy  disrent  que,  lorsque  luy  plairoit,  luy  et  ses 
gens  de  cheval  pouvoyent  entrer  en  ladite  ville,  et 
que  aux  piétons  seroit  transmys  vivres  et  provisions 
a  suffisance.  A  quoy  fist  responce  ledit  lieutenant  du 
Roy  que,  a  l'eure  qu'il  se  trouveroit  délibéré,  il  y 
entreroit.  Et,  sur  ce,  luy  et  ledit  cardinal  se  misrent 
a  chemin  pour  aller  disner  au  pont,  comme  devant 
avoyent  entrepriz. 

Lesdiz  ambaxadeurs  se  misrent  au  retour,  et,  tan- 
tost  qu'ilz  furent  en  la  ville,  une  partye  de  la  com- 
mune, qui  n'avoit  esté  appellée  au  conseil  susdit, 
sachant  celuy  appoinctement,  dirent  qu'il  estoit  a  leur 
préjudice  et  que  c'estoit  chose  qui  touchoit  a  tous; 
pour  ce,  de  tous  devoit  estre  approuvée.  Autre  chose 
alléguèrent,  ou  peu  de  propos  raisonnable  avoit.  Et 
ainsi  ceste  meschante  commune,  prompte  a  mectre 


84  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

aux  champs  et  aisée  a  efFrener,  fist  ung  insulte,  et 
avecques  grant  tumulte  misrent  la  main  aux  armes, 
montèrent  sur  les  murailles  de  la  ville  et  recomman- 
cerent  a  tirer  coups  de  trect  et  artillerye  contre  les 
Françoys,  et  les  Françoys  a  eulx;  somme,  chascun 
recomainça  la  guerre  de  nouveau,  et  tant  que  iceulx 
Boulongnoys  firent  une  saillye  de  quatre  a  cinq  mille 
hommes  sur  les  Françoys,  qui  se  tindrent  pié  quoy, 
saisis  de  leurs  armes.  Si  grant  fut  le  bruyt  que  le  lieu- 
tenant du  Roy,  estant  au  chemin  pour  cuyder  aller  dis- 
ner  au  pont,  comme  celuy  qui  de  se  ne  se  doubtoit, 
veu  l'appoinctement  devant  faict,  oyant  cest  efFroy, 
tout  a  course  de  cheval  s'en  retourna  jucques  au  camp, 
ou  la  trouva  ses  gens  d'armes  tous  en  ordre,  près  de 
charger  sur  leurs  ennemys.  Et,  sans  autre  chose  dire, 
luy  qui  estoit  legierement  armé  et  monté  sur  ung 
courtault,  mist  pié  a  terre  et  prist  une  picque  au  poing  ; 
puys  se  mist  avecques  deux  mille  CCCCG  allemans, 
qui  estoient  la  pour  le  Roy,  et  adressa  a  ceulx  qui 
estoient  sortis,  en  manière  qu'ilz  les  reppossa  jucques 
dedans  la  ville,  tant  que  sur  la  foulle,  a  l'entrer  des 
portes,  furent  icelz  Boullongnoys  chapplés  et  assom- 
mez plus  de  deux  cens  ;  et,  n'eust  esté  que  ceulx  qui 
sur  lé  murailles  estoyent  a  coups  de  trect  et  d'artil- 
lerye  donnèrent  sur  les  Allemans  et  recueillirent  leurs 
gens,  peu  en  fust  réchappé. 

Apres  la  retrecte  d'iceulx  Boullongnoys,  voyant  le 
lieutenant  du  Roy  la  desloyaulté  d'iceulx  villains  tant 
continuer,  fut  délibéré  de  leur  donner  l'assault  et  faire 
tout  mectre  a  sac.  Mais  ausi,  sachant  que  le  pape  se 
mal  contanteroit,  veu  ce  qu'il  luy  avoit  mandé,  différa 
et  voulut  sur  ce  tenir  conseil,  ou  appella  les  capi- 


Nov.  1506]   GOMMANT  MESSIRE  CHARLES  D'AMBOISE,  ETC.       85 

taines  de  l'armée  qui  la  estoyent  et  autres,  comme  le 
cardinal  de  Nerbonne  é  l'arsevesque  d'Aiz*  et  plu- 
sieurs autres,  lesquelz  conclurent  que  le  pape  seroit 
desdictes  choses  adverty  et  de  la  desloyaulté  d'iceulx 
Boullongnoys,  et  commant,  au  moyen  des  faulx  tours 
et  appoinctemens  par  eulx  enfrainctz,  le  lieutenant  du 
Roy  a  voit  juste  cause  et  bonne  querelle  contre  eulx, 
par  quoy  estoit  délibéré  de  leur  faire  mortelle  guerre. 
Toutes  ses  choses  furent  mises  par  lectre,  pour  icelles 
demonstrer  au  pape.  Ledit  cardinal  de  Nerbonne  s'en 
retourna  par  devers  luy,  et  luy  bailla  lesdictes  lectres 
que  luy  envoyoit  ledit  lieutenant  du  Roy,  desquelles 
choses  fut  très  mal  content  et  très  anymé  contre  les 
Boullongnoys,  disant  qu'il  les  destruyra,  s'il  fault 
qu'en  armes  aille  sur  le  lieu  et  que  a  bon  droict 
avoyent  deservy  cruelle  pugnicion. 

Aucuns  des  principaulx  de  Boullongne,  lesquelz 
s'estoyent  ja  rendus  au  pape,  misrent  si  bonne  dilli- 
gence  a  rapaiser  le  deffault  que  la  chose  fut  adoulcye, 
moyennant  ce  que  ceulx  de  Boullongne  luy  mandèrent 
que,  quant  luy  plairoit  de  entrer  dedans  la  ville, 
toutes  les  portes  luy  seroyent  ouvertes,  et  au  lieute- 
nant du  Roy  pareillement  :  ce  qui  padflfya  tout. 

Le  pape,  sachant  Boulongne  avoir  dit  le  mot,  manda 
a  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  que, 
dedans  troys  jours  après  ce,  qui  estoit  le  vm'"®  du 
moys  de  novembre,  il  yroit  faire  son  entrée  a  Boul- 
longne, en  le  pryant  que,  avecques  tous  ses  gens 
d'armes  de  cheval,  luy  vousist  tenir  compaygriye  :  ce 
qu'il  fist,  car,  lors  qu'il  sceut  que  le  pape  marchoit  et 

1.  Pierre  Le  Filleul. 


86  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Nov.  1506 

qu'il  approchoit  Boulongne,  avecques  toute  son  armée 
fut  au  devant.  Et  la  luy  fist  le  pape  joyeulx  recueil  et 
très  bonne  chère,  en  remercyant  le  Roy  de  son  bon 
secours,  et  luy  de  la  peine  que  pour  luy  avoit  prise, 
soy  offrant  a  luy  faire  tout  le  plaisir  de  quoy  le  voul- 
droit  requérir*. 

VI. 

Gommant  le  pape  entra  dedans  Boulongne 

AVECQUES  SON  ARMÉE  ET  l' ARMÉE  DU  ROY^. 

Ainsi  s'en  alla  le  Père  Sainct  a  Boulongne  avecques 
ses  gens  de  cheval,  et  ledit  lieutenant  du  Roy  ausi 
avecques  tous  ses  gens  d'armes  ;  et  ainsi  accompai- 
gné  entra  dedans  ladicte  ville  de  Boulongne  a  grant 
triumphe^.  Apres  qu'il  fut  ainsi  entré  et  qu'il  se  vist 
maistre  de  la  ville,  il  fist  comander,  a  peine  de  la 

1.  Il  donna  8,000  ducats  à  Ghaumont  et  10,000  à  ses  troupes 
(Guichardin).  Ascanio  Sforza  et  le  cardinal  Frédéric  de  San  Séve- 
rine ambitionnaient  vivement  tous  de,ux  la  légation  de  Bologne 
(Pauli  Gortesii,  De  Cardinalatu,  fol.  1510,  fol.  xlviii). 

2.  Une  miniature  du  ms.  (fol.  xx)  représente  l'entrée  du  pape 
à  Bologne.  Au  fond,  une  porte  fortifiée,  avec  l'inscription  :  Bou- 
loingne.  Devant,  à  gauche,  en  colonne,  l'armée  française;  au 
milieu,  le  pape,  en  chape  d'or,  en  robe  bleue,  tiare  en  tête  et 
bénissant,  sur  son  mulet  gris  harnaché  de  rouge  et  or;  à  sa  droite, 
un  homme  d'armes  à  cheval,  tenant  l'épée  nue.  Derrière,  des 
cardinaux,  des  évêques,  des  gens  d'armes.  Dans  le  bas,  légende 
en  lettres  d'or  :  «  Lantrée  du  pape,  entra[ntj  dedens  Boloigne.  » 

3.  Jules  II  entra  à  Bologne  le  10  novembre,  malgré  les  avis  des 
astrologues,  qu'il  refusa  d'écouter,  «  caute  potius  ac  clanculum, 
quam  apparenter.  »  Dès  que  son  arrivée  fut  connue,  la  population 
entière  se  porta  au-devant  de  lui  et  l'acclama  avec  un  enthou- 
siasme extraordinaire,  qui  surprit  et  charma  le  pape  (Paris  de 
Grassis).  Érasme  assistait  à  cette  entrée. 


1506]  COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  87 

hart,  que  tout  le  harnoys  de  la  ville  fust  apporté  et 
mys  dedans  une  maison  ordonnée  a  ce  faire  :  ce  qui 
fut  faict,  et  puys  commys  gens  de  par  le  pape  pour 
ladicte  maison  garder  et  disposer  des  armes  comme 
piairoit  a  sa  Saincteté.  La  dedans  fut  festyé  et  entre- 
tenu le  pape,  par  les  cytadins  et  seigneurs  de  la  ville, 
honnorablement.  Et  ainsi  plusieurs  jours  durans  il  fes- 
tya  et  trecta  ledit  lieutenant  du  Roy,  tellement  que 
tousjours  le  fist  seoir  a  sa  table  et  servir  tout  a  souhect, 
en  luy  faisant  tant  familyere  chère  que  a  toute  heure 
parloit  a  luy;  et  lors  qu'il  s'en  voulut  aller,  luy  fist 
grans  dons  et  presens  et  contanta  a  la  raison  et  fist 
en  manière  que  luy  et  les  capitaines  de  l'armée  du  Roy 
tout  amplement  se  contentèrent  de  sa  bénédiction. 

Ce  faict,  ledit  lieutenant  du  Roy  et  les  capitaines 
de  l'armée  prindrent  congé  du  Sainct  Pere^,  puys  s'en 
retournèrent  en  la  duché  de  Millan,  chascun  a  sa  gar- 
nison. 


VII. 


Comment  en  la  ville  de  Gennes,  en  celuy  temps, 

LE  peuple  et  les  NOBLES  d'iCELLE  EURENT  DIVI- 
SION ENSEMBLE,  ET  GOMMANT  CEULX  DU  PEUPLE  CHA- 
CERENT  LES  NOBLES  ET  S' ARMERENT  CONTRE  LE  ROY. 

La  superbe  cyté  de  Gennes,  qui  lors  estoit  entre  les 
mains  du  Roy,  et  soubz  son  pouvoir  gouvernée  par 
messire  Philippes  de  Cleves,  seigneur  de  Ravestain, 
ayant  paix  a  tous  ses  voisins  et  vye  prospère  en  son 

1.  La  nouvelle  en  parvint  à  Blois  le  27  novembre  (Desjardins, 
II,  190). 


88  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

estât,  tout  ainsi  que  grant  aise  fouUe  le  trop  séjourné, 
non  pouvant  endurer  le  bien  de  félicité,  a  soy  mesmes, 
comme  forcennée,  se  voulut  prendre  et  mutiner  par 
guerres  civilles*  et  plus  que  civilles,  car  cytoyen  contre 
cytoyen,  et  parent  contre  parent,  furent  commeuz  en 
manière  que  les  nobles  et  le  peuple  de  ladicte  ville 
eurent  division  mortelle  entre  eulx  ;  et  ce,  pour  ce  que 
les  nobles  voulurent  suppediter  le  peuple,  et  le  peuple 
se  faire  esgal  aux  nobles  et  iceulx  mespriser. 

Or,  est  a  savoir  que  ladicte  ville  de  Gennes,  entre 
les  autres  villes  du  monde,  est  excellente,  extimée, 
tant  en  estât  de  noblece  que  en  faict  de  marchandise  ; 
en  laquelle  sont  grandes  et  anciennes  maisons,  des- 
quelles sont  les  principalles,  comme  je  l'ay  sceu  estant 
sur  le  lieu  (lesquelles,  pour  veriffyer  mon  histoire,  j'ay 
voulu  nommer,  et  partye  des  noms  des  seigneurs  des- 
dictes maisons  qui  en  ce  temps  estoyent)  :  et  pre- 
mièrement la  maison  noble  de  Flisco,  qui  lors  estoit 
la  plus  renommée  de  Gennes,  de  laquelle  estoyent  mes- 
sire  Jehan  Loys  de  Flisco,  seigneur  d'icelle,  Paul  de 
Flisco,  Paris  de  Flisco,  Francus  de  Flisco  et  Manuel  de 
Flisco;  puys  estoit  la  noble  maison  de  Aurya,  dont 
estoient  Jheronyme  de  Aurya,  Stephanus  de  Aurya, 
Marcus  de  Aurya,  Constantin  de  Aurya  et  Raphus  de 
Aurya;  ausi  estoit  l'autre  noble  maison  de  Spinulla, 
de  laquelle  estoyent  Lucas  Spinulla,  Baptiste  Spinulla, 

1.  «  Et  la  cité  de  Gennes,  après  deux  longues  pestillences, 
soubz  le  domaine  de  Loys  douziesme,  roy  de  France,  prosperoit 
si  haultement  que  oncques  ne  fut  veue  en  si  bonne  garde  de 
agrandir,  bénéficier  et  acroistre.  Car  de  tous  coustez  habondoieut 
les  marchandises,  et  les  caracques  de  toutes  pars  apportoicnt 
richesses  innumerablez  »  {Cronaca  di  Genova,  da  Aless.  Salvago, 
pubbl.  da  G.  Desimoni,  p.  98). 


1506]  COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  89 

Jehan  Spinulla,  Stephanus  Spinulla,  Obertus  Spinulla, 
Garolus  Spinulla,  Ghristophorus  Spinulla  et  Jehan 
Jacques  Spinulla;  la  quarte  maison  des  nobles  de 
Gennes  estoit  de  Grimaldis,  dont  portoyent  le  nom 
messire  Jehan  de  Grimaldis,  Amsaldus  de  Grimaldis, 
Georges  de  Grimaldis  et  Jehan  de  Grimaldis.  Autres 
maisons  riches  estoyent  du  peuple  de  Gennes,  qui  se 
nomoit  le  peuple  gras,  c'est  assavoir  ceulx  qui  tenoient 
plus  d'avoir  :  entre  lesquelles  estoit  la  maison  des 
Justinianis,  de  laquelle  estoyent  Silvestre  Justiniani, 
Setephanus  (sic)  Justiniani,  Lucas  Justiniani,  Bricius 
Justiniani,  Paul  Baptiste  Justiniani,  Symon  Justiniani, 
Demetrius  Justiniani;  de  la  maison  de  Furnariis, 
estoient  Mainfredus  de  Furnariis,  Pascal  de  Furnariis 
et  Raphaël  de  Furnariis;  de  Francis,  ausi  estoyent 
Lazarus  de  Francis,  Johannes  Baptista  de  Francis  et 
Bernardus  de  Francis.  Plusieurs  autres  grosses  mai- 
sons des  nobles  et  du  peuple  gras  estoyent  dedans 
Gennes,  comme  la  maison  de  Sauli,  desLomellins,  des 
Cathanées,  de  Nigrono,  de  Usus  Maris,  des  Centurions, 
et  plusieurs  autres  ;  sur  toutes  lesquelles  estoyent  pré- 
eminées  et  de  regnon  les  maisons  de  Adourne  et 
de  Gampefurgose  \  desquelles  estoyent  Augustinus 
Adourne,  le  plus  grant  de  tous  lesdiz  Adournes,  lequel 
avoit  esté  gouverneur  de  Gennes  soubz  le  duc  Ludo- 
vic, lors  qu'i  tenoit  la  duché  de  Millan,  Jehan  Baptiste 
Adourne,  Bernardus  Adourne  et  Baltazar  Adourne. 
De  la  maison  de  Gampefurgose  estoit  seuUement  ung 
nommé  Petrus  de  Gampefurgose,  duquel  le  père  avoit 
esté  lors  duc  de  Gennes,  et  se  tenoient  iceulx  hors  la 

1.  Adorno,  Campofregoso. 


90  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

ville,  dedans  grosses  places  et  fors  chasteaulx  qu'ilz 
avoyent;  et,  combien  qu'ilz  fussent  du  peuple  gras,  si 
vivoyent  ilz  noblement,  sans  user  de  marchandise  que 
parleurs  facteurs.  Or  estoyent  iceulx  Adournes  et  Fur- 
goses  tant  auctorizez  en  ladicte  ville  de  Gennes  que 
toutes  les  auctres  maisons  dessus  nomées,  tant  de 
nobles  que  du  peuple,  voyre  et  toute  la  commune  de 
la  ville,  tenoyent  les  ungs  pour  Furgose  et  les  autres 
pour  Adourne,  tellement  que  par  cy  devant  s'estoyent 
plusieurs  foys  mys  en  armes  Gennevoys  contre  Genne- 
voys  et  faictz  meurdres  et  occisions  avecques  grans 
tumultes  et  sedictions  popullaires  l'ung  contre  l'autre; 
et  tenoyent  a  Gennes  leurs  criz  :  Adourne  et  Furgose, 
comme  a  Rome  :  Coulonne  et  Oursin,  ou  a  Millan  : 
Guelphe  et  Jubellin^  ;  sur  quoy  avoit  le  Roy  mys  telle 
police  et  si  bon  ordre  que  de  son  temps  n'avoyent  eu 
iceulx  criz  concursoires,  lieu  auctorisé  en  manière 
que  nouvelles  en  fust,  a  peine  de  la  hart. 

Pour  entrer  en  propos  historial  sur  le  revoltement 
de  ladicte  ville  de  Gennes,  est  a  reciter  que  iceulx  Gen- 
nevoys, ayant  le  temps  a  plaisir  et  l'eur  a  souhect,  ne 
peurent  longuement  sufFrir  l'aise  de  la  paix  ne  souste- 
nir  la  durté  de  la  guerre,  comme  sera  dit  par  après. 
Car,  au  premier,  le  peuple  gras,  tout  enoingt  de 
richesses  et  boussoufflé  d'orgueil,  avecques  le  popu- 
laire effrenné,  qui  ne  demande  que  mutation  de  sei- 
gneuryes  et  cas  de  nouvelleté,  voyant  les  nobles  vou- 
loir seigneurir  et  prendre  auctorité  sur  eulx,  dirent 
que  telle  injure  ne  sufFriroyent.  Les  nobles,  de  leur 
part,  disans  que  a  eulx  appartenoit  honneur  et  pre- 

l.  Gibelin. 


1506]  COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  91 

minence  sur  marchans  et  mecanicques,  se  tindrent 
fermes,  et  tant  que  la  ou  ilz  trouvoyent  ceulx  du 
peuple  mal  aparentez  les  soufïletoyent  a  toutes  mains 
et  outrageoyent  a  leur  pouvoir.  Ceulx  du  peuple  pareil- 
lement leur  faisoient  de  mesmes,  et  eussent  plus; 
mais  autres  que  les  nobles  n'avoyent  loy  de  porter 
espées  ou  armes  par  la  ville  :  par  quoy  iceulx  nobles 
se  trouvoient  la  plus  des  foys  les  plus  fors;  dont 
s'eschaufïerent  de  plus,  et  firent  iceulx  nobles  forger 
espées  et  dagues,  ou  firent  engraver  et  mectre  sur  les 
manches  et  lumelles  de  leurs  glayves  en  escript  :  Cas- 
tiguevillain.  Le  peuple  gras  et  la  commune  se  misrent 
a  gronder  contre  les  nobles,  et  a  grosses  bendes  che- 
minèrent par  les  rues,  et  marchèrent  devant  eulx  en 
les  mesprisant,  et  voulurent  prendre  les  honneurs  et 
eulx  auctoriser  par  tout  devant  lesdicts  nobles.  Et  ainsi 
chascun  d'eulx  faisoit  commaincement  de  mutin.  Et, 
pour  continuer,  ung  gennevoys  du  peuple  gras,  nommé 
Manuel  de  Ganalle,  durant  ce  temps,  rencontra  par  la 
ville  ung  des  gentishommes  de  Gennes  nommé  Martin 
Spinulla,  auquel  demanda  quelque  chose  qu'il  luy 
devoit,  comme  il  disoit  :  lequel  gentilhomme,  en  lieu 
d'autre  payement,  haulsa  la  main  et  dona  a  celuy  de 
Ganalle  telle  souffle  sur  la  joue  que  le  sang  luy  en 
vint  au  nez  et  a  la  bouche;  puys  passa  oultre,  sans 
dire  mot^ .  Celuy  qui  avoit  eu  la  buffe  estoit  mal  accom- 
paigné  et  sans  baston,  dont  ne  se  peut  revencher;  si 
s'en  va  avecques  cella,  disant  entre  les  dentz  :  «  Vous 

1.  Le  chroniqueur  Salvago  rejette  la  faute  sur  le  parti  popu- 
laire, toujours  agité,  incapable  de  paix  et  qui  refusait  de  payer 
ses  dettes,  qui  avait  même  comploté  la  mort  de  tous  les  gentils- 
hommes (Cronaca  di  Genova,  éd.  Desimoni,  p.  98  et  suiv.). 


92  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

m'avez  preste  vostre  mytaine,  gentilhomme  de  bran, 
que  de  fièvre  quartine  soyez  vous  esposé  et  moy  si  a 
quelque  eure  ne  la  vous  rendz  !  »  Toutesfoys,  pour 
l'eure  n'en  fut  autre  chose.  Dedans  peu  de  jours  après 
ce,  advint  que  ung  autre  des  gentishommes  de  Gennes, 
filz  d'ung  nommé  Dominicque  de  Nigrono,  fut  a  la 
maison  d'ung  notaire  nommé  Bernard  Ragius;  et  la 
celuy  gentilhomme  prya  la  femme  dudit  Ragius  de 
deshoneur,  laquelle  ne  voulut  par  amour  a  son  deshor- 
donné  vouloir  obeyr  :  dont  se  voulut  celuy  prendre  a 
elle  par  force.  Si  se  prist  a  cryer  et  a  deffendre  sa 
pièce,  tant  qu'elle  eschappa  de  ses  mains,  et,  lors  que 
son  mari  fut  venu  de  quelque  lieu,  ou  il  estoit  ce  jour 
allé,  elle  luy  dist  en  plorant  commant  ledit  gentil- 
homme s'estoit  pris  a  elle  et  l'avoit  voullu  forcer.  Dont 
celuy  notaire  s'en  alla  plaindre  a  messire  Phelippes  de 
Cleves,  gouverneur  de  Gennes  pour  le  Roy,  lequel 
s'enquist  de  l'affaire;  et,  sachant  la  vérité  du  faict, 
voulut  faire  prendre  et  pugnir  ledit  de  Nigrono,  mais 
il  se  osta  du  chemin  et  se  absenta  de  la  ville  pour  ung 
temps,  et  demeura  hors,  jucques  son  père  et  aucuns 
autres  ses  amys  eussent  adoulcy  le  forfaict  et  appaisié 
partye  :  ce  qu'ilz  firent.  Ce  faict,  ledit  gentilhomme 
s'en  revint  a  la  ville,  lequel  n'eut  la  esté  gueres  de 
jours  que  il  ne  se  trouvast  a  ung  autre  bruyt,  tel  que 
il  eut  parolles  injurieuses  avecques  ung  du  peuple, 
nommé  Peregrum  de  Leonardis,  et  tellement  que  de 
parolles  a  patacz  vint  la  chose,  en  manière  que  ledit 
gentilhomme,  qui  avoit  ung  poignart  au  costé,  occist 
ledit  Peregrum  :  dont  s'en  alla,  et  avecques  le  secours 
d'aucuns  autres  gentishommes  ses  amys  fut  mys  hors 
la  ville.  Ce  faict,  voyant  le  peuple  que  a  toute  eure 


1506]  COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  93 

estoyent  les  nobles  de  Gennes  en  querelle  contre  eulx, 
s'assemblèrent  a  grosses  trouppes  le  long  des  rues,  et 
la  ou  ilz  rancontroyent  les  gentishommes  ilz  leur  cou- 
royent  sus;  et  de  la  en  avant  furent  délibérez  que  la 
première  foyz  que  iceulx  gentishommes  feroyent  bruyt, 
que  tout  le  peuple  s'esleveroit  et  avecques  grant 
tumulte  occiroyent  tous  les  gentishommes  de  Gennes. 
Messire  Phelippes  de  Gleves,  conte  de  Ravestain  et 
gouverneur  de  Gennes  pour  le  Roy^,  voyant  le  diffe- 

1.  Jean  d'Auton  se  montre  trop  bienveillant  pour  Ravenstein, 
personnage  altier,  sympathique  à  la  noblesse,  mais  un  peu  impré- 
voyant, dont  on  a  vu  précédemment  le  triste  rôle  à  Naples  et  à 
Métélin.  Ravenstein,  d'ailleurs,  ne  résidait  pas  assez  à  Gênes.  Il 
venait  à  peine  de  revenir  de  France,  en  septembre  1505,  au 
moment  des  premiers  troubles  de  Gênes,  lorsqu'une  épidémie 
s'étant  déclarée,  il  se  retira  à  Milan  pour  l'éviter,  ce  dont  le 
grand  maître  Ghaumont  le  blâma  très  vivement  (Sanuto,  VI,  223). 
Son  lieutenant  Roquebertin,  sympathique,  lui,  au  parti  populaire, 
partit  également  pour  les  eaux  d'Acqui;  il  se  hâta  de  revenir,  à 
la  nouvelle  des  événements,  mais  trop  tard  (Salvago).  Au  reste, 
Jean  d'Auton  se  contredit  plus  loin;  il  parle  du  retour  de  Ravens- 
tein à  Gênes,  ce  qui  suppose  bien  son  absence.  Cf.  le  remar- 
quable exposé  de  l'affaire  par  Guichardin.  Nous  indiquerons  plus 
loin  la  narration  de  l'affaire  d'après  le  parti  de  la  noblesse.  — Le 
ms.  Dupuy  264  (fol.  79)  contient  du  reste  un  curieux  rapport  de 
Ravenstein  au  roi,  daté  de  «  Gênes,  25  janvier  »  (probablement 
1501),  qui  montre  que  depuis  longtemps  on  ressentait  les  difficul- 
tés de  la  situation  et  que  le  roi  prescrivait  de  les  tourner  à  force 
de  vigilance,  de  patience  et  de  douceur.  Ravenstein  proteste 
qu'il  a,  selon  son  expression,  l'œil  ouvert  aux  affaires  :  «  La, 
Dieu  mercy,  jusques  a  ceste  heure  tout  y  est  bien,  et  ne  dormi- 
ray  point  ou  il  sera  besoing.  Et,  pour  entretenir  ceulx  de  ceste 
ville  en  doulceur,  j'espère  de  les  conduyre,  en  sorte  que  par  rai- 
son n'auront  cause  d'eulx  mal  contenter.  »  Il  ajoute  le  compte  de 
l'argent  qu'il  a  reçu  ;  on  augmente  les  forces  militaires.  Il  a  mis 
sur  la  Charente  150  mariniers  et  des  vivres  pour  un  mois.  Il  y  a 
neuf  autres  galères.  On  pourrait  en  envoyer  d'autres  sans  risque. 
Il  réclame  vivement,  pour  satisfaire  les  Génois,  l'autorisation 


94  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506 

rent  et  la  division  des  nobles  et  du  peuple,  adressa 
sur  ce  sa  parole  a  l'ung  et  a  l'autre,  en  leur  disant  : 
«  Mess'%  la  division  civille  d'entre  vous,  qui  vient 
d'une  chose  qui  de  petite  occasion,  vous  pourra  porter 
doumage  inreparable  et  perte  sans  recœuve.  Entendez 
que  toutes  les  plus  grandes  et  plus  renommées  cytez 
du  monde  sont  tumbées  en  ruyne  et  demeurées  en 
desercion  par  les  seuUes  divisions  et  guerres  intestines 
et  civilles  de  leurs  mesmes  cytoyens  ;  et  sachez  que, 
par  le  lyen  de  concorde,  petites  choses  se  augmentent 
grandement  ;  mais,  par  l'effort  de  discorde,  les  grandes 
seigneuries  sont  anyentyes;  et  vous  souvieigne  que 
tous  royaumes  ou  pays  divisez  cheent  sans  ressource 
et  viennent  a  ruyneuse  désolation.  Ne  faictes  doncques 
que,  par  vous  mesmes,  vous  et  vostre  cyté  soyez  des- 
truytz  et  exiliez,  car  c'est  la  fin  du  payement  du  salaire 
de  division.  »  Plusieurs  autres  remonstrances  et  adver- 
tissemens  de  proffict  leur  fist  ledit  seigneur  de  Raves- 
tain^,  mais  pour  ce  ne  se  rappaiserent  ;  dont,  voyant 

d'importer  les  blés  de  Provence  et  Languedoc,  vu  le  prix  des 
marchandises. 

1.  Ravenstein  essaya  de  résister.  Le  Conseil  général  ayant 
décidé  une  révision  de  la  constitution,  Ravenstein  fit  ses  réserves 
absolues,  «  salva  auctoritate  régis,  »  ce  qui  excita  une  vive  pro- 
testation et  motiva  un  mémoire  énergique  du  Conseil  au  roi. 
Dans  ce  mémoire,  le  Conseil  proteste  hautement  de  la  pureté  de 
ses  vues  et  de  la  régularité  de  ses  actes;  il  allègue  l'unanimité  de 
s^n  vote.  Il  rappelle  la  capitulation,  acceptée  par  le  roi,  d'après 
laquelle  on  doit  observer  les  statuts  de  la  ville  :  or,  Gênes  a  tou- 
jours eu  le  droit  de  réformer  ses  statuts.  L'article  premier  de  la 
capitulation  dit  que  les  anciens  seront  élus  selon  la  coutume  : 
mais,  dans  sa  réponse,  le  roi  n'a  pas  reproduit  ces  mots.  D'ail- 
leurs, on  a  exactement  suivi  les  règles  de  la  procédure  coutumière. 
Gênes,  en  modifiant  de  tout  temps  ses  lois,  a  d'ailleurs  obéi  au 
droit  naturel  et  général  :  «  De  jure  communi,  omnes  populi  pos- 


Juillet  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  95 

leur  obstination,  s'en  alla  devers  le  Roy  pour  l'ad ver- 
tir  desdites  choses*.  Et  ce  pandant  iceulx  tant  suy virent 
leur  maleur  que  le  xv*"®  jour  de  Jung  2,  en  l'an  susdit 
mille  GCCCC  et  six,  advint  que  ung  des  gentishommes 
de  Gennes,  nommé  Visconte  de  Aurya,  se  trouva  en  la 
place  de  Aurya,  ou  se  vendoit  la  fruyte  et  les  herbes, 
de  quoy  se  repaissent  souvant  les  Gennevoys  ;  et  la 
fut  ung  autre  Gennevoys  nommé  Guillon,  de  ceulx  du 
peuple,  lequel  marchanda  a  quelqun  qui  la  estoit  des 
potirons,  que  les  aucuns  appellent  champaignons,  et 
iceulx  voulut  emporter;  ce  que  voulut  avoir  ausi  ledit 
gentilhomme,  et  mist  la  main  au  panier  ou  estoient 
lesdits  potirons.  Geluy  Guillon,  qui  ancores  ne  les  a  voit 
paiez,  les  voulut  emporter,  disant  que  premier  les  avoit 
marchandez  et  qu'il  les  auroit.  Et,  voyant  ce,  ledit  gen- 
tilhomme haulce  la  main  et  donne  ung  grant  coup  de 
poing  au  travers  du  visage  dudit  Guillon,  en  disant  : 
«  Emporte  cela,  villain,  et  j'emporteray  les  potirons  !  » 
Et  de  faict  tira  une  dague  qu'il  avoit  et  voulut  frap- 
per ledit  Guillon,  qui  tantost  quicta  le  gaige,  et,  comme 
oultragé  d'avoir  esté  batu,  tout  plain  d'ire  et  de  cour- 
roux, commance  a  cryer  :  Poplef  poplef  sur  les  gen- 
tishommes. Dont  tout  a  coup  se  raeut  le  peuple,  et 
mesmement  (comme  j'ay  seu  audit  lieu  de  Gennes) 
furent  troys  du  peuple  nommez  Paule  Baptiste  Justi- 
niani,  Bricius  Justiniani  et  Manuel  de  Ganalle,  qui  pre- 
mier firent  le  bruyt,  et  mutinèrent  le  peuple  contre  les 

sunt  sibi  condere  leges  et  statuta  sub  quibus  vivere  habeant  et 
tam  in  procedendo  quam  in  judicando  et  in  aliis  »  (Bibl.  de  l'Uni- 
versité de  Gênes,  ms.  Vc,  fol.  194). 

1.  D'après  le  Mémoire  des  Nobles  (fr.  2961,  fol.  23),  cette  pre- 
mière insurrection  eut  lieu  le  20  juin  et  s'apaisa. 

2.  18  juillet,  d'après  le  Mémoire  des  Nobles. 


96  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1506 

nobles,  tant  que,  au  cry  dudit  Guillon,  chascun  courut 
aux  armes,  si  que,  en  moings  d'une  heure,  plus  de  dix 
mille  villains  furent  armez  par  les  rues,  cryant  tous  : 
Poplef  poplef  a  haulte  voix,  adressant  aux  maisons 
des  gentishommes,  dont  plusieurs  en  tuèrent.  Les 
aultres,  voyant  ainsi  contre  eulx  le  peuple  esmeu, 
habandonnerent  leurs  maisons  et  s'en  fouyrent  hors  la 
ville.  Or  estoit  demeuré  celuy  Visconte  de  Aurya  en 
ladite  place,  ou  se  trouvèrent  aucuns  marchans,  et  luy 
disrent  :  «  Ostez  vous  d'icy,  de  Aurya,  ne  voyez  vous 
le  peuple  en  armes  contre  vous  autres  gentishommes? 
sachez  que,  s'il  vous  trouvent  icy,  que  vostre  vie  est 
bazardée  au  plus  périlleux  danger  qu'elle  fut  oncques, 
et  pour  ce  advisez  a  vostre  affaire,  car  le  plus  tost  ne 
sera  pas  assez.  »  Desquelles  parolles  ne  fist  compte 
ledit  de  Aurya  \  mais  dist  qu'il  ne  craignoit  les  villains 
ne  toute  leur  puissance,  et  les  actendit  en  l'eure  que 
son  maleur  ne  luy  fuyt,  car  iceulx  villains  sans  nul 
respit  le  taillèrent  en  pièces,  et  tous  ceulx  qu'ilz  en 
peurent  raincontrer. 

Le  seigneur  Jehan  Louys  de  Flisco^,  oyant  ce  bruyt, 
se  fortiffia  en  sa  maison^,  ou  mist  grant  nombre  de 
gens  armez  pour  le  garder  ;  mais  nul  de  ses  gens  ozoit 

1.  D'après  Salvago,  Doria  était  au  contraire  l'iiomme  le  plus 
doux  et  le  plus  inoffensif. 

2.  Jean-Louis,  d'après  Salvago,  était  le  principal  personnage 
de  la  ville  et  très  populaire,  malgré  ses  attaches  aristocratiques. 
Il  essaya  en  vain  de  calmer  le  peuple  :  la  colère  populaire  se 
retourna  contre  lui;  on  fit  le  siège  de  son  palais,  et  il  dut  s'en- 
fuir. Cependant  Roquebertin  avait  accordé  à  la  foule  ameutée 
démission  de  tous  les  olïiciers  et  promesse  de  prendre  les  nou- 
veaux par  tiers,  dans  la  noblesse,  dans  la  bourgeoisie,  dans  le 
peuple. 

3.  Appelée  Violata. 


Juillet  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  97 

aller  par  la  ville  quérir  vivres  et  ce  qu'il  luy  estoit 
nécessaire,  par  quoy  luy  fallut  a  la  parfîn  desloger  et 
lesser  sa  maison,  et,  le  plus  segretement  qu'il  peut, 
issit  de  la  ville.  Si  s'en  alla  a  ung  chasteau  sien,  nommé 
Montaubyou^  a  xii  mille  de  Gennes,  ou  demeura 
quelque  peu  de  temps,  en  actendant  si  le  peuple  ce 
pendant  se  passiffieroit;  ce  que  ne  fist,  car,  lors  que 
lesdits  gentishommes  eurent  habbandounée  la  ville, 
ceulx  du  peuple  entrèrent  dedans  les  maisons  d'iceulx, 
et,  comme  si  de  bonne  guerre  tout  leur  fust  habban- 
donné,  mirent  la  main  au  pillaige  et  emportèrent  tout 
"^e  que  dedans  trouvèrent,  et  d'aucunes  d'icelles  s'em- 
parèrent. Dont  ledit  seigneur  Jehan  Louys,  de  ce 
adverty,  ne  s'en  oza  retourner,  mais  s'en  alla  a  une 
petite  ville  nommée  Gavy,  terre  des  nobles  de  Gennes, 
ou  illecques  s'assemblèrent  tous  les  chassez  et  tin- 
drent  conseil  sur  leur  affaire,  dont  la  conclusion  fut 
d'envoyer  devers  le  Roy^  pour  l'advertir  de  l'insur- 
rection du  peuple,  qui  avoit  ainsi  tuez  et  chacez  les 
nobles  de  sa  ville  de  Gennes,  et  luy  pryer  qu'il  luy 
plust  y  mectre  bonne  paix  et  doulce  union,  ou  autre- 
ment sadite  ville,  plaine  de  peuple  effrenné,  se  pou- 
roit  par  elle  mesmes  destruyre  ou  faire  quelque  rébel- 
lion contre  Sa  Magesté;  a  quoy  estoit  besoing  de 
mectre  ordre  somairement.  Et,  pour  lesdites  choses 
rapporter,  envoyèrent  iceulx  gentishommes  ung  des 
nobles    de   leur    party^,    docteur,    nommé    messire 

•1.  Montobbio. 

2.  La  chronique  du  Loyal  serviteur  attribue  cette  décision  au 
seul  Jean-Louis. 

3.  On  répandit  le  bruit  en  Italie  que  cet  envoyé  avait  emporté 
100,000  ducats  à  distribuer  à  la  cour  (Frati,  le  Due  spedizioni  mili- 
tari di  Giulio  II,  141). 

IV  7 


98  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1506 

Estienne''.  Geulx  du  peuple,  sachant  que  lesdits  gen- 
tishommes  envoyoient  devers  le  Roy  pour  faire  plaincte 
d'eulx,  pareillement  y  envoyèrent  de  leur  part  ung 
autre  docteur,  nommé  messire  Nycholas^,  pour  luy 
dire  et  remonstrer  les  griefves  injures  et  continuelles 
extorcions  que  les  nobles  par  cy  devant  leur  avoyent 
faictes,  disant  que,  de  leur  part,  il  s'en  vouloyent  du 
tout  soubmectre  a  son  bon  vouloir  et  arrestée  ordon- 
nance. Lesdits  messagiers  ouys  par  le  Roy,  et  mise  la 
chose  en  conseil,  fut  apoincté  par  ledit  seigneur  que 
messire  Phelippes  de  Cleves,  conte  de  Ravestain, 
retourneroit  audit  lieu  de  Gennes,  et,  pour  assister 
avecques  luy,  deux  docteurs  luy  furent  baillez,  nom- 
mez messire  Estienne  Olivier  de  Vienne,  seigneur  en 
parlement  de  Grenoble,  et  messire  Falque  d'Aurillac, 
pour  ouyr  et  ordonner  du  différant  d'iceulx  Genne- 
voys.  Et,  sur  ce,  furent  par  le  Roy  iceulx  despeschez, 
lesquelz  s'en  retournèrent  a  Gennes.  Et,  en  tirant  celle 
part,  ledit  conte  de  Ravestain  prist  pour  sa  seurté 
mille  ^  hommes  pour  le  conduyre  audit  lieu  ;  et  ausi, 
affin  que  ladite  chose  fust  tousjours  myeulx  esclarcye 
et  consultée,  envoya  a  Seine  quérir  ung  docteur,  qui 
la  estoit  conseiller  de  justice,  nommé  ledit  docteur 

1.  St.  Vivaldi.  Il  fut  accueilli  à  la  cour  avec  beaucoup  de 
faveur.  Symphorien  Gharapier  nous  a  conservé  le  texte  de  son 
discours  au  roi  dans  l'opuscule  Sequitur  competidiose  atque  siib 
forma  epitomatis  expeditio  in  Genuenses  a  domino  Simphoriano 
Champerio  compilata,  imprimé  à  la  suite  du  Tropheum  Gallorum. 

2.  Nicolas  de  Oderico.  Son  instruction  est  datée  du  6  août 
(Archives  de  Gênes,  Istruzioni  e  relazioni  diplomatiche ,  f"  3, 
2707  c).  Le  7  août,  Demetrio  Giustiniani  fut  accrédité  près  de 
Ravenstein  (Ibid.).  Oderico  reçut,  le  30  août,  de  nouvelles  ins- 
tructions (Ibid.). 

3.  700,  d'après  Salvago. 


Juillet  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  99 

messire  Estienne  de  Cernerieu,  lequel  se  trouva  audit 
lieu  de  Gennes  avecques  les  autres.  Et  la  tous  ensemble 
commaincerent  a  faire  inquisicion  de  ce  qui  leur  estoit 
enchargé  et  consulter  leur  affaire. 

Messire  Jehan  Loys,  qui  estoit  a  Gavy,  sachant  la 
venue  du  conte  de  Ravestain  et  de  ceulx  que  le  Roy 
avoit  la  transmys,  pencent  que  seurement  pouroit 
aller  a  Gennes,  se  mista  chemin  pour  tirer  celle  part, 
et,  a  toutes  adventures,  prist  cinq  cens  hommes  de  pié 
pour  le  conduyre  et  mener  plus  seurement.  Si  s'en 
entra  avecques  son  enfenterye  dedans  la  ville,  et  s'en 
alla  a  sa  maison.  Le  peuple  de  ladite  ville,  qui  ne 
l'avoit  pas  agréable,  voyant  que  a  grosse  bende  estoit 
entré,  et  ausi  que  le  seigneur  de  Ravestain  avoit  la 
amené  grant  nombre  de  gens,  se  doubtant  que  quelque 
force  luy  pouroit  estre  faicte,  a  ce  moyen  ne  voulut 
entendre  au  conseil  ;  mais ,  comme  suspecionneulx 
d'iceulx  gens  d'armes,  commaincerent  a  cryer  Poplef 
Poplef  et  s'armèrent  a  grosse  roupte,  et  firent  ung 
concurse  tumultuaire  contre  ledit  seigneur  Jehan 
Louys,  en  le  voulant  assiéger  en  sa  maison.  Et,  voyant 
ce  bruyt,  le  conte  de  Ravestain^  fut  devers  le  peuple 
esmeu,  pour  le  cuyder  adoulcir,  en  -disant  :  «  Mess'^% 
voulez  vous  faire  contre  ce  que  vous  avez  mandé  au 
Roy,   vostre   souverain  seigneur,    qui,   en   vouUant 

1.  C'est  Ravenstein  qui,  après  avoir  conféré  avec  les  nobles  à 
Asti,  prit  la  chose  de  haut,  ordonna  à  Fieschi  de  rentrer  ouver- 
tement avec  d'autres  nobles  et  résolut  d'écraser  le  parti  populaire. 
Mais  l'entourage  de  Ravenstein  le  trahit  et  encouragea  au  con- 
traire le  peuple  (Salvago).  Son  gouvernement,  à  ce  moment-là 
même,  mettait  hors  la  loi  un  noble  génois,  Giov.-Batista  Palla- 
vicino,  coupable  de  piraterie  (Pat.  du  11  juillet  1506.  Bibl.  de 
l'Université  de  Gênes,  ms.  Vc,  fol.  196,  198). 


100  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1506 

obtempérer  a  vostre  prière  et  remonstrance,  a  cy  faict 
assembler  tout  plain  de  sages  hommes  et  gens  de 
conseil  pour  vous  faire  droict  et  justice  contre  ceulx 
qui  tort  vous  auront  faict,  et  remectre  vostre  cyté  en 
paisible  estât  et  tenir  en  franche  liberté?  Ne  luy  avez 
vous  mandé  que  a  son  vouloir  estyez  près  d'obeyr  et 
faire  ce  qu'il  luy  plaira  adviser  sur  le  différant  de  vous 
et  des  nobles  de  ceste  cyté?  Quel  raport  luy  pourray  je 
faire  de  vous  et  de  vostre  obbeissance,  que  je  voy 
contraryer  du  tout  a  raison,  veu  que,  en  lieu  de  trec- 
ter  la  paix,  vous  mectez  la  main  aux  armes?  Je  vous 
pry,  Mess'^%  que,  pour  le  bien  de  vous  et  de  vostre 
dite  cyté,  toutes  voz  divisions  soyent  de  ores  en  avant 
assouppées  et  anyentyes,  et  que,  par  l'avys  du  con- 
seil du  Roy  et  du  vostre  qui  cy  est,  toute  la  rumeur 
et  discencion  d'entre  vous  soyent  amendées.  »  Autres 
remonstrances  raisonnables  leur  mist  devant  les  yeulx, 
mais  tout  fut  pour  néant  ;  car  ladite  commune,  toute 
plaine  de  premier  motif,  tout  a  une  voix  fist  responce, 
que  ja  ne  lesseroyent  ceulx  du  peuple  leurs  armes,  ne 
n'entendroyent  a  propos  de  conceil,  que  première- 
ment ledit  messire  Jehan  Loys  avecques  ses  piétons 
ne  fust  hors  la  ville,  et  que  jamais  gentishommes  n'au- 
royent  pouvoir  sur  eulx.  Sur  quoy  ne  sceut  ledit  sei- 
gneur de  Ravestain  de  quel  moyen  savoir  user,  si 
n'est  qu'il  s'en  alla  devers  ledit  seigneur  Jehan  Loys 
et  luy  dist  qu'il  estoit  besoing  que  hors  la  ville  s'en 
allast,  autrement  le  peuple  ne  laisscroit  les  armes  et 
n'obeyroit  a  raison,  ce  qui  pourroit  estre  cause  de 
convertir  division  civille  en  rébellion  publicque,  disant  : 
«  Parce  que  celuy  peuple,  ja  presque  révolté,  pourroit 
pencer  que,  a  l'ayde  des  gens  d'armes,  que  vous  et 


Juillet  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  101 

moy  avons  cy  amenez,  on  leur  vouldroit  faire  quelque 
force,  et  que  le  Roy  donneroit  contre  eulx  faveur  aux 
nobles,  a  ce  moyen  se  pourroit  toute  la  ville  rebeller, 
ce  qui  seroit  tant  difïicille  a  ramender  que,  pour  le 
moings,  ennuy  ou  doumage  s'en  ensuyvroit  pour  le 
Roy,  et  pour  la  cyté  servitute  ou  desercion.  Par  quoy, 
dist  il,  me  semble  pour  le  myeulx,  en  obvyant  a  ses 
dangers,  que  devez  desemparer  pour  ung  temps.  Et, 
ce  pendant,  le  Roy  pourvoira  a  l'affaire,  en  manière 
que  les  nobles  seront  remys  et  maintenus  en  leurs 
auctoritez,  et  le  peuple  gardé  et  tenu  en  son  droict.  » 
Oyant  ledit  seigneur  Jehan  Loys  celle  remonstrance 
raisonnable,  dist  :  «  Il  m'enuye  bien  que,  pour  la 
menace  de  villains  et  le  danger  d'ung  peuple  esmeu, 
je  soye  contrainct  d'abbandonner  ma  maison;  mais, 
pour  ce  que  c'est  ores  pour  le  myeulx,  faire  le  me 
fault.  »  Et,  ce  dit,  fist  trosser  ses  bagues  et  se  mist  a 
chemin  pour  sortir  hors  la  ville,  lequel  fut  en  pas- 
sant menasse  des  villains  et  en  danger  d'estre  d'eulx 
assailly.  Mais  il  sortit  et  s'en  alla  a  sondit  chasteau  de 
Montaubyou,  ou  fist  faire  a  ses  gens  le  guect  toute 
nuyt,  comme  celuy  qui  se  doubtoit  d'avoir  suyte,  ce 
qu'il  eut,  car  celle  mesme  nuyt  sai^lirent  de  Gennes 
plus  de  dix  mille  homes  en  armes  et  le  suyvirent  juc- 
ques  a  ung  lieu  nommé  Carie  ^  une  place  sienne,  a 
six  mille  près  de  Gennes,  le  pencent  la  trouver.  Mais 
il  avoit  passé  oultre  et  estoit  allé  a  Montaubyou,  comme 
j'ay  dit,  dont  bien  luy  en  fut  ;  car  il  avoyent  délibéré 
et  juré  tous  ensemble  de  l'assiéger  et  prendre  d'as- 
sault  et  tuer  luy  et  tous  ses  gens,  sans  en  respiter  ung 

1.  Garro. 


102  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.    [Novembre  1506 

seul.  Advint  que  iceulx  Gennevoys,  ainsi  mutinez, 
voyant  que  ledit  seigneur  Jehan  Loys  estoit  a  Montau- 
byou,  disrent  que  la  le  yroyent  assallir  et  proposèrent 
d'y  aller  mectre  le  siège. 

Le  conte  de  Ravestain,  gouverneur  de  Gennes, 
sachant  la  saillye  et  l'exploict  d'iceulx  Gennevoys,  et 
le  vouloir  qu'ilz  avoyent  d'aller  mectre  le  siège  devant 
le  seigneur  Jehan  Loys,  prist  quant  et  luy  aucuns  des 
conseilliers  qui  avecques  luy  estoient,  quelques  mar- 
chans  ausi  et  cytadins  de  la  ville,  et  s'en  alla  au  devant 
desdits  Gennevoys ,  qui  ja  tiroient  vers  ledit  lieu  de 
Montaubyou,  délibérez  de  l'assiéger,  et  iceulx,  par 
doulces  parolles  et  belles  remonstrances,  quelque  peu 
adoulcist,  les  voulant  faire  retourner  a  Gennes  ;  ce  que 
ne  voulurent,  mais  s'en  allèrent  a  ung  lieu  nommé 
Ghabery^,  au  port  de  Lespece,  et  aux  autres  appar- 
tenances desdites  places  que  tenoit  ledit  messire  Jehan 
Loys,  et  icelles  prindrent  par  force  et  misrent  gens 
dedans  pour  les  garder.  Sachant  le  seigneur  de  Ravestain 
la  prise  desdites  places,  fut  somer  les  gens  de  ladite 
commune  de  icelles  rendre  et  mectre  entre  les  mains 
et  a  l'obéissance  du  Roy,  a  qui  elles  appartenoyent  ; 
ce  que  ne  voulurent,  mais  disrent  qu'ilz  les  garderoyent 
a  qui  elles  appartenoyent  et  ne  voulurent,  par  comman- 
dement ne  autrement,  rendre  au  Roy  lesdites  places. 
Dont  le  seigneur  de  Ravestain  en  advertist  le  Roy  ^  et 


1.  Chiavari. 

2.  Louis  XII  écrivait  sans  cesse  aux  Génois  pour  essayer  de 
les  calmer,  pour  les  inviter  à  lui  soumettre  pacifiquement  leurs 
différends,  mais  sans  succès  (Salvago).  Ravenstein,  ne  pouvant 
rien  apaiser,  s'esquiva,  assez  malaisément  même,  et  laissa  Roque- 
bertin  aux  prises  avec  les  ditlicultés  (25  octobre  1506). 


Nov.  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  103 

de  tout  le  bruyt  que  avoyent  faict  iceulx  Gennevoys, 
et  commant  il  n'avoyent  voulu  entendre  au  conseil,  ne 
oyr  parler  de  l'apoinctement  d'eulx  et  des  gentis- 
hommes,  et  que  il  ne  pouvoit  plus  donner  ordre  en 
leur  affaire,  car  il  estoyent  presque  tous  révoltez  et  en 
vye  de  faire  quelque  rebbellion,  et  que,  s'il  plaisoit  au 
Roy  qu'il  s'en  allast  par  devers  luy,  qu'il  l'avertiroit 
du  tout.  Le  Roy,  oyant  ses  nouvelles,  manda  audit  sei- 
gneur de  Ravestain  qu'il  s'en  retournast  par  devers  luy  S 
ce  qu'il  fist  ;  et,  premier  que  partir,  voulant  au  myeulx 
pourvoir,  laissa  son  lieutenant,  audit  lieu  de  Gennes, 
ung  nommé  Phelippes  de  Roquebertin,  gouverneur  de 
Plaisance,  et  avecques  luy  ung  autre,  nommé  messire 
Estienne  de  Gernerieu,  docteur,  lesquelz,  au  myeulx 
qu'ilz  peurent,  misrent  peine  de  rapaiser  le  peuple  et 
les  cytadins  entretenir,  en  manière  qu'il  n'y  eut  plus 
de  bruyt  dedans  Gennes,  mais  tousjours  tenoyent, 
ceulx  de  la  commune,  les  places  par  eulx  prises,  sans 
les  vouloir  rendre,  et  pour  chose  du  monde  ne  vou- 
loyent  que  les  gentishommes  chacez  tournassent  dedans 

1.  Au  contraire,  à  son  retour,  dès  le  mois  de  septembre  1506, 
Ravenstein  déclarait  tous  les  tumultes  apaisés  et  n'avait  plus 
d'inquiétude  (Sanuto,  VI,  426).  Son  départ  précipité  eut  toutes 
les  apparences  d'une  fuite  («  con  infamia,  »  dit  Sanuto,  ibid., 
c.  471;  cf.  Giustiniani,  Annales).  L'assertion  de  Jean  d'Auton  est 
erronée.  En  disparaissant,  Ravenstein  laissait  le  champ  libre  aux 
fauteurs  de  désordre,  que  son  lieutenant  se  flattait  de  contenir 
en  abondant  dans  leur  sens  {Relation  inédite  du  siège  de  Monaco. 
Cette  Relation,  ({MQ  nous  aurons  à  citer  plus  d'une  fois,  est  une 
traduction  italienne,  —  conservée  aux  Archives  de  Monaco  et 
dont  nous  devons  une  transcription  à  l'obUgeance  de  M.  le  con- 
seiller d'État  Saige,  —  d'une  relation  latine  écrite,  selon  M.  Saige, 
par  Jean-François  Marenco  d'Alba,  médecin  d'Etienne  et  d'Ho- 
noré I"""  Grimaldi). 


104  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.    [Novembre  1506 

la  ville  ^  Par  quoy  messire  Jehan  Loys  et  grant  nombre 
des  autres  se  retirèrent  vers  le  Roy  et  le  prièrent, 
comme  ses  pauvres  sugectz  exiliez,  de  les  vouloir 
recepvoir  en  sa  garde  et  leur  ayder  a  remectre  en 
leurs  maisons,  dont  estoyent,  par  la  force  du  peuple 
de  Gennes,  sans  raison  dechacez  et  mys  hors.  Le  Roy, 
voyant  ses  pauvres  gentishommes  plainctiz  et  chacez 
de  leurs  maisons,  les  accueillit  doulcement  et  les  trecta 
en  sa  maison,  comme  prince  humain  doit  faire,  en 
leur  promectant  de  leur  secourir  en  leur  affaire,  en 
sorte  que,  si  par  doulceur  n'y  pouvoit  pourvoir,  que 
par  force  y  meclroit  la  main^,  veu  ausi  que  le  peuple 

1.  Roquebertin  se  fit  absolument  l'homme  des  révoltés,  qu'on 
l'accusait  même  de  pousser  {Relation  inédite).  Il  publia,  le  29  oc- 
tobre, sous  le  nom  de  Ravenstein,  une  grida,  par  laquelle  il 
défendait,  sous  peine  de  confiscation,  d'exporter  ou  de  faire  sortir 
aucun  objet,  marchandise  ou  autre,  appartenant  à  un  noble  (Ar- 
chives de  Gênes,  Manoscritti,  RaccoUa  di  documenti  inediti  sciolti, 
b»  2,  no  628). 

2.  Le  25  octobre,  Louis  XII  adressa  à  Ravenstein,  qu'il  croyait 
toujours  à  Gênes,  la  dépêche  suivante  :  {Note  contemporaine,  au 
dos.  «  Die  xxv  octobris  1506.  A  rege,  de  xxr.  Scripte  Illustrissimo 
Domino  Gubernatori.)  A  mon  cousin  le  sieur  de  Ravastain,  mon 
lieutenant,  gouverneur  et  admirai  de  Gennes.  {Au  dos.)  —  Mon 
cousin,  je  vous  ay  cy  devant  plusieurs  foiz  escript  que  me  feis- 
siez  savoir  commant  alloit  le  fait  de  ma  cité  de  Gennes.  —  Tou- 
tesfoiz,  quelque  chose  que  vous  en  aye  escript,  je  n'en  ay  jamais 
riens  entendu  a  la  vérité,  dont  je  me  donne  merveilles;  a  ceste 
cause,  et  que  je  désire  singuUierement  y  mectre  une  fin  et  reso- 
lucion,  je  vous  prie  que  vous  recueillez  d'eulx  tout  ce  qu'ilz 
veullent  dire  et  alléguer,  et  vous  venez  incontinant  devers  moy 
et  m'apportez  le  tout,  car  je  le  vueil  bien  debatre  avecques  vous 
pour  y  mectre  ladite  fin  et  resolucion  au  bien  do  ladite  ville.  Et, 
si  ceulx  d'icelle  ville  veullent  envoyer  avecques  vous  aucuns 
d'entre  culx  pour  me  dire  et  remonstrer  ce  qu'ilz  vouldrout,  j'en 
seray  très  contant  et  les  orray  voulentiers.  J'avoye  expédié  l'ad- 
vocat  de  Napples  (Michel  Riz)  pour  aller  par  delà  remonstrer  a 


Nov.  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  105 

de  Gennes  avoit  ja  commaincé  contre  luy  mesmes  le 
hutin,  en  prenant  et  détenant  aucunes  places  de  sa  sei- 
gneurie de  Gennes,  comme  avoit  esté  adverty  par  mes- 
sire  Phelippes  de  Gleves  '• . 

Et  ainsi  passa  le  temps  sans  bruyt,  jucques  entour 
la  feste  de  Noël,  que  de  rechief  lesdits  Gennevoys  s'es- 
meurent,  disant  que  le  Roy  avoit  retirez  les  gentis- 
hommes  de  Gennes  et  contre  eulx  les  vouloit  defFendre 
et  soustenir.  Sur  quoy  tindrent  leur  turbe  populaire, 
ou  furent  appeliez  Paule  Baptiste  Justinian,  Demetri 
Justinian,  Manuel  de  Ganalle,  Anthoyne  de  Giully,  Bri- 
cius  Justiniain,  Benedict  Ponsovo,  Marc  de  Terilli,  Ber- 
nard de  Topolli  et  plusieurs  autres  mutins.  Et  par 

ceulx  de  la  ville  mon  voulloir  et  entencion.  Mais,  veu  que  vous 
en  venez  et  que  par  vous  j'entendray  le  tout,  il  n'est  ja  besoing 
qu'il  tire  plus  avant  et  luy  mande  qu'il  s'en  retourne.  Au  demeu- 
rant, je  vous  avoye  mandé  que  me  feissiez  savoir  si  vous  aviez 
recouvert  les  places  que  tenoit  en  Rivière  de  Gennes  mon  cousin 
messire  Jehan  Loys.  Lesquelles  se  n'aviez  recouvertes,  je  vueil 
et  entends  qu'ilz  mectent  en  vos  mains  ou  de  vostre  lieutenant. 
Et  adieu,  mon  cousin,  qui  vous  ait  en  sa  garde.  Escript  a  Bourges, 
le  xxi^  jour  d'octobre.  [Ligne  ajoutée.)  Mon  cousin,  oultre  ce  qu'il 
est  besoing  que  vieignez  pour  le  faict  de  Gennes,  j'ay  aussi  nec- 
cesserement  a  besoigner  de  vous  pour  le  fai^de  Flandres.  Gedoyn. 
—  (Signé)  Loys.  Gedoyn.  »  (Orig.  pap.  Arch.  de  Gênes,  Francia, 
4/2780.) 

1.  Le  12  novembre,  les  Génois  révoltés  décidèrent  d'envoyer 
deux  ambassadeurs  au  roi  et  en  même  temps  deux  au  pape,  qu'ils 
savaient  leur  ami  (Salvago).  Les  deux  ambassadeurs  près  du  roi 
étaient  Paul  de  Francis  et  Paul  de  Jugo.  Ils  reçurent  des  lettres 
de  créance  spéciales  pour  Ravenstein  et  Robertet  (Archives  de 
Gênes,  htruzioni  e  relasioni  diplomatiche,  filza  3).  Ils  étaient  précé- 
dés par  un  autre  ambassadeur,  André  Ciceri,  envoyé  le  4  octobre 
au  cardinal  d'Amboise  (Ibid.).  Hier.  Palmario  et  Ag.  Joliete,  dépé- 
chés au  pape  le  19  novembre,  avaient  pour  mission  ostensible  de 
le  féliciter  de  la  prise  de  Bologne  {Ibid.). 


106  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.    [Novembre  1506 

iceulx  fut  dit  et  allégué,  devant  le  peuple,  commant 
jadys  la  cyté  de  Gennes  avoit  esté  en  si  haulte  reputa- 
cion  et  de  tant  extimée  que  empereurs  et  Roys  et  tous 
princes  du  monde  la  redoubterent  ;  et  commant  tant 
de  victoires  et  triumphes  avoit  obtenu  par  mer  et  par 
terre  qu'il  n'y  avoit  au  monde  si  puissant  qui  contre 
elle  osast  pour  la  guerroyer  lever  la  main,  et  que  tant 
eureuse  avoit  esté  en  ses  entreprises  qu'onques  n'avoit 
en  mer  ne  en  terre  esté  domptée,  vaincue  ne  soubmar- 
chée  ;  et,  veu  doncques  ses  tiltres  tant  plains  de  glo- 
rieuse renommée,  en  ensuyvantles  louables  œuvres  de 
leurs  vertueulx  devanciers,  pour  augmenter  les  hono- 
rables gestes  d' iceulx  et  aquerir  a  eulx  nouveaulx  tiltres 
de  immortel  los,  dévoyant  contre  tous  deffendre  leur 
querelle  et  habbandonner  leur  vye  a  tous  dangers 
pour  soustenir  la  reputacion  excelse  de  leur  superbe 
cyté  de  Gennes,  voire  contre  le  pouvoir  immodéré  du 
plus  redoubté  Roy,  le  Roy  de  France,  si  contre  eulx 
vouloit  guerre  entreprandre  ou  iceulx  fouller  pour  sous- 
tenir  les  nobles.  Tant  d'autres  propos  d'avys  inconsulté 
furent  la  mys  en  avant  que  tout  le  peuple  gras  et 
mesgre,  c'est  assavoir  marchans  mechaniques  et  gens 
de  bras,  tout  ensemble  levèrent  les  mains,  disant  que 
pour  mourir  ne  fauldroyent  a  tel  besoing,  mais  estoyent 
près  et  aparillez  de  non  seullement  deffendre  leur  ville, 
mais  de  saillir  au  champs  et  tenir  bataille  contre  tous 
venans.  Or  estoient  la  troys  Gennevoys  de  leurs  prin- 
cipaulx,  nommez  Paulus  Baptista  Justinien,  Manuel  de 
Ganale  et  Anthoyne  de  Giuilli,  lesquelz,  voyant  le  vou- 
loir du  peuple,  disrent,  oyant  tous  :  «  Mess'^S  vous 
savez  commant  les  gentishommes  par  nous  chacez  et 
exiliez  de  ceste  terre  se  sont  retirez  vers  le  Roy  de 


Nov.  1506]     COMMENT  EN  LA  VILLE  DE  GENNES,  ETC.  107 

France,  que  très  benignement  a  retirez  et  long  temps 
ja  entretenus;  et  est  a  pencer  que  contre  nous  leur 
donnera  quelque  secours  et  qu'il  se  vouldra  efforcer 
de  nous  soubmectre  et  lyer  a  quelque  nouvelle  servi- 
tute,  ce  que  ne  fusmes  oncques  ne  nostre  cyté  domp- 
tée. Par  quoy  et  pour  obvyer  a  ce  danger,  nous  est 
besoing  d'y  pourvoir.  Et  la  façon  :  nous  avons  ja  le  port 
de  Lespece  et  d'autres  fortes  places  entre  les  mains, 
qui  nous  pou  voient  nuyre.  Et,  pour  amander  nostre 
affaire,  besoing  nous  est  d'en  avoir  une  qui  sur  toutes 
autres  nous  est  nécessaire  et  propice,  sans  laquelle  ne 
pouvons  tenir  en  seureté  nostre  cyté  de  Gennes,  et 
noz  ennemys  en  craincte  :  c'est  la  place  de  Monigue, 
qui  est  assize  sur  la  mer  et  marchissant  a  noz  terres, 
entre  la  conté  de  Nisse  et  noz  fins,  tirant  vers  la  Pro- 
vence, forte  a  merveilles  et  tellement  que,  si  unes  foys 
pou  voit  estre  entre  noz  mains,  le  Roy  de  France,  par 
sondit  pays  de  Provence,  ne  pourroit  avoir  entrée  sur 
nous  ne  prendre  mer  par  ce  costé  que  a  noz  dangiers 
ne  se  soubmist.  Par  quoy  nous  est  besoing,  si  nous 
voulons  contre  luy  tenir  et  ses  ennemys  nous  déclarer, 
d'avoir  ladite  place  et,  pour  ce,  mander  noz  alyez  et 
amys,  affin  que  a  cest  affaire  nous-  vueillent  donner 
ayde  et  secours.  Et,  pour  myeulx  faire  seurement 
nostre  cas  et  que  en  ce  ne  soyons  par  le  Roy  de  France 
empeschez,  nous  fault  dissimuller  nostre  intencion  en 
portant  l'enseigne  de  France  et  la  livrée  du  Roy  et 
cryant  :  France!  France  f^  disant  que  nous  sommes 
tous  bons  et  loyaulx  françoys  et  que  soubz  la  main  et 
seigneurye  du  Roy  nous  voulons  reduyre  et  mectre 
ladite  place  de  Monigue  et  ses  appartenances  a  sa  sei- 
gneurye de  Gennes.  Et  ainsi  le  Roy  n'aura  occasion 


108  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.    [Novembre  1506 

de  nous  empescher  nostre  entreprise,  veu  que  ses 
ennemys  ne  nous  serons  déclarez^. 

VIII. 

Gommant  les  Gennevoys  furent  mectre  le  siège 
au  chateau  de  monigue. 

Toutes  ses  choses  dictes,  le  peuple  de  Gennes,  tout 
a  une  voix,  dist  que  tout  prest  estoit  d'y  aller  et  juc- 
ques  a  la  mort  employer  son  pouvoir  pour  prandre 
ladite  place.  Lorsque  la  commune  et  le  peuple  gras 
furent  unys  en  cest  affaire,  transmyrent  a  Pize,  qui 
lors  estoit  alyée  et  confédérée  de  Gennes,  pour  avoir 
secours  des  Pizans,  lesquelz,  sachant  l'affaire  de  Gennes 
comme  alyez  d'icelle,  y  envoyèrent  deux  mille  cinq 
cens  hommes  levez  a  Pize,  a  Lucque  et  par  leurs  autres 
pays  alyez,  soubz  la  charge  de  deux  capitaines  pizans, 
nommez  l'ung  Ternatin  ^  et  l'autre  Gambecourte  ^ ,  et 
deux  grosses  pièces  d'artillerye,  nommées  le  Beuffle  et 
le  Lizard.  Les  nouvelles  de  ceste  entreprise  furent  tost 
semées  par  les  Italles  et  en  Lombardye,  et  tellement 
que  plusieurs  villes  mutines  et  mesmement  de  la  duché 
de  Millau,  pencent  que  Gennes  deust  tout  confondre, 
y  envoyèrent  soubdartz  a  grant  nombre  :  desquelz  me 

1.  L'agitation  de  Gênes  ne  laissait  pas  que  de  rayonner  de  tous 
les  côtés.  A  Milan,  on  jugea  prudent  de  régler,  par  un  banno  du 
13  janvier,  la  circulation  nocturne  et  de  défendre  de  porter  des 
armes  (Pélissier,  Documents...,  p.  151).  Simone  Arrigoni,  con- 
vaincu de  trahison,  fut  proclamé  solennellement  rebelle  (Ibid., 
p.  152). 

2.  Tarlatino,  célèbre  condottiere,  originaire  de  Gittà  di  Castello. 

3.  Gambacurta,  condottiere. 


Nov.  1506]  GOMMANT  LES  GENNEVOYS,  ETC.  109 

vouluz  enquérir,  estant  a  Gennes  après  la  prise  d'icelle, 
et,  pour  en  savoir  et  donner  a  cognoistre  desquelz  on 
doit  se  deffier,  en  demanday  a  plusieurs,  qui  diverse- 
ment m'en  parlèrent  ;  et  a  la  fin  tant  y  bosoignay  (sic) 
que  j'en  sceu  a  Gennes,  par  ung  myen  oste  et  familyer 
nommé  Antonius  de  Luzardo,  lequel  m'en  parla  et  dist 
comme  celuy  qui  pouvoit  avoir  esté  a  toutes  les  con- 
sultations et  veu  tout  l'affaire,  car  il  estoit  du  peuple 
gras  et  bien  auctorisé  en  ladite  ville  de  Gennes.  A  tant 
m'esclarcist  la  chose  qu'il  me  bailla  par  escript  les 
noms  des  premiers  mutins,  la  manière  de  la  division 
des  nobles  et  du  peuple,  l'occasion  de  l'insurrection 
de  la  commune,  les  noms  des  capitaines  et  commis- 
saires de  leur  armée,  le  nombre  de  gens  qu'il  avoit, 
d'où  et  de  quelles  villes  ilz  estoyent,  les  noms  des  mai- 
sons nobles  et  du  peuple  gras  et  de  ceulx  qui  lors  en 
estoient,  et  en  somme  de  tout  l'affaire  de  Gennes.  Pour 
rentrer  doncques  et  parler  de  ceulx  qui  furent  avec- 
ques  lesdits  Gennevoys,  est  vray  que  grande  troupe  de 
Plaisantins,  Alexandrins  et  Bosquyns^  de  la  duché  de 
Milian  s'assemblèrent  avecques  les  Pizans,  lesquelz 
estoyent  en  nombre  de  troys  a  quatre  mille,  et  tous 
ensemble  s'en  allèrent  a  Gennes.  Et,-  eulx  la  venus,  le 
peuple  de  Gennes,  pour  ranforcer  ladite  armée,  mist 
sus  troys  mille  hommes  de  guerre  gennevoys  et,  pour 
iceulx  mener,  esleurent  entre  eulx,  pour  commissaires 
de  la  guerre,  Paule  Justinian,  Manuel  de  Ganalle  et 
Anthoyne  de  Ciuuly,  les  capitaines  gennevoys^;  Jehan 

1.  Sans  cloute  habitants  de  Bosco-Marengo. 

2.  Les  commissaires  nommés  furent  Paulo-Baptista  Giustiniani, 
Manuele  da  Ganali,AugustinodaGastiglione,  Antonio  da  Sivori, 
avec  le  capitaine  Tarlatino  et  l'ingénieur  Zoardo  (Saige,  Docu- 
ments historiques  relatifs  à  la  principauté  de  Monaco,  II,  57,  58). 


HO  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XIî.      [Novembre  1506 

de  Las,  basque^;  Manuel  du  Gastellas,  lombart;  ung 
marquis  de  la  maison  de  Sforce,  parent  du  seigneur 
Ludovic,  et  ung  autre  nommé  René  Guy  ton,  de  Tours^, 
lesquelz  furent  ordonnez  pour  gouverner  et  conduyre 
ladite  armée  des  Gennevoys  et  aller  audit  lieu  de 
Monigue;  et,  pour  batre  la  place,  pour  ce  que  par 
terre,  au  moyen  de  l'empeschement  des  montaignes^, 
ne  pourroyent  aisément  charrier,  misrent  sur  mer  leur 
artillerye,  c'est  assavoir  vingt  et  deux  grosses  pièces 
d'artillerye,  toutes  getans  bouletz  de  fer  avecques  force 
d'esmerillons  et  autre  menue  artillerye,  et  ausi  armè- 
rent et  avitaillerent  en  mer  une  carraque,  deux  gal- 
leres,  deus  grosses  barches  et  cinq  brigantins,  avec- 
ques tout  plain  de  petilz  luz  a  xii  rames,  pour  aller 
assiéger  ladite  place  du  costé  de  la  mer.  Et,  tout  cela 
prest,  huyt  mille  hommes  paysans  des  environs  se 
mirent  sus,  pour  eulx  assembler  avecques  ladite  armée 
de  Gennes,  ou  povoit  avoir  de  doze  a  xiiii  mille  hommes, 
que  gens  de  guerre  que  paysans.  Ausi  esleurent  les 
Gennevoys  ung  duc  du  peuple,  lequel  estoit  taincturier 
et  nommé  Paule  de  Nove,  auquel  baillèrent  gens  et 
estât,  et  a  luy  du  tout  submirent  leur  affaire,  pour  ce 
que  a  leur  mutin  s'estoit  monstre  tousjours  pour  la 
querelle  populaire.  Et  combien  que  sa  femme,  qui  sage 
et  ad  visée  estoit,  luy  defFendist  et  destournast  la  charge 

1.  Capitaine  du  Châtelet,  d'après  le  Loyal  serviteur;  cf.  ci-des- 
sous, p.  145. 

2.  Le  commandant  en  chef  était  Tarlatino.  Il  est  assez  étrange 
de  trouver  des  Français  parmi  les  collaborateurs  d'une  entreprise 
désavouée  par  le  roi  de  France. 

3.  Le  7  novembre  1506,  les  Génois  donnèrent  à  l'ingénieur 
Ambr.  Zoardo  et  au  capitaine  Gambacurta  l'ordre  d'étudier  les 
procédés  les  plus  pratiques  d'un  investissement  (Saige,  Documents, 
II,  48). 


Nov.  1506]  GOMMANT  LES  GENNEVOYS,  ETC.  111 

de  l'office  que  on  luy  bailloit,  toutesfoys  il  l'acepta, 
dont  luy  en  advint  ce  qu'il  devoit,  comme  sera  dit 
par  après. 

Ainsi,  comme  sesdites  choses  s'exploictoyent  en  la 
manière  dicte,  messire  Lucyain  de  Grimaulx,  seigneur 
de  Monigue,  fut  par  aucuns  de  ses  amys^  de  l'entre- 
prise adverty  :  dont  a  toute  dilligence  fist  advitailler 
et  fortiffier  sa  place  et  manda  quérir  soubdartz  en  ses 
pays  et  ailleurs  et  ausi  en  advertit  messire  Charles 
d'Amboise,  lieutenant  du  Roy  delà  les  mons,  en  luy 
demandant  secours  pour  le  Roy,  de  qui  se  disoit  ser- 
viteur, et  sadite  place  avecques  tous  ses  biens  estre  a 
luy  et  de  sa  seigneurie^.  Tant  fist  ledit  seigneur  de 
Monigue  que  il  eut,  par  le  commandement  dudit  lieu- 
tenant du  Roy,  dix  hommes  d'armes  et  xx  archiers  de 
ceulx  de  la  compaignye  de  messire  Yves  d' Allègre, 
lors  gouverneur  de  Savonne,  lesdits  gens  d'armes 
menez  par  ung  nommé  Jehan  de  Saincte  Golumble, 
lieutenant  de  ladite  compaignye.  Et  ausi  y  fut  ung  autre 
nommé  Arigoys,  basque 3,  qui  portoit  leur  enseigne; 
pareillement  y  furent  envoyez  dix  archiers  de  ceulx 
du  seigneur  Jehan  Jacques.  Plusieurs  gentishommes, 
parens  et  autres  amys  et  sugectz  dudit  seigneur  de 

1.  Dès  le  4  novembre  1506,  Lucien  Grimaldi,  seigneur  de 
Monaco,  demanda  au  gouverneur  de  Nice  un  sauf-conduit  pour 
mettre  en  sûreté  dans  le  port  de  Villefranche  les  galères  et  autres 
vaisseaux  du  port  de  Monaco  (Saige,  II,  49).  Il  prit  très  énergi- 
quement  l'initiative  d'une  forte  résistance. 

2.  Il  insista  aussi,  mais  vainement,  près  du  duc  de  Savoie  (12 
et  24  novembre.  Saige,  II,  50,  52,  56). 

3.  «  Harigoys,  basco,  uomo  molto  esperto  nel  mestier  délia 
guerra  »  (Relation  inédite).  Il  fut  blessé  pendant  le  siège.  On  le 
retrouve  plus  tard  parmi  les  cent  gentilshommes  du  roi,  sous  le 
nom  de  Pierre  de  Herigoye  (K.  502,  n»  5,  vui  v°). 


112  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.    [Décembre  1506 

Monigue,  sachant  son  affaire,  le  furent  secourir  et  ser- 
vir a  leurs  despens,  et  se  trouvèrent  en  nombre  de 
deux  cens  hommes  des  siens  bien  armez  audit  lieu.  Deux 
cens  cinquante  autres  souldartz  françoys,  bisquayns, 
piemontoys,  pizans  et  lombars,  mistle  seigneur  de  Mo- 
nigue dedans  sadite  place,  ou  pouvoyent  estre  en  tout 
environ  de  cinq  a  six  cens  hommes.  Or  estoit  celle  place 
moult  bien  artillée,  car  il  y  avoit  dedans  xxii  grosses 
pièces  d'artillerye,  toutes  a  roues,  et,  pour  batre  mu- 
railles, d'autres  moyennes  et  petites  y  avoit  troys  cens 
dix  huyt,  comme  j'ay  sceu  par  ung  des  frères  dudit 
seigneur  de  Monigue,  qui  dedans  ladite  place  estoit 
durant  le  siège,  et  me  dist  celuy  que  telle  municion 
de  pouldre  y  avoit  que  c'estoit  pour  ung  an  a  tirer  de 
chacune  desdites  pièces  six  coups  le  jour.  Pour  ladite 
artillerye  exploicter,  estoyent  dedans  ladite  place  trente 
et  deux  bons  canoniersetLxhacquebutiers.  Ainsi  estoit 
la  place  de  Monigue  garnye  et  si  très  forte  que  pour 
y  entrer  n'y  avoit  que  une  passée  d'estroicte  advenue. 
Dont  des  quatre  pars  d'icelle  estoyent  les  troys  advi- 
ronnée  de  mer  et  l'autre  ceinte  de  hault  rochier  enciz 
d'amont  jucques  en  bas  ;  laquelle  actendoit  en  ceste 
manière  la  venue  du  siège  desdits  Gennevoys. 

Le  Roy  fut  de  ses  choses  adverty  par  Phelippes  de 
Roquebertin,  qui  lors  estoit  ou  palais  de  Gennes,  lieu- 
tenant dudit  seigneur  de  Rav[e]stain,  ou  n'estoit  pas 
a  grant  seurté.  Car,  de  jour  en  autre,  n'atendoit  que 
l'assault  d'iceulx  villains,  mais  il  adoussissoit  au  plus 
qu'il  pouvoit  et  a  bellees  parolles,  dont  savoit  assez 
bien  jouer,  comme  besoing  estoit,  les  entretenoit,  et 
tant  que  tousjours  entre  eulx  avoit  seurté  de  aller  et  de 
venir.  Toutesfoys  le  Roy,  après  avoir  sceu  lesdites 


Nov.  1506J  GOMMANT  LES  GENNEVOYS,  ETC.  H3 

nouvelles,  luy  manda  que,  si  plus  grant  bruyt  surve- 
noit  a  Gennes,  que  luy  et  ses  gens  se  retirassent  au 
chasteau,  le  plus  doulcement  qu'il  pourroint,  et  que  la 
actendissent  de  ses  nouvelles  ;  ce  que  ancores  ne  firent, 
doubtant  que,  s'ilz  se  retiroyent,  les  Gennevoys,  sus- 
pectioneulx  de  ce,  ne  se  retournassent  du  tout  et  aussi 
qu'ilz  cryoyent  tousjours  :  France!  France!  et  ne  se 
declairoyent  ennemys.  Ausi  manda  le  Roy  a  messire 
Charles  d'Amboise,  son  lieutenant  delà  les  mons,  et 
messire  Yves  d'Allègre,  gouverneur  de  Savonne,  que, 
si  lesdits  Gennevoys  alloyent  assiéger  Monigue,  que 
quelque  bon  nonbre  de  gens  d'armes,  estans  lors  en 
garnison  vers  le  costé  dudit  lieu  de  Savonne  plus  près 
de  Monigue,  avecques  ung  autre  nonbre  de  gens  de 
pié,  fussent  mis  sus  et  envoyez  audit  lieu  de  Monigue, 
pour  lever  le  siège,  s'il  venoit  a  tant.  Ce  qui  fut  faict, 
comme  sera  dit  après. 

Mais  fault  ores  continuer  propos  sur  l'entreprise  des 
Gennevoys,  qui  par  mer  et  par  terre  avoyent  leur 
armée  preste  pour  aller  mectre  le  siège  a  Monigue  ; 
dont  advint  que,  sur  la  fin  du  moys  de  novembre, 
ladite  armée  se  mist  en  voye  et  prist  son  chemin  la 
coste  de  la  mer,  et  au  plus  droict  qu^'elle  sceut.  Et,  si 
tost  qu'elle  fut  au  champs,  vu  ou  viii  mille  paysans 
des  marchissans  et  confins  de  Gennes  s'assemblèrent 
la  et  tous  ensemble  marchèrent  vers  Monigue,  criant 
tousjours  France  et  Populo.  Et  adressèrent  iceulx  Gen- 
novoys  a  Menton,  a  Roquebrune,  deux  petites  places 
de  Monigue,  lesquelles  ilz  prindrent  legierement^  car 

1.  Roquebrune  fut  incendiée.  Cependant  les  commissaires 
avaient  reçu  l'ordre  de  n'attenter  en  rien  aux  droits  du  duc  de 
Savoie  sur  Menton  et  Roquebrune  (Saige,  II,  63). 

IV  8 


114  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.     [Décembre  1506 

elles  n'estoyent  fortes  ne  fournyes  de  gardes  ;  et  ausi 
en  tenoit  le  seigneur  de  Monigue  peu  d'extime,  mais 
que  il  peust  bien  garder  Monigue,  laquelle  estoit  forte 
a  merveilles  et  bien  armée,  estant  a  six  vings  mille 
de  Gennes,  que  elle  tenoit  en  subgection,  et  la  venue 
de  Provence.  Par  quoy  avoyent  iceulx  Gennevoys 
moult  grant  envye  de  la  soubmectre  a  leur  seigneurie. 
Si  firent  tant  par  leurs  erres  qu'il  aprocherent  ladite 
place  de  Monigue^.  Et,  voyant  la  venue,  ung  nommé 
Berthelemy  de  Grimaulx,  capitaine  de  ladite  place,  fist 
atiltrer  grant  force  artillerye  a  leur  passée  ;  et  pour  les 
vouUoir  atraire,  fist  sortir  cent  hommes  et  iceulx 
contre  eulx  marcher  troys  a  troys,  comme  pour  leur 
vouloir  donner  la  bataille.  Les  Gennevoys,  voyant  la 
saillye  de  ceulx  de  la  place,  s'ad[r]esserent  a  eulx  a 
grosse  roupte  ;  et  la  commancerent  une  bonne  escar- 
mouche et  s'entremeslerent  si  a  point,  que  de  quinze 
a  vingt  d'i[c]eulx  Gennevoys  demeurèrent  mors  sur  le 
champ  et  troys  du  chasteau  fort  blecez.  Et,  en  escar- 
mouchant,  ceulx  de  la  place  se  retiroyent  tousjours, 
pencent  que  les  Gennevoys  les  suyvroyent  pour  leur 
donner  une  meute  d' artillerye.  Mais,  quant  fut  a  l'ap- 
procher jucques  a  la  portée  de  l'artillerye,  il  se  doub- 
terent  de  l'amorce  ;  par  quoy  s'arresterent  et  laissèrent 
les  aultres  retirer^.  Ce  faict,  ad  visèrent  les  lieulxplus 
a  main  pour  mectre  leur  siège  et,  tout  bien  advisé, 
premier  que  assoir  leurdit  siège  ^,  sommèrent  le  sei- 
gneur de  Monigue  de  rendre  la  place  en  luy  promec- 

1.  Voy.  l'instruction  aux  commissaires  génois,  du  29  novembre 
1506  (Atti  délia  Societa  ligure  per  la  sloria  patria,  t.  XXIII,  p.  631). 

2.  6  décembre  {Relation  inédite). 

3.  10  décembre  1506. 


Dec.  1506]  DU  SIEGE  ...  DE  MONIQUE  PAR  LES  GENNEVOYS.     11.5 

tant  tant  d'argent  qu'il  vouldroit  demander,  si  le  tré- 
sor de  Gennes  pouvoit  suffire  a  ce.  Lequel  fist  responce 
qu'elle  estoit  au  Roy  et  a  luy,  et  que  si  bien  la  garde- 
roit  que  ja  villain  par  force  n'y  mectroit  le  pied  dedans. 
Ce  dit,  les  Gennevoys,  bien  marrys,  firent  cryer  a  son 
de  trompe  devant  ladite  place  que  celuy  du  dedans 
qui  vouldroit  tuher  ledit  seigneur  de  iVIonigue  auroit 
troys  mille  escus,  et  celuy  qui  mectroit  le  feu  dedans 
les  municions  de  l'artillerye  en  auroit  v  cens.  Et  ainsi 
s'essayèrent  par  argent  d'avoir  icelle  place,  mais  ce 
fut  pour  nyant.  Dont  assirent  leur  siège  et  misrent  leur 
artillerye  en  onze  lieulx,  tant  sur  les  montaignes  qui 
autour  de  la  estoyent  que  sur  les  coustez  et  au  plain, 
ou  firent  onze  rampars^. 


IX. 


Du  SIEGE  ET  DE  LA  BATER YE  DU  CHASTEAU  DE  MONIGUE 

PAR  LES  Gennevoys. 

Du  costé  de  la  marine  assiégèrent  ausi  ladite  place, 
en  manière  que  de  leurs  barches,  carraques  et  gal- 
leres  pouvoyent  tirer  contre  les  murailles  et  tours 
dudit  chasteau  de  Monigue  ;  et  tant  commainça  ladite 
artillerye  a  bruyre  et  tempêter  qu'il  sembloit  que 
les  rochiers  esclatassent.  Les  cannonnyers  du  dedans 
leur  rabatoyent  tellement  leurs  coups  que  homme  de 
eulx  n'ousoit  montrer  le  nez  qu'il  ne  fust  mouché 
jucques  au  sang.  Somme,  la  baterye  fut  tant  mortelle 
que  a  toute  heure  sans  cesser  dura  plus  de  six  jours, 

1.  Cependant  l'investissement  ne  fut  pas  complet. 


116  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Janvier  1507 

si  que  les  coups  du  dehors  furent  extimez  plus  de  six 
mille.  Et  tant  ruèrent  groux  boulletz  que  en  troys 
pars  abatirent  cent  toises  de  muraille  ou  plus,  tant 
du  costé  de  la  mer  que  de  l'advenue  de  la  place. 

Durant  ceste  baterye,  messire  Yves  d'Allègre,  gou- 
verneur de  Savonne,  transmyst  Jacques  d'AUegre,  son 
filz,  avecques  vi  cens  laquays'^,  a  une  ville  près  d'il- 
lecques,  nommée  la  Turbye,  pour  icelle  garder  et 
secourir  ceulx  de  Monigue,  pour  empescher  les  vivres 
par  terre  et  ennuyer  le  siège  par  allarmes  ;  ce  qu'il  fist 
souvant  et  tant  que,  ung  jour  durant  ledit  siège,  neuf 
enseignes  de  Gennevoys  se  misrent  au  champs  pour 
ruer  sur  ses  gens,  lesquelz  mist  pareillement  au  champs 
et  donna  au  travers,  en  sorte  qu'il  les  mist  en  roupie 
et  les  deffist.  Plusieurs  y  demeurèrent,  les  autres 
furent  pris  et  les  aultres  s'enfuyrent^.  Au  dessus,  et 
près  de  la  Turbye,  avoit  une  forte  tour  du  duc  de 
Savoye,  ou  pareillement  estoit  grosse  garnison  de 
Savoziens,  lesquelz  ausi  donnèrent  souvant  alarmes 
aux  Gennevoys^;  ainsi  estoient  ennuyez  de  tous  cos- 
tez  ;  toutesfoys  batoyent  par  terre  et  par  mer  la  place 
de  Monigue,  et  a  tout  pouvoir  s'esforçoyent  de  la  ter- 
rer (sic).  Et,  ce  durant,  le  second  jour  du  moys  de  jan- 
vier, ceulx  de  la  place  firent  une  saillye  sur  ceulx  qui 

1.  D'après  la  Relation  inédite,  700  «  soldati  »  français,  comman- 
dés parle  capitaine  «  Migliando  »  et  soldés  par  le  sire  de  Monaco. 
En  arrivant  à  la  Turbie,  ils  reçurent  d'avance  un  mois  de  paie. 

2.  On  se  canonna  pendant  un  mois,  devant  Gênes,  sans  avan- 
cer. Mais  les  soldats  de  la  Turbie,  malgré  le  désir  du  sire  de 
Monaco,  ne  descendirent  point  dans  la  ville  (Relation). 

3.  Un  ordre  du  duc  de  Savoie,  en  janvier  1507,  interdit  aux 
Niçois  de  fournir  aucuns  vivres  à  l'armée  génoise  {Alti  délia 
Sodeta  ligure,  p.  648). 


JaQV.  1507]  DU  SIEGE  ...  DE  MONIQUE  PARLES  GENNEVOYS.    117 

estoyent  a  la  garde  de  l'artillerye  des  Gennevoys  et 
se  misrent  hors  jucques  au  nombre  de  xxv  hommes 
armez,  lesquelz  soubdainement  chargèrent  sur  lesdits 
gardes,  qui  estoint  deux  cens  ou  plus,  et  donnèrent 
si  rudement  que  iceulx  Gennevoys,  pencent  estre  sur- 
pris, habandonnerent  leur  artillerye  et  s'enfuyrent  tout 
le  cours.  Et,  ce  voyant,  les  souldars  du  chasteau  sor- 
tirent environ  quatre  xx  et  se  joignirent  aux  autres, 
lesquelz  tous  ensemble  aprocherent  l'artillerye  de  leurs 
ennemys  ;  et,  voyant  qu'il  estoyent  foibles  pour  l'em- 
mener et  que  les  Gennevoys  a  toute  puissance  les 
approchoyent,  ce  nonobstant,  avecques  groux  doux 
de  fer  estoupperent  les  troux  par  ou  se  mect  le  feu  en 
l'artillerye  et  en  enclouerent  quatre  des  plus  grosses 
pièces,  en  manière  que,  ung  moys  durant,  ne  tirèrent 
plus.  Durant  ledit  siège,  plusieurs  assaulx  y  donnèrent 
les  Gennevoys,  mais  tousjours  furent  repossez  et 
batus  ;  et  pour  ce  ne  cessoyent  de  ruer  coups  a  toutes 
mains.  Si  estoyent  ilz  souvant  reveillez  par  ceulx  du 
dedans;  car  le  plus  souvant  des  jours  faisoyent  cources 
et  saillyes  et  en  aterroyent  tousjours  quelqun'. 

Jacques  d'Allègre,  seigneur  de  Millo,  estant  lors  a 
la  Turbye,  voulut  aller  pour  quelque^ affaire  a  Nisse  et 
print  avecques  luy  partye  de  ses  gens  de  pié  et  laissa 
le  surplus  pour  garder  le  logys.  Mais,  tantost  qu'il  eut 
desemparé  le  lieu,  les  Gennevoys  a  grosse  puissance, 
sachant  le  chief  estre  absent,  assaillirent  la  Turbye  ; 
et,  combien  que  bien  fust  par  les  gens  dudit  seigneur 
de  Millo  deffendue,  si  fut  elle  emportée  et  les  gardes 
prinses  et  mises  a  sac. 

1.  Les  Génois  essayèrent  de  pénétrer  par  trahison,  mais  sans 
succès  (Relation). 


118  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

Messire  Yves  d'Allègre,  sachant  toutes  ses  choses, 
et  que  le  siège  de  Monigue  avoit  ja  duré  plus  de  troys 
moys,  délibéra  d'y  aller  pour  lever  le  siège  ;  si  prist 
avecques  luy  huyt  xx  hommes  d'armes  des  siens,  de 
ceulx  du  marquis  de  Monferrat,  de  ceulx  de  Montoi- 
son  et  de  ceulx  du  capitaine  Fontrailles,  avecques 
deux  mille  hommes  de  pié,  soubz  la  charge  des  capi- 
taines Peralte,  espaignol  ;  Jheronime  Barnabo^,  Gos- 
sains-,  Estrelin  et  quelques  autres  qui  la  estoyent,  et 
messire  Mercure,  grec,  avecques  cent  Albanoys;  et 
ainsi  se  mist  a  la  route,  tirant  vers  Monigue,  qui  tous- 
jours  estoit  batue  et  assaillye  des  Gennevoys;  ce  qui 
moult  ennuyoit  a  messire  Lucyan  de  Grimaulx,  sei- 
gneur dudit  Monigue ,  lequel  leur  faisoit  souvant 
allarmes  et  ennuys. 

Sur  le  commaincement  du  moys  de  mars,  ledit  sei- 
gneur de  Monigue  fist  une  saillye  de  deux  cens 
hommes  sur  le  camp  des  Gennevoys  ;  et  premièrement 
adressa  sur  le  plus  proche  rempar,  ouquel  estoyent 
envyron  cent  hommes  des  Gennevoys,  lesquelz  furent 
surpris ,  car  ilz  ne  se  doubtoyent  de  ladite  saillye, 
pencent  ceulx  de  ladite  place  assez  embesongnez  pour 
garder  leurs  murailles  et  remparer  les  brèches  d'icelles, 
qui  estoyent  moult  grandes.  Si  advint  que  le  seigneur 
de  Monigue  avecques  sa  bende  se  trouva  contre  ledit 
rampar,  ou  Gennevoys  sortirent  garnys  de  leurs  armes, 
et  la  s'entremeslerent  tellement  que  lesdits  Genne- 
voys furent  oultrez;  et,  après  assez  long  combat,  tour- 

1.  Probablement  Barnabo  Visconti,  qui  devint  chambellan, 
chevalier  de  l'Ordre,  capitaine  de  40  lances  (quittance  de  1518; 
fr.  26107,  210). 

2.  Capitaine  de  laquais. 


Mars  1507]  DUSIEGE  ...  DE  MOiMGUEPARLESGENNEVOYS.     119 

nerent  le  costé  et  se  retirèrent  a  ung  autre  rampar, 
delà  près  ung  gect  de  pierre,  lequel  rampar  estoit 
fort  et  gardé  par  aucuns  françoys  qui  s'estoyent  mys 
a  la  soulde  des  Gennevoys.  Ausi  y  avoit  audit  rampar 
Pizans  a  force,  lesquelz  pouvoyent  estre  en  nombre  de 
troys  a  quatre  cens.  Avecques  le  seigneur  de  Monigue 
estoit  ung  homme  d'armes  basque,  nommé  Arigoys, 
porteur  de  l'enseigne  de  messire  Yves  d'Allègre, 
lequel  Arigoys  estoit  hardy  homme,  et  la  se  mist  des 
premiers.  La  noise  fut  grosse,  car  ceulx  du  dedans 
ne  faillirent  a  charger  a  grans  coups  de  picque  et  de 
hallebarde.  Le  seigneur  de  Monigue,  qui  estoit  en  la 
meslé,  enhardioit  ses  gens  en  donnant  a  tour  de  bras. 
Quoy  plus?  Si  a  point  se  bâtirent  que  cinq  de  ceulx  du 
seigneur  de  Monigue  furent  la  pris  et  ung  tuhé,  et  le 
capitaine  Arigoys  blecé.  Du  party  des  Gennevoys  mou- 
rurent de  xx  a  xxv  et  plusieurs  blecez.  Gefaict,  après  que 
allarmes  furent  faictz  par  tout  le  camp,  ledit  seigneur 
de  Monigue,  avecques  ses  gens,  se  retira  le  petit  pas 
et  fut  suyvy  des  Gennevoys;  mais  furent  iceulx  repos- 
sez  a  coups  d'artillerye  et  de  trect,  tant  que  sans  autre 
dommage  entra  dedans  sa  place  a  toute  sa  brigade. 

Les  Gennevoys,  qui  espies  et  descouvreurs  avoyent 
par  tout  le  pays,  sceurent  par  vray  que  messire  Yves 
d'Allègre,  avecques  grosse  roupie  de  gens  d'armes, 
estoit  ja  sur  les  champs  pour  aller  secourir  Monigue 
et  leur  lever  le  siège.  Lors  furent  envoyez  de  Gennes 
a  Monigue  deux  commissaires  nouveaulx,  c'est  assa- 
voir Paule  de  Nove,  leur  duc,  et  ung  nommé  Sil- 
vestre  Justiniani  ;  et  disrent  tous  les  Gennevoys  audit 
Paule  de  Nove,  leur  duc,  que  s'il  pouvoit  prendre 
Monigue,  que  a  sa  venue  seroit  receu  en  curre  trium- 


120  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

phal,  a  la  manière  antique  de  Romme.  Iceulx  arrivez 
audit  lieu  de  Monigue,  sachant  la  venue  dudit  seigneur 
d'Allègre  et  que  besoing  estoit  de  mectre  briefve  fin 
a  leur  entreprise',  disrent  :  «  Seigneurs  Gennevoys, 
vous  voyez  que  ja  quatre  moys  entiers  sont  que  tenons 
ycy  le  siège,  ou  n'avons  exploicté  chose  a  nous  hou- 
nourable,  ni  proffitable  a  la  chose  publicque  ;  et  tant 
plus  y  demeurerons  et  moings  y  aquesterons,  si  de 
meilleur  vouloir  et  plus  hault  courage  ne  mectons 
mains  en  besoigne.  Assez  estes  advertiz  de  la  venue 
du  seigneur  d'Allègre,  qui  a  toute  grosse  puissance 
vient  pour  lever  nostre  siège,  s'il  est  le  plus  fort. 
Mais,  pour  obvier  a  tout  inconvénient,  nous  est  sur- 
tout mestier  de  prendre  ceste  place  ;  ce  que  en  brief 
nous  fault  exploicter  ou  demeurez  frustrez  de  nostre 
intencion,  de  laquelle  est  ja  le  Roy  de  France  asca- 
venté.  Par  quoy  donnons  y  telle  provision  que  de 
plain  assault  soit  par  nous  ladite  place  emportée.  Et 
ce  faict  soyons  seurs  de  demeurer  tous  temps  seigneurs 
en  terre  et  Roys  en  la  mer.  »  A  chief  de  sez  motz, 
chascun  desdits  Gennevoys  reprint  cueur,  disant  qu'ilz 
mouront  tous  ou  qu'ilz  auront  la  place  ;  et  firent 
recomancer  une  baterye,  qui  dura  troys  jours  et  troys 
nuytz  sans  cesser  du  costé  de  Serra  val,  ung  lieu  ainsi 
nommé  dedans  Monigue;  et  la  aterrerent  plus  de  cent 
toises  de  muraille  ;  et,  a  la  ruyne  et  choite  d'icelle,  les 
deffences  basses  furent  estouppées,  en  manière  que 
l'artillerye  du  dedans  ne  pouvoit  nuyre  aux  ennemys, 

1.  Ils  étaient  informés  des  dispositions  énergiques  de  Louis  XII. 
Depuis  le  mois  de  décembre,  le  gouvernement  génois  et  Paul  de 
Nove  en  particulier  ordonnaient  absolument  aux  commissaires 
une  action  énergique  et  décisive  (Saigo,  II,  73  et  suiv.). 


Mars  1507]  DU  SIEGE  ...  DE  MONIQUE  PAR  LES  GENNEVOYS.    121 

et  ne  se  osoient  montrer  ceulx  de  la  place  a  la  deffence 
de  la  brèche,  car  elle  estoit  sugecte  aux  montaignes 
ou  les  Gennevoys  avoyent  faict  leurs  rampars  et  la  lever 
leur  artillerye  atiltrée  ;  et  si  estoint  ceulx  de  Monigue 
devers  le  costé  de  la  mer  tout  a  descouvert,  dont,  des 
carracques  et  galleres,  tiroyent  les  Gennevoys  sur 
eulx,  en  manière  que  homme  ne  se  ousoit  la  arester 
sans  sa  vye  trop  hazarder.  Toutesfoys,  le  seigneur  de 
Monigue  délibéra  de  mourir  la  avecques  tous  ses  gens 
ou  reposser  ses  ennemys.  Voyant  les  Gennevoys  que 
brèche  a  suffire  avoyent  pour  devoir  donner  l'assault, 
ordonnèrent  le  lendemain  icelluy  estre  donné  par 
quatre  mille  hommes,  lesquelz  Paule  de  Nove,  duc  des 
Gennevoys,  voulut  mener  et  conduyre,  ayant  souve- 
nance du  triumphe  que  les  Gennevoys  luy  ont  promys 
s'il  gaigne  la  place.  Or,  vient  le  jour  que  lesdits  Gen- 
nevoys, avecques  leurs  eschelles  et  crampons,  s'apres- 
tent  de  donner  l'assault;  lesquelz  sur  l'aube  du  jour 
font  sonner  trompettes  et  groux  labours  de  Suyces  et 
sortent  en  place  pour  comancer  le  hutin.  Et,  eulx  ainsi 
en  camp,  Paule  de  Nove,  leur  duc,  devant  tous  com- 
mança  a  dire  :  «  A  ceste  foys  ce  monstera  le  vouloir 
vertueulx  et  pouvoir  invincible  du  peuple  gennevoys, 
qui  oncques  par  puissance  d'omme  vivant  ne  furent 
surmontez  ne  a  servitute  soumys.  Sur  doncques,  Sei- 
gneurs !  esvertuez  voz  cueurs  et  exploictez  voz  forces 
a  cest  affaire,  car  a  ce  fil  pend  le  priz  de  vostre  loz, 
l'avancement  de  vostre  honneur  et  le  rabays  de  vostre 
réputation.  Si  a  ce  coup  estes  vaincueurs,  vye  pros- 
père aquesterez  et  immortelle  renomée  !  Si  laschement 
estes  vaincus,  la  fin  de  vous  sera  reprochable  a  vostre 
nom  et  honteuse  a  voz  amys  !  Si  fortune  vous  est 
adverse,   mieulx   est  mourir  en   bataille   que   fuyr 


122  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

vaincu  !  »  Ces  paroUes  dictes,  chascun  des  Gennevoys 
et  tous  ensemble  levèrent  la  main,  disant  que,  pour 
craincte  de  mort,  ne  reculleront  ung  seul  pas. 


X. 


D'UNG  ASSAULT  QUE  LES  GeNNEVOYS  DONNERENT  AU 
CHASTEAU  DE  MONIGUE,  OU  FURENT  ICEULX  REPOSSEZ 
ET  PLUSIEURS  d'eULX  OCCIS. 

Messire  Lucyan  de  Grimaulx,  voyant  que  l'assault 
est[oit]  prest  a  donner,  ordonna,  pour  la  deffence  de  la 
brèche,  sept  postes,  chacune  de  trente  hommes,  des- 
quelles il  en  prist  une  pour  luy,  ordonnée  a  estre  mise 
au  millieu  des  autres;  a  ung  sien  frère,  nommé  mes- 
sire Charles  de  Grimaulx,  bailla  l'autre  ;  a  Berthelemy 
de  Grimaulx,  son  lieutenant,  ung  autre  ;  au  capitaine 
Arigoys,  a  Christofle  Royer  d'Ast,  a  Anthony  Bence* 
et  au  comit^  de  ses  galleres,  a  chascun  d'iceulx  une 
desdites  postes  ordonnées  estre  mises  tout  le  long  de 
ladite  brèche,  qui  estoit  grande  a  passer  cent  hommes 
de  front.  Et  iceulx  advertist  que,  au  besoing  et  a 
relays,  ceulx  desdites  postes  qui  seroyent  les  plus 
froiz  secourussent  les  lassez.  Au  seigneur  de  Saincte 
Colombe,  lieutenant  de  messire  Yves  d'Allègre,  bailla 
une  brèche  près  une  des  portes  du  chasteau  a  garder, 
avecques  trante  hommes  françoys^.  Et  ainsi  assist  ses 
postes  pour  actendre  l'assault,  en  disant  a  ses  gens^  : 

1.  De  Monaco,  comme  on  verra  plus  loin. 

2.  Sans  doute  Commessario. 

3.  La  Relation  inédite  attribue  à  L.  Grimaldi  une  prière  et  à 
Tarlatino  un  discours. 

i.  D'après  la  Relatioti,  Lucien  prit  ses  dispositions  avant  le 


Mars  4507]     D'UNG  ASSAULT  QUE  LES  GENNEVOYS,  ETC.       123 

a  Mes  bons  seigneurs  et  amys,  le  temps  est  venu  que 
chascun  de  nous  doibt  desplyer  la  force  du  bras  et  la 
vertus  du  cueur,  pour  son  honneur  deffendre  et  sa 
vye  garentir,  qui  sont  les  choses  entre  autres  plus 
dignes  de  recoinmandacion.  Dont  myeulx  nous  est  icy 
mourir  a  la  defFence  de  ce,  et  en  gardant  nostre  place, 
que  nous  rendre  a  la  mercy  des  villains,  comme  las- 
ches  et  meschans,  qui  nous  seroit  a  jamais  ung  descry 
de  voix  commune  et  ung  reproche  de  villainye.  Si 
nous  sommes  peu  de  nombre  au  regard  des  ennemys, 
nécessité,  qui  a  besoing  rainforce  les  crainctifz,  par 
vive  raison  nous  doibt  rendre  invincibles.  Si  noz  mu- 
ralles  sont  brechées,  il  n'est  forteresse  que  de  gens 
vertueulx.  Et  vous  souveigne  que  audacieulx  vouloir 
est  ung  rampar  inexpugnable.  »  Ce  dit,  chascun  prist 
cueur,  en  sorte  que  la  meslée  leur  tardoit  a  venir.  Et 
est  assavoir  que  sur  le  heu  avoit  provision  de  grosses 
pierres  pour  ruer  sur  ceulx  qui  vouldroyent  escheler 
la  muraille,  huyles  boullans,  lances  de  feu,  chaulx 
vive,  poix  et  souffre  ardant,  pour  donner  a  ceulx  qui 
approcheroyent  ladite  muraille,  et  force  artillerye 
dedans  les  tours  et  deffences  de  la  place  pour  tirer  a 
la  traverse. 

Et  ainsi  tout  autour  de  la  brèche  actendoyent  ceulx 
de  Monigue  la  venue  de  l'assault,  lequel  fut  com- 
maincé  ung  matin,  sur  le  point  de  souleil  levant^,  que 
Paule  de  Nove,  duc  du  peuple  de  Gennes,  avecques 


lever  du  soleil;  il  garda  la  porte  de  Serravalle  avec  cent  hommes, 
disposa  cent  autres  hommes  sur  les  murailles  et  deux  cents  autour 
de  la  Darsena.  Deux  barques  chargées  de  soldats  devaient  exO- 
cuter  une  fausse  attaque. 
1.  19  mars  1507. 


124  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

quatre  mille  hommes  gennevoys  et  pizans,  aprocha 
la  muraille  a  tout  grant  nombre  d'eschelles.  Et,  a  l'ap- 
procher, l'artillerie  des  deux  costez  commainça  a  ton- 
ner comme  tempeste.  Des  montaignes  et  de  la  mer 
tiroyent  les  Gennevoys  sur  ceulx  de  la  place,  dont 
plusieurs  en  affoUerent^  Mais,  pour  ce,  nul  desem- 
paroit  pour  doubte  de  mort.  Et  tant  fut  que  main  a 
main  se  combatirent,  les  ungs  a  la  brèche,  les  autres 
sur  les  eschelles,  tant  mortellement  qu'on  ne  veoyoit 
que  gens  ruer  par  terre.  Ceulx  du  dedans,  a  grans 
coups  de  picques,  repossoyent  ceulx  qui  les  appro- 
choyent.  Les  Gennevoys  s'efforçoyent  a  relays  de  gai- 
gner  la  place,  et  la  estoit  Paule  de  Nove,  qui  fist  ses 
effors,  et  très  hardyment  le  fist.  Car  tousjours,  com- 
bien qu'il  fust  vieil  et  encyen,  si  estoit  il  des  premiers 
qui  emcourageoit  moult  les  autres,  et  tant  que  ung 
pizan,  du  party  des  Gennevoys,  monta,  l'enseigne  au 
poing,  par  une  eschelle,  jucques  sur  le  bort  de  la  mu- 
raille, laquelle  n'estoit  du  tout  mise  a  bas,  et  mist 
ung  pied  dessus,  voulant  entrer,  et  cryant  :  Populo/^ 
Populo!  La  eut  merveilleuse  foulle,  car  les  Gennevoys 
de  toutes  pars  eschellerent  la  muraille  et  assaillirent 
la  brèche,  a  quoy  résistèrent  le  Monigoys  de  telle  force 
que  des  Gennevoys  plusieurs  furent  renversez.  Celuy 
qui  portoit  leur  enseigne  s'efforçoit  d'entrer  et  don- 
noit  sur  le  costé,  ou  ung  nommé  Anthony  Bence, 
monigoys,    tenoit    sa   poste,    lequel   se   deffendit  a 

1.  Les  boulets  tombaient  surtout  sur  la  place  et  faisaient  peu 
de  mal.  Tous  les  matelas  de  Monaco  avaient  été  requis  et  ser- 
vaient de  boucliers  aux  assiégés  {Relation}. 

2.  Le  texte  porte  :  «  Pouplo,  populo;  »  —  «  Popolo  a  me,  »  d'après 
la  Relation. 


Mars  1507]     D'UNG  ASSAULT  QUE  LES  GENNEVOYS,  ETC.       125 

force  immodérée,  et  luy,  voyant  l'enseigne  des  Gen- 
nevoys  ung  pié  sur  la  muraille,  adressa  la  si  a  point 
que  d'ung  coup  de  picque  qu'il  rua  de  toute  sa  force 
le  remversa  du  hault  en  bas,  lequel  fut  a  la  choite  tout 
acra vanté.  L'enseigne  ainsi  par  terre,  ceulx  de  Monigue 
se  ravigourerent  et  s'efforcèrent  de  nouveau,  en  gec- 
tant  huysle  bouillant  et  souffre  ardant^,  a  tout  lances 
de  feu  sur  ceulx  qui  assailloyent  la  place,  tellement 
que  Gennevoys  furent  repossez  et  abandonerent  la 
muraille  toute  enrougye  de  leur  sang.  Dont  fut  cessé 
l'assault,  qui  plus  de  cinq  eures  avoit  duré.  Leurs 
eschelles  demeurèrent  la,  qui  servirent  de  bere  pour 
emporter  les  mors,  dont  il  y  en  avoit  de  troys  a 
quatre  cens.  Et  ne  moururent  de  ceulx  de  la  place  que 
troys  seullement,  mais  grant  nombre  y  eut  de  blecez. 
Durant  l'assault,  les  Gennevoys,  voulant  amuser  par- 
tye  des  souldartz  de  la  place,  affin  que  tant  de  gens 
ne  fussent  a  la  deffence  de  la  grande  brèche,  prindrent 
barches  couvertes,  brigandins  et  autres  bateaux,  juc- 
ques  au  nombre  de  xx,  et  dedans  misrent  quatre  cens 
hommes  de  guerre,  lesquelz  abordèrent  leurs  bateaux 
a  l'entrée  du  port,  vers  une  tour  nommée  l'Esperon, 
et  la  avecques  leurs  eschelles  descendirent  et  prin- 
drent terre,  comme  pour  vouloir  assaillir  ladite  place 
de  celuy  costé.  Dont  ceulx  qui  estoyent  aux  deffences 
de  celle  part,  voyant  iceulx  Gennevoys  descendus, 
tout  soubdainement  donnèrent  coups  d'artillerye  contre 
leurs  barches  et  brigandins,  si  qu'ilz  les  percèrent,  en 
manière  que  l'eau  entra  dedans,  tant  qu'ilz  allèrent  a 
fons,  et  ainsi  demeurèrent  ceulx  qui  estoyent  descen- 

1.  Surtout  des  pierres  {Relation). 


126  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

dus  entre  la  muraille  de  la  place  et  le  bort  de  la  mer, 
au  danger  de  leurs  ennemys.  Or  avoyent  ilz  grant 
nombre  d'eschelles,  lesquelles  dressèrent  contre  la 
muraille  et  s'essayèrent  de  monter;  mais  a  grans 
coups  de  pierre  et  de  haquebutes  furent  repossez  et 
batus,  en  sorte  qu'ilz  furent  contraingtz  d'abandonner 
leurs  eschelles.  Et,  voyans  que  leurs  barches  et  bri- 
gandins  estoyent  a  fons,  ne  sceurent  ou  prendre 
seurté,  si  n'est  derrière  une  grosse  tour,  ou  se  mus- 
serent  pour  le  danger  du  trect,  et  demeurèrent  jucques 
l'assault  fust  du  tout  fyny,  que  le  seigneur  de  Monigue 
sceut  leur  piteulx  affaire,  qui  de  ce  fut  bien  joyeulx  ; 
et,  pour  en  faire  la  raison,  fist  sortir  par  une  pos- 
terne,  du  costé  ou  ilz  estoyent,  cent  hommes  des 
siens,  lesquelz  les  allèrent  reveiller  et  donner  au  tra- 
vers, en  manière  que,  si  tost  qu'il  cuydoyent  prendre 
plaine,  l'artillerye  les  affolloit,  dont  en  furent  aucuns 
tuez  et  les  autres  noyez  a  la  rive  de  la  mer  et  tous 
occis,  quatre  vingtz  d'iceuîx  reservez  seullement,  les- 
quelz furent  priz  et  menez  au  chasteau  de  Monigue. 


XI. 


Gommant  les  Gennevoys  levèrent  leur  siège 
de  devant  le  chasteau  de  monigue. 

Durant  ce,  messire  Yves  d'Allègre  approchoit  de 
tant  que  les  Gennevoys  sceurent  sa  venue,  et,  voyant 
qu'ilz  ne  prendroyent  la  place  de  Monigue,  deux  jours 
après  ledit  assault^  bruslerent  leur  loges  et  barraques^, 

1.  21  mars. 

2.  Détail  plaisant  :  en  voyant  ces  feux,  les  gens  de  Vintimiglia, 


Février  1507]       DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  427 

puys  myrent  leur  artillerye  en  raer  et  s'en  allèrent 
partye  par  mer  et  partie  par  terre.  Les  ungs  tirèrent 
vers  une  place  sur  la  marine,  nommé  Porte  Morice'  ; 
l'autre  partie  des  Gennevoys  s'en  allèrent  droict  a 
une  place  nommée  Vintemille,  laquelle  ilz  tenoyent,  et 
de  la  a  Gennes.  Messire  Yves  d'Allègre^,  sachant  leur 
desloger,  les  suyvit  avecques  ses  gens  d'armes  et 
reprist  Menton  et  Roquebrune,  qu'ilz  avoyent  pris  en 
allant  mectre  le  siège  a  Monigue,  lesquelles  places  se 
rendirent  sans  nulle  defïence,  et  ausi  prist  Porte 
Morice,  laquelle  se  rendit  par  composicion  de  dix 
mille  ducatz.  Ce  faict,  ledit  seigneur  d'Allègre  s'en  re- 
tourna a  Savonne,  et  ses  gens  chascun  a  sa  garnison^. 


XII. 


Du    REVOLTEMENT    DE   GeNNES  ,    ET    GOMMANT    MESSIRE 

Gallaz  de  Saluzart  print  aucuns  Gennevoys  au 
golliege  de  Saingt  Fransgisque  a  Gennes. 

Avant  le  temps  du  siège  de  Monigue,  dedans  la  ville 

ennemis  héréditaires  de  Monaco,  les  prirent  pour  des  feux  de  joie; 
ils  crurent  à  la  capitulation  de  Monaco,  se  mirent  à  sonner  les 
cloches  et  à  danser  tous  dans  les  rues  (Relation). 

1.  Port-Maurice,  ou  Porto-Maurizio. 

2.  La  garnison  de  la  Turbie,  avant  de  se  retirer,  vint  réclamer 
à  Monaco  une  forte  surpaie  :  on  lui  donna  quatre  mois  de  solde. 
Son  capitaine,  dit  la  Relation,  qui  affectait  si  orgueilleusement  de 
servir  le  roi  seul  et  non  le  sire  de  Monaco,  ne  craignit  pas  cepen- 
dant de  réclamer  comme  un  simple  mercenaire. 

3.  D'après  la  Relation,  Roquebrune  se  rendit  immédiatement  à 
Agostino  Grimaldi,  sans  résistance  ;  Menton  fit  plus  de  difficultés. 
Lucien  Grimaldi  écrivit  à  Yves  d'Alègre,  qui  vint  l'occuper  avec 
des  forces  considérables,  aux  frais  de  la  ville. 


128  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.         [Février  1507 

de  Gennes,  au  pallays  d'icelle,  estoit  pour  le  Roy  ung 
nommé  Phelippes  de  Roquebertin,  lequel  entretenoit 
le  plus  doulx  qui  pouvoit  le  peuple  de  la  ville,  qui, 
durant  ledit  siège,  ne  s' estoit  ancores  declairé  contre 
le  Roy,  mais  cryoit  tousjours  France  et  Populo. 

Or,  advint  lors  que  le  viii"^  de  feuvrier,  a  ung  jour 
de  quelque  feste,  grant  nombre  de  Gennevoys  furent 
a  Sainct  Francisque,  ung  coUiege  de  cordelliers,  assix 
au  pié  de  la  cytadelle  du  chasteau  de  Gennes,  ou  illec- 
ques  ouyrent  le  commaincement  de  vespres.  La  fut 
messire  Gallaz  de  Salluzart,  en  voyant  iceulx  Genne- 
voys en  ses  dangiers,  dist  qu'ilz  estoyent  de  bonne 
prise,  veu  que  ja  avoyent  commancée  la  guerre  et 
assaillyes  aucunes  places  du  pays  du  Roy,  et  que 
ancores  tenoyent  le  siège  a  Monigue,  terre  dudit  sei- 
gneur; par  quoy  sonna  ung  nombre  de  ses  gens  et  fist 
garder  les  portes  de  l'eglize,  et  iceulx  prist,  et  envoya 
dedans  le  chasteau  prisonniers,  lesquelz  trecta  rude- 
ment et  les  enferma  dedans  ung  lieu  ou  avoit  ung 
moulin  a  bras,  esquelz  faisoit  tourner  ledit  moulin  et 
mouldre  le  blé  a  grant  peine  et  travail,  sans  leur  don- 
ner que  du  pain  et  de  l'eau,  ce  que  n'avoyent  iceulx 
Gennevoys  acoustumé;  ausquelz  demandoit  grande 
somme  d'argent  pour  leur  rançon,  de  laquelle  ne  vou- 
loyent  finer,  disant  qu'ilz  estoyent  pouvres  et  que  de 
tant  grosse  rançon  ne  sauroyent  faire  paye,  par  quoy 
furent  pour  ung  temps  mal  trectez.  Dont  ceulx  de  la 
ville  s'en  allèrent  plaindre  a  Phelippes  de  Roquebertin, 
lieutenant  du  gouverneur  pour  le  Roy,  auquel  disrent 
que  le  capitaine  du  chasteau  n'avoit  querelle  contre 
eulx  et  qu'il  ne  devoit  prendre  ne  détenir  les  gens 
de  la  ville,  qui  tenoyent  pour  le  Roy  et  estoyent  ses 


Dec.  1506]  DU  REVOLTEMBNT  DE  GENNES.  129 

sugectz,  et  beaucoup  d'autres  raisons  alléguèrent. 
Dont  celuy  de  Roquebertin,  pour  complaire  au  peuple 
et  pour  doubte  de  commune  insulte,  leur  promist 
d'en  parler  au  capitaine  et  de  luy  remonstrer  son  tort, 
en  fasson  que  lesdits  prisonniers  seroyent  rendus  ou 
pour  le  moings  trectez  très  bien  et  humainement,  ce 
qui  adoulcist  quelque  peu  le  peuple.  Si  s'en  alla  ledit 
Roquebertin  au  chasteau  et  dist  au  capitaine  comme 
la  ville  estoit  presque  révoltée,  au  moyen  des  prison- 
niers qu'il  detenoit  ;  par  quoy  advisast  qu'il  en  devroit 
faire,  en  façon  que  le  proffict  du  Roy  et  son  honneur 
y  fussent  gardez.  Sur  quoy  respondit  ledit  capitaine 
qu'ilz  estoyent  ses  vrays  prisonniers  et  qu'ilz  estoyent 
de  prise,  veu  qu'ilz  avoyent  commancé  la  guerre  et 
assaillies  les  places  du  Roy,  par  quoy  ne  les  rendroit, 
si  le  Roy  ne  luy  mandoit  expressément. 

Tandis  que  ses  choses  s'exploictoyent,  le  Roy, 
adverty  du  tout  et  sachant  la  révolte  de  Gennes,  dist 
qu'il  pourvoiroit  a  ce^,  dont,  pour  vouloir  mectre  pro- 

1.  Les  nobles  avaient  adressé  à  la  cour  un  mémoire,  pour 
réclamer  une  action  énergique  et  décisive.  Nous  allons  résumer 
cet  important  factum,  où  ils  exposent  les  faits  à  leur  point  de  vue 
et  où  ils  portent  contre  le  gouvernement  français  de  Gênes  les  plus 
graves  accusations,  passionnées  et  parfois  inexactes  :  «  Memoriale 
de  le  cosse  accadute  in  la  sublevatione  de  H  populi  de  Gènes.  »  Le 
mémoire  rejette,  d'abord,  la  responsabilité  des  événements  sur  les 
«  mali  governi  e  cativi  comportamenti  »  des  officiers  royaux  :  il 
y  a  eu  des  extorsions  d'argent;  pour  des  vétilles,  on  a  poursuivi 
de  soi-disant  crimes  de  lèse-majesté  et  prononcé  des  confiscations. 
Les  coupables  sont  le  procureur  fiscal  Jehan  Bartbolomeo  de 
Lundis  et  NicoUo  de  Guidobonis  de  Tartona,  vicaire  royal  de 
M.  de  Ravenstein.  Le  peuple  de  tout  le  pays,  ainsi  mécontenté, 
devait  se  soulever  facilement.  Le  20  juin  de  cette  année,  il  se  sou- 
leva, sous  la  direction  de  Polo  Baptista  Justiniano  ;  l'habileté  de 
IV  9 


130  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506-1507 

vision  de  plus  a  la  garde  de  sondit  chasteau  de  Gennes, 
qui  estoit  la  principale  place  et  meilleur  deffence, 

soixante  nobles,  qui  supportèrent  mille  injures,  calma  cette  sédi- 
tion. M.  de  Roquebertin  était  aux  bains  d'Acqui;  on  lui  en  référa; 
on  le  pria  de  revenir  ;  il  ne  s'en  soucia  pas  et  répondit,  assure-t-on, 
de  laisser  faire,  «  che  scuzera  un  poto  de  dexe  milia  scuti.  »  Quand 
il  revint,  P.-B.  Justiniano,  auteur  de  la  sédition,  alla  au-devant 
de  lui,  à  deux  jours  de  marche,  et  corrompit,  dit-on,  par  de  l'ar- 
gent Roquebertin,  qui  ne  fit  rien  pour  apaiser  la  sédition  et,  au 
contraire,  la  fomenta  et  l'accrut.  Il  ne  voyait  que  Justiniano.  Les 
révoltés  avaient  élu  un  conseil  de  douze  membres  :  sur  l'avis 
de  Roquebertin  même,  ils  le  réduisirent  à  quatre ,  pour  mieux 
assurer  le  secret.  Malgré  les  prières  des  nobles,  Roquebertin 
reconnut  ce  conseil  et  traita  avec  lui.  Le  peuple  s'enhardit  :  le 
18  juillet,  soulèvement  général,  sous  la  direction  de  Petro  et  Vin- 
cencio  Sauli  et  de  leurs  frères,  ainsi  que  de  beaucoup  de  Justi- 
niani,  Fornari  et  Adorni.  Avec  Roquebertin,  ils  coururent  le 
pays  en  criant  :  Franza  et  Via  populo  et  officij  et  Ad  la  morte  H 
gentilhomini.  On  massacra  un  nommé  Vesconte  ;  on  blessa  griè- 
vement Augustino  Doria  ;  on  frappa  une  foule  de  nobles.  En  vain 
les  nobles  demandèrent-ils  de  prendre  les  armes  pour  se  défendre; 
en  vain  offrirent-ils  leur  appui  à  Roquebertin.  Celui-ci  resta  avec 
le  peuple;  la  nuit,  il  autorisa  le  vol  et  la  rapine.  Le  peuple  pilla 
plus  de  cinquante  maisons  de  nobles;  il  y  viola  plusieurs  femmes; 
le  jour  venu,  le  peuple  se  forma  un  conseil,  contrairement  aux 
statuts;  le  jour  suivant,  il  reprit  les  armes,  et,  à  midi,  devant 
Roquebertin,  qui  se  disait  impuissant,  on  enfonça  la  porte  d'un 
palais  et  on  se  livra  à  toute  sorte  d'excès.  Ainsi  proscrits  et  aban- 
donnés, les  nobles  députèrent  au  roi  Andréa  Doria;  Doria  trouva 
à  la  cour  Ravenstein,  qui  l'empêcha  de  se  plaindre  de  Roqueber- 
tin et  se  déclara  prêt  à  partir  pour  Gênes,  afin  d'y  rétablir  l'ordre. 
Mécontents  du  silence  de  Doria,  les  nobles  députèrent  encore 
deux  des  principaux  d'entre  eux,  qui  rencontrèrent  en  route 
Ravenstein,  lequel  les  invita  à  ne  pas  aller  plus  loin,  car  il  se 
rendait  à  Gênes  avec  pleins  pouvoirs.  A  Asti,  Ravenstein  trouva 
M.  de  Chaumont,  Jean-Louis  de  Fiescbi  et  beaucoup  des  prin- 
cipaux nobles  qui  délibéraient  sur  les  événements.  Les  nobles  le 
prièrent  d'agir  énergiquement.  Chaumont,  avec  sa  grande  expé- 
rience, était  du  même  avis.  Il  refusa  et,  sur  les  lettres  de  Roque- 
bertin et  de  l'argentier  Gualtero  Fiamengho,  il  se  laissa  persuader 


1506-1507]  DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  131 

transmist  celle  part  ung  nommé  Allabre  de  Saule,  son 
ussier  de  chambre,  par  lequel  escripvoit  et  mandoit 

par  les  ambassadeurs  du  peuple  d'aller  à  Gênes  avec  peu  de 
monde;  il  résolut  d'emmener  1,000  hommes  de  pied  et  n'en 
emmena  en  réalité  qu'environ  650.  Il  aurait  pu  néanmoins  triom- 
pher, car  le  peuple  était  épouvanté;  ses  chefs  se  cachaient 
et  pensaient  à  fuir.  Mais  il  se  mit  à  parlementer.  Il  envoya  à 
J.-L.  Fieschi,  qui  se  trouvait  à  Violata,  avec  une  bonne  compa- 
gnie, l'ordre  écrit  de  quitter  la  ville.  Celui-ci,  malgré  ses  récla- 
mations, dut  obéir.  A  peine  fut-il  hors  de  Gènes,  le  peuple  prit 
les  armes,  nomma  des  officiers  à  sa  guise  avec  le  consentement 
de  Ravenstein,  à  qui  on  promit  une  somme  d'argent;  Gontero 
dit  même  à  un  noble  :  «  Vous  autres  gentilshommes,  vous  ne  vou- 
«  lez  rien  donner,  vous  n'aurez  rien.  »  Les  révoltés  s'emparèrent 
de  toute  la  Rivière.  Lucha  Spinula,  à  qui  Ravenstein  refusa  du 
secours,  perdit  La  Pieve,  malgré  l'autorité  du  roi  dont  il  la  tenait 
en  fief.  On  voulut  faire  de  même  à  Monaco.  Les  révoltés  disaient 
tout  haut  que  Ravenstein  leur  obéissait  et  que  le  roi  agirait  en 
conséquence.  Un  émissaire  des  nobles,  parti  en  poste,  obtint  la 
révocation  de  diverses  ordonnances  de  Ravenstein  et  la  défense  à 
Roquebertin  de  rien  innover  contre  la  noblesse.  On  ne  tint  aucun 
compte  des  ordres  du  roi  :  on  disait  que,  pour  un  écu,  on  obtien- 
drait des  ordres  contraires.  Bref,  le  castelletto  seul  obéissait  au  roi. 
Ravenstein  a  reçu  plus  de  3,000  écus,  savoir  :  à  Asti,  par  des 
marchands  locaux,  1,000;  à  Lyon,  plus  de  2,000  par  les  Sauli;  on 
lui  en  a  promis  20,000  autres.  M.  de  la  Clayette  a  reçu  une  chaîne 
d'or  de  300  écus  au  moins  ;  Roquebertin  a  touché  à  Gênes 
5,000  écus.  La  noblesse,  ainsi  donnée  en  'proie,  se  voit  obligée 
de  recourir  au  roi.  Le  roi,  avec  six  galères  dans  la  Rivière, 
4,000  Suisses,  150  lances  et  les  sujets  des  nobles,  aura  la  victoire 
avant  de  paraître  sous  les  murs  de  Gênes,  surtout  si  le  comman- 
dant en  chef  est  un  homme  habile  et  connaissant  l'ItaHe  ;  et,  en 
prohibant  le  ravitaillement  de  Gènes,  ce  qui  est  facile,  car  tous 
les  environs  appartiennent  aux  gentilshommes  et  sujets  fidèles  du 
roi,  le  roi  peut  s'assurer  facilement  de  la  vallée  de  Pulcifera  (sic)] 
l'important  est  d'agir  vite,  avant  l'hiver  (Ms.  fr.  2961,  fol.  23  et 
suiv.).  — A  l'appui  de  ce  mémoire,  on  peut  voir  l'engagement  de 
Jean-Louis  de  Flisco,  Etienne  de  Vivaldis,  Ant.  Spinola,  Lau- 
rent Lomelin  et  Jean-Jacques  Doria,  au  nom  des  nobles  de 
Gênes,  de  rembourser  au  roi  l'entretien  de  4,000  Suisses  et  de 


132  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1506-1507 

par  créance  a  messire  Charles  d'Amboise,  son  lieute- 
nant gênerai  delà  les  mons,  a  Phelippes  de  Roqueber- 
tin,  lieutenant  du  gouverneur  de  Gennes,  et  a  messire 
Gallaz  de  Salluzart,  capitaine  du  chasteau  de  Gennes, 
son  vouloir  touchant  son  affaire  de  delà.  Lequel  Allabre 
s'en  alla  en  poste,  et  si  tost  que  en  moings  de  six 
jours  fut  a  Millan  devers  le  lieutenant  du  Roy,  auquel, 
en  ensuyvant  sa  charge,  bailla  ses  lectres  et  dist  sa 
créance.  Apres  que  le  lieutenant  du  Roy  eut  veu  et 
ouy  ce  que  mandé  luy  estoit,  au  plus  tost  qu'il  peut 
despescha  ledit  Allabre,  auquel  bailla  gens  et  moyens 
pour  le  guyder  jucques  a  Gennes,  ainsi  que  le  Roy  luy 
mandoit  par  ses  lectres,  et  luy  bailla  ung  chevaucheur 
d'escuyerie  pour  luy  rapporter  nouvelles  de  l'excu- 
cion  de  son  faict.  Ainsi  s'en  va  ledit  Allabre  son  droict 
chemin,  tirant  a  Gennes,  et  premier  adressa  a  ung 
lieu,  nommé  le  bourg  de  Busalle,  a  xv  mille  près  de 
Gennes,  et  la  trouva  ung  nommé  messire  Robert 
EspinoUe'',  frère  du  seigneur  de  Sarraval,  gennevoys. 
Auquel  dist  ledit  Allabre  que  ledit  de  Sarraval,  son 
frère,  l'adroissoit  a  luy  avecques  ung  sien  serviteur 
qu'il  luy  avoit  baillé  pour  le  conduyre,  et  prioit  ledit 
messire  Robert  que,  le  plus  tost  et  le  plus  droict  que 
possible  seroit,  le  fîst  adresser  et  mener  a  Gennes. 
Ce  qu'il  fist  par  ung  marchant  dudit  bourg,  qui  savoit 
le  plus  couvert  chemin  et  seures  adresses  pour  aller 
audit  lieu.  Si  le  mena  celuy  marchant  tout  seurement 

4,000  hommes  de  pied,  sous  clause  pénale  de  100,000  ducats 
(Portefeuille  Fontanieu,  156,  18). 

1.  Deza  [Istoria  délia  famiglia  S'pinola.  Piacenza,  in-fol.)  observe 
qu'aucun  Spinola  ne  se  compromit  dans  les  événements  qui  vont 
suivre  (p.  292). 


Février  1507]      DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  133 

jucques  a  l'entrée  d'ung  lieu  nommé  Poulceuvre,  qui 
est  l'advenue  des  destroictz  des  montaignes  de  Gennes, 
et  luy  dist  celuy  marchant  que  la  estoit  le  plus  dange- 
reux de  leur  passage,  car  de  la  estoyent  aucuns  des 
capitaines  et  chiefz  des  Gennevoys  mutins,  et  mes[me]- 
ment  ung  nommé  Guilhon,  capitaine  de  Poulceuvre, 
par  lequel  estoit  venu  le  moyen  de  la  première  divi- 
sion de  Gennes,  comme  j'ay  dit  dessus.  Toutesfoys 
passèrent  oultre,  sans  autre  danger,  et  approchèrent 
la  tour  de  la  Lanterne,  nommée  la  tour  de  Codefa, 
assise  en  mer,  entre  la  ville  de  Gennes  et  ung  bourg 
nommé  le  bourg  de  Sainct  Pierre  d'Areyne,  regar- 
dant sur  le  moulle.  Et,  eulx  estans  au  droict  de  la 
lanterne,  pour  ce  que  lors  faisoit  froict,  ledit  Allabre 
enchapperonné  pença  que  luy  en  ceste  manière  ne 
passeroit,  sans  estre  de  plusieurs  regardé,  enquys,  et 
par  aventure  arresté  de  ceulx  de  la  ville,  ousta  son 
chapperon  et  mist  une  chayne  d'or  au  coul,  qu'il  avoit 
baillé  a  garder  a  sa  guyde,  et  ainsi  passa  tout  seure- 
ment  jucques  au  palais,  ou  descendit  et  envoya  loger 
ses  chevaulx .  Puys  demanda  a  quelqun  des  mortes  payes 
dudit  palais  ou  estoit  ung  nommé  Phelippes  de  Roque- 
bertin ,  lieutenant  du  seigneur  de.  Ravestain ,  lequel 
mena  en  la  chambre  de  celuy  Roquebertin,  qu'ilz  ne 
trouvèrent  la,  car  il  estoit  allé  ce  jour  au  sermon  et 
devoit  disner  en  ville  avecques  aucuns  des  cytadins, 
lesquelz  ilz  entretenoit  tousjours  de  doulces  parolles, 
comme  besoing  luy  estoit.  Ledit  Allabre,  au  plus  tost 
qu'il  peut,  manda  a  Roquebertin  qu'il  estoit  la  venu 
de  par  le  Roy,  et  qu'il  avoit  affaire  hastivement  a  luy; 
dont  celuy  Roquebertin  a  toute  dilligence  s'en  alla  au 
palais,  ou  ledit  Allabre  luy  bailla  les  lectres  que  le  Roy 


134  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.        [Février  1507 

luy  envoyoit  et  celles  de  messire  Charles  d'Amboise, 
et  luy  dist  la  créance  qu'il  avoit  a  luy  dire,  contenant 
que,  tout  incontinant  les  lectres  veues,  ledit  Roque- 
bertin  s'en  allast  a  Millan  devers  ledit  messire  Charles 
d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  et  que  premier  eust  a 
bailler  audit  AUabre  les  mortes  payes  du  pallais,  ou 
pouvoyent  estre  troys  cens  hommes,  pour  les  mectre 
ou  le  Roy  luy  avoit  mandé.  Lequel  Roquebertin  dist  : 
«  Voluntiers  acompliray  je  le  mandement  et  vouloir 
du  Roy;  mais  difficille  chose  seroit  a  faire  prompte- 
ment  et  seurement  me  desloger;  car,  si  les  mortes 
payes  habandonnent  le  palais,  le  peuple  de  Gennes 
pourra  pencer  que  le  Roy  se  deffye  de  eulx  et  que 
leur  machinacion  est  clerement  descouverte,  par  quoy 
moy  et  tous  les  Françoys,  qui  devant  eulx  nous  trou- 
verons, serons  en  danger  de  la  vye;  dont  est  besoing 
différer  la  chose  quelque  peu  de  temps.  »  A  quoy  ne 
voulut  entendre  ledit  Allabre,  disant  :  «  Non,  il  est 
besoing  de  faire  le  vouloir  du  Roy,  qui  est  de  promp- 
tement  retirer  ses  mortes  payes  et  les  mectre  a  la 
garde  du  chasteau,  qui  grant  besoing  en  a;  et,  si  par 
avanture  ilz  sont  defïaictz  ou  empeschez  par  les  Gen- 
nevoys,  et  que  guerre  soit  du  tout  ouverte,  a  grant 
difficulté  pourra  estre  ledit  chasteau  garny  de  gens 
d'armes.  Et  en  oultre  vous  devez  savoir  que,  au 
moyen  de  la  prise  d'aucuns  Gennevoys  que  le  capi- 
taine dudit  chasteau  détient,  tout  le  peuple  de  Gennes 
en  est  mutiné  et  prest  a  dire  le  mot  contre  le  Roy, 
dont  est  mestier,  au  plus  tost  que  faire  se  poura,  et, 
avant  que  plus  de  bruyt  se  lieve,  de  ran forcer  le  chas- 
teau, et  tant  y  a  que  ja  pence  le  Roy  que  vous  soyez 
avecques  lesdites  mortes  payes  audit  chasteau,  ainsi 


Février  1507]      DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  135 

que  ja  long  temps  vous  a  mandé,  comme  il  m'a  dit  a 
mon  parlement,  et  que  la  vous  trouveroye.  Pour  ce, 
n'est  heure  de  plus  différer,  mais  faire  le  vouloir  du 
Roy.  »  Oyant  celuy  Roquebertin  ce  que  dit  est,  pria 
ledit  Allabre  que  au  moings  vousist  premier  demeurer 
illecques  deux  ou  troys  jours,  et  que  ce  pandant  il 
trouveroit  moyen  de  sortir  de  la  ville  et  eschever  le 
danger  des  villains,  ce  que  ne  voulut  ledit  Allabre, 
mais  dist  que  plus  ne  demeureroit  au  palais.  «  Car 
j'ay,  dit  il,  lectres  adroissans  a  messire  Gallaz,  capi- 
taine du  chasteau,  lesquelles  fault  a  toute  dilligence  a 
luy  présenter;  car  j'ay,  de  ce,  comandement  exprès 
du  Roy,  auquel  me  fault,  toutes  choses  lassées,  obéir.  » 
Ce  dit,  voyant  celuy  Roquebertin  que  autre  chose  ne 
pou  voit,  et  qu'il  estoit  force  que  ledit  Allabre  s'enallast 
au  chasteau,  dist  :  «  Or,  allez  en  la  garde  de  Dieu;  je 
vous  bailleray  une  mulle  et  ung  gentilhomme  pour 
vous  conduyre  et  acompaigner  jucques  au  chasteau, 
afïîn  que  la  ville  ne  se  doubte  de  nostre  affaire.  Allez 
le  plus  celeement  que  pourez,  et  par  voyes  oblicques 
que  la  guyde  que  je  vous  baille  vous  saura  mener.  Et, 
au  surplus,  je  vous  transmectray  toutes  les  mortes 
payes  du  palais,  de  nuyt,  afïîn  que,  par  les  villains  ne 
soyent  ad  visées  ou  arrestées.  »  Ce  dit,  ledit  Allabre 
avecques  sa  guyde  monta  a  cheval,  et  dist  a  sa  guyde 
qu'il  le  menast  vers  la  marine,  a  l'oposite  de  la  ou  il 
vouloit  aller,  afïin  que  les  Gennevoys  ne  sceussent  ou 
il  tiroit.  Et  ainsi  s'en  alla  vers  la  marine  a  cartier  et 
retourna  par  rues  segrectes  et  foraines,  tant  que,  sans 
empeschement,  se  rendit  au  chasteau,  ou  trouva  mes- 
sire Gallaz  de  Salluzart,  capitaine  de  ladite  place, 
auquel  bailla  les  lectres  du  Roy,  et  luy  monstra  man- 


136  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.         [Février  1507 

dément  dudit  seigneur,  comme  il  faisoit  et  ordonnoit 
ledit  Allabre  capitaine  de  Sainct  Francisque,  qui  est 
ung  coUiege  de  cordelliers,  assix  au  pié  de  la  cyta- 
delle  du  chasteau,  bien  ranfermé  et  fort  a  merveilles, 
lequel  peut  secourir  le  chasteau  et  estre  du  chasteau 
secouru  contre  la  ville,  dont  estoit  besoing  mectre 
garnison  dedans  ledit  colliege.  Ausi  mandoit  le  Roy, 
par  lectres  ausdits  souldartz  du  pallais,  qu'ilz  eussent 
a  obeyr  audit  Allabre  en  cest  affaire,  comme  a  sa  per- 
sonne, après  le  département  de  Roquebertin. 

Geluy  messire  Gallaz,  capitaine  du  chasteau  de 
Gennes,  voyant  les  lectres  que  le  Roy  luy  escripvoit 
et  le  mandement  susdit,  receupt  joyeusement  ledit 
Allabre.  Et  sommairement  tous  deux  ensemble  par- 
lèrent sur  leur  affaire,  disant,  par  conclusion,  que 
mestier  estoit  que  Phelippes  de  Roquebertin,  lieute- 
nant du  palais,  montast  jucques  au  chasteau,  pour 
parler  plus  amplement  de  leurs  besoignes,  et  savoir  a 
luy  de  Testât  et  manière  des  villains  de  Gennes  et  quel 
vouloir  ilz  avoyent,  pour  y  pourvoir  scelon  leur  pos- 
sible. Ainsi  transmirent  message  segretement  devers 
ledit  Roquebertin,  le  pryant  qu'il  vousist  aller  par 
devers  eulx,  pour  parler  d'aucunes  choses,  touchant 
les  affaires  du  Roy  ;  et  que  le  capitaine  du  chasteau 
fust  allé  parler  a  luy,  mais  il  n'ozoit  habandonner  le 
chasteau,  par  quoy  le  prioit  bien  fort  qu'il  luy  plust 
monter  jusques  audit  lieu  :  ce  que  ne  voulut  ledit 
Roquebertin,  disant  que,  pour  la  double  de  la  com- 
mune qui  grandement  estoit  esmeue,  n'ozeroit  et  que, 
s'il  faisoit  semblant  d'y  aller,  le  peuple  l'assommeroit, 
car  il  estoit  tout  effrenné  et  en  branslo  de  ouvrir  la 
guerre  aux  Fransoys.  Quoy  plus?  si  n'est  que  ledit 


Février  1507]       DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  137 

Allabre  manda  a  Roquebertin,  s'il  ne  pouvoit  monter 
au  chasteau,  qu'il  luy  envoyast  les  mortes  payes  du 
palais,  comme  le  Roy  luy  avoit  mandé  :  ce  que  pro- 
mist  de  faire  celuy  Roquebertin  dedans,  quatre  jours 
après  ;  pendant  lequel  temps,  il  pratiqua  aucuns  des 
plus  octorizés  de  Gennes,  par  doulces  parolles  et 
moyens  exquys,  pour  envoyer  a  Millan  ambaxadeurs 
par  devers  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du 
Roy,  lequel  avoit  puissance  sur  toutes  ses  affaires,  et 
que  avecques  luy  pourroyent  telle  chose  trecter,  que 
se  seroit  au  proffict  de  la  ville  et  bien  de  la  chose 
publicque  ;  et  que,  de  sa  part,  il  y  besoigneroit  en 
manière  que  Gennes  pourroit  cognoistre  qu'elle  auroit 
ung  amy  en  luy.  Toutesfoys  ses  belles  choses  leur 
disoit  ledit  Roquebertin  pour  trouver  moyen  de  sor- 
tir de  la  ville  avecques  eulx  et  se  retirer  a  Millan, 
pour  la  seurté  de  sa  personne  ;  ausquelles  choses 
s'accordèrent  les  Gennevoys,  et  a  chief  de  quatre  jours 
luy  baillèrent  ambaxades,  pour  aller  avecques  luy  a 
Millan  devers  ledit  lieutenant  du  Roy.  Et,  sur  ce  pro- 
pos, se  mectent  en  avant  lesdits  de  Gennes,  accompai- 
gnés  de  trente  chevaulx,  et  prennent  leur  chemin  vers 
bourg  de  Busalle.  Or  avoit  ledit  Roquebertin,  premier 
que  partir  de  Gennes,  despeschée  une  poste  et  icelle 
envoyée  a  Millan,  pour  advertir  le  heutenant  du  Roy 
commant  il  menoit  les  ambaxades  de  Gennes  par  devers 
luy.  A  quoy  fist  responce  ledit  lieutenant  du  Roy  que 
de  luy  il  n'avoit  commission  ne  puissance  aucune  de 
faire  avecques  lesdits  Gennevoys  quelque  trecté,  ne  de 
les  ouyr;  a  ceste  fin,  leur  renvoya  la  mesme  poste 
pour  de  ce  les  advertir.  Lesquelx  Gennevoys,  oyant 
ladite  responce,  très  mal  contens,  s'en  retournèrent  a 


138  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.         [Février  1507 

Gennes,  et  ledit  Roquebertin  avecques  son  train  prent 
son  chemin  droict  a  Miilan*. 

Le  mesme  jour  que  celuy  Roquebertin  partit  de 
Gennes,  dist  a  ung  nommé  Maubouvyer,  et  a  ung 
autre  nommé  Françoys  de  la  Fuste,  des  souldartz  du 
palais  de  Gennes,  que,  la  nuyt  ensuyvant  de  son  par- 
tement,  eussent  a  mener  et  conduyre  les  aultres  soul- 
dartz dudit  palais  a  Sainct  Francisque,  dont  estoit 
capitaine  ledit  AUabre,  car  ainsi  l'avoit  mandé  le  Roy. 
Dont  icelle  nuyt  se  rendirent  lesdits  Maubouvyer  et 
Françoys  de  la  Fuste  a  Sainct  Francisque,  avecques 
six  vingtz  et  sept  d'iceulx  souldartz.  Les  autres,  qui 
estoyent  en  nombre  deux  cens  ou  environ,  demeu- 
rèrent avecques  ung  nommé  Averluch,  allemant,  qui 
portoit  l'enseigne  du  seigneur  de  Ravestain,  leur  capi- 
taine, lequel  Averluch  ne  voulut  servir  le  Roy,  ains 
fist  mutiner  lesdits  compaignons,  dont  y  avoit  plusieurs 
Françoys,  lesquelz  se  misrent  au  service  et  a  la  soulde 
des  Gennevoys. 

Dedans  le  palais  de  Gennes,  estoit  demeuré  ung 
nommé  messire  Estienne  de  Cernerieu,  docteur,  lequel 
avoit  la  lessé  Phelippes  de  Roquebertin,  pour  estre 
son  lieutenant.  Mais,  voyant  la  retrecte  des  souldartz 
dudit  palais,  et  le  peuple  de  Gennes  esmeu,  dist  qu'il 
se  osteroit  du  chemin,  comme  les  autres,  ce  qu'il  tist  ; 
car,  la  nuyt  ensuyvant,  il  deslogea  sans  trompette  et 

1.  D'après  Salvago,  Roquebertin  n'avait  imaginé  cette  ambas- 
sade que  comme  expédient  pour  garantir  sa  sortie.  Cependant,  il 
paraît  qu'en  réalité  ces  ambassadeurs  envoyèrent  à  Milan  deman- 
der un  sauf-conduit,  qu'on  le  leur  accorda,  qu'ils  ne  parurent 
pas  (nouvelles  du  9  mars.  Sanuto,  VII,  31)  et  qu'on  essaya  encore 
de  négocier,  malgré  leur  abstention  (Ibid.,  36,  461;  mais  les 
Génois  étaient  divisés  au  sujet  de  cet  accord. 


Février  1507]       DU  REVOLTEMENT  DE  GENNES.  139 

s'en  alla  d'emblée  devers  le  lieutenant  du  Roy,  qui 
lors  estoit  a  une  petite  ville  nommée  Gamallo,  terre 
de  Millan^.  Et  de  la  s'en  alla  audit  lieu  de  Millan,  pour 
estre  plus  asseur. 

Lorsque  ledit  Maubouvyer  et  de  la  Fuste  eurent 
menez  ce  qu'ilz  peurent  de  leurs  gens  devers  l'ussier, 
Allabre,  au  matin,  dedans  ledit  colliege  de  Sainct 
Francisque,  receupt  le  serment  d'iceulx,  de  bien  et 
loyaument  soubz  sa  charge  servir  le  Roy. 

Le  mesme  jour  que  les  souldartz  eurent  faict  le 
serment,  comme  dit  est,  ledit  Allabre,  capitaine  de 
Sainct  Francisque,  voyant  grant  nombre  de  frères 
estre  leans,  doubtant  long  siège,  et  que,  au  moyen  de 
trop  de  gens,  les  vivres  se  peussent  diminuer  et  def- 
faillir,  et  venir  autres  inconveniens,  appella  le  gardien, 
auquel  dist  que  pour  les  causes  susdites  estoit  requis 
d'en  envoyer  partie  et  retenir  ceulx  seullement  qui 
mestier  faisoyent  pour  le  service  divin  ;  par  quoy  ledit 
gardien  en  envoya  tous  lesdits  frères,  reservez  cinc, 
etluy  sixiesme. 

Tout  cela  faict,  ledit  capitaine  se  prist  garde  de  sa 
place  et  l'environna  de  tous  costez,  pour  icelle  advi- 
ser  ;  et,  aux  lieulx  qu'il  veist  besoigneulx  de  ayde,  fîst 
faire  fors  et  rampars,  ou  luy  et  ses  gens  misrent  la 
main  a  l'œuvre,  en  manière  qu'ilz  n'eurent  doubte  de 
la  force  des  Gennevoys,  ne  crainte  de  leur  siège. 

1.  Sans  doute  Gambolô,  près  de  Vigevaao. 


140  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.         [Février  1507 

XIÏI. 
Gommant  les  Gennevoys  se  misrent  sus  contre  le 

Roy  et  ASSIEGERENT  LE  GASTELLATZ  DE  GeNNES,  ET 
PRINDRENT  PAR  COMPOSITION  ;  ET  COMME,  SUR  LADITE 
COMPOSITION,  IL  OGCIRENT  INHUMAINEMENT  LES  FrAN- 
ÇOYS  QUI  DEDANS  ESTOIENT. 

Tantost  que  les  ambaxadeurs  de  Gennes  furent  re- 
tournez de  bourg  de  Busalle  audit  lieu  de  Gennes  sans 
avoir  esté  ouys  du  lieutenant  du  Roy  ;  et  ausi  sachant 
commant  le  capitaine  du  chasteau  de  Gennes  avoit 
priz  aucuns  de  leurs  cytoyens,  que  ancores  tenoit  pri- 
sonniers et  iceulx  traictet  très  rudement  ;  coignoissant 
ausi  par  l'absentement  des  souldartz  du  palais,  qui 
s'estoient  retirez  au  chasteau,  que  les  Françoys  ne  se 
fyoyent  plus  en  eulx,  et  que  de  tous  pointz  leur  entre- 
prise estoit  descouverte,  tindrent  entre  eulx  une  turbe 
commune  ou  conseil  populaire,  ou  plusieurs  propos 
escartiz  et  raisons  inconsultées  furent  mises  sus.  A  ce 
conseil,  furent  appeliez  Paule  de  Nove,  duc  du  peuple 
de  Gennes,  Manuel  de  Ganale,  Demetrius  Justinian, 
Anthony  de  Giuuly,  le  capitaine  Ternatin,  Guilhon, 
capitaine  de  Poulcevre  et  autres  de  ceulx  qui  estoyent 
venus  du  siège  de  Monigue,  et  grant  nombre  d'autres, 
tant  du  peuple  gras  que  de  la  commune;  lesquelz, 
après  plusieurs  allégations  desordonnées,  conclurent 
de  declairer  eulx  et  la  ville  de  Gennes  contre  le  Roy, 
et  des  lors  commaincer  leur  rébellion  et  tuher  tous 
les  Françoys  qu'ilz  pourroyent  trouver  et  prendre 
dedans  leur  pays  ;  tant  que,  pour  commaincer,  tous  a 


Févr.  1507]  COMM^  LES  GENNEVOYS  SE  MISRENT  SUS,  ETC.     141 

une  voix  crièrent  :  Populo!  Populo f  taisant  leur  cry 
de:Fra7icef  France!  que  jucques  a  celle  heure  avoyent 
tousjours  cryé. 

Avecques  leurs  cris  impetueulx  et  bruyt  de  peuple 
effrenné,  s'en  allèrent  assiéger  une  petite  place  nom- 
mée le  Castellas,  estant  assise  au  dessus  du  chasteau 
de  Gennes^ ,  dedans  les  montaignes,  en  laquelle  estoyent 
XX  ^  Françoys  et  troys  femmes,  soubzla  charge  d'ung 
nommé  Regnault  de  Nouaille,  capitaine  de  ladite  place  ; 
et,  ung  jour  de  vendredy  lendemain  de  la  my  caresme, 
sur  l'eure  du  point  du  jour,  aprocherent  lesdits  Gen- 
nevoys  le  Castellas  et  comaincerent  a  tirer  encontre 
leur  artillerye,  sans  cesser,  depuys  le  matin  jusques 
au  soir  sur  le  vespre.  Les  Françoys  qui  dedans  estoyent 
se  deffendirent  au  mieulx  qu'ilz  peurent  ;  mais,  pour  ce 
que  la  place  estoit  mal  advitaillée  et  desprouveue  de 
secours,  les  souldartz  parlamenterent,  disant  aux  Gen- 
ne\oys  :  «  Nous  rendrons  la  place,  noz  vyes  et  bagues 
sauves,  ou  sinon  summes  délibérez  de  vivre  et  mourir 
icy  a  la  deffence  de  nous  et  de  nostre  place.  »  Les 
Gennevoys,  voyans  qu'ilz  ne  les  auroyent  par  force, 
sans  avoir  partie  a  la  perte,  combien  qu'ilz  eussent 
juré  la  mort  de  tous  les  Françoys  qui  la  estoyent, 

1.  Une  miniature  du  célèbre  ms.  le  Voyage  de  Gênes,  de  Jean 
Marot  (fr.  5091),  représente  (fol.  10  V)  la  prise  du  Gastellazzo  par 
les  Génois.  Au  premier  plan,  le  château  et  l'abbaye  de  Saint- 
François,  avec  les  étendards  de  France  flottant  au  vent;  la  mer; 
la  ville  de  Gênes.  En  haut  d'une  montagne,  le  Gastellazzo,  avec 
le  drapeau  français  (rouge  et  jaune,  à  emblèmes  d'or).  Des 
colonnes  de  Génois  montent  à  l'assaut,  en  massacrant  des 
femmes;  quelques-uns  portent,  au  bout  de  piques,  des  dépouilles 
sanglantes.  Ils  ont  le  pavillon  à  croix  rouge  et  le  pavillon  de 
Saint-Georges. 

2.  Dix-huit,  d'après  Salvago. 


142  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.         [Février  1507 

toutesfoys  jurèrent  et  promirent  ladite  composition, 
touchant  la  vye  et  bagues  sauves  desdits  souldartz,  ce 
que  ne  tindrent  les  traistes  ;  car,  tantost  que  la  place 
fut  rendue  et  mise  entre  leurs  mains,  la  commune 
forcennée  ne  voulut  tenir  ladite  composition,  mais, 
malgré  aucuns  des  principaulx  de  leur  armée,  qui 
avoyent  entre  les  mains  lesdits  souldartz  françoys, 
leur  osterent  et  occirent  cruellement.  Car  aux  ungs 
encroiserent  les  bras  et  estacherent,  et  leur  fendirent 
le  ventre  et  l'estomac,  en  leur  errachant  le  cueur  et  les 
entrailles  du  corps  ;  puys  picquerent  les  cueurs  d'iceulx 
contre  esteppes  et  pousteaulx  et  se  soilherent  les 
mains  dedans  le  sang  des  mors  inhumainement  ;  les 
autres  taillèrent  en  pièces  sans  pityé,  avecques  les 
femmes  qui  la  estoyent,  lesquelles  firent  mourir  de 
tant  cruelle  et  estrange  mort  que  l'orreur  du  faict 
me  deffent  la  manière  de  dire^  Somme,  de  tous  ceulx 
n'en  eschappa  que  ung  tout  seul,  nommé  Nycholas  de 
Noyers,  lannoys,  lequel,  après  la  prise  de  la  place,  et 
ainsi  que  ontuhoit  ses  compaignons,  fut  pris  par  aucuns 
marchans  de  Gennes  estans  la,  qui  le  cognoissoyent  et 
avoyent  eu  avecques  luy  quelquesfoys  paroUes  fami- 
lières, dont  celeement  firent  tant  qu'ilz  le  musserent 
et  déguisèrent,  puys  luy  baillèrent  de  l'argent,  et  tel- 

1.         «  Vingt  et  cinq  mille  estoient  de  Genevoys 
Contre  troys  femmes  et  dix  huyt  Françoys. 

Mettant  a  mort  tous  ceulx  qu'ilz  y  trouvèrent, 
Non  seulement  les  hommes,  mais  les  femmes, 
Dont  a  jamais  sont  reputez  infâmes  ; 
Car  saulver  fault  quatre  choses  en  guerre  : 
Prestre,  herault,  paige  et  féminin  genre.  » 

(Jean  Marot,  le  Voiage  de  Gènes.) 


Mars  1507]     COMM»  LES  GENNEVOYS  ASSIEGERENT,  ETC.       143 

lenient  firent  qu'il  se  sauva  et  se  retira  au  chasteau 
de  Gennes,  ou  depuys  me  trouvay  et  parlay  a  luy, 
par  lequel  je  sceu  lesdites  choses  et  les  noms  d'au- 
cuns de  ses  compaignons  mors,  nommez  Regnault  de 
Nouailhe,  leur  capitaine,  Nycholas  Dangu,  le  bastart 
du  Ghillou,  Guillaume  Ducro  et  ung  sien  filz  Phelippes 
Ducro,  Pied  d'argent,  Jehan  de  Sainct  Ouyn,  Gonnon  et 
ung  sien  filz ,  Artus  Morterre ,  Glaude  du  Pin ,  Grant 
Jehan,  Dozillat,  Jannot  le  cannonnyer,  ung  nommé 
Robert  et  troys  autres,  avecques  troys  femmes,  qui 
furent  tous  mys  a  sac  ^ . 

XIV. 

Gommant  les  Gennevoys  assiégèrent  le  colliege  de 
Sainct  Francisque  de  Gennes  et  le  chasteau 
DUDiT  lieu. 

Apres  que  iceulx  Gennevoys  eurent  pris  le  Gastellas 
de  Gennes  et  occis  les  Françoys  qui  la  estoyent,  disrent 
qu'il  failloit  faire  ancores  plus  et  conclurent  d'assiéger 
le  chasteau  qui  estoit  fort  a  merveilles,  bien  avitaillé 
et  garny  de  bons  souldartz,  avecques  grant  nombre 
de  grosse  et  bonne  artillerye,  estant  assix  entre  le 
sommet  de  la  montaigne  et  la  ville  de  Gennes,  comme 
a  my  chemin  desdits  lieux.  Entre  lequel  chasteau  et 
ladite  ville,  avoit  deux  fors,  c'est  assavoir  :  la  citadelle, 
dont  l'issue  regardoit  devant  la  grant  porte  de  l'eglize 

1.  Guichardin  lui-même,  quoique  très  favorable  aux  Génois, 
raconte  avec  indignation  que  les  auteurs  de  cet  acte  abominable 
s'en  vantèrent,  qu'ils  rentrèrent  à  Gênes  avec  de  grands  cris  de 
joie  et  en  agitant  leurs  mains  dégouttantes  de  sang. 


144  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

de  Sainct  Francisque  devers  la  ville,  tout  en  pendant 
et  de  mailaisée  advenue  ;  laquelle  cytadelle  estoit  for- 
tiffyée  de  bastilles  et  rampars,  force  gens,  bonne  artil- 
lerye  ;  l'autre  fort  estoit  le  colliege  de  Sainct  Fran- 
cisque, par  lequel  on  descendoit  en  la  ville  par  diverses 
rues,  tirant  au  domme  et  au  palais  de  Gennes  ;  lequel 
colliege  estoit  enceint  et  fermé,  du  costé  de  la  ville, 
de  bonnes  et  grosses  murailles,  bien  tournellées,  et 
garnye  de  bonne  artillerye,  avecques  bons  souldartz^ 
prestz  d'actendre  le  siège  et  les  assaulx  desdits  Gen- 
nevoys,  qui  estoyent  tous  en  armes  par  les  rues  de 
Gennes  et  tant  esmeuz  que  tous  d'une  voix  disrent 
qu'ilz  prendroyent  le  chasteau  de  Gennes  d'assault  ou 
que  tous  y  demeureroient.  Mais  premier  s'en  entrèrent 
au  palais,  d'où  s'estoyent  retirez  les  Françoys,  comme 
sages;  et  la  dedans  ne  trouvèrent  a  qui  meffaire,  si 
n'est  que  iceulx  villains,  voyans  les  armes  du  Roy  la 
partout  semées,  avecques  lances  et  picques  les  esgrati- 
nerent  et  effacèrent  de  tous  pointz.  Et,  ce  faict,  fer- 
mèrent et  barrèrent  toutes  les  rues,  ruetes,  chemins, 
passées  et  advenues,  pour  aller  du  chasteau  a  la  ville  ; 
et  adviserent  de  tous  costez  l'assiecte  du  chasteau,  pour 
y  mectre  le  siège,  qui  leur  sembla  mal  a  main  de  tous 
costez,  fors  devers  Sainct  Francisque,  pour  ce  que  de 
celle  partilz  pourroyent  faire,  dedans  aucunes  maisons 
qui  près  de  la  estoyent,  leur  taudys  et  rampars,  et  estre 
toujours  au  couvert,  et  avoir  a  tout  besoing  gens  et 
relays.  Et,  pour  mieulx  a  seurté  approcher,  ilz  per- 
cèrent les  rues  et  maisons  de  lieu  a  lieu,  pour  aller  a 
couvert  hors  le  danger  de  l'artillerye  du  chasteau, 

1.  Deux  cents  hommes,  d'après  Salvago. 


Mars  1507 J     COMM' LES  GENNEVOYS  ASSIEGERENT,  ETC.       145 

jucques  encontre  les  murailles  dudit  colliege  de  Sainct 
Francisque  ;  et  assirent  leur  artillerye  en  divers  lieulx, 
entre  autres,  firent  ung  rampar  devers  Besaigne\ 
touchant  a  ung  lieu  nommé  Pavye-,  près  d'ung  colliege 
de  nonnains  ;  et  la  atiltrerent  ung  groux  canon  nommé 
le  Lizard,  que  iceulx  Gennevoys  avoyent  emprunté  de 
la  seigneurie  de  Pize  ;  près  ung  autre  lieu,  ou  autres- 
foys  avoit  eu  ung  chasteau,  du  costé  devers  Sainct 
Roch^,  atitrerent  une  autre  grosse  pièce  d'artillerye, 
nommée  le  Beufïle,  laquelle  ausi  avoyent  eu  des  Pizans. 
En  plusieurs  autres  lieux  de  la  ville,  et  du  costé  de 
Besaigne,  avoyent  faictboulouvars  et  fors,  pourmectre 
leur  artillerye  grosse  et  menue,  pour  tirer  contre  le 
chasteau  et  Sainct  Francisque,  au  lieux  plus  a  main 
pour  leur  siège.  Et  ordonnèrent  entre  eulx  gens  pour 
tenir  ledit  siège  nuyt  et  jour,  et  y  obeyr  a  relays,  sans 
jamais  cesser  de  tirer  artillerye  et  donner  assaulx, 
jucques  la  place  fust  prise,  et  les  souldartz  mors  ou 
affamez. 

Messire  Gallaz  de  Salluzart*,  capitaine  du  chasteau, 
voyant  le  siège  d'iceulx  Gennevoys  assix  devant  luy, 
fist  emboucher  plus  de  cent  pièces  de  artillerye  grosse 
et  menue  droict  a  la  venue  du  siège,;  et  en  fist  mectre 
hors  le  chasteau,  a  l'entrée  de  la  cytadelle,  au  sommet 
d'ung  hault  terrier,  une  grosse  serpentine,  la  bouche 
dessus  la  ville,  et  au  droict  du  moule  de  Gennes,  pour 
deffendre  le  passage  aux  ennemys  et  ruer  sur  les 
maisons  et  au  travers  des  rues  de  Gennes.  La  cytadelle 

\.  Le  Bisagno. 

2.  Il  piano  (?). 

3.  San  Rocchino  (?). 

4.  Seigneur  de  Las  (voy.  p.  HO). 

IV  10 


i46  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

et  le  colliege  Sainct  Francisque  furent  pareillement  gar- 
nys  de  souldartz,  de  vivres  et  d'artillerye,  et  chascun 
prest  d'exploicter  la  guerre,  laquelle  fut  comancée 
par  les  Gennevoys,  qui,  de  première  advenue,  char- 
gèrent sur  ledit  colliege  Sainct  Francisque,  et  la  ruèrent 
coups  d'artillerye,  a  toutes  mains.  Geulx  du  chasteau, 
qui  estoyent  au  dessus,  comaincerent  a  rendre  leur 
meute  d'artillerye  aux  Gennevoys,  et  tirer  droict  a 
leurs  rampars,  et  au  travers  des  rues  et  maisons  de  la 
ville,  tellement  qu'il  sembloit  que  tout  tramblast.  Les 
femmes  et  petitz  enfens  habandonnerent  les  haultz 
estages  de  leurs  maisons,  pour  l'orrible  bruyt  et  dan- 
gereulx  coups  que  l'artillerye  des  Françoys  donnoit 
autour  d'eulx,  et  se  misrent  soubz  les  chambres  basses 
voultées  de  leursdits  logys.  Pareilement  les  Gennevoys 
ruoyent  coups,  sans  cesser,  contre  les  tours  et  murailles 
du  chasteau,  et  le  plus  souvant  contre  les  deffences 
de  Sainct  Francisque  et  au  travers  de  l'eglize,  pour  ce 
que  les  souldartz  et  les  frères  dudit  colliege  tyroient 
aux  ennemys  par  grans  troulx  et  larges  pertuys,  qu'ilz 
avoyent  faictz  au  travers  de  la  muraille  de  ladite  eglize, 
dont  endomaigeoyent  fort  les  Gennevoys.  Par  quoy, 
n'espargnoyent  icelle  eglize,  mais  tiroyent  au  travers, 
de  tous  costez  ;  et  tant  que,  tantost  après  ce,  je  estant 
dedans  ladite  eglize,  viz  partye  du  cueur  et  pilliers 
d'icelle  par  terre,  et  les  voultes  percées  en  plusieurs 
lieux,  et,  entre  autres  coups  estranges,  vys  ung  ymage 
de  crucifix,  estant  sur  la  porte  du  cueur  dudit  colliege, 
ayant  le  bras  dextre  percé  près  du  coulde  d'ung  coup 
d'une  pièce  d'artillerye,  et  plusieurs  autres  ymages 
brisez  et  rompus.  Somme,  la  baterye  estoit  merveil- 
leuse de  tous  costez;  car  nuyt  et  jour  duroit  le  bruit. 


Mars  1507]     COMM»  LES  GENNEVOYS  ASSIEGERENT,  ETC.       -147 

Lorsque  les  Gennevoys  eurent  batu  longuement  ledit 
colliege,  disrent  qu'il  y  failloit  donner  ung  assault  pour 
voir  la  résistance  des  Françoys  et  leur  manière  de  def- 
fendrc;  et  eulx  a  tout  grosse  brigade,  ung  lundi  après 
la  my  caresme,  garnys  de  crampons  et  eschelles, 
avecques  grant  bruyt  de  peuple  et  son  de  groux 
tabours  de  Suyces,  approchèrent  la  muraille  dudit 
colliege,  du  costé  d'ung  fort  jardrin  qui  la  estoit  a 
main  senestre,  au  dessoubz  dudit  colliege,  près  d'ung 
lieu  nommé  Fontaine  Amoureuse,  et  la  comaincerent 
a  dresser  leurs  eschelles  et  donner  le  combat  main 
a  main  aux  Françoys,  lesquelz  a  tour  de  bras  receu- 
rent  les  Gennevoys,  tellement  que  du  hault  en  bas 
plusieurs  furent  renversés,  a  grans  coups  de  picques 
et  hallebardes  furent  renvoyez,  et  deux  de  leurs 
eschelles  sur  eulx  gaignées,  et  xx  hommes  d'iceulx 
mors  au  pié  de  la  muraille  avecques  grant  nombre  de 
blecez.  Des  Françoys  y  moururent  deux  hommes  seul- 
lement  et  vin  y  furent  blecez. 

Ce  faict,  voyant  lesdits  Gennevoys  que  a  ce  lieu  ne 
pouvoyent  riens  faire  de  leur  advantage  dirent  que  par 
ung  autre  costé  assauldroyent  le  fort;  dont  furent 
quérir,  par  les  maisons  de  la  près,  'groux  monceaulx 
de  fagotz  secz  et  autres  fustes  gressées  d'uysie  et  de 
souffre,  et  a  grousse  foulle  approchèrent  la  première 
porte  de  l'entrée  dudit  colliege,  laquelle  fut  deffendue 
des  Françoys  et  la  herce  abatue,  qui  fut  incontinent 
avironnée  de  fagotz,  plains  de  souffre  parmy,  telle- 
ment que  ladite  herce  fut  tout  a  coup  bruslée  et  en 
flamme.  Ce  faict,  la  eut  combat  a  l'oustrance,  car  les 
Gennevoys  misrent  tous  leur  effort  de  gaigner  celle 
entrée  et  les  Françoys  tout  leur  pouvoir  pour  la  def- 


i48  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Janv.  1507 

fendre,  comme  ceulx  qui  a  ce  hazart  voyoyent  leur 
honneur  branler  et  adventurer  leur  vye  ;  ce  qui  tant 
les  hardya  que  a  coups  imraoderez  respousserent  les 
Gennevoys  et  malgré  eulx  resfortifierent  leur  entrée. 
Jucques  a  temps  feray  sillence  de  ce  siège  pour  tou- 
cher d'aucunes  choses  que  le  Roy  lors  exploictoit  en 
son  Royaume  de  France. 


XV. 


Gommant  le  Roy,  sachant  la  rébellion  de  sa  cyté 
DE  Gennes  et  les  exploigtz  par  cy  devant  faictz, 

SE  MIST  A  CHEMIN  POUR  TIRER  CELLE  PART  ^ 

De  la  rébellion  de  Gennes  et  de  tous  les  effors 
qu'elle  avoit  ja  faictz  fut  incontinant  le  Roy  par  ses 
postes  adverty  ;  de  quoy  ne  se  meust  que  bien  a  point, 
mais  bien  pença  de  y  pourvoir  a  l'ayde  de  Dieu  et  en 
faire  telle  raison  que  ce  sera  au  chasty  d'icelle  pour 
jamais  et  a  la  craincte  des  mutins-,  disant  que  luy 
mesmes  ira  en  personne  pour  veoir  a  l'ueil  le  deffault 
des  meschans  et  deuement  le  réprouver,  et  cognoistre 
le  bienfaict  des  vertueulx  pour  a  temps  le  rémunérer. 
Mais,  premier  que  desemparer,  mist  ordonnée  pollice 
es  affaire  de  son  royaume,  tant  a  Testât  de  justice  que 

1.  Une  miniature  du  ms.  (fol.  xliv  v")  représente  la  marche  du 
roi  à  travers  la  campagne  :  le  roi  sur  un  cheval  blanc,  suivi  d'un 
cardinal  et  de  seigneurs,  précédé  d'archers,  suivi  d'hommes 
d'armes. 

2.  D'après  Giustiniani  {Annales),  le  cardinal  de  Finale  s'inter- 
posa à  deux  reprises  pour  engager  les  Génois  à  une  soumission 
amiable. 


Janv.  1507]     COMM»  LE  ROY  ...  SE  MIST  A  CHEMIN,  ETC.         149 

a  la  seureté  des  pays,  voulant  que,  a  la  garde  de  son 
pays  et  duché  de  Bourgoigne,  messire  Loys  de  la  Tri- 
moulle,  en  qui  avoit  singulière  fience,  avecques  huyt 
cens  hommes  d'armes  et  grant  nombre  de  gens  de 
pied,  son  lieutenant  gênerai  demeurast. 

Ce  faict,  entour  la  fin  du  moys  de  janvyer,  en  l'an 
susdit  mil  V  et  six,  se  mist  a  chemin^  tirant  droict  a 
Bourges.  Tous  les  gentishommes  de  sa  maison,  archiers 
de  la  garde,  allemans,  et  generallement  tous  ses  pen- 
cionnaires,  le  suy virent^.  Maistre  Georges,  cardinal 
d'Amboise,  qui  plus  d'octorité  avoit  envers  luy  que 
nul  autre,  estoit  tousjours  avecques  luy;  lequel  avoit 
le  maniment  de  toutes  ses  affaires,  pour  icelles  voir, 
cognoistre  et  despescher.  La  Royne,  pareillement, 
voyant  l'entreprise  du  Roy  touchant  le  voyage  de  delà 
les  mons,  pour  le  vouloir,  s'elle  peust  destourner,  le 
suyvit;  et,  lorsqu'elle  ne  luy  ozoit  dire  par  doulces 
remonstrances  ou  amyables  parolles  son  intencion  sur 
l'empeschement  dudit  voyage,  par  contenance  de  face 
triste  et  chère  marye  luy  faisoit  entendre  souvant  le 
segret  de  sa  pencée.  Mais  tout  ce  dissimuloit  il  très 
sagement,  en  tant  que  tousjours  fut  ferme  en  son  pro- 
pos ;  combien  que  plusieurs  ne  louoyent  ledit  voyage, 
disant  qu'il  n'estoit  mestier  que  la  personne  du  Roy, 
pour  une  seulle  rébellion  de  villains,  se  deust  partir 
du  Royaume  ne  prandre  si  lontain  voyage.  Mais  tout 

1.  Louis  XII  quitta  Blois  le  29  janvier.  Du  moins,  il  passa  à 
Montrichard  les  journées  des  30,  31  janvier,  1",  2  el  3  février  et 
arriva  à  Bourges  le  20  février.  On  trouve  dans  cette  lenteur  trace 
de  l'influence  de  la  reine  (Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  83  et  suiv.). 

2.  Une  miniature  du  Voyage  de  Gênes,  de  Jean  Marot,  fol.  2, 
représente  les  préparatifs  de  départ  :  on  démonte  les  canons,  on 
plie  les  étendards,  on  essaie  les  cuirasses.  Au  fond,  la  mer. 


150  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Févr.-Mars  1507 

ce  fut  pour  néant,  car  a  toute  diligence  fera,  ce  dit, 
son  entreprise.  Et,  luy  estant  a  Bourges  ^  transmist 
devant  a  Lyon  ledit  cardinal  d'Amboise,  légat  en 
France^,  pour  faire  despescher  ses  postes  sur  son 
affaire  et  ouyr  les  ambaxades,  si  aucunes  en  venoit,  et 
icelles  despecher  sur  le  champ,  affin  que  pour  elles 
ne  retardast  son  voyage. 

Le  pape,  qui  lors  estoit  a  Boulongne  la  Grasse,  ou 
avoit  mandé  et  promys  au  Roy  de  l'actendre  et  parler 
a  luy,  sachant  son  partement  pour  aller  delà  les  mons, 
faignit  d'estre  mal  disposé  et  malade.  Par  quoy,  au 
moyen  de  ce  que  le  Roy  des  Romains  faisoit  publier 
et  dire  que  le  Roy  alloit  delà  les  mons  pour  occuper 
les  Ytalles  et  faire  du  siège  apostohcque  a  son  vouloir 
a  ceste  occasion  (comme  se  disoit),  le  pape  n'actendit 
le  Roy  a  Boulongne,  comme  luy  avoit  mandé  mais, 
s'en  alla  a  Romme^. 

1.  Il  ne  quitta  Bourges  que  le  5  mars  (Arch.  nat.,  KK.  88, 
fol.  109  yo). 

2.  Par  des  patentes  de  janvier  1507,  Louis  XII  fonda  dans  la 
cathédrale  de  Rouen  un  obit  annuel,  moyennant  deux  muids  de 
sel  par  an  (Arch.  de  la  Seine-Inférieure,  G.  1112). 

3.  Il  quitta  Bologne  le  22  février  (Paris  de  Grassis,  p.  152).  Ce 
brusque  départ  étonna  tout  le  monde  et  donna  lieu  à  toute  sorte 
d'interprétations.  En  réalité,  Jules  II  était  très  ému  des  événe- 
ments de  Gênes  et  de  l'arrivée  du  roi  et  hanté  de  cette  idée  (qu'on 
ne  put  jamais  lui  arracher)  que  le  cardinal  d'Amboise  allait  cher- 
cher à  se  faire  proclamer  pape  (Ibid.,  p.  138  et  suiv.).  De  plus,  il 
était  favorable  au  parti  populaire  de  Gênes  :  en  conflit  avec  le 
gouvernement  génois,  il  n'avait  pas  hésité  à  décerner  contre  lui, 
le  22  décembre  1505,  un  monitoire  et  des  lettres  de  citation  en 
Chambre  apostolique.  Gènes  n'en  avait  tenu  nul  compte,  et,  le 
3  avril  1506,  le  prieur  do  Saint-Mathieu,  le  prévôt  de  Saint-Luc 
à  Gênes,  conservateurs  des  privilèges  apostoliques,  avaient  solen- 
nellement déclaré  nuls  ces  documents  (Bibl.  de  l'Université  de 
Gênes,  ms.  ¥<=,  fol.  188). 


Févr.-Mars  1507]  COMM*  LE  ROY  ...  SE  MIST  A  CHEMIN,  ETC.  151 

Alors,  ainsi  que  le  Roy  des  Rommains  sceut  que  le 
Roy  se  deliberoit  de  s'en  aller  a  son  voyage  de  Gennes, 
voulant  celuy  empescher  a  son  pouvoir,  pença  la 
manière  commant  il  le  pourroit  faire  au  plus  couvert. 
Or,  avoit  il  ung  gentilhomme  des  siens,  bailly  de  Ghar- 
roloys,  lequel  avoit  son  hostel  en  Bourgongne,  près 
de  la  maison  d'ung  nommé  Françoys  Deschesnoy,  sei- 
gneur dudit  lieu,  estant  des  gentishommes  de  la  mai- 
son du  Roy,  duquel  le  bailly  de  GharroUoys  avoit 
quelquefoys  parlé  au  Roy  de  Rommains.  Et,  a  ce 
propos,  luy  en  souvint,  disant  a  celuy  bailly  :  «  Il  est 
besoing  que  vous  ayez  a  parler  a  celuy  Deschesnoy, 
qui  est  de  la  maison  du  Roy  de  France,  et  que  entre 
autres  choses  luy  deissiez  que  de  ma  part  je  vouldroys 
bien  avoir  au  Roy  de  France  bonne  amytié  et  seure 
confédération,  et  que  a  moy  ne  tiendra  que  amour  et 
paix  ne  soit  tous  temps  entre  luy  et  moy  parfaictement 
unye.  »  En  quoy  s'aquicta  celuy  bailly,  en  manière 
que  au  moyen  de  ce  que  leursdites  maisons  estoyent 
assez  près  l'une  de  l'autre  et  confines,  trouva  celuy 
bailly  façon  d'aller  veoir  ledit  seigneur  Deschesnay  ;  et 
eulx  ensemble  se  firent  très  bonne  chère,  et  de  parolle 
a  autre  entrèrent  en  propos  de  leurs  maistres,  disant 
ledit  bailly  que,  au  regard  de  son  maistre,  le  Roy  des 
Romains  de  sa  part  auroit  voluntiers  amytié  au  Roy 
de  France  et  que  a  luy  ne  tiendroit.  Sur  quoy  fist  res- 
ponce  ledit  s'"  Deschesnay  :  «  Si  le  Roy  des  Romains, 
vostre  maistre,  veust  avoir  paix  et  amytié  avecques  le 
Roy  mon  maistre,  de  son  costé  ne  tiendra  que  bons 
amys  ne  soyent,  car  c'est  une  chose  qu'il  désirent  bien 
fort.  »  Tant  allèrent  paroUes  en  avant  que  ledit  bailly, 
après  ce,  s'en  alla  devers  le  Roy  des  Rommains,  son 


152  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

maistre,  et  l'advertist  desdites  parolles  ;  lesquelles, 
Guyes  par  le  Roy  des  Rommains,  vouUant,  soubz 
ombre  d'une  paix  fourrée,  retarder  ou  arrester  le 
voyage  du  Roy,  renvoya  de  rechief  a  toute  dilligence 
ledit  bailly  devers  le  s""  Deschenoy  pour  luy  dire,  de 
la  part  du  Roy  des  Rommains,  que  la  chose  que  plus 
au  monde  desiroit  c'estoit  que  avecques  le  Roy  de 
France  eust  fraternelle  amytié  et  unyon  paisible  ;  ce 
que  ledit  bailly  dist  audit  seigneur  Deschenoy.  «  C'est 
très  bien  dit,  dist  il,  mais  avez  vous  charge  expresse 
de  vostre  maistre,  le  Roy  des  Romains,  de  dire  ce  que 
vous  dictes?  —  Ouy,  dist  le  bailly,  et  suys  cy  envoyé 
de  par  le  Roy  mon  maistre  pour  le  vous  dire  et  de  ce 
vous  advertir,  affin  que  en  faciez  le  rapport  ou  vous 
devez,  d  Ce  dit,  celuy  seigneur  Deschenoy  a  toute  dilli- 
gence ce  transmist  devers  le  Roy  pour  l'avertir  desdites 
choses  et  y  adviser  a  son  plaisir;  puys  s'en  alla  après 
en  court  et  mena  quant  et  luy  ledit  bailly  de  Charrol- 
loys,  lesquelz  furent  a  Rourges  devers  le  Roy,  le 
X®  jour  de  feuvrier.  Et,  eulx  la  arrivez,  celuy  bailly 
alla  faire  son  message  au  Roy,  disant  :  «  Sire,  le  Roy 
des  Romains,  mon  maistre,  se  recommande  bien  fort 
a  vous  et  m'a  donné  charge  de  vous  dire  qu'il  désire 
sur  toutes  choses  avoir  bonne  amytié  avecques  vous 
et  faire  a  vous  une  paix  si  asseurée  et  telle  confé- 
dération que  jamais  entre  vous  deux  de  sa  part  ne 
fauldra,  disant  que,  au  regard  de  toutes  vielles  ques- 
tions, il  les  veust  mectre  en  oubly  et  demeurer  vostre 
bon  frère  et  perpétuel  amy.  Et,  affin  que  de  ce  soyez 
myeulx  asscuré,  plaise  vous,  sire,  me  bailler  quelqun 
de  voz  gcntishommes  pour  s'en  venir  devers  mon 
maistre  et  savoir  de  luy  s'il  advoura  lesdites  choses.  » 


Mars  1507]     COMM»  LE  ROY  ...  SE  MIST  A  CHEMIN,  ETC.         153 

A  quoy  fist  le  Roy  responce  que  ausi  de  son  costc  ne 
demandoit  au  Roy  des  Romains  que  avoir  paix  et 
unyon;  dont,  pour  savoir  isi  vérité  desdites  choses, 
délibéra  y  envoyer  quelqun  et  transmist  quérir  ung 
sien  varlet  de  chambre,  nommé  Mascé  de  Villebreme\ 
lequel  estoit  lors  a  Bloys,  et,  sachant  ses  nouvelles, 
s'en  vint  en  poste  devers  le  Roy,  qui  le  despescha  sans 
luy  donner  autre  charge  que  de  aller,  avecques  ledit 
bailly,  devers  le  Roy  des  Romains,  savoir  si  les 
choses  dictes  par  celuy  bailly  estoyent  vroyes  et  s'il 
les  advouoit.  Si  s'en  allèrent  iceulx  droict  en  Bour- 
goigne  et  par  la  conté  de  Ferrete,  puys  entrèrent  en 
AUemaigne,  ou  trouvèrent  le  Roy  des  Romains  dedans 
une  ville  nommée  Estrabourg,  et  la  receut  le  messa- 
ger du  Roy,  en  la  présence  dudit  bailly  de  Charroloys. 
Apres  ce,  demanda  le  Roy  des  Romains  a  celuy  de 
Villebreme  quelle  charge  il  avoit  du  Roy  pour  luy 
dire,  lequel  dist  :  «  Sire,  je  n'ay  autre  charge,  si  n'est 
que,  a  la  requeste  du  bailly  de  Gharrolays,  que  voycy, 
le  Roy  mon  maistre  m'a  cy  envoyé  pour  savoir  si  les 
choses  que  icelluy  bailly  a  dictes  de  par  vous  a  mon- 
dit  maistre  sont  vrayes  et  si  vous  les  ad  vouez.  »  Lequel 
les  advoua.  Et,  après  plusieurs  autres  parolles,  le  Roy 
des  Rommains  dist  que  le  Roy  entreprenoit  de  s'en 
aller  delà  les  mons  pour  faire  la  guerre  a  Gennes,  qui 
estoit  terre  d'Empire,  ce  qu'il  ne  devoit,  et  qu'elle 
n'estoit  sugecte  ne  tenue  a  luy  ne  a  la  couronne  de 
France;  par  quoy,  s'il  y  alloit  a  main  armée,  qu'il 

1.  Valet  de  chambre  du  roi  et  poète,  ami  de  G.  Crétin,  qui  lui 
adressa  une  épître  où  il  exalte  fort  Jean  d'Auton  (ms.  fr.  1711, 
fol.  13).  Nous  avons  parlé,  dans  notre  Histoire  de  Louis  XII,  de  la 
famille  de  Villebresme,  héréditairement  attachée  au  service  de 
Louis  XII  et  de  ses  pères,  au  château  de  Blois. 


154  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mars  1507 

donneroit  tout  le  secours  au[x]  Gennevoys  qu'il  pour- 
roit.  Et,  en  oultre,  dist  :  «  Vostre  maistre  le  Roy  de 
France  s'en  va  sur  les  Italles  pour  icelles  occupper  et 
veust  mectre  le  papat  entre  ses  mains  pour  en  faire  a 
son  vouloir  ;  ce  qui  est  de  nostre  magesté  impériale, 
ne  a  autre  prince  appartient  soy  entremectre  du  siège 
romain,  que  a  nous  seullement,  car  c'est  de  nostre 
affaire  impérial.  »  Ainsi  se  mist  au  champs  sans  parler 
plus  de  la  paix,  mais  a  toutes  fins  concluoit  d'empes- 
cher  le  voyage  et  entreprise  du  Roy;  et,  pour  ce,  des- 
pescha  ledit  bailly  et  luy  bailla  instructions  scelon 
l'oppinion  de  son  conseil;  et,  ce  faict,  les  susdits  s'en 
retournèrent  vers  le  Roy.  Advint  que  ledit  bailly,  en 
venant  en  France  avecques  ledit  Villebreme,  aprocha 
de  sa  maison,  disant  qu'il  luy  failloit  par  la  passer. 
«  Or  bien,  »  dist  le  messager  françoys,  «  je  m'en  voys 
doncques  devant,  pour  assavanter  le  Roy  de  vostre 
retour.  »  Ce  que  fist,  et  le  plus  hastivement  qu'il 
peust,  et  tant  que  a  la  my  mars  fut  a  Lyon  sur  le 
Rosne,  ou  illecques  trouva  maistre  Georges,  cardinal 
d'Amboise,  légat  en  France,  auquel  dist  et  racompta 
tout  ce  qu'il  avoit  ouy  et  sceu  du  Roy  des  Romains  et 
comment  il  envoyoit  de  rechief  le  bailly  de  Gharroloys. 
Dont  ledit  légat  envoya  celuy  messager  a  toute  dilli- 
gence  devers  le  Roy,  qu'il  trouva  entre  la  Bresle  et 
Lyon,  et  la  advertist  de  toutes  les  choses  susdites  et 
commant  a  son  advys  le  Roy  des  Romains  faisoit 
toutes  ses  choses  pour  vouloir  retarder  son  voyage 
de  Gennes;  par  quoy,  scelon  son  advys,  le  meilleur 
estoit  de  haster  sondit  voyage,  ce  que  fist  le  Roy,  car 
il  ne  coucha  que  une  seulle  nuyt  a  Lyon  * ,  et  le  lende- 

i.  Le  23  mars  (Arch.  nat.,  KK.  88,  loi.  H2  v»). 


Avril  1507]     COMM»  LE  ROY  ...  SE  MIST  A  CHEMIN,  ETC.  155 

main  tira  droict  a  Grenoble^.  Tandys,  ledit  bailly 
arriva  a  Lyon,  ou  fut  receu  par  ledit  cardinal  d'Am- 
boise,  lequel  ouyt  son  dire  ;  et,  entre  autres  propos, 
comment  le  Roy  des  Romains  disoit  qu'il  estoit  déli- 
béré, si  le  Roy  alloit  faire  la  guerre  aux  Gennevoys, 
de  leur  donner  tout  le  secours  et  ayde  qu'il  pourroit  ; 
et  que  si  le  Roy  entreprenoit  sur  le  Sainct  Siège  apos- 
tolicque,  qui  estoit  de  sa  magesté  impérial,  que  il  luy 
contraryeroit  a  son  pouvoir.  Et,  sur  ce  point,  reprist 
le  cardinal  d'Amboise  celuy  bailly,  disant  ainsi  : 
«  Gommant  l'entend  le  Roy  des  Romains,  vostre 
maistre?  Il  sembleroit,  a  ouyr  vostre  dire,  que  nostre 
Sainct  Père  le  pape  et  les  cardinaulx  ne  fussent  que 
pour  luy  seul  I  »  A  quoy  celuy  bailly  fist  responce  que 
ausi  n'estoyent  ilz.  Mais  son  propos  luy  fut,  sur  ce, 
par  ledit  cardinal  d'Amboise  rabatu,  en  manière  qu'il 
se  trouva  pour  l'eure  mal  pourveu  de  soustenables  res- 
ponces  ;  et  eurent  entre  eulx  parolles  picquantes,  tant 
que  a  la  parfin  ledit  bailly  se  trouva  estonné.  Toutesfoys 
s'en  alla  a  Grenoble  devers  le  Roy,  ou  dist  sa  charge, 
et  fut  du  Roy  doulcement  accueilly.  Auquel  bailly  fist 
responce,  que  de  sa  part,  combien  que  le  Roy  des 
Romains  luy  vouloit  empescher  sôn  voyage,  ja  pour- 
tant ne  s'aresteroit,  mais  iroit  en  armes  le  plus  tost 
qu'il  pourroit  ;  et,  s'il  y  avoit  au  monde  homme  qui  se 
trouvast  au  devant  pour  le  vouloir  empescher,  qu'il 
luy  donneroit  la  bataille  et  se  mectroit  par  armes  en 
tel  effort  de  passer  qu'il  esperoit,  avecques  l'aide  de 
Dieu,  qui  est  l'escu  des  justes  querelles,  que  se  seroit 
par  sur  le  ventre  de  ses  ennemys.  Ce  dit,  celuy  bailly 

1.  Il  y  arriva  le  29  {Ibid.,  fol.  113). 


156  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

s'en  retourna  vers  le  Roy  des  Romains;  et  le  Roy, 
faict  ses  pasques  a  Grenoble,  le  lendemain,  comaince- 
ment  de  l'an  mill  V  et  sept*,  se  mist  a  la  voye  et 
lessa  la  Royne  tout  adoullée  pour  son  département. 

Le  temps  durant  que  lesdites  ambaxades  venoyent 
de  devers  le  Roy  des  Romains,  le  Roy  fist  despescher 
ung  nommé  Gabriel  Fourestier,  Roy  d'armes  de  Nor- 
mendye,  lequel  envoya  devers  le  Roy  d'Angleterre 
qu'il  trouva  a  Londres,  et  la  ouyt  ledit  Roy  d'armes 
sur  sa  charge,  telle  que  le  Roy,  comme  confédéré  et 
amy  dudit  Roy  d'Angleterre,  luy  faisoit  assavoir  son 
voyage  de  delà  les  mons,  en  le  priant  que  tousjours 
ensemble  fussent  bons  frères  et  loyaulx  amys,  comme 
tousjours  de  leurs  temps  avoyent  esté.  A  quoy  res- 
pondit  le  Roy  d'Angleterre  :  «  James,  dist  il,  ne  luy 
fauldray,  et,  avecques  ce,  si  le  Roy  de  France,  mon 
frère,  a  mestier  de  mon  ayde,  moy  mesmes  en  per- 
sonne me  trouveray  a  son  besoing  et  affaire.  »  Ce 
dit,  le  Roy  d'armes,  après  avoir  ouy  sa  bonne  res- 
ponce,  s'en  alla  devers  le  Roy,  auquel  dist  ce  que,  de 
par  le  Roy  d'Angleterre,  avoit  en  charge  de  dire,  dont 
le  Roy  fut  bien  joyeulx^. 

1.  Légère  inexactitude.  Pâques  fut  le  4  avril,  et  le  roi  ne  quitta 
Grenoble  que  le  6;  mais  il  marcha  à  grandes  journées  lArch. 
nat.,  KK.  88,  fol.  136  et  suiv.).  Saint-Gelais  dit  à  tort  que  le  roi 
quitta  Grenoble  le  3  avril. 

2.  Nous  avons  le  texte  de  cette  réponse,  affectueuse,  mais 
moins  aflirmative  que  ne  le  dit  Jean  d'Auton.  Un  héraut  ne  pou- 
vait recevoir  de  mission  diplomatique  proprement  dite.  Norman- 
die avait  pour  charge  de  demander  simplement  une  extradition 
et  de  rappeler  en  même  temps  les  communications  antérieures 
de  l'ambassadeur  Marratin.  Il  remit  sans  aucun  doute  une  note 
écrite,  car  il  reçut  une  réponse  écrite,  également  en  forme 
de  note,  signée  d'un  secrétaire.  Dans  cette  note,  en  français,  en 
réponse  à  la  remonstrance  de  Normandie,  olïicier  d'armes  de 


Avril  1507]     COMM'  LE  ROY  ...  SE  MIST  A  CHEMIN,  ETC.         157 

Ausi,  quelque  temps  devant  ce,  a  voit  le  Roy  envoyé 
ung  s[i]en  segretaire,  nommé  maistre  Jehan  Bou- 
chier,  vers  le  pays  des  Ligues,  pour  savoir  le  vouloir 
des  seigneurs  des  ligues  et  quantons  des  pays  sur  le 
consentement  de  tirer  et  avoir  dudit  pays  ung  nombre 
de  gens  ;  a  quoy  lesdits  seigneurs  des  ligues  et  quan- 
tons donnèrent  leur  consentement.  Dont  le  Roy,  de  ce 
adverty,  transmist  devers  messire  Jehan  de  Durefort, 
seigneur  de  Duras  ^,  estant  lors  delà  les  mons  en  la 
duché  de  Millan,  auquel  manda  que  a  toute  dilligence 
s'en  allast  devers  aucuns  des  seigneurs  desdites  ligues 
et  quantons,  et  que  la  choisist,  prist  et  levast  jucques 
au  nombre  de  dix  mille  poyes,  ce  qu'il  fist.  Et,  iceulx 
levez  et  prestz  de  marcher,  eurent  le  premier  de  leur 
payement,  ains  que  desemparer  leur  pays,  disant  que 
ainsi  l'ont  de  costume  ;  et,  de  vray,  ja  ne  marcheront 
ung  pas  qu'ilz  ne  voyent  la  croix  devant.  Le  heutenant 
du  Roy,  qui  lors  estoit  a  Millan,  sachant  lesdits  Suyces 
marcher,  leur  envoya  au  devant  messire  Jehan  de 
Bessey,  gruyez  de  Bourgoigne,  pour  iceulx  recepvoir. 
Lequel  s'en  alla  a  une  ville  nommée  Varaiz,  de  la 

France,  le  roi  d'Angleterre  proteste  d'une^vive  et  intime  amitié 
avec  la  France  ;  il  approuve  le  désir  de  Louis  XII  de  châtier  les 
Génois  rebelles.  Quant  à  la  communication  couverte  que  Louis  XII 
lui  a  faite  des  projets  de  ligue  contre  les  Vénitiens,  il  se  réserve 
et  attend  des  explications  ultérieures.  Louis  XII  a  fait  réclamer 
par  Normandie  l'extradition  d'un  génois  rebelle,  Iheronimo  Sauly, 
qui  s'est  enfui  en  Angleterre  de  Lyon,  où  il  était  interné.  Le  roi 
proteste  qu'aucun  Génois  ne  se  trouve  en  Angleterre;  néan- 
moins, les  recherches  continuent  (datée  de  Richemont,  30  avril 
1507;  fr.  2930,  foL  11). 

1.  Lieutenant  de  la  compagnie  d'Albret,  puis  capitaine  de 
50  lances  (Quittance  de  1512;  fr.  26112, 1067),  il  prit  pour  lieute- 
nant le  dauphinois  François  de  la  Font  de  Savines  (A.  Rivalii, 
De  Allobrogibus,  p.  541). 


158  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

duché  de  Millan,  et  la  receut  iceulx  Suyces,  lesquelz 
n'estoyent  ancores  tous  assemblez  ;  mais  partie  d'eulx 
avoit  marché  devant  et  les  autres  venoyent  après. 
Audit  lieu  de  Varaiz  fut  faict  au  premiers  venus  second 
payement.  Ce  faict,  partirent  dudit  lieu  de  Varaiz  et 
marchèrent  jucques  en  Allexandrye,  ou  séjournèrent 
quelque  temps,  en  actendant  le  surplus  de  leur  suyte, 
qui  ancores  estoit  derrière. 

Messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  fut 
adverty  lors  que  les  autres  du  demeurant  desdits 
Suyces  marchoient  vers  Varaiz  ;  par  quoy  leur  envoya 
messire  Jehan  de  Bessey  pour  iceulx  recevoir,  comme 
avoit  faict  les  autres,  lequel  y  alla  et  les  trouva  ja 
arrivez,  ou  pouvoyent  estre  en  nombre  troys  mille 
cinq  cens,  lesquelz  fuient  la  pareillement  payez.  Et, 
après  leur  payement  faict,  firent  aucune  difficulté  de 
marcher  en  avant,  disant  qu'ilz  ne  savoient  si  leurs 
gens  estoyent  devant  ou  non,  et  que  sans  eulx 
n'yroyent  oultre,  et  tout  plain  d'autres  propos  signi- 
fiant quelque  don  par  les  capitaines,  ce  que  entendit 
bien  ledit  messire  Jehan  de  Bessey  ;  dont  mist  la  main 
a  ses  coffres,  sans  espairgner  pourpoins  et  soyes  de 
veloux  et  autres  bagues  qu'il  leur  donna,  et  fist  tant 
qu'il  les  fist  marcher  droict  a  leurs  compaignons,  qui 
d'Alixandrye  ne  voulurent  partir  que  premier  ne  fus- 
sent asseurez  que  ceulx  qui  après  eulx  venoyent  ne 
fussent  hors  le  lieu  de  Varaiz  pour  tirer  vers  eulx, 
disant  que,  s'il  n'estoyent  tous  ensemble,  ja  ne  se 
trouveroyent  en  camp  pour  combatre.  Toutesfoys,  par 
dons  et  promesses  que  leur  firent  les  capitaines  de 
l'armée  de  France  et  autres  gentishommes  françoys, 
ilz  se  misrent  tous  en  avant. 


Avril  1507]  COMM'  LE  ROY  TRANSMIST  MAISTRE  GEORGES.  159 


XVI. 


Gommant  le  Roy  transmist  maistre  Georges,  car- 
dinal d'Amroise,  devant,  en  Ast,  pour  avancer 
son  affaire  et  faire  haster  son  armée;  et  du 

NOMBRE   DE    SES    GENS    d'ARMES    ET   AUTRES    CHOSES 
SUR   LE   FAICT   DE   LA   GUERRE. 

A  toute  dilligence  passoit  le  Roy  son  pays  du  Daul- 
phiné,  et  prist  son  chemin,  de  Grenoble  a  Gap,  a 
Ambrun,  a  Brianson,  au  mont  Genevre,  a  Ourse  \  ou 
la  luy  vint  au  devant  le  duc  de  Savoye-,  bien  accom- 
paigné  de  seigneurie  de  son  pays,  lequel  conduist  le 
Roy  jucques  a  Moncalier,  une  de  ses  villes  de  Pie- 
mont. 

Le  Roy,  ainsi  estant  a  sondit  voyage,  transmist 
devant  le  cardinal  d'Amboise,  en  Ast,  pour  faire  has- 
ter  son  armée  de  marcher  en  avant.  Car  ja  estoyent 
passez  long  temps  devant  quatorze  mille  hommes  de 
pié,  que  conduisoient  Mollart  Suffray^,  Allemant,  gou- 
verneur de  Grenoble  ;  Jacques  d' Allègre,  seigneur  de 
Milho;  messire  Yves  de  Mallerbe,  et  autres  capitaines 

1.  Le  roi  partit  de  Grenoble  le  5  avril;  il  coucha  le  5  à  la 
Mure,  le  6  à  Corps,  le  7  à  Gap,  le  8  à  Embrun,  le  9  à  Briançon, 
le  10  à  Oulx,  le  11  à  Suze,  le  12  à  Avigliana,  le  13  à  Villanuova 
en  Astesan,  où  il  séjourna  le  14.  Le  16  il  était  à  Asti  (Arch.  nat., 
KK.  88,  fol,  137-138).  D'Avigliana  à  Villanuova,  le  roi  traversa 
Moncalieri,  mais  sans  s'y  arrêter. 

2.  Par  ordre  du  8  avril,  le  duc  avait  prescrit  de  préparer  des 
logis  pour  le  roi  à  Suze  et  lieux  voisins  {Atti  délia  Società  Ligure, 
p.  659). 

3.  Seigneur  d'Uriage. 


160  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

françoys  qui  estoyent  delà  les  mons.  Ausi  estoit  passée 
l'artillerie  et  charroy  d'icelle,  dont  l'une  partie  estoit 
venue  de  France  et  l'autre  de  Millan,  et  le  tout  estoit 
a  Tourtonne. 

Messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy  delà 
les  mons,  avoit  ausi  mandé  tous  les  gens  d'armes  des 
garnisons  de  la  duché  de  Millan^  qu'ilz  s'assemblassent 
tous  pour  faire  camp  et  marcher  devers  le  bourg  de 
Buzalle,  auquel  lieu  se  de  voit  trouver  toute  l'armée 
de  France  ;  et  ja  estoient  assemblez  avecques  les  gens 
de  pié  et  l'artillerye  a  Tourtonne,  près  de  marcher  en 
avant,  estant  en  nombre,  scelon  ce  que  j'ay  veu  et 
sceu  audit  lieu  et  au  logys  de  ladicte  armée. 

Premièrement,  les  cent  hommes  d'armes  de  messire 
Charles  d'Amboise,  heutenant  du  Roy,  ayant  lieu, 
pour  leur  garnison,  au  Castellatz  et  a  Tourtonne-;  les 
cinquante  hommes  d'armes  de  messire  Phelippes  de 
Cleves,  dont  estoit  lieutenant  le  bastard  de  la  Clayette, 
tenant  leur  garnison  a  Solieres^  près  Felissent'^;  cin- 
quante hommes  d'armes  d'ung  nommé  Jehan  Guil- 
lerme,  marquis  de  Monferrat,  tenant  garnison  dedans 
les  villes  dudit  marquisat^  ;  cinquante  hommes  d'armes 

1.  Dès  le  4  mars,  on  apprenait  à  Venise  que  Ghaumont  avait 
défendu  à  Milan  tout  envoi  d'argent  à  Gênes  et  qu'il  avait  fait 
arrêter  un  cavalier  porteur  de  4,000  ducats,  qui  avaient  été  con- 
fisqués (Sanuto,  VU,  25). 

2.  Ghaumont  avait  hérité  de  la  compagnie  du  sire  de  Lanque 
(30  lances)  à  la  mort  de  celui-ci  (fr.  25784,  fol.  76,  l&bis). 

3.  Solero. 

4.  La  monstre  en  fut  faite  le  16  octobre  1506  (Ms.  Glairam- 
bault  241). 

5.  Presque  entièrement  dans  la  capitale,  à  Casale  (Monstre  du 
9  octobre  1504;  ms.  Glairambault  241). 


Avril  1507]  CUMM'  LE  ROY  TRANSMIST  MAISÏRE  GEORGES.   161 

de  Francisque  de  Gonsago,  marquis  de  Mantoue,  duquel 
est  lieutenant  ung  nommé  Guillaume  GouffierdeBoisi', 
estant  en  garnison  en  l'Astizane  ;  cinquante  hommes 
d'armes  de  Alain  d'Albret,  sire  dudit  lieu,  soubz  la 
charge  de  messire  Jehan  de  Dureffort,  lieutenant  dudit 
sire  d'Albret*,  et  cinquante  de  messire  Jacques  de 
Chabanes,  seigneur  de  la  Palixe,  a  Parme  ;  cinquante 
hommes  d'armes  de  Gaston,  conte  de  Foix,  conduytz 
par  messire  Rogier,  baron  de  Beart,  son  lieutenant,  a 
Salles  près  Pavye^-  cent  hommes  d'armes  du  seigneur 
Jehan  Jacques,  tenant  garnison  a  Pavye  ;  cent  hommes 
d'armes  de  messire  Robert  Stuart,  escossoys,  desquelz 
la  garnison  estoit  a  Novarre^;  cinquante  hommes 
d'armes  de  messire  Jehan  de  Bessey,  gruyer  de  Bour- 
goigne  ^,  tenant  garnison  a  Comme  ;  cinquante  hommes 
du  seigneur  de  Montoison,  en  garnison  a  Lodes^  ;  cin- 
quante hommes  d'armes  de  messire  Anthoyne  Marye 
de  Sainct  Severin^;  cinquante  de  messire  Anthoyny 

1.  Guillaume  Gouffier,  seigneur  de  Bonnivet. 

2.  Lors  de  la  monstre  du  27  juillet  1505,  cette  compagnie  était 
réduite  à  42  hommes  et  98  archers  (Parme;  à  la  date,  fr.  25784,  fol.  82) . 

3.  Chargée  de  la  garde  du  Tésin,  au  fort  de  «  Salles,  »  à  Pavie 
(Monstre  du  23  juillet  1505;  ms.  Glairambault  241),  cette  compa- 
gnie avait  été,  à  l'automne  de  1505,  transférée  à  Valenza,  sur  le 
Pô  (Monstre  du  3  octobre  1505;  ibid.). 

4.  Ils  y  revinrent  après  la  campagne  (Monstre  du  13  avril  1507; 
ms.  Glairambault  241). 

5.  Le  17  janvier  1504  (1505),  cette  compagnie  ne  comprenait 
que  45  lances  et,  en  réalité,  44  hommes,  88  archers  (Monstre; 
fr.  25784,  fol.  79). 

6.  Ils  y  avaient  remplacé  la  compagnie  Dunois  (Monstre  du 
8  juillet  1504  ;  ms.  Glairambault  241). 

7.  Galeazzo  di  S.  Severino  avait  une  autre  compagnie  diffé- 
rente, également  de  50  hommes  d'armes  (Monstre  du  26  mai  1509, 
à  Brescia;  ms.  Glairambault  241). 

IV  11 


162  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Marye  Palvesin,  tous  a  Plaisance  ;  cinquante  hommes 
d'armes  de  messire  Yves  d'Allègre,  tenant  garnison  a 
l'Estizane;  quarante  hommes  d'armes  de  Adryen  de 
Brymeu,  seigneur  de  Humbercourt,  en  l'Astizane; 
quarante  hommes  d'armes  du  seigneur  de  Ghastellart, 
en  l'Astizane  *  ;  trente  hommes  d'armes  du  seigneur  de 
Fontrailles,  en  l'Astizane;  xxv  hommes  d'armes  de 
messire  Théodore  Trevolce,  a  Mairignen  ;  les  cent  Alba- 
noys  de  messire  Mercure,  en  l'Astizane  :  lesquelz, 
comme  j'ay  dit,  avecques  les  gens  de  pié  françoys  et 
l'artillerye,  estoyent  lors  audit  lieu  de  Tourtonne. 

Maistre  Georges,  cardinal  d'Amboise,  estoit  en  Ast, 
auquel  lieu  manda  venir  aucuns  capitaines  et  gens  de 
conseil^  pour  trecter  des  affaires  du  Roy.  Par  lequel 
conseil  fut  conclut  que  les  gens  d'armes  desdites  gar- 
nisons, avecques  les  piétons  et.artillerye,  a  toute  dil- 
ligence  marcheroyent  droict  a  Bourg  de  Busalle, 
xiiii  mille  près  de  Gennes,  et  de  la,  scelon  la  menée 
et  conduyte  de  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant 
du  Roy,  besoigneroyent  ;  et  que  la  ausi  se  rendroyent 
les  dix  mille  Allemans  qui  estoyent  venus  du  pays  des 
Ligues. 

Et  fut  dit  ausi  que  devers  messire  Yves  d'Allègre, 
qui  lors  a  toute  grosse  puissance  estoit  a  Savonne, 
seroit  envoyé,  pour  le  faire  rendre  audit  lieu  de  Bourg, 
devers  le  lieutenant  du  Roy.  Dont  fut  la  transmys  audit 
lieu  de  Savonne  ung  des  gentishommes  du  Roy,  nommé 

1.  A  «  SérizoUes,  »  au  comté  d'Asti  (Monstre  du  29  juillet 
1505;  ms.  Glairambault  241). 

2.  C'est  sans  doute  à  ce  titre  que  Claude  de  Seyssel  accompa- 
gna le  roi  dans  cette  campague,  qu'il  décrit  {les  Louanges  du  bon 
Roy  de  France...,  édit.  Godefroy,  p.  44,  45). 


Avril  1507J  COMM'  LE  ROY  TRANSMIST  MAISTKE  GEORGES.    163 

celuy  gentilhomme  messire  Jehan  Picart,  bailly  d'Es- 
tellan,  lequel  s'en  alla  a  Savonne,  et  la  advertist  ledit 
seigneur  d'Allègre  qu'il  estoit  appoincté  que  avecques 
ses  gens  se  rendroict  au  Bourg  de  Busalle,  pour  la  se 
joindre  a  l'armée  du  Roy  et  de  la  marcher  en  avant, 
et  qu'il  failloit  gaigner  la  montaigne  pour  tirer  vers 
Besaigne  avecques  partie  de  l'armée  pour  assaillir 
Gennes  de  deux  costez,  dont  estoit  requis  que  toute 
l'armée  se  trouvast  a  Bourg  pour  illecques  estre 
départie,  si  mestier  estoit,  ou  mise  a  chemin  droict  a 
Gennes. 

Messire  Yves  d'Allègre,  oyant  les  parolles  de  celuy 
bailly  d'Estellan,  dist  :  «  Je  pensoye  qu'il  fust  besoing 
de  garder  la  marine  d'entre  cy  et  Gennes  pour  l'ef- 
froy  que  pourroyent  par  la  les  villains  de  Gennes  faire 
sur  nostre  armée;  en  quoy  les  eusse  tousjours  empes- 
chez  et  tenu  en  seurté  le  chemin,  et,  avecques  mes 
gens  d'armes,  ladite  marine  et  les  environs  de  la  ville 
de  Gennes  tenu  en  craincte;  mais  puysqu'il  est  dit 
qu'il  fiault,  toutes  choses  mises  a  part,  se  rendre  a 
Bourg,  je  transmetray  la  partye  de  mes  gens  et  de 
moy  seray  tousjours  prest  de  me  trouver  ou  mestier 
sera.  »  Et,  ce  dit,  envoya  deux  mille  hommes  audit 
lieu  de  Bourg  et  demeura  a  Savonne  jucques  mestier 
fust  d'aller  oultre.  Ce  faict,  ledit  gentilhomme  s'en  alla 
devers  le  heutenant  du  Roy  pour  l'assavanter  de  ce 
qu'il  a  voit  faict. 

Entre  Gavy,  terre  des  nobles  de  Gennes,  et  ladite 
ville  de  Gennes,  avoit  plusieurs  grous  bourgs  et  fors 
villages,  comme  Bourg  Busalle,  Pontadesme,  Riveru^ 

].  Rivarolo. 


164  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Sainct  Pierre  d'Araine  et  autres  lieux  de  la  seigneurie 
de  Gennes,  lesquelz  estoyent  demeurez  inhabitez  pour 
double  de  la  guerre,  dont  les  habitans  avoyent  retirez 
leurs  biens  a  Gennes,  et  eulx  gardoyent  les  montai- 
gnes  avecques  la  commune  du  pays,  qui  se  nommoit 
la  comune  de  Poulcevre,  de  laquelle  estoit  capitaine 
ung  nommé  Guilhon,  par  qui  estoit  venu  l'occasion  de 
tout  le  mutin  ;  lesquelz  villains  estoient  en  nombre 
de  dix  mille,  ou  plus,  et  gardoyent  iceulx  les  montai- 
gnes  et  passages  du  pays,  si  que  nul  n'y  passoit  qui 
ne  fust  destroussé. 

Et  ausi  du  royaume  de  France  venoit  tant  de  gens 
d'armes  que  toute  la  Savoye  et  le  Daulphiné  en  estoyent 
plains  ;  car  tous  les  princes  et  grans  seigneurs  de  ce 
royaume  (réservé  Françoys  d'Orléans,  conte  d'Angou- 
lesme,  seconde  personne  de  France)  y  estoyent,  et 
grant  nombre  de  jeunes  gentishommes  qui,  sans  gaiges, 
pencent  qu'il  y  eust  la  mortelle  bataille  et  honneur  a 
aquerir,  et,  voyant  la  personne  du  Roy  prendre  le 
voyage,  se  trouvèrent  les  ungs  en  poste,  doublant  n'y 
estre  a  temps,  les  autres  des  premiers  pour  y  estre 
sans  faillir. 

Le  Roy  Ferrand  d'Arragon,  qui  estoit  lors  a  Naples 
avecques  dame  Germaine  de  Foix,  sa  femme,  laquelle 
estoit  nyepce  du  Roy,  et  sachant,  ledit  Roy  d'Arra- 
gon, l'entreprise  du  Roy  sur  la  ville  de  Gennes,  et 
comme  elle  s'estoit  rebellée,  luy  envoya  par  mer 
(|uatrc  galleres  et  deux  fustes  armées,  desquelles  estoit 
capitaine  ung  nommé  Miquel  Pastour,  lesquelles  se 
rendirent  par  la  mer  du  Levant  devant  Gennes,  ou 
estoit  ung  nommé  Pregent  le  Bidoulx,  capitaine  de 
quatre  galleres  et  de  viii  gallyons  qu'il  avoit  pour  le 


Avril  1507]     DU  SIEGE  DU  CHASTEAU  DE  GENNES.  165 

Roy,  et  ainsi  tous  deux  assemblez  tindrent  Gennes  en 
telle  sugection  que  homme  sans  leur  mercy  n'y  avoit 
entrée  ou  issue,  et  ne  pouvoyent,  pour  leur  destour, 
Gennevoys  avoir  vivres  ni  autres  choses  a  eulx  néces- 
saires par  mer,  ce  qui  moult  les  grevoit. 

XVII. 

Du  SIEGE  DU  CHASTEAU  DE  GenNES   ET  d'uNG  ASSAULT 
TRES  DUR  QUE  LA  DONNERENT  LES  GeNNEVOYS. 

Tousjours  continuoit  le  siège  du  chasteau  de  Gennes, 
qui  sans  cesser  estoit  par  les  Gennevoys  batu  et 
assailly,  mais  si  bien  deffendu  par  les  Françoys  que 
sur  eulx  ne  gaignerent  les  ennemys  ung  seul  fort, 
dont  leur  ennuyoit  moult.  Et  eulx,  sachant  la  venue 
de  l'armée  de  France,  qui  ja  estoit  près  plus  fort 
qu'onques,  mais  ruèrent  coups  et  abbatirent  murailles 
de  tous  costez,  et  avecques  ce  firent  mines  soubz 
terre  pour  tirer  vers  une  tour  de  la  place  et  icelle 
ruer  par  terre. 

Assez  près  du  chasteau  demeuroit  une  femme  gen- 
nevoise,  de  laquelle  estoyent  les  Françoys  bien  vou- 
lus, comme  elle  leur  monstra  ;  car,  ainsi  que  les  Gen- 
nevoys faisoient  leurs  mynes  soubz  terre  pour  les 
vouloir  surprendre,  icelle  monta  au  plus  haull  estage 
de  sa  maison,  qui  en  la  veue  du  chasteau  estoit,  et  se 
mist  en  lieu  ou  ceulx  du  chasteau  et  de  Sainct  Fran- 
cisque la  pouvoyent  bien  adviser;  et  la,  par  plusieurs 
foys  et  divers  signes,  leur  monstroit  commant  on  fai- 
soit  mynes  soubz  terre  pour  les  prandre.  Et  après 
chevauchoit  ung  baston  et  mectoit  en  sa  main  une 


166  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

gaule  longue,  faisant  manière  de  courir  la  lance,  puys 
faisoit  ung  estandart  et  monstroit  comme  leur  secours 
venoit  de  France.  A  l'autre  foys  leur  monstroit  ung 
chat,  qui  estoit  le  cry  du  seigneur  Jehan  Louys,  pour 
bailler  a  cognoistre  qu'il  venoit,  et  a  toute  eure  leur 
faisoit  divers  signes,  lesquelz  ne  peurent  clerement 
entendre  les  Françoys,  si  n'est  qu'ilz  se  doubterent 
des  mynes  qu'on  faisoit  soubz  terre  pour  les  signes 
que  ceste  femme  leur  faisoit.  Dont  s'assemblèrent 
messire  Gallas  de  Salluzart,  capitaine  du  chasteau, 
Louys  de  Sainct  Aulbin,  capitaine  de  la  cytadelle,  et 
Allabre  de  Saule,  capitaine  de  Sainct  Francisque,  et 
parlèrent  ensemble  de  cest  affaire,  disant  que  celle 
femme  ne  leur  faisoit  lesdits  signes  pour  nyent.  Par 
quoy  se  doubterent  et  tindrent  sur  leurs  gardes  ;  mes- 
mement  la  nuyt  se  mirent  contre  terre,  l'oreille  aux 
escoutes,  ayant  tabourins  et  des  poix  dessus,  bassins 
a  barbier  et  aiguilles  dedans  qu'ilz  posoyent  aux  lieux 
ou  pencoyent  estre  faictes  les  mynes,  mais  ilz  n'y 
cognoissoyent  rien,  car  les  Gennevoys,  affin  qu'on 
n'entendist  le  bruyt  de  leursdites  myne[sj,  illecques 
au  plus  près,  et  de  nuyt,  charpentoyent  leurs  eschelles, 
manteaux  et  chevretes,  et  faisoyent  le  plus  de  bruyt 
qu'ilz  pouvoyent,  mesmement  es  lieulx  ou  ilz  faisoyent 
leursdites  mynes. 

Or  advint  que,  le  mercredy  de  la  sepmainc  saincte, 
Allabre  de  Saule,  capitaine  de  Sainct  Francisque,  sur 
le  point  de  dix  heures  de  nuyt,  estant  aux  escoutes 
avecques  ses  gens  dedans  le  jardrin  d'en  bas,  ouyt 
myner  soubz  terre  et  le  bruyt  de  leurs  coups  entendit, 
dont  tout  en  l'eure,  sans  bruit,  envoya  quérir  aucuns 
de  ses  gens,  (jui  guectoyent  d'autre  costé,  esquelz  se 


Avril  1507]     DU  SIEGE  DU  CHASTBAU  DE  GENNES.  167 

fioit;  si  leur  dist  ce  qu'il  avoit  ouy,  et  les  fist  escouter 
et  ouyr  pour  savoir  ce  c'estoit  myne,  lesquelz  dirent  que 
si  estoit  ;  dont  adviserent  pour  ce  que  a  leur  semblant 
la  myne  tiroit  vers  une  tour  de  leur  fort  et  ja  en  estoit 
a  xiiii  pas  près  ou  environ,  que  la  feroyent  une  tran- 
chée et  contremyne,  et  a  la  traverse,  pour  copper  le 
chemin  a  leurs  ennemys,  ce  qu'ilz  firent,  en  manière 
que  le  lendemain,  a  mydy,  jour  de  jeudy  absoulu, 
trouvèrent  ladite  myne  et  les  Gennevoys  dedans; 
laquelle  fut  assaillye  par  les  Françoys  qui  la  estoyent 
et  deffendue  des  Gennevoys,  ou  furent  blecez  deux 
d'iceulx  Françoys  ;  mais,  a  grans  patacz,  furent  iceulx 
Gennevoys  oultrez,  tellement  qu'ilz  habandonnerent 
lesdites  mynes  que  les  Françoys  gaignerent  et  fortif- 
fîerent  de  leur  part,  en  manière  que  par  la  n'eurent 
plus  doubte  de  leurs  ennemys. 

Le  vendredi  sainct*  et  la  vigille  de  Pasques,  d'ung 
costé  et  d'autre  tirèrent  quelques  coups  de  menue 
artillerye  sans  faire  grant  effort.  Mais  le  lendemain^, 
après  que  chascun  eut  faict  ses  Pasques,  sur  le  point 
de  XI  heures  du  matin,  recomancerent  les  Gennevoys 
a  tirer  de  leurs  grosses  pièces  d'artillerye,  c'est  assa- 
voir de  groux  canons  serpentins  et  grans  coullevrines, 
tirans  tous  boulletz  de  fer,  lesquelz  tiroyent  de  plu- 
sieurs lieux,  et  mesmement  d'ung  lieu  nommé  Pavye 
devers  Besaigne,  près  d'ung  colliege  de  nonnains,  ou 
la  avoient  ung  fort  rampar,  et,  des  le  commaincement 
du  siège,  mys  la  ung  gros  canon,  nommé  le  Lizard  ; 
ausi  tiroyent  d'ung  autre  lieu  du  costé  devers  Sainct 
Uoch  et  de  plusieurs  autres  lieux,  ou  avoyent  faictz 

1.  Le  2  avril  mourut  près  de  Tours  saint  François  de  Pauie. 

2.  4  avril. 


168  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

fors  et  rampars,  dont  tirèrent  contre  le  chasteau  et 
Sainct  Francisque.  Ainsi  que  celle  baterye  duroit,  le 
capitaine  AUabre  et  partie  de  ses  gens  se  misrent  a 
leur  deffence,  et  la  commaincerent  a  tirer  coups  contre 
le  rempar  de  leurs  ennemys.  Mais  la  grousse  artille- 
rye  d'iceulx  Gennevoys  tiroit  si  menu  qu'ilz  ne  se 
ousoyent  descouvrir,  et  tellement  fut  que  l'ung  des 
cannonyers  gennevoys  estant  audit  rampar,  nommé 
Pavye,  adressa  vers  une  tour  du  jardrin  ou  estoit 
ledit  AUabre  et  aucuns  de  ses  gens,  en  sorte  que  le 
bouUet  entra  tout  au  travers  de  la  tour  et  rua  si  roi- 
dement  que,  des  esclatz  de  la  muraille,  ledit  AUabre 
fut  fort  blecé  au  visage  et  dessoubz  la  tétine  au  costé 
senestre,  si  qu'on  pensoit  qu'il  fust  mort.  Troys 
autres  des  siens  furent  ausi  blecez  et  couvers  d'ung 
pan  de  ladicte  tour,  qui  tumba  sur  eulx,  en  manière 
qu'ilz  cuyderent  la  estoffer;  car  homme  n'ozoit  la 
approcher,  pour  les  secourir,  pour  l'orrible  baterie 
qui  la  se  faisoit.  Mais,  puys  peu  après  la  force  de 
ladite  baterye  cessée,  ledit  AUabre  et  ses  gens  blecez 
avecques  luy,  par  aucuns  des  autres  des  siens,  furent 
tirez  et  emportez  et  mys  en  la  litière. 

XVIII. 
Gommant  les  Gennevoys  assaillirent  a  toute  force 

LE  chasteau  de   GeNNES  ,    ET  DE    LA  MERVEILLEUSE 
DEFFENCE  QUE  LA  FIRENT  LES  FrANÇOYS  ^ . 

Merveilleuse   lui   celle  baterie  tout  celuy  jour  de 

1.  Fol.   Lin  tlu  ms.,   miniature,   représentant  l'assaut  :  une 
troupe,  avec  des  échelles,  sort  d'une  porte  («  Gennesi)),  gravit  une 


Avril  1507]     COMM'  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.     169 

Pasques;  le  lundi,  le  mardi  et  le  mercredi \  sans 
cesser,  ruèrent  coups  les  Gennevoys,  sans  ce  que  ceulx 
de  la  place  eussent  repoulx  de  leur  part  ;  car,  si  ceulx 
de  la  ville  envoyoyent  souvant  de  leur  relief  au  chas- 
teau,  de  mesmes  maiz  estoyent  servys,  et  tant  que  au 
travers  de  la  ville  et  sur  le  siège  y  parut  jucques  a 
l'extimation  de  plus  de  cent  mors  et  de  deux  cens 
blecez.  Plusieurs  de  ceulx  du  chasteau  furent  ausi 
blecez  et  mors.  Quoy  plus?  Si  n'est  que  les  Gennevoys, 
voyant  approcher  l'armée  de  France  pour  secourir  le 
chasteau  et  assi[e]ger  Gennes,  disrent  :  «  Il  nous  est 
mestier,  a  ceste  foys,  de  prendre  noz  ennemys  d'as- 
sault  ou  lever  nostre  siège  pour  aller  au  devant  de 
l'armée  de  France  et  luy  donner  la  bataille.  Mais, 
pour  le  meilleur,  devons  nous  efforcer  a  prendre 
ceste  place;  car,  si  une  foys  elle  est  entre  noz  mains, 
prince  du  monde  jamais  ne  nous  assauldra;  et  ausi, 
en  faillant  a  ce,  nous  summes  frustrez  de  nostre  inten- 
cion  et  decheuz  de  nostre  entreprise.  Pour  ce,  mec- 
tons  les  mains  a  l'œuvre,  et  que  chascun  de  nous  y 
face  tel  devoir  que  soit  jucques  a  l'augmentation  de 
nostre  honneur  et  au  profîct  de  nostre  seigneurye.  » 
Telles  parolles  dirent  aucuns  des  s'eigneurs  gennevoys 
pour  donner  cueur  au  peuple  et  bon  vouloir  a  leurs 
souldartz.  Dont  advint  que,  le  mercredi  de  Pasques, 
entre  une  et  deux  heures  après  mydi,  lesdits  Genne- 
voys commaincerent  a  sonner  leur  assault  de  trom- 

montagne  au  bord  de  la  mer,  escalade  une  enceiute  fortifiée,  dont 
fait  partie  une  église,  sur  le  toil  de  laquelle  on  lit  :  S.  Franciscus. 
Au  fond  de  cette  enceinte,  au  sommet  de  la  montagne,  un  fort, 
portant  l'inscription  :  Gastelet. 
1.  4,  5,  6  et  7  avril. 


170  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

petes  et  groux  tabourins,  a  grant  bruyt  de  criz  et 
tumulte  de  peuple,  et,  avecques  grant  nombre  d'es- 
chelles,  pavoys,  manteaulx.  chevretes  et  autres  choses 
nécessaires  pour  donner  assaulx,  aproclierent  Sainct 
Francisque  du  costé  du  jardrin  et  en  plusieurs  autres 
lieux  brechez.  Et  la,  de  première  advenue,  droisserent 
en  divers  lieux  plus  de  quatre  cens  eschelles  et  com- 
maincerent  vigoureusement  a  monter. 

Messire  Gallas,  capitaine  du  chasteau,  Loys  de  Sainct 
Aulbin  et  leurs  gens,  avecques  ceulx  de  Sainct  Fran- 
cisque, furent  tous  arrengez  aux  brèches  et  lieux  qu'il 
failloit  deffendre,  garnys  d'artillerye ,  de  trect,  de 
grosses  pierres,  de  lances  a  feu,  de  huysles  bouUans, 
de  potz  plains  de  souffre  et  de  chaulx  vive  pour  ruer 
sur  les  premiers  qui  se  hasteroyent  de  monter.  Que 
fut  ce?  les  Gennevoys,  en  nombre  de  plus  de  xxx  mille, 
environnèrent  tout  le  colliege  Sainct  Francisque  et  se 
misrent  a  grosses  escoadres  pour  assaillir  a  relays, 
disant  que,  lorsque  les  ungs  seront  mors,  lassez  ou 
affoliez,  des  autres  prendront  leur  place.  Et,  ainsi 
amonceliez  comme  pourceaulx,  a  la  fouUe  se  mirent 
a  monter  leurs  eschelles.  Qui  eust  lors  veu  grans 
coups  de  main  donner  sur  ses  eschelleurs,  emporter 
testes  et  bras  et  renverser  Gennevoys  du  hault  des 
eschelles  en  bas,  et  l'ung  sur  l'autre  acravanter  a 
groulx  monceaulx  eust  heu  horreur  de  l'affaire.  Mais, 
quant  les  ungs  estoyent  abbatus,  les  autres  remon- 
toyent  très  hardyment.  Aucuns  des  nostres,  estans  au 
dedans  des  tours  et  sur  les  deffences,  tiroyent  trect 
et  artillerye  a  la  mouhée,  tellement  que  grant  occision 
en  faisoyent.  Mais  pourtant  homme  ne  desemparoit. 
Tousjours   duroit   le  combat  main   a   main   sur  les 


Avril  1507]     COMM^  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.     171 

eschelles,  qui  estoyent  cramponnées  pour  actachcr  a  la 
muraille  et  toutes  plaines  de  Gennevoys,  qui  a  toute 
puissance  s'efForçoyent  d'entrer;  mais  les  Françoys 
du  dedans  leur  deffendoyent  de  telle  force  que,  des  ce 
qu'ilz  mectoyent  le  pié  hors  l'eschelle  pour  voulloir 
entrer,  ilz  estoyent  sans  faillir  renvercez  du  hault  en 
bas.  Tant  fut  sanglant  ledit  assault  que  toutes  les 
eschelles  et  la  muraille  ou  le  combat  se  faisoit  estoyent 
enrougyes  de  sang.  Durant  ce  dur  assault,  comme  les 
Gennevoys  s'efforçoyent  de  tous  costez  vouloir  entrer, 
les  Françoys  adviserent  ung  heu  nommé  la  Garace^, 
contre  l'eghse  Sainct  Francisque,  qui  est  une  voulte 
ou  l'on  mect  les  mors,  ou  avoit  ung  bout  de  muraille 
rompu  a  passer  troys  hommes  de  front  ;  et,  pencent 
que  par  la  s'efforceroyent  aucuns  Gennevoys  d'entrer, 
pour  leur  donner  une  amorce,  firent  la  une  traynée 
de  pouldre  a  canon  ;  puys  aucuns  des  Françoys,  avec- 
ques  son  feu  tout  prest,  se  mist  a  touchant  de  sa  tray- 
née, et  la,  en  actendant,  vit  venir  ses  gens  et  entrer 
par  ladicte  brèche,  jucques  au  nombre  de  trente  ;  les- 
quelz  entrez,  le  boutefeu  fut  près  et  emflamée  la 
traynée,  en  manière  que  des  trente  en  brulla  xxii. 
Les  autres,  qui  estoyent  les  plus  pr^fes  de  la  brèche,  se 
gecterent  a  bas,  tous  affoliez,  et  les  autres  ardirent 
sur  le  lieu.  Sans  cesser  duroit  ce  mortel  assault,  et 
tant  que  les  Françoys  estoyent  moult  fouliez  et  com- 
batus;  car  ja  en  y  avoit  bien  xx  mors  et  quarante  de 
blecez;  et,  pour  ce,  ne  perdoyent  coup  a  donner,  car, 
a  les  voir  besoigner,  tant  plus  combatoyent,  tant  plus 
etïbrçoyent  leurs  coups.  Somme,  ses  pauvres  soul- 

1.  Probablement  carnajo  (charnier). 


172  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

dartz  firent  merveilles  d'armes  ;  ausi  estoit  la  messirc 
Gallaas  de  Salluzart,  qui  frappoit  au  désespéré.  Depuys 
deux  heures  après  mydi  jucques  a  la  nuyt  dura  celuy 
assault,  que  les  Gennevoys  ne  voulurent,  pour  mou- 
rir tous,  habbandonner,  jucques  a  grans  lances  de  feu 
et  cercles  plains  de  souffre  ardant,  huisles  boulant  et 
chaulx  vive,  ilz  fussent  par  les  Françoys  chassez  de 
leurs  eschelles,  lesquelles  a  la  parfin  habbandonnerent, 
dontlesdits  Françoys  en  gaignerent  bien  troys  cens,  les- 
quelles depuys  je  viz  audit  chasteau  de  Gennes.  Ainsi 
se  retirèrent  les  Gennevoys,  mais  non  pas  tous  ;  car,  par 
avoir  ouy  dire  a  plusieurs  de  ceulx  qui  audit  assault 
furent,  plus  de  quatre  cens  hommes  mors  demeurèrent 
au  pié  de  la  muraille,  et  y  furent  plus  de  six  cens  ble- 
cez.  Mais  pourtant  ne  levèrent  leur  siège;  ains,  le  len- 
demain, qui  fut  ung  jeudi  après  Pasques,  recommain- 
cerent  la  baterye  de  plus  belle,  laquelle  continuèrent 
VIII  jours  sans  cesser.  Durant  lequel  temps,  ung  fran- 
çoys, capitaine  de  mer,  nommé  Pregent  le  Bidoulx, 
avecques  quatre  galleres  qu'il  avoit,  et  mi  de  celles 
d'Espaigne,  qui  la  estoyent  venues  pour  servir  le  Roy, 
suyvit  et  chassa  une  fuste  gennevoyse  jucques  dedans 
le  tercenaP  de  Gennes,  qui  est  ung  lieu  au  bout  du 
moule  et  contre  la  ville  2,  ou  les  barches  et  fustes  qui 
apportent  vivres  a  Gennes  viennent  aborder  pour  faire 
leur  descharge.  Dont  voyant,  les  Gennevoys,  ainsi 
approcher  les    galleres    de   France,    prindrent  leur 

1.  Jeun  d'Auton  traduit  ainsi,  à  ce  qu'il  nous  semble,  le  mot 
Dai'sena. 

2.  Prégent,  avec  une  bravoure  extraordinaire,  lit  trois  fois  le 
tour  du  port,  enseignes  déployées,  sous  le  feu  de  la  ville,  puis 
alla  jeter  l'ancre  à  trois  milles  de  là  (Salvago). 


Avril  1507J     COMM'  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.     173 

grosse  arlillerye  et  la  portèrent  sur  le  moulle  pour 
celuy  deffendre,  et  sur  les  passaiges  ou  pençoyent 
venir  les  Françoys.  Ainsi  cessa  la  baterye  duchasteau. 
Et  eulx,  voyant  que  la  ne  feroyent  rien  de  leur  prof- 
fit,  firent  ung  fort  bastyon  sur  le  sommet  de  la  mon- 
taigne  de  Gennes,  au  droict  de  la  venue  des  Françoys, 
et  la  misrent  grosse  garnison  de  gens  d'armes  et 
bonne  artillerye.  Ausi  misrent  gens  au  Castellat  pour 
secourir  ledit  bastion  et  faire  saillyes  et  allarmes  sur 
les  Françoys  s'ilz  approchoyent  Gennes.  Pareillement 
firent  fors  et  barrières  tout  le  long  de  la  montaigne, 
au  pié  et  sur  la  cruppe  d'icelle,  et  empescherent  tous 
les  passaiges,  et  a  tous  costez  misrent  artillerye  pour 
tirer  a  la  venue  des  Françoys,  et  misrent  xiiii  ou 
XV  mille  hommes  en  armes  sur  lesdites  montaignes, 
et  partye  d'iceulx  envoyèrent  jucques  a  la  venue  du 
bourg  de  Busalle,  pour  la  commaincer  a  empescher 
le  passaige  aux  Françoys. 

Le  Roy  a  toute  dilligence  avançoyt  lors  son  voyage, 
lequel  arriva  en  Piemond  ung  mardi  de  après  Quasi- 
modo^  et,  sans  aucun  séjour,  s'en  alla  droict  en  Ast^. 
Au  devant  de  luy  vint  Charles,  duc  de  Savoye,  comme 
dit  est,  accompaigné  des  seigneurs-de  son  pays,  avec- 
ques  grant  nombre  de  gentishommes  et  prelatz  d'Eglize  ; 
et,  la,  luy  offrict  de  sa  part  service  de  sa  personne, 
secours  de  ses  gens  et  les  clefz  de  ses  villes,  en  le  vou- 
lant accompaigner  a  son  voyage  de  Gennes,  s'il  luy 
plaisoit.  Desquelles  choses  le  remercya  le  Roy  bien 

1.  Nous  avons  dit  plus  haut  qu'il  arriva  à  Suze  le  samedi  soir 
H  avril,  samedi  de  Pâques.  Il  alla  le  12  au  matin  à  l'abbaye  de 
Suze,  le  13  à  l'église  Notre-Dame  d'Avigliana,  le  14  et  le  15  à 
l'église  Saint-Paul  de  Villanuova  d'Asti. 

2.  Il  arriva  à  Asti  le  15  avril  au  matin  (Desjardins,  II,  233). 


174  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

fort;  et  puys  s'en  alla  en  sa  ville  et  conté  d'Ast,  ou 
illecques  fut  receu  des  seigneurs  du  pays  et  peuple  de 
la  ville  a  grant  joye;  et  prist  son  logis  cheulx  ung 
nommé  messire  Allixandre  Malbelle,  ung  de  ses  maistres 
d'oustelz,  lequel  estoit  moult  bien  logé  a  certes.  La  se 
trouvèrent  des  princes  et  seigneurs  des  Italles,  Alphons 
d'Ast,  duc  de  Ferrare*;  Francisque  de  Gonsago,  mar- 
quis de  Mantoue,  lequel  avoit  rencontré  le  Roy  a  Veil- 
laine-  en  Piemond;  Jehan  Guillerme,  marquis  de  Mon- 
ferrat;  le  seigneur  Jehan  Jourdan  des  Ursins,  lequel 
pareillement  estoit  allé  au  devant  du  Roy  jucques  a 
Grenoble;  messire  AlUxandre  de  Bientivoille,  filz  de 
messire  Jehan  de  Bientivoille,  gouverneur  feu  de  Bou- 
loigne  la  Grasse,  estant  lors  prisonnier  entre  les  mains 
du  Roy;  le  conte  Ludovic  Bourronmé,  et  grant 
nombre  d'autres  Italliens  et  Lombars,  estans  la  venus 
montez  et  armez,  avecques  grousse  suyte  de  gens 
d'armes  pour  servir  le  Roy  a  son  voyage  et  guerre 
de  Gennes. 

La  séjourna  le  Roy  par  l'espace  de  quatre  jours 3, 
pour  ung  peu  se  refreschir\  et  ce  pandant  fist  mectre 
son  armée  a  chemin,  laquelle  messire  Charles  d'Am- 
boise,  son  lieutenant,  conduysoit,  et  ordonna  icelle 
marcher  droict  a  bourg  de  Busalle  :  ce  qui  fut  faict. 
Et  voulut  ausi  que  messire  Jehan  Jacques  demourast 
en  la  duché  de  Millau,  pour  faire  la  provision  des 

1.  Successeur  d'Hercule  d'Esté,  son  père,  depuis  1505. 

2.  Avigliana. 

3.  Cinq  jours.  Il  en  repartit  le  20  pour  Felizzano.  Il  alla  le 
matin  du  17  à  l'église  des  Jacobins,  le  18  à  l'église  Saint-Segond, 
le  29  au  prieuré  de  la  Madeleine,  le  16  et  le  20  au  Dôme. 

4.  D'Asti,  il  fit  écrire  par  l'ambassadeur  d'Espagne  une  lettre 
qui  proposait  aux  Génois  un  arrangement  amiable  et  paternel 
(Salvago). 


Avril  I507J     COMM'  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.      175 

vivres  et  se  donner  garde  du  pays  :  ausi  y  avoit  ja 
po[u]rveu  messire  Charles  d'Amboise,  en  manière  qu'il 
avoit  donné  charge  a  quelques  marchans  du  pays  d'en 
faire  le  plus  grant  prochas  que  possible  seroit  ;  et 
avecques  iceulx  avoit  ma[r]chandé  et  baillé  cinq  mille 
escus  d'avance,  lesquelz  s'en  aquitterent  très  a  poinct. 

Les  Venissians  estoint  lors  a  grosse  armée  en  la 
conté  de  Crémone,  terre  de  Millan;  lesquelz  ne  fai- 
soyent  manière  de  saillir  de  leurs  garnisons,  mais 
disoient  qu'ilz  estoyent  la  pour  garder  leur  pays  et 
secourir  le  Roy,  si  besoing  avoit  de  leur  ayde.  Tou- 
tesfoys  on  ne  s'i  fioit  pas  trop,  car  ilz  ont  souvant 
garde  derrière  et  tiennent  le  party  des  plus  fors. 

En  Ast  se  reposoit  le  Roy  lors,  et  luy  ung  jour,  se 
sentant  délibéré,  dist  qu'il  se  vouloit  essayer  en  son 
harnoys  et  chevaucher  ung  des  coursiers  de  son  escuye- 
rye  pour  s'en  ayder  a  la  bataille,  laquelle  chascun 
esperoit.  Et,  comme  ce  jour  je  fusse  entré  en  sa 
chambre  pour  luy  vouloir  bailler  quelque  peu  d'es- 
cript  joyeulx  que  j'avoye  en  la  main,  je  le  trouvay  en 
pourpoint,  avecques  peu  de  gens  et  messire  Galleas 
de  Sainct  Severin,  son  grant  escuyer,  ausi  en  pour- 
point, lequel  luy  chaussoit  ses  solleretz  et  harnoys  de 
jambes,  avecques  les  cuissotz.  Ce  fait,  demanda  la 
cuyrasse,  et,  premier  que  la  vouloir  prandre,  dist  audit 
messire  Galleas  :  «  Je  la  veulx  voir  premièrement  sur 
vous,  car  mon  harnoys  vous  est  presque  tout  faict.  » 
Apres  que  ledit  escuyer  fut  armé  de  ladicte  cuyrace, 
le  Roy  la  regarda  de  tous  coustez  et  la  trouva  bien 
faicte,  disant  :  «  Je  cuyde  qu'elle  me  sera  bonne  et 
bien  aysée.  »  Et  fîst  desarmer  celuy  escuyer,  puys  se 
fist  armer  de  sadite  cuyrace  et  de  toutes  les  autres 


176  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

pièces,  et  essaya  dessus  son  harnoys  ung  soye  d'orfe- 
verrye  moult  riche,  et  tout  autour  semé  d'escripteaux, 
ou  estoit  escript  en  lectre  romaine  :  «  Nescis  quid 
vesper  vehat  ;  »  qui  est  a  dire  :  «  Tu  ne  scay  quelle 
chouse  la  fin  porte,  »  ou  :  «  Tu  ne  say  la  fin  a  quoy  je 
tendz.  »  Tandys  qu'il  se  faisoit  armer,  je  despliay 
mon  papier  en  m'approchant  de  luy  et  luy  distz  : 
«  Sire,  j'ay  faict  une  petite  balade  touchant  les  Genne- 
voys;  s'il  est  vostre  plaisir  de  Touyr,  je  l'ay  icy.  » 
Lors  me  commanda  que  je  la  leusse^,  ce  que  je  fys 
comme  s'ensuyt  : 

Les  Gennevoys,  de  leur  propre  nature, 
N'ont  foy  ne  loy,  si  se  n'est  d'avanture 
Par  fainctise,  qu'on  ne  doibt  soustenir. 
Ja  tant  de  foys  ont  mys  a  la  roupture 
Leurs  promesses  quUl  n'y  a  créature 
Raisonnable  qui  se  y  vueille  tenir; 
Voire  et  cuydent  par  force  entretenir 
Leur  bon  crédit,  et  mener  leur  affaire. 
Sans  le  devoir  et  tribut  vouloir  faire 
A  vous,  Sire,  ne  a  droict  vous  supplier; 
Mais,  s'ilz  sont  fors,  pour  leur  effort  defTaire, 
Leur  force  fault  par  force  humilier. 

L'istorial  et  prouvée  escripture 
Nous  monstre  assez  et  faict  clere  lecture 
De  leur  faulx  tours,  dont  nous  deust  souvenir  : 
Sur  noz  gens  lors  firent  desconfiturc 


1.  Le  18  avril,  Louis  XII  écrivait  d'Asli  à  Guillaume  de  Mont- 
morency une  lettre  très  gaillarde  :  il  demandait  qu'on  lui  envoyât 
une  «  chanson  »  faite  au  même  moment  par  Fénin,  avec  des 
illustrations  du  peintre  Jean  de  Paris,  pour  «  monstrer  aux  dames 
de  par  deçà,  car  il  n'en  y  a  point  de  pareils  »  (publiée  par  nous, 
Revue  de  l'Art  français,  1886,  p.  9). 


Avril  1507J     COMM*  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.     V. 

En  leurs  destroictz,  soubz  ombre  et  couverture 
De  leur  vouloir  ayder  et  subvenir  ; 
Le  Roy  Louys  les  sceut  bien  prévenir, 
Quant  en  enfer  ordonna  leur  repaire  ; 
Au  Roy  Charles  lindrent  party  contraire  -, 
Puys  les  voyez  contre  vous  rallyer. 
Que  reste  plus  ?  pour  venir  au  parfaire, 
Leur  force  fault  par  force  humylier. 

Faictes  sur  euJx  et  dessus  leur  clousture 
Ung  tel  eschec  et  si  ample  ouverture 
Qu'on  y  puisse  seur  aller  et  venir, 
Sans  leur  lesser  ne  vivre  ne  pasture, 
Place,  ne  fort,  or,  argent,  ne  voicture, 
Tant  qu'il  en  soit  mémoire  a  l'advenir. 
Et  que  tous  ceulx  qui  les  voirront  pugnir 
Ayent  tous  temps  craincte  de  vous  meffaire; 
Mais  au  surplus  qui  vouldroit  satisfaire 
A  son  deffault,  il  fault  tout  oublyer-, 
Aux  rebelles  qui  ne  se  vouldront  taire, 
Leur  force  fault  par  force  humilier. 

Prince,  a  la  fln  qu'on  n'y  soit  a  reffaire, 
Prenez  tous  ceulx  qui  ont  voulu  forfaire, 
Et  les  faictes  bien  baguer  et  lyer, 
Pour  les  trecter  comme  il  vous  pourra  plaire 
Et  en  faire  des  autres  Texemplaire. 
Leur  force  fault  par  force  humylier. 

Une  autre  foys  adviendroit  de  léger, 
Que  par  deffault  de  bien  les  corriger 
De  leurs  delictz,  dont  ils  en  ont  faict  tant, 
Que  leur  vouloir  seroit  prest  et  contant 
De  faire  ung  tour  pour  vous  endomager. 

Si  a  ce  coup  ne  les  faictes  renger 
A  la  raison,  il  est  bien  a  songer 
Qu'il  en  feront  ancores  bien  autant 
Une  autre  foys. 
IV  12 


178  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Puysqu'a[u]tremenl  on  ne  s'en  peut  venger, 
Ghaslyez  les  ores,  pour  abréger, 
Ung  coup  pour  tous,  en  vous  y  esbatant. 
El,  cella  faict,  soyez  asseur  de  tant 
Que  eulx  et  autres  doubleront  le  danger 
Une  autre  foys. 

Apres  la  lecture  de  caste  ballade,  le  Roy  transmist 
quérir  ung  coursier  bay,  nommé  Boy  gracieulx,  lequel 
tîst  amener  dedans  ung  preau  fermé,  derrière  son 
logys;  et  luy,  armé  de  toutes  pièces,  monta  legiere- 
ment  dessus,  sans  ayde  ;  et  la  commainça  a  faire  faire 
carrière,  courses  et  grans  saulx  a  sondit  cheval,  qui 
estoit  si  très  a  main,  a  la  bouche  et  a  l'esperon  qu'il 
en  faisoit  tout  a  son  plaisir  :  a  la  foys  luy  donnoit  une 
viste  course,  et  a  l'arrest  le  tour,  et  les  quatre  piedz 
a  mont  ;  et  a  la  foys  le  grant  sault  et  a  la  ruade,  avecques 
le  tropt  court  soubz  bride  et  tous  les  tours  que  che- 
val povoit  faire.  Ausi  estoit  le  Roy  qui  le  manioit  si 
très  adroict  et  tant  bien  a  cheval  que,  pour  sault  ou 
ruade  que  fist  son  cheval,  on  n'eust  ouy  sur  luy  pièce 
de  harnoys  bransler.  Somme,  tant  tourmenta  sondit 
cheval  qu'i  le  mist  tout  en  eau,  puys  mist  pié  a  terre 
et  s'en  alla  boyre  et  desarmer. 

La,  n'eust  officier  de  la  maison  du  Roy,  des  les  plus 
grans  jucques  aux  soilhons  de  cuisine,  qui  n'eussent 
leurs  harnoys.  Aucuns  des  vielz  maistres  d'ostelz  du 
Roy,  et  autres  qui  pour  la  goûte  n'estoyent  aisez  de 
leurs  personnes,  voyant  que  c'estoit  a  tout,  essayèrent 
ausi  leurs  harnoys,  que,  long  temps  devant  ce,  n'avoyent 
mys  sur  le  doulx.  Somme,  il  n'y  eut  celuy  qui  ne  mist 
la  main  aux  armes,  voire  aucuns  prelatz  et  seigneurs 
d'Eglise,  qui  la  estoient,  disant  que  deffendre  par 


Avril  1507J     COMM'  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.     179 

armes  la  personne  du  prince,  seigneur  de  leur  pays, 
estoit  millité  et  bataillé  pour  la  deffence  mesme  du 
pays,  ce  qui  leur  est  permys  et  loisible  en  temps  de 
nécessité. 

Apres  que  le  Roy  eut  pris  en  Ast  quatre  jours  de 
repoux,  et  mise  son  armée  a  chemin  pour  tirer  a 
Gennes,  partit  de  sadite  ville  d'Ast,  en  armes,  avec- 
ques  plusieurs  des  seigneurs  de  son  sang  et  autres 
grans  seigneurs  de  France.  La  avoit  avecques  luy  cent 
de  ses  gentishommes  et  toutes  ses  gardes.  Et  ainsi  le 
XXI™®  jour  du  moys  d'apvriP,  en  l'an  mil  cinq  cens  et 
VII,  tira  son  chemin  droict  a  Felissant,  terre  de  mar- 
quisat, ou  dormit  pour  la  nuytée  ensuyvant. 

Messire  Charles  d'Amboise,  qui  conduisoit  son 
armée,  estoit  ja  au  bourg  de  Buzalle,  et  six  mille  de 
Allemans,  qui  premiers  estoyent  venus  des  Ligues, 
joinctz  a  ladite  armée  de  France^.  L'autre  bende 
d'iceulx  Allemans  estoit  ausi  arrivée  a  une  petite  ville 
nommée  Nove,  près  de  SarravaP,  a  l'entrée  des  mon- 
taignes  de  Gennes.  En  laquelle  bande  estoyent  troys 
mille  cinq  cens  Allemans,  lesquelz  ne  vouloyent  pour 
riens  passer  oultre,  disant  que  leur  charge  ne  le  por- 
toit  point,  et  qu'ilz  ne  ma[r]cheroient  plus  avant;  et, 
sur  ce  propos,  séjournèrent  audit  lieu  de  Nove  vi  jours. 

1.  Le  20;  le  21  au  matin,  Louis  XII  entendait  la  messe  àFeliz- 
zano  (Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  139).  Felizzano  faisait  partie  du 
Montferrat. 

2.  Dans  sa  lettre  du  18  avril  citée  ci-dessus,  le  roi  dit  que 
«  tous  les  Suysses  »  sont  déjà  arrivés  à  Busalla  avec  l'artillerie, 
que  la  plupart  des  villes  et  forteresses  du  pays  de  Gênes  ont  déjà 
envoyé  leur  soumission  :  «  Et  espère  en  brief  avoir  le  reste,  avec 
la  ville,  en  mon  obéissance.  » 

3.  Novi,  Serravalle. 


180  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  et  plu- 
sieurs des  autres  capitaines  françoys  misrent  toute  la 
peine  qu'ilz  peurent  pour  les  faire  marcher;  et,  pour 
ce,  donnèrent  a  leurs  capitaines  or  et  argent,  et  force 
habillemens  de  soye,  en  leur  disant  :  «  Messieurs, 
n'estes  vous  pas  venuz  icy  pour  servir  le  Roy,  et  a  ses 
gaiges,  que  ja  avez  receues,  et  par  le  vouloir  et  con- 
sentement des  seigneurs  de  voz  ligues  et  quantons? 
Ne  voyez  vous  ja  l'armée  de  France,  et  l'autre  bende 
de  voz  compaignons,  prestz  de  partir  pour  aller  a 
Gennes,  et  le  Roy  mesmes  qui  nous  marche  en  queuhe, 
pour  se  joindre  avecques  sadite  armée?  »  Plusieurs 
autres  raisons  leur  furent  dictes  et  mises  sus  ;  mais, 
pour  ce,  ne  voulurent  desloger.  De  quoy  le  Roy  fut 
merveilleusement  contre  eulx  courroucé,  délibérant, 
si  autre  chose  ne  vouloyent  faire,  de  les  faire  tous 
tuher.  Les  seigneurs  des  Ligues  et  quantons  furent 
par  postes  de  ceste  chose  advertys  ;  par  quoy  a  toute 
dilligence  leur  mandèrent  que,  sur  leur  vye,  ilz  mar- 
chassent en  avant,  et  qu'ilz  servissent  le  Roy  envers 
tous  et  contre  tous  :  ce  qu'ilz  firent,  et  se  mirent  a  la 
route,  droict  au  Rourg  de  Ruzalle,  ou  trouvèrent  l'ar- 
mée de  France. 

Le  xxii^  jour  dudit  moys  d'apvril,  le  Roy  partit  de 
Felissant^  et  adressa  vers  Allexandrye,  avecques  luy 
estant  Charles,  duc  de  Bourbon',  Anthoyne  de  Lor- 
renne,  duc  de  Callabre,  Françoys  d'Orléans,  duc  de 
Longueville  et  seigneur  de  Dunoys,  Alphons  d'Ast, 

1.  Il  y  avait  passé  la  journée  entière  du  21  (Arch.  nat.,  KK.  88, 
fol.  139). 

2.  Le  jeune  Charles  de  Bourhon-Montpensier  (le  futur  conné- 
table), qui  venait  d'épouser  Suzanne  de  Bourbon. 


Avril  1507]     COMM'  LES  GENNEVOYS  ASSAILLIRENT,  ETC.      181 

duc  de  Ferrare,  Charles  de  Gleuves,  conte  de  Nevers, 
Françoys,  monseigneur  de  Luxambourg,  Francisque 
de  Gonsago,  marquys  de  Mantoue,  Jehan  Guillerme, 
marquis  de  Mo[n]ferrat,  et  tous  les  autres  dessus  nom- 
mez, réservé  le  duc  d'Allençon,  lequel  estoit  demeuré 
en  Ast  mallade  de  la  rougeolle^  et  ainsi  accompaigné 
s'en  alla  a  Allixandrye.  Au  devant  de  luy^  sortirent 
les  seigneurs  de  la  ville  a  grousse  trouppe  pour  le 
recepvoir  et  faire  la  harangue  pour  le  peuple  de  ladite 
ville.  Ausi  luy  sortirent  au  devant  troys  cens  petilz 
enfans,  tous  vestus  de  robes  blanches,  portans  chas- 
cun  en  la  main  une  banerolle  des  armes  de  France  ; 
lesquelz  petis  enfans  couroyent  au  devant  de  luy, 
cryant  a  haulte  voix  France!  France/  France/  France/ 
Et  ainsi  s'en  entra  par  le  bourgue,  tirant  vers  la  cyté, 
ou  toutes  les  rues  estoyent  tendues  et  parées  de  ver- 
dure, et  au  dessus  toutes  semées  des  armes  de  France 
et  de  Bretaigne.  Et,  des  l'issue  d'une  rue  nommée  la 
Ferrerye,  entrant  en  la  place  de  ladite  ville,  avoit  une 
baye  de  verdure  couverte  d'ung  drap  rouge,  pers  et 
jaune,  lequel  alloit  jucques  devant  la  grant  porte  du 
domme  Sainct  Petre,  ou,  contre  le  hault  de  ladite 
grant  porte,  estoyent  troys  escus,  assavoir  :  au  mil- 
lieu,  celuy  de  France  aux  armes  plaines,  et  aux  deux 
costez  France  et  Bretaigne,  my  parties.  Ainsi  accom- 
paigné, et  soubz  ung  poisle  de  damas  blanc  a  franges 
d'or,  porté  par  six  des  plus  grans  de  ladicte  ville, 
s'en  alla  jucques  a  la  porte  du  domme,  ou  mist  pié  a 
terre  ;  la  trouva  tout  le  clergé  de  la  ville  avecques  les 

1.  Cf.  Saint-Gelais.  D'après  la  lettre  de  Louis  XII  du  18  avril, 
le  duc  d'Alençon  avait  la  variole. 

2.  Cf.  Jean  Marot,  le  Voiage  de  Gencs. 


182  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

relicques,  qui  la  le  receurent  et  conduyrent  jucques 
devant  le  grant  autel  du  domme,  ou  la  dévotement  fîst 
ses  oraisons  et  offrandes^.  Puys  ouyt  la  messe  dedans 
une  dévote  chappelle  de  Nostre  Dame,  estant  sur  main 
senestre  dudit  grant  autel.  Et,  la  messe  ouye,  s'en  alla 
loger  a  l'ostel  d'ung  des  seigneurs  de  ladite  ville, 
nommé  messire  Francisque  Trot^,  ou  séjourna  celuy 
jour  seullement,  et  sceut  la  que  toute  son  armée  estoit 
assemblée  a  Bourg. 

XIX. 

Gommant  les  villâins   de  Poulcevre^  voulurent 

EMPESCHER  LE  PAISSAIGE  AUX  FrANÇOYS  A  BOURG  DE 
BUZALLE,  ET  d' AUCUNES  ESCARMOUCHES  LA  FAICTES. 

L'armée  de  France,  assemblée  a  Bourg  de  Buzalle, 
et  tous  les  Allemans  la  venus,  pour  ce  que  ancores  ne 
savoyent  soubz  quel  capitaine  le  Roy  les  vouldroict 
faire  mener,  en  demandèrent  ung  a  messire  Charles 
d'Amboise,  lieutenant  du  Roy,  lequel  leur  dist  :  «  Ad- 
visez  entre  vous  lequel,  de  tous  ceulx  que  cognoissez, 
vous  sera  plus  a  main,  et  soubz  la  charge  duquel 
aymerez  mieulx  estre  conduytz,  et  sans  point  de  faulte 
autre  n'en  aurez.  »  Ce  dit,  les  capitaines  d'iceulx  Alle- 
mans, et  aucuns  autres  de  leurs  bandolliers,  s'assem- 
blèrent et  tindrent  leur  conseil  sur  l'élection  de  leur 
capitaine  gênerai  ;  tant  que,  a  la  conclusion,  ilz  deman- 
dèrent tous  messire  Jehan  de  Bessy,  gruyci'  de  Bour- 

1.  Mention  de  cette  oUYaude,  Arch.  uat.,  KK.  88,  fol.  13y  V. 

2.  ïrotti. 

3.  Polcevera. 


Avril  1507]  COMM'  LES  VILLAINS  DE  POULCEVRE,  ETC.  183 

goigne,  lequel  leur  fut  baillé,  et  depuys  a  toutes  affaires 
les  conduyt  et  gouverna.  Ung  autre  gentilhomme, 
nommé  le  Lorrain,  de  ceulx  du  Roy,  en  avoit  ausi 
soubz  sa  charge  cinq  cens  d'autres,  appeliez  les  Francz 
Gompaignons,  parce  qu'il  les  avoit  amenez  desdits 
pays  des  Ligues  comme  avanturiers. 

Les  Gennevoys  sceurent  incontinent  commant  l'ar- 
mée de  France  estoit  a  Bourg  ;  et  ja  iceulx  avant  l'ari- 
vée  de  ladite  armée  avoyent  mys  gens  a  grant  nombre 
sur  les  montaignes  et  avoyent  faict  ung  fort  viz  a  viz 
dudit  bourg,  au  pendant  de  la  montaigne,  et  la  faict 
embuscher  grant  nombre  de  gens  armez,  lesquelz 
furent  des  Françoys  ad  visez  et  descouvers.  De  quoy 
fut  adverty  le  lieutenant  du  Roy  ;  et,  pour  ce,  appella 
ung  jeune  gentilhomme  nommé  Jacques  du  Mas,  sei- 
gneur de  risle,  et  luy  bailla  six  hommes  d'armes, 
nommez  Martin  Villetepyon,  Ymbault,  Charles  de  Vil- 
lennes,  Sallenelles,  et  deux  autres,  avecques  dix 
archiers,  lesquelz  envoya  a  ladite  montaigne  pour  voir 
la  manière  et  le  fort  d'iceulx  villains.  Jacques  de 
Bourbon,  conte  de  Roussillon,  et  quelques  autres  gen- 
tishommes  et  gens  de  pié  avecques  eulx,  tirèrent  ausi 
celle  part;  et  n'eurent  gueres  moiité  que  villains  de 
toutes  pars  ne  leur  fussent  en  barbe,  et  comaincerent 
bien  a  point  a  escarmoucher,  et  tant  que  fînablement 
les  Françoys  reposserent  les  Gennevoys^.  Durant 
ceste  escarmouche,  deux  Françoys,  archiers  de  la 

1.  D'après  Guichardin,  ils  les  repoussèrent  sans  peine.  L'atti- 
tude martiale  des  Français  dans  ces  défilés  très  difficiles  suffit  à 
épouvanter  la  «  vile  populace  ;  »  600  fantassins  qui  gardaient  les 
premiers  passages  prirent  lâchement  la  fuite,  et  tout  le  reste  les 
imita. 


184  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII,  [Avril  1507 

compaignie  du  seigneur  de  Montoison,  s'escarterent 
des  autres  Françoys  en  chassant  aucuns  d'iceulx  vil- 
lains;  lesquelz  archiers  furent  encloux  par  quelques 
embûches,  et,  premier  que  on  les  peust  secourir,  sur 
le  champ  furent  assommez  et  mors.  L'escarmouche 
dura  longuement,  car  les  villains  estoyent  a  grant 
nombre,  et  si  avoyent  ung  fort  ou  se  retiroyent,  et  de 
la  tiroyent  traict  a  tous  coustez.  La  fut  blecé  ung 
homme  d'armes  nommé  Mondragon,  de  ceulx  du  sei- 
gneur de  La  Pallixe,  et  eut  ung  coup  de  trect  au 
visaige.  A  toutes  mains  furent  chargez  ses  villains,  et 
tenus  de  si  près  que  plus  de  xx  y  demeurèrent  mors 
en  la  place  ;  et  tant  fut  que  a  la  parfîn  habbandon- 
nerent  leur  fort  et  fuyrent  par  les  montaignes,  en 
manière  que  plus  ne  voulurent  empescher  celuy 
passage. 

Messire  Mercure,  capitaine  des  Albanoys,  fut  envoyé 
courir  le  long  de  la  vallée  de  Poulcevre,  avecques  ung 
nombre  de  ses  Albanoys;  lequel  s'en  alla  jucques  près 
de  Sainct  Pierre  d'Areine,  qui  est  des  faulxbourgs  de 
Gennes,  et  la  trouva  ung  capitaine  de  piétons  genne- 
voys,  lequel  fist  bonne  manière  de  guerre  et  mist 
bien  deux  cens  homes  qu'il  avoit  en  ordre,  pour 
actendre  lesdits  Albanoys.  La  comaincerent  l'escar- 
mouche, telle  que  les  Gennevoys  furent  a  deux  ou 
troys  charges  espartys  et  rompus  :  si  prindrent  la 
fuyte  vers  Gennes,  et  Albanoys  après,  et  tant  que 
plus  de  XX  d'iceulx  meschans  Gennevoys  y  demeu- 
rèrent, et  mesmement  leur  capitaine,  duquel  empor- 
tèrent les  Albanoys  la  teste,  pi(iuée  au  bout  d'une  de 
leurs  lances;  et,  en  eulx  retournant,  trouvèrent,  aux 
deux  coustez  et  au  bas  des  montaignes,  terre  couverte 


Avril  1507]  COMM'  LES  VILLAINS  DE  POULCEVRE,  ETC.  185 

de  gens  armez  pour  leur  couper  le  chemin.  Mais  iceulx 
Albanoys  tenoyent  tousjours  le  milieu  du  gravyer, 
loings  desdites  montaignes  de  demy  gect  d'arc,  et,  si 
tost  que  aucuns  d'iceulx  Gennevoys  cuydoyent  prendre 
la  plaine,  les  Albanoys  a  cource  de  cheval  les  repous- 
soyent  arrière  au  montaignes,  et  en  demeuroit  tous- 
jours  quelqun.  Et  ainsi  se  retirèrent  iceulx  Albanoys 
jucques  au  Bourg,  ou  estoit  l'armée  du  Roy,  et  la 
advertirent  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du 
Roy,  commant  les  montaignes  de  Poulcevre  estoyent 
toutes  couvertes  de  gens  armez;  et  tout  autour  de 
Gennes,  sur  les  montaignes,  et  au  pendent  d'icelles 
du  costé  de  la  passée  de  l'armée  de  France  avoit  plu- 
sieurs fors,  barrières  et  bastyons  garnys  de  gens  et 
d'artillerye  ;  et  que  grant  route  de  villains  estoyent 
embuschez  par  les  montaignes  pour  destrousser  les 
vivendiers  et  ceulx  qui  s'escarteroyent  de  l'armée,  ou 
autres  mal  accompaignez  ;  a  quoy  estoit  besoing  de  y 
pourvoir  pour  lasseurté  des  vivres  et  passans.  Pour 
mectre  provision  a  la  garde  des  passages,  le  lieute- 
nant du  Roy  ordonna  estre  mys  gens  d'armes  de  six 
mille  en  six  mille,  qui  garderoyent  lesdits  passages, 
et  de  lieu  a  autre  f'eroyent  acompaigner  les  vivandiers. 
Et,  ce  faict,  fut  mys  le  feu  partout  et  bruslez  villages 
et  maisons. 

XX. 

Gommant  l'armée  du  Roy  partit  du  bourg  de  Buzalle 

POUR   aller   ASSIEGER   LA   VILLE    DE    GeNNES^ 

Le  vendredi  xxiiP^  jour  du  moys  d'apvril,  en  l'an 

1.  Miniature,  au  fol.  lxi  du  ms.,  représentant  la  marche  de 
l'armée  :  dans  le  fond,  une  escarmouche  sur  la  montagne. 


186  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

mil  cincq  cens  et  vii^  messire  Charles  d'Amboise, 
lieutenant  de  l'armée  du  Roy,  fist  au  matin  desloger 
ladicte  armée  de  bourg  de  Buzalle  et  mectre  l'avan 
garde  assez  loing  devant,  que  luy  mesmes  conduysoit. 
Entre  l'avan  garde  et  la  bataille  fist  meclre  en  avant 
le  charroy  de  l'artillerye  et  le  sommage  ;  la  bataille  et 
l'arriére  garde  après,  estant  loings  l'une  de  l'autre  de 
deux  gectz  d'arc,  ou  environ  ;  les  AUemans  et  gens  de 
pié  avecques  l'artillerye.  Et  ainsi  marchèrent  gens 
d'armes  le  petit  pas,  jucques  a  ung  Heu  nommé  Ponte- 
desme,  a  six  mille  près  de  Gennes;  et  la  furent  ce  jour 
et  tout  le  lendemain  pour  tenir  conseil  et  ordonner 
des  approches  de  Gennes,  et  de  la  manière  comment 
au  plus  seur  le  siège  se  pourroit  assoir  et  mectre,  et 
de  toutes  leurs  autres  affaires.  Lesquelles  choses  furent 
la  mises  en  conseil,  ou  furent  appeliez  messire  Jacques 
de  Chabannes,  seigneur  de  La  PaHxe,  messire  Yves 
d'Allègre ,  messire  Jehan  de  Bessey,  capitaine  des 
Allemans,  messire  Phillebert  de  Clermont,  seigneur 

1.  La  relation  oiïîcielie  des  événements  après  le  25  avril  fut 
imprimée  à  Gênes  même  le  29  avril  1507,  in-4*  goth.  Elle  a  été 
réimprimée  dans  les  Archives  curieuses  de  Cimber,  p.  15  et  suiv., 
sous  son  titre  la  Conquesle  de  Gennes,  et  en  partie  dans  le  Ccrc- 
monial  français  de  Godefroy.  Elle  est,  en  outre,  contenue  dans 
des  opuscules  de  circonstance  :  la  Bataille  et  assault  de  Gennes, 
donné  par  le  très  crestien  roy  de  France  Loys  XII  de  ce  nom,  atrc 
la  trayson  que  les  Genevois  ont  cuydé  faire;  et  aussi  la  complainte 
desdilz  Genevois,  petit  in-4°  goth.  de  4  feuillets,  avec  un  bois  sous  le 
titre,  s.  1.  n.  d.;  la  Prinse  du  bastillon  et  la  réduction  de  Gennes  au 
très  chrcstien  roy  de  France  Loys  douziesme  de  ce  nom,  petit  in-4o 
goth.  de  2  feuillets  (soit  3  p.  de  texte,  un  bois  sur  la  l'"''),  «  impripaé 
pour  Guill.  Vineaulx,  >  qui  se  compose  d'une  lettre  de  nouvelles, 
datée  du  27  avril  au  soir;  l'Entrée  du  très  chrestien  roy  de  France 
Louys  douziesme  de  ce  nom,  en  la  ville  de  Gennes,  petit  in-4°  goth.  de 
2  feuillets,  «  imprimé  à  Paris.  »  Un  exemplaire  de  ces  trois  opus- 
cules est  relié  dans  le  portefeuille  Fontauieu  156. 


Avril  1507]  COMM»  L'ARMÉE  DU  ROY  PARTIT...  DE  BUZALLE.   187 

de  Montoison,  et  plusieurs  autres  capitaines  et  gen- 
tishommes  pencionnaires  du  Roy.  Ausquelz  dist  mes- 
sire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy  :  «  Mes- 
seigneurs,  vous  savez  assez  le  vouloir  du  Roy  et  la 
cause  de  nostre  affaire,  qui  est  entièrement  fondée 
sur  la  prise  et  réduction  de  la  cyté  de  Gennes,  rebelle 
et  désobéissante  audit  seigneur.  Or,  summes  nous  a 
tant  venus  qu'il  ne  reste,  sur  ce,  que  de  mectre  les 
mains  a  l'œuvre,  ce  qui  nous  est  mestier  de  faire,  en 
manière  que  se  soit  a  nostre  louenge,  a  l'onneur  du 
Roy  et  au  profifict  de  la  chose  publicque.  A  ceste  fin 
vous  ay je  voulu  icy  appeller,  affin  que  chascun  de  vous, 
scelon  ce  que  en  pourrez  savoir  et  entendre  au  plus 
près,  de  loyal  conseil  m'en  vueillez  descouvrir  vostre 
advys,  comme  ceulx  qui  a  plusieurs  haultes  entre- 
prises et  louables  faictz  avez  esté.  Vous  savez,  a  suffire, 
de  la  force  et  situation  du  lieu,  et  comme  tout  autour 
de  plus  en  plus  fort  elle  est  fortiffyée.  Toutesfoys,  il 
n'est  si  forte  chose,  si  cueur  vertueux  par  vouloir  la 
désire,  que  de  pouvoir  ne  l'obtienne;  et  sachez  que 
seigneurie  gouvernée  et  soustenue  par  democracye, 
qui  est  puissance  popullaire,  ne  peut  nullement  durer 
et  longuement  estre  en  pouvoir,  car  peuple  effrenné, 
comme  est  cestuy  de  Gennes,  par  envye  de  domyner 
ou  orgueil  de  seigneurye,  se  divisent  facillement.  Or, 
ont  ja  eslu  et  faict  ung  duc  d'ung  taincturier  et  mecha- 
nique,  que  longuement  n'aprouveront  les  marchans 
et  ceulx  du  peuple  gras.  Par  quoy  nous  fault  vertueu- 
sement les  assaillir  et  donner  dedans,  au  plus  tost  que 
faire  ce  pourra,  pour  les  prévenir,  et  ne  leur  donner 
temps  d'avitailler  leur  ville  et  pencer  a  leur  besongnes. 
Et  me  semble,  sauf  meilleur  advys,  que,  demain  au 


188  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

matin,  soit  transmys  aucun  bon  capitaine  avecques 
bonne  puissance  de  gens  d'armes,  descouvrir  la  mon- 
taigne  et  adviser  leurs  fors;  car  sur  tout  est  requys, 
avant  que  assaillir  la  ville,  gaigner  les  montaignes  et 
les  fors  qui  sont  dessus  et  autour  :  autrement,  si  nostre 
armée  passe  oultre,  et  les  montaignes  soyent  occup- 
pées  par  les  Gennevoys,  noz  vivendiers,  sans  grosse 
garde  de  gens  d'armes  mise  en  divers  lieux  (ce  qui 
amandriroit  fort  nostre  armée),  ne  pourront  passer, 
et  nuyt  et  jour  seroit  nostre  armée  de  tous  costez  en- 
nuyée et  assaillye  et  sans  repoux.  Par  quoy  me  semble 
qu'il  y  fault  envoyer  quelque  bon  chief,  et  bien  accom- 
paigné,  pour  aller  voir  que  c'est;  et  en  queuhe  faire 
marcher  toute  l'armée  pour  rainforcer  a  besoing  ceulx 
qui  monteront  la  montaigne;  et  ausi,  pour  donner  sur 
leurs  fors  et  barrières,  ferons  la  près  et  en  lieux  pro- 
pices charryer  et  atiltrer  quelques  pièces  de  bonne 
artillerye  pour  donner  au  travers.  Et,  en  ce  faisant, 
m'est  advys,  si  nous  y  allons  de  bonne  voilhe,  que 
nous  aurons  part  au  logis.  » 

L'advys  et  oppinion  du  lieutenant  du  Roy  fut,  de 
tous  les  capitaines  qui  furent  la  et  autres  gentishommes, 
louhé  et  recommandé  :  auquel  furent,  par  aucuns  des- 
dits capitaines,  plusieurs  autres  moyens  adjoutez  et 
faictes  diverses  ouvertures  ;  mais,  a  la  conclusion,  fut 
dit  que  ladite  montaigne  seroit  assaillye  et  gaignée, 
qui  pourroit,  premier  que  passer  oultre.  Et  dist  la 
messire  Jacques  de  Ghabanes,  seigneur  de  La  Pallixe  : 
«  Il  me  semble,  dist  il,  que,  quelque  nombre  que 
soient  ses  villains,  et  quelques  fors  qu'ilz  ayent  aux 
montaignes,  si  avecques  eulx  nous  nous  assemblons, 
que  peu  de  résistance  feront,  veu  que  ce  n'est  que 


Avril  1507]  COMM'  L'ARMÉE  DU  ROY  PARTIT...  DE  BUZALLE.   189 

commune,  qui  n'a  acoustumé  la  guerre  ne  n'est  usitée 
du  mestier,  et  ausi  qu'ilz  ont  leur  ville  au  dos  pour 
retrecte,  ou  tousjours  auront  l'ueil,  qui  les  chergera 
roydement.  Et,  en  oultre,  si  quelque  paoureulx,  dont 
entre  eulx  y  peut  avoir  quelqun,  par  craincte  des  orions 
qui  la  se  donneront  a  tour  de  bras,  par  avanture 
prend  la  fuyte,  Dieu  scet  quelle  suyte  des  autres  il 
aura.  Car  la  manière  de  commune  tient  tel  desarroy 
en  bataille  que  le  premier  qui  desloge  actraict  tous 
les  autres  et  a  fuyr  les  convye  ;  ayant  tel  desordre  au 
surplus  que,  après  esbranler,  james  ne  se  ralyent. 
Dont  mon  oppinion  est  qu'ilz  soyent  tost  assaillys  et 
chargez  roidement.  »  Laquelle  oppinion  fut  tenue  de 
tous,  et  ordonné  par  ledit  messire  Charles  d'Amboise, 
lieutenant  du  Roy,  que  celuy  messire  Jacques  de  Cha- 
bannes,  seigneur  de  La  Palixe,  auroit  ceste  charge; 
et  que  avecques  luy  auroit  troys  mille  hommes  de  pié 
françoys  et  quelque  nombre  d'autres  gens  d'armes 
qu'il  vouldroit  choisir  par  les  compaignyes.  L[a]quelle 
charge  printvoluntiers  ledit  seigneur  de  La  Palixe.  Et, 
saichant  celle  entreprise,  plusieurs  seigneurs  et  autres 
gentishommes  qui  la  estoyent  disrent  que  sans  eulx 
ne  se  feroit  la  menée,  et  que  messir-e  Jacques  de  Cha- 
bannes,  que  chascun  suyvoit  voluluntiers  (sic),  n'yroit 
a  ladite  montaigne  qu'ilz  ne  fussent  avecques  luy,  et 
tant  que  chascun  se  convyoit  a  ce  banquet  ;  dont  se 
délibérèrent  plus  de  cent  des  pencionnayres  et  autres 
gentishommes  du  Roy  de  ce  trouver  a  cest  affaire. 


190  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 


XXI. 

Gommant  le  Roy  partit  d'Allixandrie  pour  s'en 

ALLER  joindre  A  SON  ARMÉE,   QUI  MARGHOIT  DROICT 

A  Gennes. 

Le  Roy,  qui  d'Allixandrie  savoit  a  toute  heure  nou- 
velles de  son  armée,  se  voullant  joindre  a  elle,  partit 
de  ladite  ville  d'Allixandrye,  le  kkiii"^^  du  moys  d'ap- 
vril,  sur  les  vu  heures  du  matin  ^  après  la  messe 
ouye^,  ayant  disné  légèrement  et  estant  armé  de  toutes 
pièces,  monté  sur  ung  coursier  blanc  bardé  de  blanc 
avecques  ung  soye  de  mesme  coulleur  et  broché  d'or. 

1.  Une  miniature  du  Voyage  de  Gênes  (fol.  15  y°)  représente  la 
sortie  d'Alexandrie.  Le  roi  est  vêtu,  comme  le  dit  Jean  d'Auton, 
d'un  sayon  blanc  (probablement  de  soie)  brodé  de  ruches  d'or  et 
d'abeilles  d'or.  Sur  les  bordures  du  vêtement  royal  et  de  la 
housse  pareille  du  coursier  est  brodée  la  devise  :  Non  utilur 
aculeo  rex  nosler.  Le  roi  porte  sur  la  tête  sept  grandes  plumes 
blanches.  Le  blanc  (hermine  de  Bretagne)  était  la  couleur  de  la 
reine  Anne.  Louis  XII  portait  toujours,  en  campagne,  un  très 
haut  panache  blanc  et  son  cheval  de  môme  était  empanaché.  Ses 
comptes  de  1509  nous  montrent  qu'avec  son  économie  habituelle 
il  portait  ordinairement  un  vieux  plumet  soigneusement  réparé 
(KK.  86,  LU  v").  Mais,  le  jour  de  la  bataille  d'Agnadel,  il  arbora 
un  gra,nd  panache  tout  neuf,  composé  de  douze  énormes  plumes, 
sortant  de  trente-deux  plumes  basses,  fixées  sur  un  bourrelet 
avec  une  garniture  de  neuf  petites  plumes,  le  tout  «  chargé  de 
paillettes,  branslans  (d'orfèvrerie)  et  frangé  de  franges  d'or  » 
(ibid.,  lu).  Dans  la  mêlée,  à  laquelle  Louis  XII  prit  une  part 
active,  toute  l'armée  pouvait  voir  ce  grand  panache  blanc. 

2.  Cf.  Desjardins,  II,  238.  Le  registre  de  ses  otl'randes  est  resté 
en  blanc  pour  ce  jour-là. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  PARTIT  D'ALLIXANDRIE.  191 

Et  ainsi,  avecques  ses  princes,  seigneurs  et  gentis- 
hommes  de  sa  maison  et  archiers  de  la  garde,  tous 
armez  avecques  luy,  chevaucha  de  son  iogis  par  la 
grand  rue  et  le  long  de  la  place,  ou  avoit  la  grant 
nombre  de  dames  et  autres  des  seigneurs  et  du  peuple 
de  la  ville  ;  dont  les  dames  disoyent  a  la  passée  :  «  Ha  ! 
que  grant  dommage  est  de  tant  de  grans  princes  et 
seigneurs  et  beaulx  gentishommes  de  France,  qui  s'en 
vont  prendre  leur  fin  et  mourir  a  Gennes  !  Ja  n'en  res- 
chappera  ung  tout  seul  !  »  disoient  ses  pauvres  dames; 
et  de  vray  pensoyent  que  Gennes,  coustumiere  d'ob- 
tenir victoires,  deust  tout  mectre  a  sac;  ce  que  eussent 
bien  voulu  aucuns  d'Allixandrie,  qui  par  avanture  y 
avoient  de  leurs  frères  ou  voysins,  comme  fut  dit  par 
après. 

Or,  s'en  va  le  Roy,  chevauchant  tout  armé,  d'Allixan- 
drie a  ung  lieu  nommé  le  Boscq,  mauvays  françoys; 
du  Boscq*  a  Gavy^  et  a  Bourg  de  Buzalle,  qui  estoit 
tout  en  feu.  Audit  lieu  de  Bourg  arriva  le  Roy,  le  sap- 
mady,  que  le  lieutenant  et  les  capitaines  de  son  armée 
avoyent  tenu  le  conseil  d'aller  donner  sur  les  villains 
de  la  montaigne  de  Gennes;  ce  qui  fut  faict. 

1.  Il  couche  le  23  à  Gavi,  le  24  à  «  Bosq  »  ou  «  Vosque,  »  que 
les  Florentins  appellent  «  Borgo  di  Fenari,  »  le  25  à  Boschetto, 
où  il  s'arrêta  jusqu'à  son  entrée  à  Gênes  (KK.  88  ;  Desjardins, 
II,  238). 

2.  Gavi  était  un  château  très  fort  appartenant  à  Bernardino 
Guasco  (Desimoni,  Cronaca  di  Genova,  da  Aless.  Salvago,  p.  125). 


192  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

XXII. 

Gommant  messire  Jacques  de  Ghabbannes,  seigneur 
DE  La  Palixe,  avecques  plusieurs  gentishommes 

FRANÇOYS  ET  GENS  DE  PIÉ,  FUT  ASSAILLIR  LA  MON- 
TAIGNE DE  GeNNES  ;  ET  DE  LA  PRISE  d'uNG  BASTION 
ET  AUTRES  FORS,  ET  d'uNE  BATAILLE  FAICTE  SUR 
LADITE   MONTAIGNE  ^ 

Ung  dimenche,  xxiiiP^-  jour  du  moys  d'apvril,  en 
l'an  mil  cincq  cens  et  vu,  messire  Jacques  de  Ghab- 
bannes, seigneur  de  La  Palixe,  sur  le  point  de  v  heures 
du  matin,  après  la  messe  ouye,  partit  du  Pontedesme, 
avecques  m  mille  hommes  de  pié  et  aucuns  gentis- 
hommes armez  et  montez  legierement,  et  se  mict  en 
marche  droict  a  Gennes.  Lequel  ne  fut  si  tost  party 
que  grant  nombre  de  gentishommes  de  la  maison  et 
des  pencionnaires  du  Roy  ne  s'armassent  pour  aller 
après,  lesquelz  disrent  a  messire  Gharles  d'Amboise, 
lieutenant  du  Roy,  qu'ilz  yroient  voluntiers  après,  en 
luy  pryant  qu'il  luy  pleust  que,  sans  eulx,  ledit  sei- 
gneur de  La  Palixe  ne  montast  ladicte  montaigne  ou 
commainçast  le  hutin.  A  quoy  différa  le  lieutenant  du 
Roy,  disant  :  «  Je  n'ay  pas  transmys  le  seigneur  de 
La  Palixe  pour  donner  la  bataille  a  noz  ennemys,  mais 
seullement  pour  adviser  la  montée  plus  aisée  et  assail- 
lir quelque  maison  au  bas  de  ladicte  montaigne,  ou 

1.  Une  miniature  du  Voyage  de  Gênes  (fol.  17  v")  représente  la 
prise  du  bastion. 

2.  25  avril  [la  Gonqueste  de  Gennes)  ;  cette  date  résulte  aussi  do 
ce  qu'a  dit  Jean  d'Auton  lui-même  au  chapitre  xx. 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.        193 

est  quelque  nombre  de  villains  qui  gardent  ce  passage  ; 
et  ausi  n'est  heure  ne  lieu  de  leur  donner  ancores  la 
bataille,  s'ilz  ne  descendent  en  plaine  ;  ce  que  ne  feront, 
car  ilz  ont  sur  nous  l'avantage  des  montaignes.  Par  quoy 
n'est  mestier,  pour  ceste  première  foys,  faire  grant 
effort,  mais  seullement  veoir  leur  manière  et  espier 
les  lieux.  »  Sur  ce,  firent  responce  lesdits  gentis- 
hommes*  :  «  Nous  savons  bien  que  les  lieux  des  mon- 
taignes sont  difïicilles  pour  nous  et  adventageulx  pour 
les  ennemys  ;  mais  tant  y  a  que,  si  le  seigneur  de  La 
Palixe,  que  avez  la  envoyé,  les  rancontre,  quelque 
puissance  ou  lieu  avantageulx  qu'ilz  ayent ,  nous  sum- 
mes  tous  asseurez  qu'il  donnera  au  travers,  quelque 
chose  qu'il  en  doye  advenir.  Dont  est  requis  que, 
avecques  ses  gens  de  pié,  aye  quelque  nombre  de 
gens  bien  armez  pour  soustenir  ung  faix,  s'il  en  est 
besoing.  »  Et,  pour  ce,  le  prièrent  de  rechief  qu'ilz  y 
allassent  :  «  Or,  allez  doncques,  dist  il,  et  gardez  sur 
tout,  a  ceste  première  charge,  de  ne  bazarder  par 
trop  vostre  affaire;  car  le  lieu  ou  sont  noz  enne- 
mys est  moult  avantageulx  pour  eulx.  »  A  chief  de  ses 
paroUes,  grant  nombre  de  gentishommes,  bien  armez 
et  montez  sur  bas  chevaulx,  se  ipectent  après  a 
course  de  cheval,  et  tant  que,  avecques  le  seigneur 
de  La  Palixe  et  ses  piétons,  se  trouvèrent  au  droict 
d'ung  petit  bourg  nommé  Rivereu-,  a  ung  mille  près 
de  Gennes. 


1.  D'après  Symphorien  Ghampier,  ce  serait  Bavard  qui,  avisant 
le  fort,  aurait  entraîné  les  gentilshommes  à  l'attaquer  directement 
à  l'assaut.  Le  Loyal  Serviteur  en  fait  honneur  entièrement  à 
Bayard,  dont  le  roi  aurait  suivi  les  conseils. 

2.  Rivarolo,  près  S.-Pier  d'Arena.  Cf.  Desjardins,  II,  239. 

IV  13 


194  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Et  de  la  commainça  le  seigneur  de  La  Palixe  a  regar- 
der la  montaigne  et  les  fors  qui  dedans  estoyent,  et 
tout  le  sommet  et  pendant  de  ladite  montaigne,  plains 
de  gens  armez,  qui  de  tous  costez  faisoyent  criz  et 
tiroyent  artillerye  sur  noz  gens.  Or,  avoient  iceulx 
Gennevoys  faict  sur  la  cyme  de  leur  montaigne  ung 
fort  bastion,  de  terre  percé  a  tous  costez,  et  mys 
dedans  grant  puissance  de  souldartz  et  force  artillerye. 
Et  est  assavoir  que  la  dedans  ceste  montaigne  sont 
deux  chemyns,  qui,  du  bas  de  la  grave  et  du  pié  de 
ladite  montaigne,  montent  droict  audit  bastyon  et  de 
la  descendent  a  Gennes  vers  le  chasteau  et  a  Besaigne  ; 
desquelz  chemins,  l'ung  est  près  de  l'issue  du  bourg 
de  Rivereu  comme  de  demy  gect  d'arc  ou  environ, 
regardant  vers  le  chemin  de  Gennes,  sur  main  senestre  ; 
l'autre,  outre  ledit  Rivereu,  loing  de  deux  gectz  d'arc, 
tirant  ausi  vers  Gennes,  du  costé  de  la  grave  ;  entre 
lesqueulx  deux  chemins  estoit  assis  ledit  bastyon,  sur 
le  sommet  du  mont.  Or  y  avoit,  sur  le  bort  et  au  tra- 
vers d'iceulx  chemins,  barrières  et  maisons  fortiffyées 
et  force  gens  d'armes  pour  les  garder.  De  l'autre  costé, 
sur  main  destre,  estoit  une  autre  montaigne,  de  la 
haulteur  et  pareille  de  ceste,  qui  pareillement  estoit 
toute  plaine  de  gens  armez. 

Ainsi  que  messire  Jacques  de  Chabbannes,  avecques 
ses  gens,  advisoit  le  lieu  pour  monter,  messire  Charles 
d'Amboise  fist  a  coup  marcher  toute  l'armée  et  tira 
celle  part.  Et,  premier  qu'elle  fust  la  arrivée,  ja  com- 
mainçoit  le  seigneur  de  La  Palixe  a  monter  avecques 
ses  gentishommes,  les  piétons  ung  peu  a  cartier,  tirant 
ledit  seigneur  de  La  Palixe,  par  le  chemin  plus  pro- 
chain de  Rivereu,  droict  a  une  maison  fortiffyé  sur  le 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DB  CHABBANNES,  ETC.       195 

bort  dudit  chemin,  hault  en  ladicte  montaigne  environ 
deux  gectz  de  pierre. 

Au  point  que  le  seigneur  de  La  Palixe  comainçoit  a 
monter,  toute  l'armée  de  France  arriva  sur  le  lieu.  La 
furent  tous  les  gens  d'armes  a  cheval  et  les  Allemans 
et  piétons  françoys  viz  a  viz  dudit  bastion^,  dont  tirè- 
rent les  Gennevoys  coups  d'artillerye  a  pierre  perdue 
au  travers  de  l'armée  et  du  camp  sans  faire  que  peu 
de  mal  ;  car  la  pluspart  de  leurs  coups  passoyent  par 
dessus,  pour  ce  qu'ilz  venoyent  d'amont. 

Messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy, 
voyant  monter  le  seigneur  de  La  Palixe  avecques  ses 
gens  et  adresser  vers  la  maison  fortiffyée  sur  le  bort 
du  chemin  et  les  montaignes  couvertes  d'ennemys, 
comanda  a  messire  Fol  de  Beusserailhe,  maistre  de 
l'artillerye,  que  tout  soubdainement  il  fist  monter  sur 
la  montaigne  quatre  faulcons  et  qu'ilz  fussent  mys  en 
lieu  propice  pour  tirer  contre  la  maison  que  le  seigneur 
de  la  Palixe  alloit  assaillir  et  au  travers  des  villains 
qui  estoyent  sur  ladite  montaigne  a  grosses  trouppes. 
Et,  tout  en  l'eure,  celuy  maistre  de  l'artillerye,  avec- 
ques les  commissaires  d'icelle,  qui  estoient  Estienne 
de  Ghampellays,  Guerin  Maugué,  Perot  d'Oignoiz  et 
Loys  Benoist,  firent  monter  quatre  faulcons,  dont  le 
premier  fut  monté  par  les  pyonnyers,  les  autres  troys 
a  force  de  chevaulx  et  de  casbles,  et  furent  mys  au 
pendant  de  ladite  montaigne,  entre  le  bourg  de  Rive- 
reu  et  le  chemin  ou  estoit  ladite  maison,  et  la  tauldis- 

1.  Ce  fort  renfermait  quatre  faucons,  deux  canons  de  fonte  et 
une  forte  artillerie  de  fer  :  huit  à  dix  pièces  d'artillerie,  d'après 
la  Bataille  et  assault.  Il  avait  pour  objet  d'isoler  l'armée  assié- 
geante du  Gastelletlo  {la  Conqueste  de  Gennes). 


196  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

sez  et  assix  ;  et,  pour  iceulx  tirer,  ung  nommé  Ferry 
Utel  et  quatre  autres  cannoniers  furent  la  mys  et 
ordonnez.  Deux  autres  groux  canons  furent  mys  au 
pié  de  la  montaigne  pour  tirer  contre  le  bastyon 
d'amont  ;  et  furent  la  ordonnez  troys  cannoniers, 
nommez  Jacques  Daussel,  Thibault  Darchet  et  Pierre 
de  Sallenove. 

A  ceste  mesme  heure,  messire  Charles  d'Amboise, 
lieutenant  gênerai  de  l'armée  du  Roy,  fist  chevallier 
ung  nommé  maistre  Thomas  Bouyer,  gênerai  de  Nor- 
mandie^, lequel  fut  la  au  camp,  armé  de  toutes  pièces, 
vestu  d'ung  soye  de  drap  d'or  et  monté  sur  ung  bon 
courcier. 

Le  seigneur  de  La  PaHxe,  avecques  grant  nombre 
de  gentishommes  armez,  s'efforçoit  a  toute  puissance 
de  gaigner  la  montaigne,  laquelle  estoit  droicte  a  mer- 
veilles et  haulte  d'une  lieue  de  chemin  ou  de  près.  Et, 
pour  ce  que  j'estoye  lors  sur  le  lieu  et  viz  iceulx  gen- 
tishommes monter  et  partie  de  leur  exploict,  aucuns 
d'iceulx  ay  voulu  nommer  icy  :  premièrement,  messire 
Jacques  de  Ghabbannes,  seigneur  de  La  Palixe  et  chief 
de  la  bende  ;  Jehan  Stuart,  duc  d'Albanye;  Jacques- 
de  Bourbon,  comte  de  Roussillon  ;  Jacques  de  Rohan, 
seigneur  de  Léon;  René  d'Anjou,  seigneur  de  Mai- 
zieres;  Jehan  de  la  Chambre,  vicomte  de  Moryenne; 

4.  La  Prinse  du  bastillon  note  aussi  ce  fait,  pourtant  assez 
bizarre,  étant  donnée  surtout  l'animosité  qui  régnait  contre  les 
gens  de  finance.  Thomas  Bohier,  général  des  finances  de  Nor- 
mandie, plus  tard  lieutenant  général  du  roi  en  Italie,  était  un 
homme  de  cour  {Titres  orig.,  Bohier),  de  la  grande  famille  finan- 
cière Bohier.  De  plus,  il  épousa  Catherine  Briçonnet  (Breton- 
neau,  Histoire  généalogique  des  Briçonnet). 

2.  Charles. 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.       197 

René  de  Bretaigne,  comte  de  Pointhievrc  ;  le  vicomte 
de  Rodez;  Audet  de  Foix,  seigneur  de  Barbazant; 
Andrieu  de  Foix  *  ;  messire  Roger,  baron  de  Beart  ; 
messire  Mery  de  Rochechouart,  seigneur  de  Mortemar  ; 
messire  Germain  de  Bonneval,  gouverneur  de  Limou- 
sin; Loys  de  Janlys,  seigneur  de  Monmor;  Françoys 
de  Cresol,  seigneur  de  Beaudisner;  messire  Jehan 
Picart,  bailliy  (sic)  d'Estellan  ;  Pierre  de  Bayart  ;  le  sei- 
gneur d'Arpajon-  ;  Marc  du  Fresne  ;  Ymbault  de  Roma- 
nieu  ;  le  Basque  nommé  Pierre  de  Tardes  ;  Adryen  Tier- 
cellin,  seigneur  de  Brosses  ;  Jehan  de  Sainct  Amadour; 
ung  nommé  Gytain,  et  grant  nombre  d'autres,  dont 
la  pluspart  estoit  a  pié  et  les  aultres  sur  petiz  cour- 
taulx,  pour  les  mener  jucques  au  lieu  ou  seroit  besoing 
de  combatre  ;  et,  ce  pendant  qu'ilz  marchoyent,  les 
villains  d'amont  ruoyent  grosses  pierres  le  long  de  la 
montaigne,  tiroyent  trect  et  artillerye  et  faisoyent  du 
sanglant  pys  qu'ilz  pouvoyent  et  se  monstroyent  sur 
ladite  montaigne  en  nombre  de  plus  de  xxx  mille 
hommes^;  dont  messire  Charles  d'Amboise,  ayant  la 
charge  de  toute  l'armée,  voyant  si  grosse  puissance 
d'ennemys,  doubtant  que  le  seigneur  de  La  Palixe  et 
ses  gens  ne  fussent  assez  pour  soustetiir  le  faix  de  tant 
d'ennemys,  volut  la  faire  monter  troys  mille  AUemans. 
Lesquelz  refusèrent  la  haye,  disant  qu'ilz  ne  se  depar- 
tyroyent  point,  s'ilz  ne  montoyent  tous  ensemble,  et 
plusieurs  foys  refusèrent  a  monter^.  Toutesfoys,  par 

1.  Seigneur  d'Asparrotz,  frère  du  précédent. 

2.  Jean  d'Arpajon,  baron  d'Arpajon. 

3.  8,000,  d'après  la  Conqueste,  étaient  renfermés  dans  le  fort, 
dont  6,000  sortirent;  6  à  8,000  étaient  sur  l'autre  montagne.  Sal- 
vago  dit  40,000,  la  Prinse  du  bastillon  24  à  25,000. 

4.  Ce  refus  est  confirmé  par  le  rapport  des  ambassadeurs  flo- 


198  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

belles  remonstranses  qu'il  leur  fist,  et  voyant  tant  de 
drap  d'or  monter,  heurent  honte  du  reffus  et  commain- 
cerent  a  sortir  de  leur  rym  ;  mais,  premier  que  vou- 
loir monter,  demandèrent  des  gens  de  cheval  a  leur 
queuhe,  pour  arrester  les  ennemys,  quant  ce  viendroit 
a  l'excution  ;  dont  leur  fut  baillé  le  capitaine  Fontrailles, 
avecques  cincquante  hommes  a  cheval,  lesquelz  se 
misrent  a  la  queuhe  d'iceulx  Allemans.  Et,  ce  faict, 
regardèrent  amont,  et,  voyant  grosse  bataille  d'enne- 
mys  en  ordre,  en  montant  baisèrent  la  terre  et  croi- 
sèrent les  bras  deux  ou  troys  foys  et  firent  longues 
cerymonies,  tant  que,  pour  les  achemyner,  ledit  lieu- 
tenant du  Roy  fist  marcher  devant  eulx,  tout  au  droict 
du  bastion,  Jacques  d'Allègre,  seigneur  de  Milho  ;  mis- 
sire  Yves  de  Malherbe  ;  Peralte ,  espaignol  ;  Pomme- 
roul^  et  quelques  aultres  capitaines  de  gens  de  pié, 
avecques  troys  mille  piétons^  ;  aussi  montèrent  messire 
Robert  Stuart,  avecques  quatre  vingtz  de  ses  archiers, 
tous  a  pié  ;  Mollart,  allemant,  capitaine  de  gens  de 


rentins,  mais  non  par  la  Conqueste,  d'après  laquelle  les  Suisses 
-ffécit  officiel)  n'auraient  baissé  leurs  piques  que  pour  baiser  la 
terre.  Saint-Gelais  place  le  refus  des  Suisses  au  commencement 
de  l'action  :  les  Suisses  auraient  répondu  qu'ils  ne  voulaient  pas 
«  gravir  de  montaignes,  »  prétention  singulière  pour  des  gens  de 
leur  pays.  Devant  ce  refus,  qui  exaspéra  l'armée  française,  les 
gentilshommes  du  roi  s'élancèrent  seuls  à  l'assaut,  comme  on  l'a 
vu  plus  haut.  C'est  alors  que  Ghaumont  parvint  enfin  à  fléchir 
les  Suisses  à  force  de  promesses.  La  Prinse  du  baslillon  dit  sim- 
plement que  les  Suisses  firent  «  les  serimonies  acoustumées,  pos- 
teries  en  terre,  les  traictz  en  croix,  et  les  picques  baissées.  » 

1.  Jean  Pommereuil,  seigneur  du  Plessis-Brion. 

2.  L'assaut,  d'après  la  Conqueste,  comprenait  1,800  Suisses, 
2,000  hommes  de  pied,  les  Albanais  et  grand  nombre  de  gentils- 
hommes do  la  maison.  Il  y  avait  en  tout  3,500  Suisses, 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CUABBANNES,  ETC.       199 

pié.  Et  a  la  queuhe  de  leurs  gens  estoient  messire 
Anthoine  Marye  de  Sainct  Severin,  avecques  quarante 
arbalestiers.  Ausi  y  estoit  messire  Phillebert  de  Gler- 
mont,  seigneur  de  Montoison,  lequel  menoit  xv  hommes 
d'armes  et  xxx  archiers  a  cheval,  montez  legierement 
et  armez  a  la  bastarde. 

Messire  Jacques  de  Ghabbanes,  seigneur  de  La  Pahxe, 
et  les  gens  de  sa  bende  approchèrent  la  maison,  ou 
grant  nombre  de  Gennevoys  s'estoyent  fortiffiez;  et, 
pour  savoir  qu'ilz  vouldroyent  dire,  leur  transmist 
XL  arbalestiers  a  cheval  pour  escarmoucher,  lesquelz 
chargèrent  bien  a  point,  a  grans  coups  de  trect.  Mais, 
pour  ce  que  le  lieu  estoit  mal  a  main  pour  gens  de 
cheval,  pour  l'empeschement  de  la  montaigne,  qui 
estoit  droicte,  ne  leur  sceurent  gueres  nuyre,  et,  a  la 
fin,  a  coups  de  trect  et  de  main,  furent  repoussez 
bientost.  Ausi  estoient  aucuns  de  noz  gens  de  pié  mon- 
tez si  hault  qu'ilz  avoyent  trouvé  leurs  ennemys  en 
barbe,  qui  pareillement  les  avoyent  renvoyez  bien 
lourdement  et  se  retiroyent  ;  dont  le  seigneur  de  La 
Palixe,  voyant  aucuns  d'iceulx  recuUer,  leur  escrya  : 
«  Tournez,  dist  il,  ribaulx,  tournez!  car,  s'il  y  en  a 
ung  a  qui  je  voye  desmarcher  ung  seul  pas,  je  le  feray 
tailler  en  pièces.  »  Et  la  fut  ung  gentilhomme  nommé 
Pierre  de  Bayart,  lequel  s'adressa  a  aucuns  de  ceulx 
qui  s'estoyent  reculez,  et  a  tour  de  bras  commainça 
a  charger,  et  tant  que  ilz  tournèrent  en  avant.  Tantost 
fut  la  maison  ou  les  Gennevoys  s'etoyent  fortiffyez, 
par  le  seigneur  de  La  Palixe  et  ses  gens,  a  grans  coups, 
assaillye  et  approchée  jucques  a  combatre  main  a  main. 
La  misrent  pié  a  terre  ceulx  qui  avoyent  chevaulx,  et 
se  joignirent  tous  ensemble.  Geulx  du  dedans  ne  se 


200  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

defîendirent  longuement;  car,  ainsi  qu'on  les  assailloit, 
ung  canonnier  nommé  Ferry  Utel,  provost  de  Tartil- 
lerye,  estant  a  ung  rampar  entre  Rivereu  et  ladite 
maison,  adressa  la  ung  coup  d'ung  gros  canon,  telle- 
ment qu'il  persa  ladite  maison  tout  au  travers  et  tua 
deux  hommes  gennevoys  ;  ce  faicl,  qui  peut  fuyr  de  la 
ne  fist  autre  demeure;  ainsi  habbandonnerent  le  fort, 
et  a  mont.  A  ceste  première  rancontre,  les  villains  qui 
estoient  en  la  montaigne  tirèrent  artillerye  a  toutes 
mains,  et  tant  de  trect  qu'il  tumboyent  menu  comme 
goûtes  de  pluye. 

Grant  challeur  faisoit  lors,  dont  a  grant  peine  mon- 
toyent  les  gentishommes  et  autres,  qui  estoient  armez 
de  toutes  pièces  et  a  pié.  Advint  que,  pour  la  force  du 
chault,  le  seigneur  de  La  Palixe  mist  bas  et  avala  sa 
gorgerecte,  laquelle  estoit  double  et  toute  eschauffée 
pour  la  challeur  du  souleil  ;  et,  comme  chascun  s'ef- 
forçoit  de  monter,  ung  trect  vint  d'amont  donner 
droict  au  deffault  de  la  gorgerecte  dudit  seigneur  de 
La  Palixe  et  luy  entra  en  devallant  bas  dedans  la  gorge 
bien  quatre  doiz;  de  quoy  ne  tint  compte,  mais  mar- 
cha encores  en  avant,  disant  :  «  Ce  n'est  rien,  ce  n'est 
rien  !  »  et  arracha  le  trect,  dont  incontinent  grant  force 
de  sang  commainça  a  saillir  de  la  gorge,  et  tant  qu'il 
ne  peut  plus  tirer  avant,  car  ja  avoit  perdu  moult  de 
sang.  Toutesfoys  ne  s'esbahist  de  rien,  mais,  tout  en 
riant,  dist  :  «  Je  n'ay  nul  mal,  si  n'est  que  ma  douleur 
est  seullement  pour  ce  que  je  ne  puys,  a  mon  voulloir 
et  a  ce  besoing,  servir  le  Roy  et  me  trouver  a  la 
bataille  contre  ses  villains,  lesquelz,  sans  faillir,  a  l'aide 
de  Dieu  et  des  grans  coups  (|ue  vous,  messcigneurs, 
donnerez  aujourd'uy,  seront  defîaictz.  Or,  allez  soubz 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.        201 

la  main  de  Dieu,  qui  vous  soit  aujourd'uy  secourable. 
Monseigneur  le  duc  d'Albanye,  s'il  vous  plaist,  dist  il, 
vous  prendrez  la  charge  de  conduyre  le  demeurant  de 
ceste  entreprise  ;  et  vous,  messeigneurs  et  aniys,  je 
vous  supplye  que  aujourd'uy  vous  ayez  vostre  honneur 
et  les  affaires  du  Roy  sur  toutes  choses  pour  recom- 
mandées. »  Ce  dit,  se  fist  enmener  par  ung  gentil- 
homme nommé  Anthoyne  du  Cartier,  maistre  d'ostel 
de  messire  Charles  d'Amboise,  et  se  fist  pencer  en  une 
maison  près  de  la. 

Le  duc  d'Albanye,  qui  avoit  la  charge  de  ceste 
menée,  marcha  hardyment  avecques  tous  les  autres 
gentishommes  et  piétons  qui  chemynoient  a  Cartier 
d'eulx;  et  tant  marchèrent  que,  dedans  une  petite 
plaine  près  d'une  montaignette ,  et  a  ung  gect  de 
pierre  du  sommet  de  la  montaigne,  trouvèrent  bien 
cincq  cens  Gennevoys  la  râliez  ensemble.  Le  lieu  estoit 
assez  aisé  et  propice  pour  combatre,  mais  avantai- 
geulx  pour  les  Gennevoys,  car  il  failloit  monter  hault 
pour  gaigner  ladicte  place.  La  se  rangèrent  les  Genne- 
voys, et,  a  coups  de  haquebutes,  de  trect  et  de  pierres, 
chargèrent  noz  gens  bien  rudement  et  en  blecerent 
plusieurs;  desquelz  furent  Audet  dcFoix,  lequel  eut 
ung  coup  de  trect  en  la  cuisse,  mais  pour  ce  ne  s'ar- 
resta.  Ausi  y  fut  blecé  ung  gentilhomme  de  Gascoigne, 
nommé  Estienne  de  Garnac  ;  et,  ainsi  que  messire  Ger- 
main de  Bonneval  descendoit  de  dessus  une  petite 
haquenée,  pour  vouloir  combatre  a  pié,  fut  failly  d'ung 
cop  de  trect,  lequel  sadite  hacquenée  receupt.  Longue- 
ment fut  a  ce  lieu  combatu,  et  par  force  la  place  gai- 
gnée  et  les  Gennevoys  chacez  et  suyvis  jucques  au 
sommet  de  ladicte  montaigne  ;  et  est  assavoir  que  pie- 


202  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

tons  françoys  et  allemans  se  misrent  a  la  chace  par  les 
montaignes  en  divers  lieux,  après  les  Gennevoys,  dont 
les  Allemans  en  encloussirent ,  près  du  sommet  de 
ladite  montaigne,  bien  deux  cens,  lesquelz  furent  tous 
degoillez  et  despoillez  en  l'eure.  La  ausi  est  oient  a  che- 
val Françoys  de  Maugyron,  lieutenant  de  Mollart,  alle- 
mant;  Jacques  du  Mas,  seigneur  de  l'ïsle;  Huguet 
d'Asnieres  ;  Pierre  de  la  Bouclierye  ;  ung  nommé  Tar- 
tarin  et  vni  hommes  d'armes  de  ceulx  de  Fontrailles  ; 
messire  Mercure  avecques  ses  Albanoys  ;  lesquelz  firent 
une  sanglante  excution  de  Gennevoys,  qui  tousjours 
se  deffendoyent,  en  eulx  retirant  a  la  cyme  de  la  mon- 
taigne, et  tant  de  trect  tiroyent  que  bien  iiii"  de  ceulx 
des  gens  de  pié,  que  françoys  que  allemans,  y  mou- 
rurent, et  y  eut  de  blecez  bien  quatre  cens  ou  plus, 
car  ausi  estoyent  ilz  mal  armez.  Le  seigneur  deMilho, 
Malherbe,  Peralte  et  Pomeroul*,  avecques  quelques 
aultres  capitaines  de  leurs  bendes,  marchèrent  tout  au 
droict  de  ladite  montaigne  au  bastion.  Les  Allemans  et 
les  autres  gens  de  pié,  avecques  les  chevaucheurs 
qu'ilz  avoyent  en  queuhe,  marchèrent  ausi  rondement 
droict  amont.  Et,  voyant  iceulx  Gennevoys  que  de 
toutes  pars  leur  montaigne  estoit  assaillye  et  que  les 
Françoys  approchoyent  leur  bastion,  habandonnerent 
leur  fort  et  misrent  le  feu  dedans  leurs  pouidres.  La 
monta  des  premiers  Jacques  d'Allègre  et  prist  l'estan- 
dart  de  sa  bende,  puys  tout  le  premier  entra  dedans 
ledit  bastyon,  tout  plain  de  feu  et  de  fumée  de  la 
pouldre  qui  ja  estoit  bruslée,  et  mist  son  estandart 
dessus  celuy  bastion''^.  Les  Allemens  et  autres  gens  de 

1.  «  Mallarbe,  Millaut  et  Pommereux  b  {la  Bataille  et  assault). 

2.  La  relation  officielle  s'accorde  avec  d'Autun  sur  ce  point 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.       203 

pié  f'rançoys  tuèrent  la  tous  les  Gennevoys  qu'il  y  trou- 
vèrent^ et  donnèrent  la  chace  aux  fuyons  jucques  contre 
les  portes  de  Gennes. 

Ainsi  que  ce  chaplys  duroit  et  que  les  Françoys 
gaignoyent  la  montaigne,  au  bas,  a  l'entrée  du  chemin 
par  lequel  on  monte  droict  au  bastyon,  avoit  une  forte 
barrière  sur  le  gravier,  ou  estoyent  la  pour  la  garde 
d'icelle  mille  ou  xii  cens  hommes  de  guerre  genne- 
voys, pensant  que  la  venue  des  Françoys  se  feroit  par 
la.  Et,  ce  pendant  que  ceulx  qui  alloyent  en  la  bataille 
montoyent  a  mont,  ceulx  de  ladite  barrière  ennuyoient 
moult  les  gens  d'armes,  tant  de  trect  que  d'artillerye 
et  des  saillyes  qu'ilz  faisoyent  sur  le  camp  ;  dont  le 
lieutenant  du  Roy  y  fist  mener  troys  grosses  coulle- 
vrines  et  ung  canon  serpentin  pour  batre  ladite  bar- 
rière et  une  maison  qui  estoit  au  dessus  ;  et  aussi  fist 
marcher  une  bende  de  Suyces,  lesquelz,  voyant  ladite 
barrière,  dont  venoit  le  trect  et  artillerye  sans  cesser, 
ne  la  voulurent  assaillir,  mais  disrent  qu'il  yroyent 
voluntiers  a  la  bataille  ou  estoyent  allez  leurs  compai- 
gnons.  Et  lors  ung  nommé  messire  Rigault  Doreille, 
du  pays  d'Auvergne,  maistre  d'ostel  du  Roy,  s'en  alla 
vers  ladite  barrierre,  faignant  escarmoucher,  pour 
icelle  adviser  et  la  manière  des  Gennevoys  qui  la  gar- 
doyent  ;  et,  cela  veu,  en  s'en  retournant,  trouva  ung 
nommé  Guyon  Le  Roy,  seigneur  de  Ghillou,  auquel 

qu'on  occupa  le  fort  presque  sans  coup  férir.  D'après  Symphorien 
Ghampier,  Bayard  occupa  le  fort  après  avoir  solidement  combattu 
avec  Maugiron.  D'après  la  Bataille  et  assault,  on  tua  100  ou 
120  hommes,  on  en  perdit  30. 

1.  La  perte  des  Génois  fut  en  tout  de  1,500  à  1,600  hommes 
dans  la  journée,  celle  des  Français  minime  {la  Oonqueste). 


204  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

dist  :  «  Venez  voir  une  barrierre  que  les  Gennevoys 
tiennent,  laquelle  me  semble  assez  facille  a  gaigner,  et 
m'est  advys,  si  quelque  bonne  bende  de  gens  de  pié 
marchoit  celle  part,  que  bientost  seroit  gaignée  ;  et, 
qui  me  vouldra  bailler  ranfort,  je  prendray  sur  mon 
bonneur  de  l'emporter.  »  Geluy  Guyon  le  Roy  dist  : 
«  Pour  moy,  ne  tiendra  qu'elle  ne  soit  assaillye,  et  de 
ma  part  m'y  trouveray  voluntiers  avecques  vous.  » 
Et,  sur  ce  point,  ledit  messire  Rigault  s'en  va  hastive- 
ment  devers  messire  Gharles  d'Amboise,  lieutenant  de 
l'armée,  lequel  avoit  l'ueil  et  la  main  a  toute  heure  au 
besoing  de  l'affaire  ;  auquel  dist  messire  Rigault  : 
«  Monseigneur,  il  y  a  icy  près  sur  le  gravier,  a  l'en- 
trée d'ung  chemin  qui  va  droict  au  bastyon  d'amont, 
une  forte  barrière  et  grant  nombre  de  Gennevoys  qui 
la  gardent,  et  de  la  ennuyent  fort  l'armée  du  Roy  a 
coups  de  trect  et  d'artillerye  ;  par  quoy  me  semble 
qu'il  est  mestier  de  gaigner  ladicte  barrière,  laquelle 
n'abandonneront  iceulx  Gennevoys  pour  nostre  artil- 
lerye,  car  il  ont  des  taudys  ou  se  garantissent.  Et 
aussi  les  Allemans  que  avez  la  envoyez  pour  l'as- 
saillir ne  veullent  coup  donner,  combien  qu'elle  soit 
de  prise  et  facille  a  emporter  ;  car  j'ay  veu  et  advisé 
l'entrée,  qui  est  gaignable  pour  gens  de  pié;  pour  ce, 
s'il  vous  plaist  m'en  bailler  quelque  bonne  bende,  il 
m'est  advis,  et  me  semble  sans  faillir,  que  je  chaceray 
les  villains  et  gaigneray  ladite  barrière.  »  Messire 
Gharles  d'Amboise,  oyant  ce  propos,  luy  bailla  les 
cinquante  hommes  d'armes  et  cent  archiers  de  messire 
Yves  d' Allègre,  lesquelz  fist  tous  la  marcher  a  pié. 
Droict  a  ladite  barrière  adressa  messire  Rigault 
Doreille,  avecques  luy  ledit  Guyon  Le  Roy  et  ung 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.       205 

autre,  nommé  Phillebert  de  Beaujeu,  et  les  hommes 
d'armes  et  archiers  dudit  seigneur  d'Allègre.  La  fut 
ung  nommé  Anthoyne  de  Sainct  Nectaire  \  capitaine 
des  archiers,  lequel  marcha  droict  avecques  ses 
archiers  ;  et  a  la  queuhe  d'iceulx  estoit  ung  nommé 
James  de  Saincte  Golumbe,  lieutenant  de  ladite  com- 
paignye,  avecques  ses  hommes  d'armes,  tous  a  pié, 
lesquelz  marchèrent  droict  a  la  barrière,  dont  grans 
coups  de  trect  et  haquebutes  venoyent.  Et,  a  l'appro- 
cher, messire  Rigault  Doreille  dist  aux  gens  d'armes 
qui  le  su  y  voient  :  «  Marchez  hardyment  et  seurement, 
car  j'ay  veu  l'entrée  des  barrières,  laquelle  est  aisée, 
et  ja  sont  les  villains  esbranllez.  »  Ce  dit,  se  met 
devant  l'espée  au  poing,  et  la,  a  grans  patacz,  char- 
gèrent Françoys  sur  ceulx  de  la  barrière.  Les  archiers 
commaincerent  a  descocher  flèches  au  travers  de  la 
route  des  Gennevoys  ;  les  hommes  d'armes  pareille- 
ment se  meslerent  en  la  presse  et  chargèrent  tous 
ensemble,  en  manière  que  la  barrière  fut  habandonnée 
desdits  Gennevoys  et  gaignée  par  les  Françoys,  les- 
quelz leur  donnèrent  la  chace  jusques  a  une  maison 
estant  sur  le  bort  du  chemin  et  fortiffyée  de  gens  et 
d'artillerye.  James  de  Saincte  Golumbe,  avecques  ses 
gens  d'armes,  assaillit  celle  maison  si  très  vivement 
que  les  Gennevoys  l'abandonnèrent  et  se  misrent  a 
monter  la  montaigne  par  divers  lieulx. 

Alors  que  ses  exploictz  se  faisoyent,  les  gentis- 
hommes  et  autres,  qui  estoyent  montez  des  premiers, 
combatoyent  en  plusieurs  lieux  par  ladite  montaigne, 
dont  lesdits  Gennevoys,   qui   s'enfuyoient  de  ladite 

1.  En  Auvergne. 


206  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

barrière  a  mont,  furent  la  pluspart  rancontrez  des 
Allemans  et  gens  de  pié  françoys  ;  et  Dieu  scet  quelle 
composicion  ilz  eurent  !  Jusques  au  sommet  de  ladite 
montaigne  montèrent  les  Françoys  qui  avoyent  gaigné 
la  barrière  d'embas,  et  la  trouvèrent  grant  excution 
de  mors,  dont  il  y  en  eut,  scelon  l'extimede  plusieurs, 
environ  deux  mille  cinq  cens  Gennevoys,  et  des  Fran- 
çoys et  Allemans  bien  cent,  et  de  quatre  a  cinq  cens 
blecez. 

Tandis  que  les  Françoys  donnoyent  la  chace  et 
tuoyent  les  Gennevoys  par  les  montaignes,  a  l'autre 
costé  de  la  montaigne,  sur  main  dextre,  au  dessus 
d'une  abbaye  de  sainct  Benoist,  avoit  grant  nombre 
de  Gennevoys  armez.  Et,  ce  voyant,  le  lieutenant  du 
Roy,  qui  avoit  l'ueil  par  tout,  appella  ung  nommé 
Cossains,  capitaine  de  cinq  cens  laquays,  lequel  fist 
monter,  avecques  ses  piétons,  droict  ou  estoyent  les 
Gennevoys.  La,  sur  le  gravyer,  estoit  toute  l'armée  de 
France  en  ordre  sans  se  mouvoir  nullement,  dont 
aucuns  regardoyent  monter  ledit  Cossains  et  ses  pie- 
tons,  disant  que  sur  la  montaigne  avoit  moult  grant 
nombre  de  gens  armez,  et  que  c'estoit  bien  peu  de 
envoyer  cinq  cens  hommes  seuUement,  et  que  bon 
seroit  de  marcher  après  quelque  nombre  de  gens  a 
cheval  sur  la  queuhe  pour  les  secourir  si  besoing  en 
estoit.  Et,  sur  ce,  ung  nommé  Guillaume  GoufFyer,  de 
la  maison  de  Boisi,  lieutenant  des  cent  hommes 
d'armes  du  marquys  de  Mantoue,  et  aucuns  autres 
gens  d'armes  de  diverses  compaignyes,  estant  jusques 
au  nombre  de  xx  hommes  d'armes  et  archiers,  sor- 
tirent de  leur  ordre  et  lesserent  leur  enseigne,  tirant 
après  ledit  Cossains  et  ses  piétons,  qui  s'estoit  ja 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.        207 

assemblé  avecques  les  Gennevoys,  et  donné  dessus  si 
rudement  que  la  place  luy  estoit  demeurée.  Les  Gen- 
nevoys, qui  estoyent  des  villains  de  Poulcevre,  se 
misrent  en  fuyte  par  le  bas  de  ladite  montaigne,  les- 
quelz  furent  arrestez  par  les  gens  de  cheval  et  recba- 
cez  amont.  Les  laquays  de  Gossains  parreillement  les 
rambarrerent ,  en  manière  que  grant  partie  d'iceulx 
furent  encloulx.  Et  eulx,  cuydans  gaigner  ung  chemin 
au  dessus  d'une  abbaye  qui  est  au  bas  de  ladite  mon- 
taigne pour  tirer  a  Sainct  Pierre  d'Areine  et  a  Gennes, 
furent  la  arrestez,  chapplez  et  assommez  bien  cinq 
censS  comme  fut  dit  par  aucuns  de  ceulx  qui  avoyent 
esté  a  l'exploict. 

Ainsi  fut  gaigné  la  montaigne  nommée  la  montaigne 
des  Deux  Frères^,  pour  une  desconfîture  que  firent 
la  autres  foys  deux  frères  gennevoys  sur  leurs  enne- 
mys  ;  et  ausi  fut  gaigné  leur  bastyon  par  Jacques  d'Al- 
lègre, seigneur  de  Milho.  Ghascun  de  ceulx  qui  furent 
a  ce  faict  honnourable  s'i  aquicterent  tellement  que 
pour  eulx  y  aquirent  louange  inmortelle  et  renom  flo- 
rissant. Et  entre  autres  fut  donné  le  bruyt  a  messire 
Jacques  de  Ghabbannes,  conduyseur  de  la  première 
charge,  et  aux  gentishommes  de  sa,  bende,  lesquelz 
eurent  le  premier  hurt,  soustindrent  le  plus  grant 
faix  et  en  portèrent  plus  de  peine  ;  car  eulx,  armez  de 
toutes  pièces  et  a  pié  la  pluspart,  monsterent  ladite 
montaigne  haulte  a  merveilles  et  tant  droicte  qu'en 
plusieurs  endroictz  d'icelle  failloit  gripper  les  buissons 
et  monter  a  quatre  piedz.  Somme,  ce  fut  ung  œuvre 

1.  Trois  cents,  d'après  Guichardin. 

2.  Montagne  au-dessus  de  Gênes,  au  revers  de  laquelle  se  trouve 
l'aqueduc  Due  FrateUi. 


208  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  4507 

de  merveilles  a  tous  ceulx  qui  en  ouyrent  parler  et 
espouventable  a  tout  le  monde. 

Jusques  a  celle  heure  ne  sceurent  ceulx  du  chasteau 
le  vray  de  leur  secours,  car,  voyant  paravant  les  vil- 
lains  sur  les  montaignes,  pencoyent  que  de  la  veinssent 
assiéger  et  assaillir  le  chasteau.  Mais,  voyant  la  croix 
blanche  et  l'estandart  des  Françoys  sur  le  bastyon  et 
la  chace  qu'on  donnoit  aux  Gennevoys,  lesquelz  on 
tuhoit  a  la  veue  du  chasteau,  cognurent  qu'ilz  avoyent 
secours  et  que  l'armée  de  France  estoit  au  pié  des 
montaignes  et  dedans.  Par  lesquelles  choses  firent  ung 
cry  de  joie,  comme  s'ilz  fussent  ressuscitez  de  mort  a 
vye  ;  et  ausi  estoyent  ilz  en  grant  hazart,  car  leur  vin 
estoit  failly  et  leurs  autres  vivres  diminuez,  et  des 
souldartz  grant  partye  de  mors  et  les  autres  affoliez. 
Toutesfoys,  ceulx  qui  furent  sains  montèrent  sur  les 
murailles  et  la  firent  sonner  trompettes  et  tabourins 
en  tyrant  artillerye  au  travers  de  la  ville,  comme  si 
tout  deust  basir,  et  s'esbaudirent  joyeusement.  Messire 
Gallaaz,  voyant  du  chasteau  sur  le  hault  des  murailles 
du  palais  deux  estandartz  de  sainct  George,  fist  adres- 
ser une  grosse  serpentine  celle  part  et  tirer  si  a  droict 
que  d'ung  coup  rua  par  terre  ung  d'iceulx  estandartz; 
de  quoy  les  Gennevoys  furent  moult  esbahys  et  tant 
plus  ne  s'essayèrent  de  dresser  leur  estandart. 

Le  Roy,  qui  estoit  lors  a  Bourg  de  Buzalle,  sceut 
par  postes,  que  couroyent  aucuns  de  ses  varletz  de 
chambre,  les  nouvelles  de  la  prise  des  montaignes  et 
du  bastyon  et  comme  ses  gens  avoyent  gaigné  la 
bataille;  de  quoy  fut  moult  joyeulx  et  manda  a  messire 
Charles  d'Amboise,  son  lieutenant  gênerai,  que  le  len- 
demain il  seroit  a  son  armée. 


Avril  1507]  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.       209 

Apres  toutes  ses  choses,  gens  d'armes  furent  mys 
a  garder  le  bastyon  que  le  seigneur  de  Milho,  avec- 
ques  quelques  autres  capitaines  de  gens  de  pie  et  troys 
mille  laquoys  françoys,  eut  en  garde.  Ausi  furent 
ordoiuiez  troys  mille  Allemans  a  garder  la  montaigne. 
Car  ancores  tenoyent  les  Gennevoys  le  Castellatz  qu'ilz 
avoyent,  au  commancement  du  mutin,  gaigné  sur  noz 
gens.  Lequel  Castellatz  est  assis  au  pendant  de  la 
montaigne,  du  costé  de  Gennes,  contre  le  bastyon  et 
le  chasteau  a  main  senestre,  en  descendant  du  bas- 
tyon a  la  ville,  bien  garny  de  gens  et  d'artillerye,  pour 
ancores  tenir  longuement  et  amuser  l'armée.  Mais 
pour  ce  que  ja  estoit  sur  la  vesprée  et  près  de  nuyt, 
fut  dit  que  pour  ce  jour  ne  seroit  faict  autre  chose, 
si  n'est  que  gens  d'armes  furent  mys  autour  de  celuy 
castellatz  pour  garder  que  celle  nuyt  ne  fust  ranforcé 
de  gens  ou  de  vivres,  pour  celuy  assaillir  le  lendemain 
et  approcher  Gennes. 

Ce  faict,  gens  d'armes  furent  logez  et  mys  chascun 
a  son  Cartier  ;  l'avan  garde  fut  myse  près  de  Sainct 
Pierre  d'Areine,  a  la  venue  de  Gennes  ;  la  bataille,  viz 
a  viz  et  tout  autour  d'ung  gros  bourg,  nommé  Rivereu  ; 
l'artillerye  et  toutes  les  gens  de  pié,  eiître  la  bataille  et 
l'avan  garde ,  tout  au  droict  du  bastyon  ;  l'arriére 
garde,  au  dessoubz  du  bourg  de  Rivereu,  a  ung  grand 
gect  d'arc  loings  en  arrière  de  la  bataille.  La,  sur  les 
coustez,  et  au  pendans  des  montaignes,  avoit  grant 
nombre  de  palais  et  beaulx  logys  a  merveilles,  qui 
estoyent  des  seigneurs  et  marchantz  de  Gennes,  ou  la 
dedans  estoyent  logez  les  capitaines  et  seigneurs  qui 
la  estoyent.  Dedans  le  bourg  de  Rivereu  estoit  logé 
messire  Charles  d'Amboise,   heutenant  du   Roy,   et 

IV  14 


210  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

grant  conipaignye  de  gentishommes  du  Roy,  qui 
repaissoyent  tous  a  son  logis.  Ausi  tenoit  il  maison 
ouverte  a  tous  venans,  ou  ce  jour  me  trouvay  a  l'eure 
du  soupper  pour  en  avoir  ma  part  comme  les  autres. 
Tout  le  logys,  hault  et  bas,  estoit  plain  de  mordans. 
La  viz  arriver  plusieurs  des  gentishommes  qui  avoyent 
esté  a  la  bataille,  dont  aucuns  n'estoyent  ancores 
desarmez  de  leur  griefve  et  garde  braz,  tous  lassez, 
et  barboillez  le  visage  de  pouldre  et  de  sueur.  Chas- 
cun  parloit  la  de  l'affaire  de  la  guerre,  ou  je  ouys  et 
apris  beaucoup  de  choses  que  j'ay  cy  mises  par  escript. 

Sur  le  point  du  soupper,  devant  le  logis  du  lieute- 
nant du  Roy,  arriva  grant  flote  d'Allemans,  dont  les 
ungs  portoient  les  autres  a  leurs  coulz  et  sur  des  pic- 
ques,  tous  blecez  et  sanglantz  ;  lesquelz  fîst  monter  a 
mont,  et  iceulx  fist  repaistre  et  pencer  a  ses  despens 
et  tenir  audit  logis  jusques  ilz  fussent  guerys. 

A  toute  heure  luy  survenoit  nouvelles  de  la  guerre 
et  des  affaires  du  Roy  ;  et,  entre  autres,  au  comaince- 
ment  du  souper,  survint  ung  des  capitaines  des  Alle- 
mans  qui  avoit  monté  la  montaigne,  disant  que  iceulx 
Allemans  ne  demeureroyent  en  ladite  montaigne,  si 
leurs  compaignons  d'embas  n'y  alloyent,  ou  que  on 
leur  envoyast  quelque  autre  ramfort  pour  leur  ayder 
a  garder  ladite  montaigne.  Et,  tout  en  l'eure,  le  lieu- 
tenant du  Roy  laissa  le  soupper  et  a  toute  dilligence 
s'en  va  au  camp,  ou  prist  gens  d'armes  et  piétons 
jusques  au  nombre  de  deux  mille,  et  iceulx  fist  monter 
pour  aller  la  ou  estoient  les  Allemans  et  garder  la  mon- 
taigne avecques  eulx  ;  puys  s'en  alla  tout  au  long  du 
camp  veoir  l'ordre  de  ses  gens.  Et,  comme  celuy  qui 
avoit  la  charge  du  tout,  estoit  tousjours  en  piedz,  en 


Avril  i507J  GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.       211 

manière  qu'il  ne  dormoit  ne  nuyt  ne  jour,  mais  estoit 
tous  temps  par  chemin  de  lieu  en  lieu  pour  luy  mesmes 
veoir  asseoir  le  guect  du  soir,  et  de  la  mynuyt  et  du 
matin.  Et,  avecques  ce,  a  voit  mys  telle  pollice  et  pro- 
vision a  l'affaire  des  vivres  que  toute  la  vallée  de 
Poulcevre,  qui  contenoit  plus  de  xii  mille  de  pays, 
estoit  tousjours  plaine  de  vivendiers,  et  si  bien  estoit 
l'ost  garny  de  vivres  que  la  aussi  grant  marché  en 
estoit  que  en  la  meilleur  ville  de  France.  Toute  celle 
nuyt  fut  mys  gros  guet  et  escoutes  a  force  autour  de 
Gennes  et  sur  les  montaignes. 

Ausi  ne  dormoyent  pas  les  Gennevoys,  de  leur  part, 
combien  que  ilz  eussent  mal  faict  leurs  besongnes  le 
jour  de  devant.  La  estoit  leur  duc,  nommé  Paule  de 
Nove,  et  ung  autre  pizan,  nommé  Jacobus  Gorsus, 
lesquelz  avoyent  la  charge  de  l'armée  de  Gennes,  et 
avoyent  conduyt  ce  jour  l'armée  a  la  montaigne  et 
perdu  la  bataille,  comme  j'ay  dit.  Lesquelz  voyant  le 
commaincement  de  leur  maie  fortune,  pour  donner 
confort  et  espérance  au  peuple,  disrent  devant  tous  : 
«  Mess''%  sy  nous  avons  aujourd'uy  faicte  quelque  peu 
de  perte,  demain  recouvrerons  le  tout;  car  fortune, 
qui  oncques  ne  tourna  le  doulx  a  Gennes  que  a  ceste 
foys,  nous  sera  a  une  autre  secourable.  Si  noz  enne- 
mys,  les  Françoys,  occupent  partye  de  nostre  mon- 
taigne, ancores  avons  nous  le  castellatz  et  la  montaigne 
de  nostre  costé  a  délivre,  par  ou  pouvons  monter 
sans  leur  danger  jusques  a  mont,  et  la  leur  tenir  bas- 
tille et  pied  ferme.  Reprenons  doncques  nouveau  cou- 
raige  de  vertueulx  vouloir,  et  nous  efforçons  de  leur 
donner  ung  eschec.  Autant  de  gens,  et  plus  qu'ilz  ne 
sont,  sommes  ycy;  ne  reste  plus  que  avoir  bon  vou- 


212  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

loir  de  bien  faire,  et  au  besoing  l'exécuter;  pour  ce, 
est  mestier  que,  demain  au  plus  matin,  tout  homme 
de  Gennes  qui  pourra  armes  porter  se  treuve  a  la 
montaigne,  délibéré  par  armes  deffendre  nostre  liberté 
que  nul  homme  de  cueur  vertueulx  doit  lesser  perdre, 
si  n'est  quant  et  la  vye.  Pour  tant,  nobles  cueurs  de 
Gennevoys,  trouvez  vous  a  la  montaigne  des  Deux 
Frères,  pour  la  vivre  et  mourir  a  la  deffence  de  vostre 
franchise  et  garder  vostre  cyté.  Outre,  est  ad  visé  que, 
pour  noz  ennemys  admuser  et  surprendre,  envoyrons 
ambaxades  devers  le  lieutenant  du  Roy  de  France, 
faignant  de  vouloir  parlamenter  et  rendre  la  ville  ; 
lesquelles  ambaxades  exploreront  et  adviseront  l'ar- 
mée des  Françoys,  les  lieulx  ou  est  assix  leur  camp  et 
la  manière  de  leurs  gens  d'armes  pour  nous  en  adver- 
tir,  affin  de  donner  dedans  par  le  plus  aisé;  et  ce  pen- 
dant nous  monterons  tous  par  le  derrière  de  nostre 
montaigne,  affin  qu'ilz  ne  voyent  nostre  puissance  ;  et 
nous,  ainsi  montez,  ferons  faire  une  saillye  de  troys 
ou  quatre  mille  hommes  vers  le  costé  de  la  Lanterne, 
comme  pour  leur  vouloir  donner  de  ce  costé  la  bataille, 
ou  souldainement  acourra  toute  l'armée  ;  et,  elle  ainsi 
passée,  devallerons  de  la  montaigne,  et  a  tour  de  bras 
leur  donnerons  la  charge  sur  la  bataille  ou  arrière 
garde,  dont  seront  effrayez  du  bruyt  et  se  desordon- 
neront en  manière  que,  sans  faillir,  si  nous  avons 
cueur,  nous  gaignerons  la  bataille  et  mectrons  tout  a 
sac.  »  La  furent  presens  Paule  Baptiste  Justinian, 
Demetrius  Justinian,  Manuel  de  Ganalle,  Anthonius  de 
Giuully,  des  premiers  mutins  de  Gennes,  et  deux  capi- 
taines, nommez  Ternatin  et  Gambecourte,  lesquelz, 
devant  tout  le  peuple  de  Gennes,  louèrent  et  recom- 


Avril  1507]   GOMMANT  MESSIRE  J.  DE  CHABBANNES,  ETC.        213 

mandèrent  l'oppinion  susdite,  disant  que  de  meilleur 
ni  plus  seur  moyen  ne  sauroyent  trouver  pour  deffaire 
les  Françoys;  a  quoy  s'accorda  tout  le  peuple,  tant 
que,  toute  la  nuyt,  ne  firent  autre  œuvre  par  la  ville 
que  armer  gens,  voire  de  tant,  comme  depuys  je  sceu 
par  mon  hoste  de  Gennes,  que  en  nombre  se  trou- 
vèrent quarante  mille  hommes  armez  ou  plus,  les- 
quelz,  de  l'aube  du  jour,  se  mirent  a  monter  la  plus- 
part,  et,  eulx  montez,  se  mirent  entre  les  montaignes 
hors  la  veue  de  noz  gens;  toutesfoys  bien  furent 
advertys  par  ceulx  de  nostre  guect  que  grant  nombre 
de  Gennevoys  estoyent  montez. 

Au  plus  matin,  envoyèrent  devers  le  lieutenant  du 
Roy  leurs  ambaxades,  lesquelz  passèrent  par  le  Car- 
tier de  l'a  van  garde,  regardant  sa  et  la  comme  avoyent 
charge  de  faire,  disant  a  ceulx  qui  les  enqueroyent 
ou  ilz  alloyent  :  «  Nous  allons  en  ambaxade  devers  le 
lieutenant  du  Roy  pour  parlamenter  et  faire  composi- 
cion,  pour  rendre  la  ville  au  Roy;  »  et,  ainsi  tous- 
jours,  en  regardant  l'ordre  de  l'armée,  passèrent 
oultre  jusques  au  logis  du  lieutenant  du  Roy,  auquel 
disrent  la  charge  qu'ilz  avoyent  de  la  ville.  «  Je  ne 
puys  riens,  dist  il,  conclure  avecques  vous,  ne  ne 
povez  avoir  responce  jusques  a  la  venue  du  Roy,  qui 
sera  icy  dedans  deux  heures,  comme  il  m'a  mandé; 
je  m'en  voys  au  devant  de  luy  pour  l'advertir  de 
tout.  »  Oyant  lesdits  Gennevoys  que  le  Roy  estoit  si 
près,  furent  tous  esbahys,  pencant  qu'il  ne  viendroit 
point,  quelque  chose  qu'on  en  dist,  ce  que  pareille- 
ment ne  croyeient  ceulx  de  Gennes.  En  bonne  garde 
furent  mys  lesdits  ambaxadeurs. 

Ce  faict,   messire  Charles  d'Amboise  prist  grant 


214  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

nombre  de  gens  d'armes  et  s'en  alla  au  devant  du  Roy, 
qui  estoit  party  bien  matin  de  son  logys  et  avoit  che- 
vauché, armé,  et  matin  pour  la  frescheur. 

XXIII. 

Gommant  le  Roy  se  rendit  a  son  armée  devant 
Gennes,  et  d'une  bataille  gaignée  par  les  Fran- 
ÇOYS,  et  comment  la  ville  de  Gennes  se  rendit 
AU  Roy*. 

Le  Roy,  sur  les  ix  heures  du  matin ^,  arriva  au 
camp  avecques  grosse  route  de  gens  d'armes,  et  fut 
le  xxv""®^  jour  du  moys  d'apvril,  en  l'an  susdit  mil 
GGCCG  et  sept.  Autour  de  luy,  devant  et  derrière, 
estoient  ses  deux  cens  gentishommes,  tous  en  armes, 
et  leurs  chevaulx  bardez  et  acoustrez  richement.  Avec- 
ques luy  estoyent  le  duc  de  Bourbon,  le  duc  de  Cal- 
labre,  le  duc  de  Longueville,  le  duc  de  Ferrare,  le 
conte  de  Nevers,  le  marquys  de  Mantoue,  le  marquis 
de  Monferrat,  le  seigneur  Jehan  Jourdan  et  plusieurs 
autres  grans  seigneurs^,  tous  armez  et  vestus  de  soyes 
de  drap  d'or  et  d'orfev[re]rie,  montez  sur  grans  cour- 
ciers  bardez  moult  richement.  Le  Roy,  armé  de  pié  en 
cap,  estoit  au  millieu  des  quatre  cens  archiers  de  sa 
garde,  les  xxiiii  du  corps  tout  au  joignant  de  luy;  les- 

1.  Miniature  au  fol.  lxxiii  r»  du  texte,  représentant  une  bataille  : 
la  cavalerie  exécute  un  mouvement  tournant;  dans  un  coin,  les 
piquiers,  genou  en  terre.  Le  roi  marche  au  milieu,  l'épée  à  la 
main,  couronne  en  tête,  suivi  de  ses  archers. 

2.  Vers  onze  heures,  d'après  la  Gonqueste. 

3.  26  avril. 

•'».  Notamment  Louis  de  la  Trémoille,  d'après  Jean  Bouchot. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.        215 

quelz  archiers  estoient  armez  de  leurs  brigandines  et  sal- 
lades,  vestus  de  leurs  hoquetons,  les  arcz  tendus,  et 
faisoyent  entre  autres  belle  monstre  en  marchant  moult 
fièrement.  Au  derrière  de  luy  avoit  une  escoardre  de 
gens  d'armes  semblant  estre  assez  pour  devoir  sous- 
tenir  ung  faix  de  grosse  bataille.  Somme,  sa  route 
duroit  une  lieue  de  pais,  ce  que  pouvoyent  clerement 
veoir  les  ennemys  qui  estoyent  en  la  montaigne,  dont 
furent  esbahys,  ne  se  doubtant  de  sa  venue.  Les  Alle- 
mans  de  sa  garde,  tous  enpennachez,  armez  de  halle- 
cretz  et  la  picque  au  poing,  marchoyent  en  poincte  et 
devant  les  archiers  de  la  garde.  De  sa  venue  fut  tout 
l'ost  rejouy.  Les  Allemans  comaincerent  a  batre  leurs 
groux  tabourins  et  marcher  en  ordre  au  devant  de  luy, 
en  luy  faisant  la  révérence  le  genoil  en  terre.  Ce  faict, 
après  qu'il  eut  veu  et  advisé  l'ordre  de  toute  son 
armée,  qui  la  estoit  toute  en  bataille,  s'en  alla  loger  a 
ung  monastère  de  sainct  Benoist,  au  pié  de  la  mon- 
taigne, sur  main  destre,  ou  la  avoit  beau  logis,  et 
dévote  eglize  et  grans  jardrins  doux  de  bonnes  mu- 
railles; dedans  lequel  furent  logez  les  quatre  cens 
archiers  de  la  garde,  les  cent  AUemens.  Le  cardinal 
d'Amboise  fut  logé  la  dedans  ledit  monastère,  avecques 
partye  de  son  train.  Maistre  René,  cardinal  de  Prie, 
estoit  pareillement  logé  la  près.  Tristan  de  Salluzart, 
arcevesque  de  Sens,  suyvit  ausi  le  Roy,  et  si  avoit 
avecques  luy  xx  hommes  a  cheval,  tous  la  brigandine 
sur  le  doux,  et  luy  son  harnoys  complet  dedans  ses 
coffres  et  ung  bon  coursier  pour  le  servir  a  besoing. 
Tantost  que  le  Roy  fut  arrivé,  messire  Charles  d'Am- 
boise, son  lieutenant,  luy  mena  les  ambaxadeurs  de 
Gennes,  qu'il  ne  voulut  veoir  ne  ouyr;  mais  les  envoya 


216  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

au  cardinal  d'Amboise,  pour  les  ouyr  et  savoir  qu'ilz 
vouldroyent  dire,  et,  ce  faict,  adviser  sur  leur  des- 
pesche.  Apres  disner,  les  ambaxades  furent  ouyes  tou- 
chant leur  charge,  telle  que  le  peuple  et  toute  la  ville 
[de]  Gennes  disoient  que  voluntiers  se  rendroyent  au 
Roy  et  luy  mectroyent  ladite  ville  entre  les  mains,  leurs 
libertez,  biens  et  vyes  saulves  ;  priant  ledit  cardinal 
d'Amboise  très  humblement  de  vouloir  intercéder 
pour  la  desollée  cyté  de  Gennes,  et  qu'il  fust  le  bon 
plaisir  du  Roy,  leur  seigneur  souverain ,  comme  disoient, 
de  ne  vouloir  destruyre  son  mesme  pays,  et  que  ilz 
amenderoyent  partye  au  vouloir  du  seigneur  :  auquel 
propos  ne  voulut  entendre  le  Roy  ne  rendre  autre 
responce  ^ . 

Advint,  ce  pendant  et  durant  ce  parlement,  sur  les 
troys  heures  après  mydy,  que  ung  allarme  se  fist  sur 
le  camp,  tellement  que  le  bruyt  fut  incontinent  par 
tout  l'ost,  dont  chascun  courut  aux  armes.  Les  deux 
cens  gentishommes,  les  iiii  cens  archiers  de  la  garde 
et  les  cent  AUemans  du  Roy  furent  armez,  les  gentis- 
hommes a  cheval  et  les  archiers  a  pié,  tous  joygnant 
le  logys  du  Roy,  avecques  plusieurs  de  ses  princes  et 
pencyonnaires.  Le  Roy,  oyant  le  bruyt  de  son  logys, 
demanda  que  c'estoit.  L'ung  de  ses  chamberl'ans, 
nommé  messire  Françoys  de  Rochechouart,  senechal 
de  Touloze,  luy  dist  :  «  Sire,  c'est  quelque  allarme  qui 
est  survenu  au  camp.  &  —  «  Gommant?  dist  le  Roy; 
ce  n'est  pas  ce  que  les  ambaxadeurs  disoyent,  qui 
sont  venus  cy    pour    parlamenter   et   trecter  de    la 

1.  D'après  la  Conquesle  cl  assaull,  cost  (^.harles  d'Amboise  qui 
les  reçut;  il  les  invita  à  livrer,  avant  tout,  au  rui  leur  doge  et 
douze  notables. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.        217 

paix*.  Or  allez,  dist  il,  voir  ce  que  c'est.  »  Et,  sur  ce, 
ledit  messire  Françoys  de  Rochechouart  sortit  hors  et  vit 
aucunes  des  trompettes  courant  parmy  l'ost  et  cryant 
l'alarme  a  toute  force.  Si  s'en  retourna  devers  le  Roy 
le  plus  tost  qu'il  peut,  disant  :  «  Sire,  sans  point  de 
faulte  il  y  a  bruyt,  et  me  doubte  que  ce  soit  vers  la 
Lanterne  et  que  par  la  les  Gennevoys  ont  faict  quelque 
saillye.  »  Et  tout  a  coup  le  Roy  se  fist  armer^  et  mon- 
ter ses  archiers  de  la  garde  tous  a  cheval,  et  trans- 
mist  messire  Mercure,  avecques  ses  cent  Albanoys, 
devers  la  Lanterne  hastivement,  pour  aller  savoir  que 
c'estoit,  et  retourner  incontinent.  Lequel,  a  course  de 
cheval,  fut  tantost  près  les  portes  de  Gennes,  dont 
estoit  sorty  grant  nombre  de  Gennevoys,  et  estoyent 
entre  leurs  barrières  et  la  tour  de  la  Lanterne.  Messire 
Charles  d'Amboise  avoit  faict  mectre  l'avan  garde  ja 
en  ordre,  a  l'issue  du  bourg  de  Sainct  Pierre  d'Areine, 
pour  les  actendre  :  lesquelz  ne  marchoyent,  mais 
estoint  arrestez  pour  admuser  l'armée,  comme  avoyent 
entrepris.  Du  costé  des  montaignes  devers  Gennes 
commaincerent  Gennevoys  a  monter  a  la  foulle  de  tous 
costez,  et  tant  que  lesdites  montaignes  estoyent  cou- 
vertes de  Gennevoys  armez.  Les  autres  de  ceulx  qui 
estoyent  les  premiers  montez ,  lorsqu'ilz  virent  leurs 
gens  approcher,  sortirent  d'entre  les  montaignes,  et 
tous  ensemble  plantèrent  amont  leurs  enseignes,  les- 
quelles se  pouvoyent  voir  de  abas  ;  et  y  en  avoit  deux 
blanches  et  une  rouge,  et  une  my  partye  de  rouge  et 
de  blanc,  et  plusieurs  autres,  qui  ne  se  pouvoyent 
d'ambas  clerement  adviser,   sur  le   hault    de  troys 

1.  Tout  le  camp  français  cria  à  la  trahison  {la  Bataille  et  assauU). 

2.  Cf.  Saint-Gelais,  p.  193. 


218  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

montaignes,  comme  a  un  gect  d'arc  près  l'une  de 
l'autre.  Sur  ladite  montaigne  se  misrent  Gennevoys  en 
troys  grosses  routes,  et  tout  le  long  du  sommet  de 
ladite  montaigne,  venant  de  Pontedesme  près  du  bas- 
tion que  les  Françoys  tenoyent,  et  en  ung  autre  lieu, 
a  Cartier  du  Castellas,  a  main  senestre  entre  les  mon- 
taignes, estoit  la  grande  escoadre  de  leurs  gens,  ou 
pouvoyent  estre  en  tout  quarante  mille  hommes  ou 
plus';  et  la  se  misrent  tous  en  bataille.  Le  seigneur 
de  Milho  et  autres  capitaines  qui  gardoyent^  le  bastyon, 
et  les  capitaines  des  AUemans  qui  tenoyent  la  mon- 
taigne de  nostre  costé,  mirent  toutes  leurs  gens  en 
deux  batailles,  ou  estoyent  de  six  a  sept  mille  hommes 
françoys  et  allemans,  près  les  ungs  des  autres  de  six 
vingtz  pas  ou  envyron.  Le  maistre  de  l'artillerye  avoit 
faict  monter  a  force  de  gens  et  de  cables,  des  le  soir 
de  devant,  six  grosses  pièces  d'artillerye  et  xxx  coul- 
levrines  a  croc  sur  chevalletz,  portées  par  les  pion- 
niers; desquelles  pièces,  aucunes  furent  mises  et 
assises  aux  lieux  ou  estoyent  les  gens  d'armes  fran- 
çoys et  allemans,  estans  sur  la  montaigne  ;  et  la  icelles 
pièces  embouchées  droictement  contre  les  Gennevoys, 
et,  pour  icelles  tirer,  montèrent  la  viii  des  canonnyers 
du  Roy. 

En  ce  point,  avoyent  les  ungs  et  les  autres  ordon- 
nées leurs  batailles  et  mys  ordre  en  leur  affaire.  Les 
Gennevoys  doncques  avoyent  donné  l'alarme  sur  le 
Cartier  de  la  Lanterne  pour  faire  tirer  la  l'armée  du 
Roy,  et  mises  sur  les  montaignes  leur  grosse  puis- 

1.  12  à  15,000  d'après  la  Conquestc.  Le  roi  envoya  conlrc  eux. 
4,000  hommes. 

2.  Le  texte  porte  yrardoi/ent. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.         219 

sance  pour  donner  par  le  bas  de  ce  costé  sur  les  Fran- 
çoys,  qui  tantost  cognurent  leur  stragenye  :  a  quoy 
pourveust  le  Roy,  qui  ja  estoit  armé  et  monté  sur  ung 
coursier,  nommé  Bay  gracieulx,  qui  estoit  moult  adroict 
pour  les  armes;  et,  hors  de  son  logis,  accompaigné 
de  plus  de  trente  mille  hommes  armez,  sans  plus 
actendre,  marcha  tout  droict  ou  pensoit  estre  le 
bruyt;  mais,  voyant  la  montaigne  de  tous  costez  plaine 
de  Gennevoys,  et  en  troys  ou  quatre  lieux  avoit 
grosses  bat[a]illes,  fîst  arrester  toute  son  armée  et 
mectre  en  bataille  bas  tout  au  droict  du  batyon. 
Devers  la  Lanterne  estoit  l'avangarde  en  bataille,  pour 
la  actendre  les  Gennevoys,  lesquelz  ne  sortirent  de 
leurs  barrières,  mais  se  retirèrent  :  de  quoy,  messire 
Mercure  advertist  le  Roy,  qui  lors  arrengeoit  ses  ba- 
tailles et  luy  mesmes  mectoit  ses  gens  en  ordre, 
disant  que  luy  mesmes  monteroit  a  mont,  pour  se 
trouver  a  la  meslée;  ce  qui  luy  fut  desconceillé  par 
tous  ses  capitaines.  La  fut  tenu  conseil  qu'il  estoit  de 
faire,  et  s'il  estoit  bon  de  leur  donner  la  bataille.  La 
furent  messire  Charles  d'Amboise,  lieutenant  du  Roy, 
messire  Robinet  de  Framezelles,  et  plusieurs  autres 
capitaines  de  l'armée  et  sages  chevaliers  ;  dont  aucuns 
furent  d'avys  que  le  lieu  estoit  moult  advantageulx 
pour  leurs  ennemys,  disant  :  «  Sire,  vous  voyez  vos 
ennemys  a  grosse  puissance  a  merveilles,  lesquelz  ont 
pris  lieux  avantageulx  et  choisi  le  plus  a  main  de  la 
place;  et  ausi  que,  pour  les  combatre,  sont  amont  peu 
de  nombre  de  voz  gens,  au  regard  de  eulx  ;  et  en  oul- 
tre,  sire,  vous  voyez  que  l'eure  est  ja  tarde  ;  »  ausi 
estoit  il  sur  le  point  de  cinq  heures  du  soir.  Par  quoy 
dirent  aucuns  capitaines  :  «  Premier  que  ranfort  peust 


220  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

estre  monté  a  mont,  la  nuyt  seroit  venue,  et  les  vil- 
lains,  qui  savent  et  cognoissent  les  segretz  et  des- 
troictz  des  montaignes,  pourront  la  nuyt  avoir  avan- 
tage sur  voz  gens  et  leur  donner  quelque  amorce. 
—  Rien,  dist  le  Roy,  il  est  ancores  plus  de  deux 
bonnes  eures  de  souleil.  Avecques  ce,  je  voy  mon 
armée  joyeuse  et  délibérée  de  combatre,  et  mes 
gens  d'amont  près  de  comaincer  le  combat,  et  les 
villains  serrez  et  en  craincte  :  et  suys  seur  que  tout 
soubdain  tourneront  le  doulx  qui  vivement  les  char- 
gera. Ce  say  je,  car  autres  foys  les  ay  je  veuz  en 
meslée,  dont  grosse  route  d'iceulx,  a  peu  de  Fran- 
çoys,  furent  deffaictz.  »  Ce  dit,  appella  messire  Mer- 
cure, capitaine  de  cent  Albanoys,  auquel  dist  :  «  Mon- 
tez la  sus  avecques  tous  voz  Albanoys,  et  sur  la 
bataille  des  Gennovoys,  que  voyez  plus  prochaine  du 
bastyon  que  tiennent  mes  gens,  et  faictes  une  legierc 
escarmouche.  Et  ce  pendant,  au  derrière  de  la  mon- 
taigne,  faictes  mectre  quelque  embûche  de  voz  gens 
et  autres  a  cheval  pour  vous  secourir,  s'il  en  est 
mestier.  Et,  après  vostre  escarmouche,  faignez  de 
vous  retirer,  pour  les  actraire  jusques  a  l'embusche, 
et  la  leur  donner  quelque  venue.  Et  ce  pendant,  je 
feray  monter  grosse  puissance  de  gens  de  pié  et  a 
cheval,  pour  se  joindre  a  ceulx  d'amont  et  donner  la 
bataille.  » 

Ce  dit,  messire  Mercure  avecques  ses  cent  Alba- 
noys, tous  bien  montez,  a  tout  leurs  bannerolles,  se 
mectent  a  mont  le  long  du  chemin,  tirant  droict  au 
bastion.  Plusieurs  françoys  a  cheval,  et  autres,  se 
misrent  après  ;  et  entre  autres,  le  marquys  Francisque 
de  Gonsago,  marquis  de  Mantoue,  monté  et  armé  a 


Avril  1507J  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.         221 

l'albanoise  avecques  grant  nombre  d'autres.  Pareille- 
ment fist  monter  des  AUemans,  au  nombre  de  troys 
mille,  desquelz  troys  de  leurs  capitaines  fist  la  cheva- 
liers ;  puys  fist  ceulx  monter,  et  autres  de  ses  gens 
de  pié,  jusques  a  nombre  de  six  mille  :  lesqueulx 
ne  prindrent  le  chemin  des  Albanoys  et  autres  gens 
de  cheval,  pour  ce  que  c'estoit  le  plus  long;  mais 
des  le  pié  de  la  montaigne,  tout  au  droict  du  bastyon 
se  mirent  a  gri[m]pper,  et  monter  comme  escureulx. 
Le  Roy  regardant  ses  gens  aller  ainsi  allègrement,  et 
toute  son  armée  délibérée,  estoit  moult  joyeulx;  et 
si  alloit  de  lieu  en  lieu,  regardant  son  armée,  avec- 
ques face  joyeuse  et  manière  asseurée,  l'espée  en  la 
main,  pour  faire  tenir  chascun  en  son  ordre.  La  son- 
noyent  trompettes  et  groux  tabourins  de  Suyces,  a 
toutes  mains.  Autour  de  luy  estoyent  Charles,  duc 
de  Bourbon;  Anthoyne  de  Lorreine,  duc  de  Gallabre; 
Françoys  d'Orléans,  duc  de  Longueville  ;  Jehan  Stuart, 
duc  d'Albanye  ;  Alphons  d'Ast,  duc  de  Ferrare  ;  Charles 
de  Cleuves,  conte  de  Nevers;  Jehan  Guillerme,  mar- 
quys  de  Montferrat  ;  le  conte  de  Vandosme*;  Guy  de 
Laval;  le  conte  de  Poitievre;  le  prince  de  Talmont; 
Jacques  de  Bourbon,  conte  de  Roussillon;  le  seigneur 
Jehan  Jourdan  ;  messire  Germain  de  Bonneval  ;  messire 
Mery  de  Rochechouart ,  et  plusieurs  autres  seigneurs 
de  France  et  de  Bretaigne,  et  tous  ses  autres  gentis- 
hommes  et  pencionnaires,  avecques  tous  ses  hommes 
d'armes,  la  lance  sur  la  cuisse.  Ausi  se  trouva  a  ceste 
bataille  Tristan  de  Salluzart,  arcevesque  de  Sens,  armé 
de  toutes  pièces,  et  monté  sur  ung  bon  coursier,  une 

\.  Charles  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme. 


222  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

grosse  javeline  ou  poing,  disant,  puysque  le  Roy  y 
estoit  en  personne,  que  tous  ceulx  des  siens  qui 
avoyent  pouvoir  de  le  deffendre,  ce  devoyent  la  trou- 
ver en  armes.  Et  si  avoit  ledit  arcevesque  xx  hommes 
des  siens,  tous  le  harnoys  sur  le  dos. 

Les  Gennevoys  tenant  bataille  amont  sur  la  mon- 
taigne,  voyant  de  tous  costez  monter  Françoys  et 
AUemans,  et  marcher  droict  a  eulx,  furent  tous  asseu- 
rez  d'avoir  la  bataille,  s'il  actendoyent  :  ce  que  furent 
tous  délibérez  de  faire,  et  en  bransle  de  charger  sur 
ceulx  des  Françoys  et  AUemans  qui  la  estoyent  des 
premiers  amont,  premier  que  les  autres  qui  mon- 
toyent  se  fussent  joingtz  a  eulx.  Et  ainsi  qu'ilz  vou- 
loyent  esbransler,  pour  marcher  droict  a  eulx,  messirc 
Mercure  ayant  ja  faict  son  embusche,  avecques  par- 
tye  de  ses  gens,  sort  par  derrière  d'une  montaigne, 
a  la  veue  du  Roy  et  de  l'armée  d'ambas,  et  luy 
mesmes  comainça  l'escarmouche.  Mais,  a  coup  de 
trect  et  de  hacquebutes  le  receurent  les  Gennevoys, 
dont  aucuns  d'iceulx  sortirent  en  place,  et  a  grans 
coups  de  picques  chargèrent  les  Albanoys,  qui  pareil- 
lement, a  course  de  cheval,  qui  estoient  faictz  et 
duytz  aux  escarmouches  des  montaignes,  a  poincte 
de  lance  les  retournoyent  bâtant  jusques  a  leur 
bataille.  A  ceste  escarmouche  estoit  le  marquis  de 
Mantoue,  Françoys  de  Maugyron,  et  d'autres  Ita- 
liens et  Françoys  tout  plain.  Longuement  dura  l'es- 
carmouche, ou  six  des  Gennevoys  furent  tuhez,  et 
deux  Albanoys  blecez  et  ung  mort.  Les  AUemans, 
demeurez  a  bas  avecques  le  Roy,  voyant  anioîit 
comaincer  l'escarmouche,  se  misrent  tous  a  ge- 
noulz  et  baisèrent  la  terre,  les  bras  emcroisez;   et 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.         223 

tant  que  dura  ladite  bataille,  tousjours  furent  age- 
noilez.  Tandy  s  que  celle  escarmouche  duroit,  les 
Françoys  et  Allemans  montoyent  la  montaigne,  et  les 
Gennevoys  approchoyent  leurs  batailles.  Et,  lorsque 
messire  Mercure  sceut  que  tous  les  Françoys  et  Alle- 
mans que  le  Roy  avoit  commandé  a  monter  furent 
essemblez,  après  avoir  donné  une  charge  sur  les  Gen- 
nevoys de  la  plus  prochaine  bataille,  fist  manière  de 
se  retirer  avecques  ses  gens  :  et  tout  en  l'eure,  toute 
ceste  brigade  de  Gennevoys  lesserent  leur  montaigne 
et  se  mirent  après  ;  ceulx  de  leurs  autres  batailles, 
pareillement  le  plain  pas  ;  et  les  aucuns  a  course  suy- 
virent  les  Albanoys,  en  faisans  grans  huées  et  criz 
orribles,  disant  :  Acarnef  acarnef  amacef  amacef  La 
demye  lieue  près  n'eussez  ouy  tonner,  pour  le  bruyt 
des  Gennevoys,  qui  pençoyent  que  les  Françoys  s'en- 
fuissent. Mais  tout  soubdainement,  lorsque  iceulx  Gen- 
nevoys furent  assez  près,  deux  grosses  pièces  d'ar- 
tillerye  furent  a  travers  d'eulx  deschargées  ;  et  ceulx 
qui  estoient  en  embusche  sortirent  avecques  toutes 
les  deux  batailles  des  Françoys  et  des  Allemans,  les 
Albanoys  et  autres  gens  de  cheval,  ensemble,  et 
donnèrent  sur  ceste  première  bataille  de  Gennevoys 
si  rudement,  que,  sans  résistance  de  gens  vertueulx, 
tournèrent  le  dos.  Les  autres  qui  estoyent  au  derrière 
d'eulx,  et  venoyent  a  leur  secours,  voyant  la  pre- 
mière de  leurs  batailles  fuyr  vers  eulx,  et  les  Fran- 
çoys a  leur  dos,  qui  les  tuhoyent  a  grans  monceaulx, 
furent  effrayez,  mesmement  Paule  de  Nove,  leur  duc, 
et  Jacobus  Gorsus,  chiefz  de  leur  armée,  lesquelz  ne 
sceurent  plus  tenir  en  ordre  leurs  gens,  ne  rallier 
ensemble;  car  chascun  se  mist  a  la  fuyte  :  dont  les 


224  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

aucuns  se  lessoyent  cheoir  et  rouller  du  liault  en  bas. 
Grant  occision  en  fut  faicte,  car  les  gens  de  cheval 
les  arrestoyent  par  les  monlaignes,  et  les  piétons 
mectoyent  tout  a  sac.  La  chace  leur  fut  donnée  plus 
de  deux  mille  par  les  montaignes  :  dont  aucuns  se 
deffendoyent ,  les  autres  se  laissoyent  copper  les 
gorges  comme  moutons.  Et  me  fut  la  conté  que,  a 
ceste  deffaicte,  ung  des  Albanoys  de  messire  Mercure, 
a  la  rancontre  de  la  première  bataille,  coucha  sa  lance 
pour  assenner  ung  gennevoys,  jeune,  fort  et  legier; 
lequel  gennevoys  actendit  l'albanoys,  a  tout  une  ron- 
delle en  la  main,  et  une  espée  en  l'autre,  et  de  sadite 
rondelle  destourna  le  coup  de  celuy  albanoys;  puys 
soubdainement  s'aprocha  de  luy,  et  d'ung  sault  le 
saisit  au  travers  du  corps,  tellement  qu'il  le  mist 
hors  la  selle  de  son  cheval,  et  le  porta  par  terre  : 
lesquelz  l'ung  sur  l'autre  se  tournoyèrent  et  voiltril- 
lerent  troys  ou  quatre  tours.  Le  gennevoys  ne  se  pou- 
voit  bien  aider  de  son  espée,  qui  estoit  longue  ;  l'alba- 
noys ne  pouvoit  rancontrer  son  poignault,  qu'il  avoit 
derrière  le  doulx,  couvert  du  panneau  de  sa  longue 
robbe.  Mais  a  la  partîn  ledit  albanoys,  qui  estoit  en 
grant  danger  de  sa  vye,  fut  secouru,  en  manière  qu'il 
eut  loisir  de  trouver  son  poignault,  de  quoy  trencha 
la  gorge  audit  gennevoys. 

Toute  la  montaigne  fut  jonchée  de  mors  et  ensan- 
glantée du  sang  de  ses  pouvres  Gennevoys,  qui  furent 
menez  tuhant  jusques  dedans  les  portes  de  Gennes,  et 
plus  de  deux  mille  par  les  montaignes,  tant  que  le 
nombre  des  mors  fut  extimé  a  xiiii  cens  hommes  \ 

1.  200,  d'apn'is  la  Gonqueste  et  la  Bataille  et  assaiilt. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.        225 

et  de  Françoys  environ  xxxvi,  mais  grant  nombre 
de  blecez. 

Voyant  le  Roy  que,  a  l'aide  de  Dieu,  il  avoit  gai- 
gné  la  bataille  et  defFaict  ses  ennemys,  fist  assoir  son 
camp  et  mectre  ses  gens  d'armes  autour  de  Gennes 
pour  y  aller  le  lendemain  mectre  le  siège  et  destruyre 
tout,  si  elle^  ne  se  rendoit  a  sa  mercy;  et,  premier 
que  faire  autre  œuvre,  tout  armé  s'en  alla  en  l'esglize 
de  l'abbaye  ou  il  estoit  logé,  rendre  grâces  a  nostre 
Seigneur  de  sa  victoire,  puys  se  fist  desarmer  et  se 
mist  a  repos. 

Le  duc  de  Gennes,  Paule  de  Nove,  voyant  de  tous 
poinctz  les  Gennevoys  abatus  et  deffaictz,  et  son  règne 
prendre  fin,  ne  sceut  plus  que  faire  ne  a  quel  moyen 
avoir  recours,  si  n'est  a  la  fuyte;  dont  prist  de  ses 
bagues  ce  qu'il  peut,  et,  avecques  grant  nombre 
d'autres  Gennevoys,  sachant  la  estre  le  Roy  en  per- 
sonne, tous  espouventez  s'enfuyrent.  Ledit  Paule  de 
Nove  s'en  alla  avecques  sa  suyte  embarcher  au  gouf- 
fre- de  Rappalle,  de  nuyt,  pour  la  doubte  des  galleres 
du  Roy  qui  estoyent  autour  du  moule  de  Gennes,  et  tira 
droict  en  l'isle  de  Corse  :  aucuns  des  autres  s'en  allè- 
rent en  Barbarie;  les  autres,  a  Romrne;  les  autres, 
dedans  aucunes  de  leurs  places  estans  autour  de  Gen- 
nes. Jacobus  Corsus,  pizan,  Tervatin,  Gambecourte 
et  les  autres  capitaines  estrangers,  avecques  le  demeu- 
rant de  leurs  soubdartz,  s'enfuyrent  par  les  montai- 
gnes  droict  a  leur  cartier. 

Dedans  la  ville  de  Gennes,  lors  n'avoit  que  pleurs, 
criz  et  lamentacions  de  pauvres  femmes  désolées,  qui 

1.  Le  texte  porte  :  sil  elle. 

2.  Golfo. 

IV  15 


226  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

avoyent  perdus  aux  batailles  leurs  maris,  frères  ou 
enfans;  pencent  au  surplus  que  le  Roy  les  destruyroit 
du  tout  et  feroit  mectre  la  ville  a  feu  et  a  sang  :  dont 
ne  savoyent  autre  chose  que  faire,  fors  douloir  leur 
perte  passée  et  actendre  l'avenir;  et,  pour  ne  perdre 
tout,  au  fons  de  leurs  caves,  citernes  et  roches, 
musserent  partye  de  leurs  bagues  et  trésors,  et  por- 
tèrent leur  draps  d'or  et  de  soye,  et  partye  de  leur 
chevance,  par  les  eglizes  et  coUieges  de  la  ville,  et 
délibérèrent  envoyer  de  rechief  ambaxades  devers  le 
Roy  et  parlamenter  pour  rendre  la  ville  a  la  meilleur 
composicion  que  faire  se  pourroit. 

Le  mardy  au  matin,  ambaxades  furent  transmises 
devers  le  Roy^  ;  qu'il  fist  ouyr  par  maistre  Georges, 
cardinal  d'Amboise,  lesquelles  ambaxades  disrent  : 
«  Nous  summes  icy  venus  et  envoyées  devers  le  Roy, 
nostre  souverain  seigneur,  de  par  les  cytadins  et  tout 
le  peuple  de  la  desollée  cyté  de  Gennes,  pour  au  pre- 
mier nous  recommander  tous  très  humblement  a  sa 
bénigne  grâce;  et,  au  surplus,  pour  la  composicion 
de  l'amende  et  satisfation  du  meffaict  que  sadite 
pouvre  cyté  de  Gennes,  gouvernée  soubz  la  main  du 
peuple  deslyé  et  conseil  de  mutins  desordonnez,  a  par 
cy  devant  commys  et  perpétré  contre  sa  ires  haulte 
seigneurie  et  sacrée  magesté  ;  le  supplyant  très  humble- 
ment qu'il  luy  plaise  prendre  sadicte  ville  entre  ses 
mains  et  en  sa  sauvegarde,  et  son  pouvre  peuple  a 
mercy  avecques  la  vie  et  biens  sauves.  »  A  quoy  ne 
voulut  entendre  le  Roy,  mais  dist  qu'il  auroit  la  ville 

\.  D'après  la  Gonqueste,  les  Génois  avaient  envoyé,  la  veille  au 
matin,  une  ambassade  pour  masquer  leur  attaque.  Ils  en  envoyè- 
rent une  seconde  le  soir. 


Avril  1507]  GOMMANT  LE  ROY  SE  RENDIT  A  SON  ARMÉE.        227 

et  le  peuple  a  sa  volunté,  ou  qu'il  mectroit  tout  au 
feu  et  a  l'espée  ;  sur  quoy  lesdites  ambaxades  firent 
autres  ouvertures,  disant  que,  pour  les  fraiz  et  mises  de 
l'armée  du  Roy  et  pour  l'amende  proffîtable  et  honnou- 
rable,  ilz  satisferont  la  pluspart  au  vouloir  dudit  sei- 
gneur et  ordonnance  de  son  conseil  :  ce  que  ne  voulut 
le  Roy,  disant  tousjours  qu'il  auroit  le  tout  a  sa  volunté. 
De  laquelle  responce  lesdits  ambaxadeurs  advertirent 
le  peuple  de  ladite  ville  de  Gennes  :  sur  quoy  tindrent 
le  conseil,  ou  plusieurs  propos  furent  alléguez,  et  fina- 
blement  conclut,  veu  l'extrémité  ou  ilz  estoyent;  cog- 
noissant  ausi  le  Roy,  entre  les  autres  dons  de  ver- 
tueuses grâces,  estre  tant  humain  que  onques  ne  fist 
mourir  homme  a  qui  il  peust  pardonner,  et  que  leur 
offence  ne  touchoit  que  a  luy  seul;  ayant  sur  ce  con- 
fience  de  sa  grâce,  dirent  le  mot  en  se  rendant  la 
corde  au  coul,  c'est  assavoir  a  sa  volunté;  luy  man- 
dant que,  a  toute  heure  que  luy  plairoit,  il  pouroit 
entrer  en  sadite  ville  de  Gennes  et  faire  du  peuple  a 
son  plaisir. 

Et,  voyant  le  Roy  que  tout  alloit  a  son  vouloir,  receut 
lesdits  Gennevoys  a  sa  volunté^;  de  quoy  sur  le  champ 
en  voulut  advertir  Françoys  de  Glermont,  cardinal  de 
Nerbonne,  lequel  estoit  devers  le  pape,  a  Romme, 
orateur  pour  ledit  seigneur,  et  luy  escrivit  lectres 
contenant  ladite  composition  :  lesquelles  montra  ledit 

1.  Une  miniature  du  Voyage  de  Gènes  représente  cette  scène. 
Le  roi,  à  clieval,  équipé  comme  à  sa  sortie  d'Alexandrie,  l'épée 
à  la  main,  devant  une  très  brillante  armée,  reçoit  les  six  ambas- 
sadeurs vêtus  de  noir  et  à  genoux.  Sur  le  second  plan,  le  bastion 
qui  tire.  En  haut,  dans  le  fond,  des  Génois  en  déroute.  Arrière- 
plan  de  montagnes. 


228  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

cardinal  de  Nerbonne  a  nostre  Sainct  Père  le  Pape, 
qui  pallist  tout  le  visage  en  lisant  lesdites  lectres  et 
dist  :  «  Je  ne  le  croy  pas!  »  Plusieurs  Romains  et 
autres  avoient  faict  gaigeures  et  misailles  a  plusieurs, 
disant  que  le  Roy  ne  prendroit  point  Gennes,  ou 
que  de  six  moys  n'y  entreroit.  Pareillement  ledit  car- 
dinal de  Nerbonne  transmist  lesdites  lectres  du  Roy 
a  Naples,  au  seigneur  de  la  Guiche',  qui  la  estoit 
pour  le  Roy,  devers  le  Roy  d'Arragon;  qui  ausi  les 
monstra  audit  Roy  d'Arragon,  lequel  ausi  ne  le  cuydoit 
point  croire;  et  dist  Gonsalles  en  branlant  la  teste  : 
«  Il  n'est  possible,  a  mon  advys,  que,  en  si  peu  de 
temps,  une  si  forte  ville,  comme  est  Gennes,  fust  si 
tost  rendue?  »  et  est  a  croire  que  plusieurs  eussent 
bien  voulu  qu'elle  n'eust  esté  prise  par  les  Françoys-. 
Mais  tant  en  fut  que,  le  mesme  jour  de  ladite  com- 
posicion,  le  Roy  transmist  la  a  Gennes  le  seigneur  du 
Bouchage,  messire  Françoys  de  Rochechouart^  et  mes- 
sire  Raoul  de  Lannay,  et  avecques  eulx  Anthoyne  de 
Pierrepont*  et  Pierre  de  Montalembert,  mareschaulx 
des  logys  avecques  ses  fourriers,  pour  prendre  les 
logys  et  départir  les  cartiers.  Le  lendemain  tous  les- 
dits  logys  furent  merchez,  et  la  dedans  entrèrent  six 

1.  Jean  de  la  Guiche. 

2.  D'après  la  Conqueste,  les  Génois  avaient  perdu  en  tout  (à 
Monaco  et  devant  Gênes)  3,500  hommes,  les  Français  200.  «  Il  y 
a  plus  de  deux  cens  ans  que  le  Roy  de  France  ne  aultres  princes 
ne  fist  si  grande  conqueste,...  a  peu  de  despense  et  bien  peu  de 
sang  répandu.  »  Fleurange  estime  la  perte  des  Génois,  pour  le 
siège  seul,  à  18,000  hommes  ! 

3.  Salvago  indique  Du  Bouchage,  le  bailU  d'Amiens  (de  Lannoy) 
et  le  sire  de  Piennes. 

4.  Dit  d'Arisoles. 


Avril  1507]       DU  NOMBRE  DE  L'ARTILLERIE,  ETC.  229 

cens  hommes  d'armes,  qui  furent  logés  vers  le  cartier 
de  Besaigne;  et,  ce  pendant,  le  Roy  se  repousoit  a 
son  logys. 

XXIV. 

Du  NOMBRE  DE  l' ARTILLERIE,  DE  LA  MUNICION  d'iCELLE 
ET  DES  NOMS  d'aucuns  DES  CANNONNYERS  ET  AUTRES 
OFFICIERS   QUI   ESTOINT  A   CEDIT  VOYAGE. 

Apres  sesdites  choses,  que  le  Roy  et  chascun  se 
reposoit,  en  actendant  l'entrée  dudit  seigneur  a 
Gennes,  comme  je  fisse  lors  inquisicion,  sur  le  lieu, 
des  exploictz  de  la  guerre,  pour  iceulx  rédiger  en  ma 
cronique,  je  me  trouvay  une  après  disnée  sur  le  gra- 
vier, au  lieu  ou  estoit  l'artillerye,  laquelle  estoit  entre 
le  logys  du  Roy  et  ung  bourg  nommé  Rivereu,  sur 
le  milheu  du  chemin  dudit  gravyer;  et  la  m'enquys 
et  demanday  [a]  aucuns  de  ceulx  qui  gardoyent  icelle 
artillerye  ou  estoit  le  capitaine  de  ladite  artillerye^, 
lesquelz  le  me  monstrerent;  dont  a  luy  m'adressay, 
disant  :  «  Capitaine,  j'ay  charge  du  Roy  de  m'enquerir 
icy  de  toutes  les  choses  qui  se  feront  pour  icelles 
mectre  et  rédiger  par  escript.  Et,  pour  ce  que  j'ay 
sceu  que  estes  le  maistre  de  son  artillerye,  je  me 
suys  adressé  a  vous  pour  vous  prier  qu'il  vous  plaise 
me  faire  advertir  du  nombre  et  de  la  municion  et  de 
l'exploict  de  ladite  artillerye  et  des  noms  de  ceulx 
qui  en  ont  la  charge.  »  Lequel  capitaine  me  fist  mener 
au  logis  du  contreroUeur,  ou  la  trouvay  ledit  contre- 
rolleur,  le  trésorier,  le  prevost  et  les  commissaires 

1.  Paul  de  Benserade,  seigneur  de  Lespy  (Relation  contempo- 
raine, dans  le  Cérémonial  français,  I,  712).  Cf.  plus  loin. 


230  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

de  ladite  artillerye,  ausquelz  dys  ma  charge  et  Gom- 
mant ledit  capitaine  m'avoit  la  faict  adresser  pour 
m'enquerir  desdites  choses  ;  desquelles  iceulx  m'aver- 
tirent voluntiers  et  me  baillèrent  par  escript  ce  que 
j'en  ay  cy  enregistré. 

Pour  commaincer  doncques  diray  au  premier  du 
nombre  des  pièces  d'icelle  artillerye.  Premièrement, 
y  avoit  six  gros  canons  serpentins,  merchez  quatre 
aux  armes  de  France  et  de  Millan  et  deux  aux  armes 
de  Luxembourg,  que  feu  Loys,  Mons""  comte  de  Ligny, 
fist  fondre  en  Ast;  quatre  couUevrines  bastardes,  neuf 
moyennes,  huyt  faulcons,  cinquante  hacquebutes  a 
crochet  sur  chevaletz,  bien  aisées  a  manyer\  lesquelles 
se  portoyent  sur  le  col  des  pyonniers,  voire  jusques 
au  sommet  des  plus  haultes  montaignes. 

Apres,  dirons  des  municions  :  ou  avoit  LX  char- 
rectes,  chargées  les  xxvi  a  boulletz  serpentins,  quatre 
de  boulletz  a  couUevrines  bastardes,  quatre  pour  les 
moyennes  et  faulcons,  six  charretes  de  pouldres  ame- 
nées de  France,  a  chascune  charrecte  viii  barilz  de  fil 
de  bote  et  de  trect,  deux  charretes  ou  estoyent  les 
forges,  troys  chargées  de  pelles,  picques  et  tranches, 
deux  chargées  d'aisseaulx  pour  servir  audites  pièces, 
une  chargée  de  charbon  pour  les  forges,  une  pour 
les  ostilz  des  charrons,  deux  pour  porter  les  haque- 
butes,  une  pour  les  charpentiers,  une  pour  les  cables 
et  poulyes,  une  pour  les  chargeurs  et  troys  pour  les 
tentes.  Et,  oultre  ce  qui  avoit  esté  apporté  de  France, 
fut  pris  a  Tourtonne  xiiii  charrectes  a  beufz,  chargées 
de  boulletz,  et  xi  de  pouldre. 

1.  Les  Mémoires  de  Fleurange,  assez  médiocrement  véridiques, 
parlent  de  60  grosses  pièces  et  de  500  hacquebuttes. 


Avril  1507]    GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  231 

Et,  pour  tirer  et  mener  tout  le  charroy  susdit,  avoit 
quatre  cens  vi  chevaulx,  pris  a  Bourges,  a  Orléans  et 
a  Troys  en  Champaigne.  De  laquelle  artillerye  estoit 
capitaine  ung  nommé  Paul  de,  Beusseraille,  seigneur 
d'Espic;  le  prevost  estoit  Ferry  Utel,  Bernardin  Bo- 
chetel,  contreroUeur  ;  le  trésorier,  maistre  Florimond 
Frotier;  les  commissaires  estoyent  Garin  Maugué, 
Perot  d'Oignoiz,  Estienne  de  Ghampellays  et  Loys 
Benoist.  Audit  lieu  avoit  l  canonniers,  desquelz 
estoyent  Jacques  d'Aussel,  Pierre  de  Salleneufve,  Thi- 
bault d'Archet,  Lubin  Foucault,  Jehan  Champion, 
Guillaume  de  la  Fontaine,  capitaine  des  pyonniers, 
Jehan  de  Layve,  Bobinet  Lescot,  Robin  Garneu,  Jehan 
Garnier,  Jehan  Guerin,  Glaude  Liger,  Pierre  de  la 
Rochelle  et  autres,  jusques  au  nombre  de  l.  Les  con- 
duyseurs  du  charroy  estoyent  Odille  de  Doyac,  capi- 
taine, Glaude  de  Salins  et  Jehan  Bence. 

Avecques  le  train  de  ladite  artillerye,  avoit  deux 
cens  myneurs  françoys  et  daulphynoys,  soubz  la 
charge  d'ung  nommé  Glaude  du  Port,  leur  capitaine, 
lesquelz  estoyent  tous  expertz  au  mestier  de  quoy  ilz 
servoyent. 

XXV. 

Gommant  le  Roy  entra  en  armes  en  sa  ville  de 
Gennes  et  gommant  il  fist  apporter  toutes  les 
armes  de  ladite  ville  dedans  le  palais''. 

Les  logis  furent  merchez  et  les  cartiers  départis 

1.  Miniature,  au  feuillet  iiii^x  v»  du  manuscrit,  représentant  le 
roi  en  armes,  à  cheval  et  l'épée  au  poing,  précédé  de  hallebar- 


232  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

par  les  mareschaulx  et  fourriers  desdits  logis  du  Roy, 
et  six  cens  hommes  d'armes  mys  en  ladite  ville  de 
Gennes.  Et,  ce  faict,  le  jeudy,  xxviii^  jour  du  moys 
d'apvril,  en  l'an  susdit  mille  CGCGC  et  sept^  le  Roy, 
sur  les  VIII  heures  du  matin,  partit  de  son  logis  du 
camp  2,  armé  de  toutes  pièces,  vestu  d'ung  riche  soye 
d'orfeverrye,  l'armet  sur  la  teste,  tout  enpennaché  de 
plumes  blanches,  monté  sur  ung  coursier  tout  noir, 
bardé  de  mesme  acoustrement  qu'estoit  son  soye;  et 
ainsi,  avecques  tous  ses  gens  d'armes  a  cheval,  se 
mist  a  chemin,  tirant  droict  a  Gennes,  ou  ja  avoit 
faict  mener  son  artillerye^. 

diers  aux  couleurs  jaune  et  rouge,  entrant  dans  une  porte 
fortifiée,  sur  le  toit  de  laquelle  on  lit,  en  lettres  d'or,  l'inscription 
Gennes.  Derrière  le  roi,  des  gens  d'armes  à  cheval,  avec  des 
fanions  jaune  et  rouge  à  croix  d'or;  dans  le  fond,  des  arbalétriers. 
Paysage  de  montagnes,  couronnées  de  forts. 

1.  Deux  gride,  du  28  avril  1507,  au  nom  du  roi,  proclamèrent 
la  loi  martiale.  La  première  défendait  de  sortir  de  la  ville  sous 
peine  de  la  vie,  de  mettre  le  feu,  de  voler,  de  laisser  voler.  Cette 
proclamation,  destinée  aux  troupes  conquérantes,  fut  publiée  en 
italien  et  en  français.  La  seconde,  publiée  en  italien,  ordonnait 
d'ouvrir  les  boutiques,  de  circuler  librement.  Elle  interdisait  le 
port  des  armes,  sauf  aux  soldats,  français  ou  autres,  de  se  livrer 
à  aucune  violence  et  de  rien  prendre  sans  paiement.  Elle 
déclarait  l'entrée  de  Gênes  libre  et  garantissait  le  libre  apport  des 
denrées  alimentaires  (Bibl.  de  l'Université  de  Gênes,  ms.  Vc, 
fol.  206,  208). 

2.  A  un  monastère  de  Seaint-Augustin,  à  une  lieue  de  Gênes, 
appelé  Boschetto,  «  le  Bousquet,  »  par  Salvago  (Busquete,  dans 
les  Comptes).  Il  y  entendit  la  messe  le  26,  le  27  et  le  28. 

3.  D'après  l'édition  des  Godefroy,  le  roi  était  précédé  de 
5,000  Suisses,  musique  en  tête,  2,500  aventuriers,  1,000  Gas- 
cons, 500  laquais,  600  lances,  qui  s'arrêtèrent  à  la  porte;  plus 
300  lances,  1,500  arbalétriers,  22  chariots  d'artillerie,  qui  entrè- 
rent. D'après  Cimber,  'i,500  aventuriers,  -5,000  Gascons;  les  autres 
chiffres  pareils.  Cf.  l'Entrée  du  1res  chrestien. 


Avril  1507J     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  233 

Au  devant  de  luy,  jusques  au  bourg  de  Sainct  Pierre 
d'Araine,  faulxbourgs  de  Gennes,  luy  vindrent  trente 
cytadins  gennevoys,  des  plus  sollempnelz  de  la  ville, 
lesquelz  conduisoit  ung  nommé  messire  Galeas  Vis- 
conte,  millannoys,  estant  a  pié  avecques  eulx,  vestu 
d'ung  soye  de  drap  d'or.  Lesquelz  Gennevoys  avoyent 
leurs  chiefz  descouvers,  et  tous  robes  noires,  habillez 
en  dueil,  les  testes  raises  et  bien  pesneuz.  Lorsqu'ilz 
arrivèrent  en  la  présence  du  Roy,  ilz  misrent  les  deux 
genoilz  en  terre,  cryant  miséricorde.  Et,  cefaict,  après 
avoir  esté  longue  pièce  a  genoilz,  se  levèrent,  et  la 
disrent  plusieurs  choses,  en  excusant  le  peuple  de  la 
ville  de  Gennes. 

A  quoy  le  Roy  n'entendit,  mais  se  mist  a  chemin. 
Au  devant  de  luy  et  les  premiers^  marchèrent  les 
cent  Suyces  de  sa  garde,  tous  armez  de  leurs  allecretz 
et  empennachez,  la  hallebarde  au  poing,  lesquelz 
marchoyent  en  bon  ordre  :  devant  eulx  estoit  leur 
capitaine  a  cheval.  Apres  marchoyent  Anthoyne  de 
Lorrenne,  duc  de  Gallabre,  en  armes  et  richement 
accoustré,  et  Jehan  Stuart,  ducd'Albanye;  après,  René 

1.  Une  miniature  du  Voyage  de  Gênes  (fol.  22  \°)  représente 
l'entrée  du  roi  dans  Gênes.  Le  roi  suit  une  rue,  que  borde,  au 
fond,  un  riche  palais,  dont  les  fenêtres  sont  garnies  de  person- 
nages tristes  ou  résignés,  sans  enthousiasme  :  point  de  tapis  aux 
fenêtres.  La  rue  est  garnie  de  gens  d'armes.  Le  roi,  la  tète  cou- 
verte de  plumes  blanches,  est  vêtu  de  rouge  (probablement  d'un 
saye  de  satin  cramoisi,  passé  sur  son  armure;  voy.  KK.  86,  lv), 
brodé  d'A  couronnés,  en  or,  par  compartiments  d'or.  Le  cheval 
noir  porte  une  housse  pareille.  Sur  sa  tête,  un  vaste  dais,  jaune 
et  rouge,  que  portent  quatre  notables.  Au  premier  plan,  face  au 
roi,  une  file  de  jeunes  filles  en  blanc,  à  genoux,  les  cheveux 
blonds  tombant  dans  le  dos.  A  la  suite  du  roi,  les  cardinaux,  les 
seigneurs,  les  gens  d'armes. 


234  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

de  Bretaigne\  comte  de  Poinctievre;  messire  Berault 
Stuart,  Audet  de  Foix.  Puys,  assez  loingnet,  marchoit 
Charles,  duc  de  Bourbon,  sur  ung  gros  coursier  bien 
bardé,  et  luy  armé  et  richement  accoustré,  lequel 
estoit  chief  de  tous  les  archiers  de  la  garde  du  Roy. 
Apres,  estoit  le  seigneur  de  Laval,  armé  et  monté  a 
l'avantage.  Puys  marchoyent  les  quatre  cens  archiers 
de  la  garde,  tous  a  pié,  armez  de  leurs  brigandines 
et  sallades,  vestus  de  leurs  hoquetons.  Au  derrière 
d'eulx  estoyent  ausi  a  pié  messire  Jacques  de  Gressol 
et  messire  Gabriel  de  la  Ghastre,  capitaines  desdits 
archiers.  En  après  estoyent  grant  nombre  de  seigneurs 
françoys  et  itallyens,  comme  Françoys  d'Orléans,  duc 
deLongueville;  Alphons  d'Ast,  duc  de  Ferrare;  Fran- 
cisque de  Gonsagou,  marquys  de  Mantoue;  Jehan  Guil- 
lerme,  marquis  de  Monferrat;  le  conte  de  Vandosme, 
jeune  entent;  Jacques  de  Bourbon,  conte  de  Rous- 
sillon,  et  messire  Robinet  de  Framezelles.  Apres  ceulx 
la  chemynoyent  les  xxx  Gennevoys  que  messire  Galeas 
Visconte^  conduysoit^.  En  ensuyvant,  marchoit  le 
grant  escuyer^;  puys  les  trompettes,  qui  sans  cesser 
sonnoyent  a  relays.  Le  Roy  marchoit  après,  armé  et 
monté  en  la  manière  que  j'ay  dit.  Apres  luy,  avoit 
quatre  cardinaulx,  c'est  assavoir  :  maistre  Georges, 
cardinal  d'Amboise;  maistre  René,  cardinal  de  Prye^; 

1.  René  de  Brosse. 

2.  Galeazzo  Visconti,  de  Milan,  pensionnaire,  puis  chambellan 
(fr.  22276). 

3.  Puis  les  chantres  du  roi,  maîtres  d'hôtel,  panetiers,  les  gens 
de  hnance,  les  pensionnaires,  etc.  [Cvrémonial  français,  I,  713). 
Les  princes  venaient  ensuite  (l'Entrée  du  très  chrcslien). 

4.  Galeazzo  di  S.  Severino,  nommé  grand  écuyer  en  1505. 

5.  Les  nouvelles  données  par  Sanuto  (VII,  69)  mentionnent  le 


Avril  1507J     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  235 

le  cardinal  d'Alby^  et  le  cardinal  de  Final.  Messire 
Charles  d'Amboise  nnarchoit  après,  monté  sur  ung 
coursier  bay,  vestu,  sur  son  harnoys,  d'ung  soye 
blanc,  couvert  d'orfeverie  moult  riche,  ayant  l'espé 
toute  nue  au  poing,  comme  capitaine,  dompteur  et 
vaincueur  desdits  Gennevoys,  soubz  la  main  du 
Roy^.  Apres,  suyvoyent  messire  Loys  de  Brezé, 
grant  seneschal  de  Normendye,  et  messire  Guy  on 
d'Amboise,  seigneur  de  Ravel  ^;  et  après  eulx  mar- 
choyent  les  deux  cens  gentishommes  de  la  maison  du 
Roy,  desquelz  ilz  estoyent  capitaines.  Et  puys  grant 
suyte  de  hommes  d'armes^,  la  lance  sur  la  cuisse, 
avecques  leurs  archiers,  et  ung  million  de  peuple.  Ainsi 
s'en  alla  le  Roy  passer  par  devant  la  Lanterne  nommée 
la  tour  de  Godefa,  et  tirant  droict  a  la  ville,  passant 
devant  le  moulle^,  ou  avoit  viii  galleres  armées,  dont 
les  quatre  estoyent  fransoises,  soubz  ung  capitaine 
françoys,  nommé  Pregent  le  Bidoulx,  et  les  autres 
quatres  estoyent  du  Roy  d'Arragon,  desquelles  estoit 

cardinal  d'Auch  au  lieu  du  cardinal  de  Prie;  l'Entrée  du  1res 
chrestien  ajoute  le  cardinal  de  S.  Severino. 

1.  Louis  d'Amboise,  évêque  d'Albi,  cardinal  en  1509. 

2.  D'après  la  description  publiée  par  lesjGodefroy,  c'est  le  roi 
lui-même  qui  tenait  l'épée  nue  et  droite.  Guichardin,  mal  rensei- 
gné à  cet  égard,  prétend  qu'il  marchait  à  pied,  l'épée  à  la  main. 

3.  Précédés  des  ambassadeurs  d'Espagne  (l'Entrée  du  très 
chrestien). 

4.  Notamment  Mercure  et  ses  200  Albanais  [l'Entrée). 

5.  Jean  d'Auton  fait  sans  doute  une  légère  confusion.  En  quit- 
tant San  Pier  d'Arena,  le  roi  dut  passer  devant  la  lanterne  élevée 
sur  la  grève,  puis  le  long  du  palais  actuel  Doria,  entrer  par  la 
porte  San  Tommaso,  suivre  les  quais  du  port  jusqu'au  môle  où 
s'élevait  la  tour  de  Godefa  et  de  là  monter  au  palais  (d'après  le 
plan  de  Gènes,  dans  Giulio  Ballino,  De'  dise^ni  délie  piu  illustri 
città  et  fortezze  del  mondo.  Venise,  1569,  in-4'). 


236  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

capitaine  ung  espaignol  nommé  Miquel  Pastour;  les- 
quelles galleres,  a  la  passée  du  Roy,  tirèrent  si  très 
orriblement  qu'il  sembloii  que  tout  deust  abismer. 
Messire  Galaas,  capitaine  du  chasteau,  fist  pareillement, 
a  l'arrivée  du  Roy,  tirer  toute  l'artillerye  du  chasteau  ; 
tant  que,  tout  autour  des  montaignes  et  sur  la  ville 
de  Gennes,  sembloit  que  tout  tramblast  :  car  l'ung 
coup  n'actendoit  l'autre,  et  si  y  avoit  telle  pièce  qui 
tout  ensemble  en  tiroit,  d'une  traynée,  xi  ou  xii;  ce 
qui  pectoit  groux  comme  le  eu  d'enfer^.  Droict  au 
palais  s'en  alla  descendre^,  et  monta  tout  armé  jusques 
en  sa  chambre,  ou  la  se  fist  desarmer,  en  actendant  a 
couvrir^. 

Tantost  qu'il  fut  entré  en  la  ville,  les  Allemans  qui 
le  suyvoyent  en  queuhe  aprocherent  la  porte,  cuydant 
illecques  entrer  en  armes  :  ce  que  ne  voulut  le  Roy, 
doublant  qu'ilz  missent  les  mains  au  pillage  :  de  quoy 
avoyent  moult  grant  envye  et  actente,  comme  ceulx 
qui  pensoyent  que  ladite  ville  leur  deust  estre  haban- 
donnée  et  butinée  au  gens  d'armes,  ce  que  ne  fut; 
car,  pour  le  myeulx,  fut  advisé  que  le  Roy,  a  qui  elle 
estoit,  la  devoit  garder  pour  luy  et  deffendre  contre 
tout  autre,  ce  qu'il  fist;  et,  pour  obvyer  au  vouloir 
d'iceulx  Allemans,  les  portes  furent  fermées  sur  eulx, 

1.  Saint-Gelais  prétend  que,  pour  mieux  effrayer  les  Génois, 
on  avait  élevé  des  gibets  dans  tous  les  carrefours. 

2.  «  Aux  fenestres  de  ladicte  ville,  avoit  des  draps  d'or,  veloux, 
tapitz  de  Turquie  et  autres  choses  singulières,  gectées  par  les 
fenestres  et  garuiz  de  belles  dames.  Et  aucungs  coings  de  rue  y 
avoit  aucuns  escharffaulx  ou  y  avoit  de  belles  dames  et  belles 
filles,  autant  belles  qu'il  est  possible  de  veoir,  bien  parées  et 
acoustrées,  crians  audit  seigneur  Miséricorde  »  [l'Entrée.  Cf.  Géré' 
monial  françois,  I,  714.  Cf.  Sanuto,  VII,  69). 

3.  En  attendant  le  couvre-feu. 


Avril  1507]     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  237 

et  mys  gens  d'armes  a  grant  nombre  pour  les  garder, 
et  artillerye  dedans  le  portai  embouchée,  droict  a  la 
venue  d'iceulx,  lesquelz  furent  tout  le  long  du  jour 
en  armes,  encontre  lesdites  portes  ;  et  la  se  cuyderent 
mutyner,  et  charger  sur  les  coffres  des  seigneurs, 
qui  avoient  tout  leur  sommage  la  dehors.  Plusieurs 
gentishommes,  et  moy  avecques  eulx,  arresté  dedans 
une  maison,  près  la  porte,  pour  la  regarder  et  enre- 
gistrer a  la  passée  l'ordre  de  l'entrée  du  Roy  et  de 
ses  gens  d'armes,  comme  d'aventure  demeurez  hors 
la  ville  avecques  ceste  ennuyeuse  compaignye,  pas- 
sâmes ce  jour.  La  nuyt  venue,  iceulx  Allemans  et 
grant  nombre  d'aventuriers  françoys  s'en  retournèrent 
au  lieu  ou  il  avoyent  tenu  leur  derrenier  camp  ;  les- 
quelz, après  bien  dringuer,  s'entreprindrent  de  parolles 
par  les  chemins  et  se  bâtirent  bien  estroict,  tant  que 
d'ung  costé  et  d'autre  en  eut  plusieurs  de  mors  et  de 
blecez;  et,  n'eust  esté  que  leurs  capitaines  a  grans 
coups  de  hallebardes  les  départirent,  entre  eulx  eust 
esté  sanglante  besoigne  exploictée.  Tousjours  estoyent 
en  picque:  et,  la  ou  les  Françoys  les  trouvoyent  mal 
apparentez,  très  mauvaise  compaignye  leur  faisoyent, 
et  eulx  de  mesmes  aux  Françoys;  en  somme,  les  plus 
fors  estoyent  tousjours  les  maistres  des  logis,  et  avan- 
tageulx  ;  au  surplus,  et  tant  estoyent  iceulx  Allemans 
outrecuydez  que  au  regard  de  eulx  estymoyent  les 
piétons  françoys  a  si  peu  de  chose  que  ung  d'iceulx 
en  cuydoit  valloir  deux.  Et  a  ce  propos  diray  que,  ce 
mesme  jour,  comme  iceulx  Allemans  et  aucuns  Fran- 
çoys fussent  devant  la  porte  de  Gennes,  comme  j'ay  dit, 
je  vis  la,  entre  iceulx  Allemans,  ung  de  eulx,  n'ayant 
sur  son  doz  vaillant  la  valleur  de  troys  soubz,  lequel, 


238  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [AvriH507 

au  prandre  et  départir  du  vin  qui  la  se  vendoit,  eut 
question  avecques  ung  gros  jenne  varlet  (sic)  françoys, 
ayant  ung  pot  au  poing  pour  avoir  du  vin  :  lequel 
aliemant,  combien  qu'il  vint  après,  voulut  estre  servy 
le  premier,  pencent  estre  le  plus  homme  de  bien  ;  le 
varlet,  qui  a  voit  soif,  dist  :  «  Dea,  je  suys  icy  premier 
que  vous,  et  premier  seray  servy,  car  les  premiers 
vont  devant.  »  Et,  ce  dit,  se  voulut  avancer  de  faire 
emplir  son  pot.  Mais  l'allemant,  qui  avoit  le  sien  au 
poing  et  la  hallebarde  en  l'autre,  mist  son  baston 
contre  une  muraille  près  de  la,  et  tout  soubdain,  en 
mauvais  françoys,  commainça  a  dire  :  «  Ha  !  velain, 
velain,  apartient  il  vous  servy  premier  que  moy?  »  Et, 
ce  disant,  prinst  le  varlet  par  le  collet  et  le  voulut 
faire  reculer.  Mais  le  varlet  fut  vert  et  se  tint  ferme; 
et,  voyant  que  l'allemant  le  vouloit  gouspiller,  lasche 
son  pot  et  happe  ausi  son  homme  au  collet,  et  du 
collet  a  la  perrucque,  ou  bien  a  point  se  comaincerent 
a  pellauder  et  donner  l'ung  a  l'autre  groux  coups  de 
poing  sur  la  teste  et  par  le  visage.  La  s'assemblèrent 
grant  nombre  d'autres  Allemans  et  laquays  françoys, 
lesquelz,  voyans  ce  combat,  qui  n'estoit  que  a  coups 
de  poing,  et  a  cause  de  débat  de  vin,  se  commaincerent 
tous  a  rire  et  les  lesserent  batre  longuement,  jusques 
a  ce  que  l'allemant,  qui  avoit  eu  ung  coup  de  poing 
sur  le  nez  jusques  au  sang,  voulut  mectre  la  main  a 
la  hallebarde,  et  le  varlet  a  l'espée  :  dont  furent  dépar- 
tis parleurs  compaignons,  lesquelz,  enquys  du  tort, 
blasmerent  l'allemant,  combien  que  voluntiers  eussent 
eu  ensemble,  et  de  legier,  question  de  plus;  mais, 
d'ung  costé  et  d'autre,  avoit  grosse  bende,  par 
quoy  cessèrent,  et  firent  boire  les  deux  compaignons 


Avril  1507]     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  239 

ensemble  et  emplir  leurs  potz.  Ainsi  mesprisoyent, 
iceulx  Allemans  les  piétons  françoys,  disant  que, 
sans  le  secours  de  leurs  Ligues,  les  gens  d'armes  a 
cheval  de  France  n'auroyent  seur  rainfort  de  leurs  pie- 
tons,  car  peu  d'ordre  tiennent  en  bataille,  facillement 
sont  espartys  et  a  grant  peine  ralyez.  Et,  de  vray, 
combien  que  prou  de  gens  de  pié  soyent  en  France 
bons  combatans,  hardys  et  legiers  a  la  guerre,  toutes- 
foys  les  Allemans  tiennent  communément  meilleur 
ordre,  et  plus  malaisez  sont  a  rompre,  et  myeulx  duytz 
au  ralyer;  mais,  tant  y  a  que,  au  plus  des  foys,  sont 
difficilles  au  payement,  souvant  retifz  a  la  besoigne 
et  tousjours  promptz  au  pillage. 

Pour  rentrer  en  compte,  le  Roy  estoit  lors  en  son 
palais  de  Gennes,  ou  la  fist  loger  les  seigneurs  de  son 
sang,  maistre  Georges,  cardinal  d'Amboise,  et  grant 
nombre  des  autres  seigneurs  de  France,  autour  de 
luy  ;  et  voulut  que  tous  les  quatre  cens  archiers  et  les 
cent  Allemans  de  sa  garde,  avecques  leurs  capitaines, 
fussent  tous  logez  dedans  le  palais,  qui  estoit  moult 
grant  et  spacieulx,  garny  de  grandes  salles,  belles 
galleryes  et  bonnes  chambres  et  a  grant  nombre  :  et 
ausi  fist,  au  dedans  de  la  place  dudit  pallais,  monter 
sept  grosses  pièces  d'artillerye,  charger  et  atiltrer 
droict  a  la  passée  et  entrées  d'iceluy,  et  la  dedans 
faire  toutes  les  nuytz  le  guet  a  ses  gardes. 

Le  mesme  jour  de  son  entrée^,  fist  despescher  la 
poste  pour  aller  a  Romme,  ou  escrivit  a  Françoys  de 

1.  Aussitôt  après  l'entrée  du  roi,  on  imprima  en  France  le  récit 
de  son  exploit,  avec  une  ballade  :  les  Regrez  des  Genevois.  Pendant 
trois  jours,  il  y  eut  à  Paris  des  processions  et  des  réjouissances 
{la  Bataille  et  assault). 


240  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

Clermont,  cardinal  de  Nerbonne^  pour  l'advertir  de  la 
prise  de  Gennes  et  de  son  entrée,  affin  que  le  pape  et 
les  Rommains,  qui  de  ce  ne  croyoient  riens,  en  fussent 
clerement  asseurez,  et  du  tout  advertys  :  ce  qui  ne 
fut  bien  au  plaisir  du  pape^;  car,  sitost  qu'il  eust 
veues  les  lectres  du  Roy,  escriptes  dedans  le  palays 
de  Gennes,  et  sceu  la  manière  de  la  prise  d'icelle, 
ledit  Père  Sainct  (scelon  le  rapport  d'aucuns  qui  lors 
estoyent  a  Romme)  fut  troys  jours  en  sa  chambre, 
sans  vouloir  parler  que  a  peu  de  gens  ;  disant  aucuns 
que  sa  chère  le  pouvoit  lors  monstrer  estre  bon  Gen- 
nevoys  :  ausi  estoit  il  né  de  Savonne,  terre  de  Gennes. 
Le  double  des  lectres  du  Roy  fut  transmys,  par  ledit 
'  cardinal  de  Nerbonne,  a  Naples,  au  seigneur  de  la 
Guiche^,  qui  la  estoit  ambaxadeur  pour  le  Roy  envers 
le  Roy  d'Arragon,  auquel  présenta  le  double  desdictes 
lectres  au  Roy,  et  dist  au  capitaine  Gonssalles  Fer- 
rande  :  «  Signor  capitaine,  ne  faictes  plus  de  doubte 
que  le  Roy  mon  maistre  ne  soit  dedans  Gennes;  car 
voyez  cy  le  double  des  lectres  escriptes  dedans  son 
palays  a  Gennes,  lesquelles  il  a  envoyées  a  Romme, 
a  mons'^  le  cardinal  de  Nerbonne,  signées  lesdites 
lectres  de  sa  propre  main.  »  Lesquelles  nouvelles 
semblèrent  estranges  audit  Roy  d'Arragon  et  a  Gons- 
salles, tant  que,  après  ce,  furent  long  temps  sans  dire 
mot.  Je  ne  scay  si  le  plaisir  qu'ilz  eurent  des  bonnes 

1.  Neveu  du  cardinal  d'Amboise,  ambassadeur  près  de  Jules  II 
depuis  l'année  précédente  (Sanuto,  VI,  410). 

2.  «  Corne  il  papa  mandù  a  dir  a  l'oratori  yspani  et  al  noslro 
questa  nova  di  l'entrar  il  Roy  in  Zenoa,  laquai  cossa  li  è  amara 
per  essor  zenoese  »  (Sanuto,  VII,  73)  ;  le  cardinal  de  Narbonne 
vint  peu  après  voir  le  roi. 

3.  Pierre  de  la  Guiche,  seigneur  de  Chaumont. 


Avril  1507 J     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  241 

nouvelles,  ou  Tavancement  de  la  gloire  des  Françoys, 
leur  imposa  sillence;  mais  tant  fut  que,  après  quelque 
temps,  ledit  Roy  d'Arragon  dist  qu'il  estoit  bien 
joyeulx  de  la  victoire  du  Roy,  qui,  en  si  peu  de 
temps,  avoit  faict  œuvre  si  grande  et  chose  tant 
louable. 

Les  nouvelles  furent  tantost  publyées  par  toutes  les 
Ytalles  et  les  Allemaignes  et  autres  contrées  de  la  cris- 
tienté,  voyre  jusques  en  Turquye,  ce  qui  sembla  chose 
non  ouye  a  chascun  et  cas  de  merveilles  a  tous;  veu 
la  soubdaineté  de  la  prise  et  la  force  du  lieu,  qui  sem- 
bloit  estre  inexpugnable  a  tout  le  monde  et  sans 
famyne,  imprenable  a  jamais;  dont  plusieurs  demeu- 
rèrent en  erreur  de  la  vérité  et  en  double  du  faict, 
longtemps  après. 

Le  Roy,  qui  lors  estoit  dedans  son  palais  de  Gennes^ 
sceut  que  hors  la  ville  avoit  ancores  grant  nombre  de 
ses  gens,  avecques  tout  le  sommage  ;  commanda,  le 
lendemain  de  son  entrée,  que  les  portes  fussent  ou- 
vertes et  la  mises  grosses  gardes,  ce  qui  fut  faict; 
et  ainsi  sommiers  et  charroy  entrèrent,  et  quelque 
nombre  d'AUemans  et  autres  gens  de  pié  pour  aller 
quérir  vivres  et  autre  provision  poi^r  les  autres  qui 
estoyent  hors  la  ville. 

Ce  mesme  jour,  qui  fut  ung  vendredy,  xxix*^  du 
moys  d'apvril,  le  Roy  fist  cryer  a  son  de  trompe, 
dedans  la  place  du  palais,  par  troys  crys  de  trompette, 

1.  A  Gênes,  le  roi,  comme  toujours,  assista  chaque  matin  à  la 
messe,  mais,  contrairement  à  ses  habitudes,  il  varia  peu  ses 
visites.  II  se  rendit  le  29  avril,  les  1,  2,  3,  4  et  5  mai  aux  Jaco- 
bins, le  30  avril  à  San  Stefano,  les  6,  7,  8,  9, 10, 11,  12  et  13  mai 
au  Dôme. 

IV  16 


242  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

en  françoys  et  italyen,  que  tous  ceulx  de  Gennes,  de 
quelque  estât  qu'ilz  fussent,  eussent,  dedans  le  len- 
demain au  soir,  a  apporter  toutes  les  armes  qu'ilz 
tenoyent  en  leurs  logys  et  maisons  de  Gennes,  comme 
curasses,  brigandines,  sallades,  hallebardes,  picques, 
partizanes,  rondelles  et  pavoys,  voulges,  haches  et 
espées  et,  en  somme,  tous  autres  basions  de  guerre  ; 
et  que  tous  ceulx  qui,  après  le  jour  dict,  aucunes 
armes  retiendroyent  ou  celleroyent,  des  ores  estoyent 
déclarez  rebelles  et  desobeissans  au  Roy,  leurs  per- 
sonnes et  biens  confisquez.  Ce  l'aict,  commissaires 
furent  ordonnez  pour  faire  enregistrer  les  noms  de 
ceulx  qui  rendroyent  les  armes  et  icelles  recepvoir. 
Ce  qui  fut  moult  ennuyeulx  aux  Gennevoys,  qui,  par 
les  places  de  la  ville,  a  grousses  turbes  se  pourme- 
noyent,  baissant  le  chief  et  haulssant  les  espaulles, 
comme  tristes  et  esbays,  doublant  ancores  avoir  pis  ; 
par  quoy  ne  se  firent  plus  pressera  bailler  leurs  armes, 
mais  les  firent  porter  toutes  audit  palais^  et  mectre  la 
dedans  une  chappelle  ou  estoyent  les  commissaires 
pour  recepvoir  icelles  armes  et  avoir  les  noms  de  ceulx 
qui  les  rendoyent  ;  car  plusieurs  riches  gennevoys, 
honteulx  de  rendre  ainsi  leurs  armes,  prièrent  leurs 
ostes  françoys  de  les  prendre  pour  nyent  ;  dont  aucuns 
en  voulurent  avoir  quelques  pièces  qui  leur  semblèrent 
belles  et  riches;  mais  cela  fut  deffendu  de  par  le  Roy, 
a  la  peine  de  la  hart,  de  non  en  prendre  aucune  chose  ; 
par  quoy  chascun  des  Gennevoys  fut  contrainct  aller 
au  palays  et  la  faire  porter  toutes  ses  armes,  tant  que, 
ce  jour  et  le  lendemain,  ne  firent  autre  mestier,  si  que 

1.  D'après  l'ambassadeur  vénitien,  la  valeur  des  armes  rendues 
s'élevait  à  50,000  ducats  (Sanuto,  VII,  72). 


Avril  1507]     GOMMANT  LE  ROY  ENTRA  ...  A  GENNES.  243 

ladite  chappelle,  qui  estoit  grande  et  spacieuse,  en  fut 
toute  plaine  et  empeschée.  Ce  faict,  le  Roy  commanda 
que  lesdites  armes  fussent  habbandonnées  aux  gens 
de  pié  françoys  et  allemans,  desquelz  avoit  grant 
nombre  en  la  ville,  qui  départirent  le  butin,  tout  ainsi 
que  sans  noise  chascun  en  peut  avoir,  et  puys  misrent 
leur  paquet  au  coul.  Tant  d'armeures  y  avoit  que  la 
ne  se  trouva  page,  ne  varlet,  ne  autre,  qui  voulust 
mectre  la  main  au  pillage,  qui  n'en  fust  tout  chargé. 
Et,  voyant  les  Gennevoys  ainsi  emporter  leurs  armes, 
Dieu  scet  quelle  pacieuce  ilz  eurent  ;  mais  autre  chose 
n'en  peurent  faire,  fors  que  pencer  ce  qu'ilz  vou- 
lurent^. 

Le  Roy,  voyant  que  de  la  force  et  traison  des  Gen- 
nevoys n'avoit  plus  garde,  envoya  ses  Allemans  en  leur 
pays,  lesquelz  fist  payer  par  messire  Thomas  Bouyer, 
chevalier,  gênerai  de  Normendye,  en  la  présence  de 
messire  Charles  d'Amboise,  son  lieutenant;  lesquelz 
Allemans  furent  très  malaisez  a  contanter,  demandant 
paye  pour  leurs  varletz  et  porteurs  de  bagues  et  pour 
leurs  ribauldes,  dont  avoyent  grant  nombre  ;  leur  paie- 
ment faict,  se  misrent  a  chemin  droict  a  Bourg  de 
Busalle.  Aucuns  de  eulx  demeurèrent  derrière,  pencent 
que  seurement  pourroyent  passer  ;  mais,  entre  Ponte- 
desme  et  Busalle,  leur  sortirent  en  queuhe,  des  mon- 

1.  Le  30  avril,  le  roi  écrivit  au  chancelier  son  entrée  triom- 
phale. En  même  temps,  dans  une  lettre  personnelle  et  pleine 
d'ardeur  adressée  à  Guillaume  de  Montmorency,  il  rendait  grâces 
à  Dieu  et  il  déclarait  que  cette  victoire  lui  assurait  gloire  et  grand 
honneur  dans  toute  l'Italie.  Il  se  rendait  parfaitement  compte 
qu'il  pouvait  maintenant  aller  bien  plus  avant,  mais  il  n'en  ferait 
rien  et  voulait  revenir  «  le  plus  tost  possible  »  (Portef.  Fonta- 
nieu,  i55). 


244  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

taignes  de  Poulcevre,  grant  nombre  de  paisans  qui  les 
chargèrent  au  derrière,  bien  estroit,  en  manière  que 
cinc  d'iceulx  Allemans  furent,  par  lesdits  villains  de 
Poulcevre,  tuhez;  les  autres  se  ralyerent  et,  a  coups 
de  picque,  rechacerent  iceulx  villains  jusques  dedans 
leurs  montaignes,  ou  illecques  se  sauvèrent  ;  et,  voyant 
iceulx  Allemans  que  autre  mal  ne  leur  povoyent  faire, 
misrent  de  rechief  le  feu  par  les  maisons  et  villages  de 
la  autour,  qui  ancores  n'estoyent  tous  bruslez. 

Au  Roy  fut  dit  lors  et  acertainé  que,  durant  le 
temps  qu'il  estoit  devant  Gennes,  ceulx  d'Allexandrye 
semèrent  nouvelles  que  son  armée  estoit  deffaicte  et 
les  Françoys  tous  mors;  par  quoy  voulurent  courir  sus 
a  ceulx  de  France,  qui  la  estoyent  demourez,  mesme- 
ment  a  ceulx  de  sa  chappelle,  qu'il  avoit  la  lessez  au 
partir  dudit  lieu  d'Alixandrie;  lesquelz,  après  la  prise 
de  Gennes,  s'en  allèrent  la  devers  le  Roy  et  lui  disrent 
que  lesdits  villains  d'AUixandrie,  au  moyen  desdites 
nouvelles,  s'estoyent  voulus  revoulter  et  mectre  en 
armes  pour  aller  garder  les  chemins  d'entre  Gennes 
et  Allexandrye,  affin  que  les  Françoys  ne  peussent 
passer  pour  eulx  retirer  ni  avoir  par  la  secours,  et 
tant  en  firent  que  les  lyecoulz  de  leurs  chevaulx  coppe- 
rent  et  misrent  leurs  malles  en  la  rue,  près  a  les  vou- 
loir destrousser  et  tuher;  et  si  grant  peur  leur  firent, 
entre  autres  a  ung  nommé  Prioris,  maistre  de  la  chap- 
pelle, qu'il  cuydoit  estre  mort.  Quoy  plus?  si  n'est 
qu'ilz  eurent  tous  si  belles  affres  qu'ilz  deslogerent  sans 
trompette  et  s'enfuyrent  en  Ast,  ou  sceurent  tantost 
après  que  le  Roy  estoit  avecques  son  armée  dedans 
Gennes  ;  auquel  lieu  s'en  allèrent  et  luy  contèrent  les- 
dites  choses,  de  quoy  le  Roy  fut  très  mal  contant,  tant 


Avril  1507]  COMMENT  LE  ROY  ENVOYA  A  ROMME,  ETC.  245 

qu'il  fut  presque  délibéré  de  la  faire  destruyre  et 
mectre  le  feu  dedans  ;  mais  dist  que  autrement  les 
pugnyroit,  jusques  du  tout  fust  deuement  assavanté. 
Ce  qu'il  fist,  car  il  manda  aux  Allemans,  qui  s'en 
alloyent  en  leur  pays,  que  troys  mille  de  eulx  séjour- 
nassent dedans  jusques  ilz  eussent  de  ses  nouvelles  ; 
ausi  y  envoya  troys  mille  cinq  cens  laquoys,  lesquelz 
tous  ensemble  y  séjournèrent  plus  de  six  sepmaines, 
et  Dieu  scet  commant  ilz  payèrent  la  leur  escot; 
somme,  ilz  y  firent  tout  le  sanglant  pys  qu'ilz  peurent, 
tellement  que  a  la  parfin  la  ville  leur  demeura,  que  les 
villains  habandonnerent,  jusques  le  Roy  eust  faict  des- 
loger leurs  hostes,  qui  leur  fut  bien  a  tart. 

XXVI. 

Comment  le  Roy  envoya  a  Romme,  devers  le  pape, 
DEUX  de  ses  gentishommes. 

Le  Roy,  qui  lors  avoit  et  savoit  nouvelles  de  tous 
pays,  sceut  par  vray  que  le  Roy  des  Rommains,  mal 
contant  de  la  prise  de  Gennes,  disoit  et  faisoit  dire 
publiquement  par  les  AUemaignes  que  le  pape  luy 
avoit  mandé  que  le  Roy  n'entrepreneit  le  voyage  de 
delà  les  mons  si  n'est  pour  vouloir  usurper  le  papat^ 

1 .  Cette  «  ymaginacion  »  persistante  du  pape,  au  sujet  de  laquelle 
on  peut  consulter  la  curieuse  correspondance  d'Albert  Pio  da  Garpi, 
que  nous  avons  analysée  en  appendice  du  tome  III  de  la  Diplo- 
matie au  temps  de  Machiavel,  était,  il  faut  en  convenir,  alimentée 
par  les  imprudents  témoignages  de  pensées  analogues  en  France. 
C'est  ainsi  qu'en  1507  Symphorien  Champier  dédie  son  opuscule 
De  gallis  summis  pontificibus,  non  point,  il  est  vrai,  au  cardinal 
d'Amboise,  qui  ne  s'y  serait  sans  doute  pas  prêté,  mais  à  l'évêque 
de  Rodez,  François  d'Estaing,  lieutenant  général  du  cardinal  dans 
sa  légation  du  Gomtat-Venaissin  et  gouverneur  d'Avignon. 


246  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

et  faire  du  Sainct  Siège  de  Romme  a  sa  volunté,  et 
ausi  pour  ce  faire  la  couronner  empereur  et  occupper 
toutes  les  Italles,  comme  fist  jadys  Charlemaigne  ;  et 
que,  a  ceste  fin,  voulant  ledit  Père  Sainct  obvier  a  ce, 
s'en  estoit  allé  de  Boulongne  a  Romme.  Dont  pour 
savoir  la  vérité  de  ses  nouvelles,  le  Roy  fist  a  Gennes 
despescher  deux  de  ses  gentishommes,  nommez,  l'ung 
messire  Jehan  de  Sainctz,  de  ses  eschansons,  et  l'autre 
fut  le  seigneur  de  Gymel',  lesquelz  envoya  a  Romme 
devers  le  pape  avecques  lectres,  leur  créance  et  instruc- 
tions :  desquelz  gentishommes  ledit  seigneur  de  Gymel 
alloit  pour  demeurer  a  Romme  ambaxadeur  et  ledit 
eschanson  pour  raporter  au  Roy  ce  qui  seroit  faict 
envers  le  pape  et  la  responce  de  son  dire. 

Leur  despesche  faicte,  partirent  de  Gennes  le 
v*^  jour  du  moys  de  may.  Et,  pour  avancer  leur  voyage, 
le  Roy  les  fist  mener  par  mer,  a  deux  des  galleres 
de  Pregent  et  a  ung  capitaine  espaignol  nommé  Miquel 
Pastor,  capitaine  de  quatre  galleres  que  le  Roy  d'Ar- 
ragon  luy  avoit  envoyées  pour  le  servir  a  sa  guerre 
de  Gennes;  lequel  Pastor,  avecques  les  autres  Espai- 
gnolz  desdites  galleres,  contanta  a  leur  plaisir  et  leur 
fist  riches  presans  et  grans  dons  ;  puys  avecques  eulx 
fist  embarcher  sesdits  gentishommes  pour  mener  avec- 
ques leurs  galleres  et  celles  dudit  Pregent  jusques  a 
Romme.  Quatre  jours  furent  sur  mer,  puys  arrivèrent 
a  Civitaveiche,  port  de  mer,  a  une  journée  près  de 
Romme  par  terre,  ou  ne  voulut  arrester  ledit  Miquel 

1.  Le  16  mars  1505,  a.  st.  (1506),  Antoine  Gymel,  destiné  à  la 
résidence  de  Rome,  avait  souscrit  à  Blois  un  curieux  engage- 
ment, que  nous  avons  publié,  de  n'accepter  aucun  don  du  pape 
(la  Diplomatie  au  temps  de  Machiavel,  t.  III,  p.  394). 


Avril  1507]  COMMENT  LE  ROY  ENVOYA  A  ROMME,  ETC.  247 

Pastor  ne  prendre  port,  mais  avecques  ses  galleres 
passa  la  route,  tirant  droict  a  Naples  vers  son  maistre 
le  Roy  d'Arragon.  Les  autres  deux  galleres  de  Pre- 
gent  demeurèrent  la  pour  actendre  se  messire  Jehan 
de  Sainctz  s'en  vouldroit  retourner  par  mer. 

Devers  le  pape  s'en  allèrent  lesdits  gentishommes 
françoys,  auquel  présentèrent  les  lectres  du  Roy  et 
dirent  leur  créance,  contenant,  en  somme,  que  le  Roy 
vouloit  savoir  commant  la  Saincteté  du  pape  vouloit 
vivre  et  demeurer  avecques  luy,  comme  estant  doub- 
teux  et  mal  asseuré  de  l'intencion  de  son  vouloir,  et 
ce  pour  ce  qu'il  pensoit  a  sa  venue  le  trouver  a  Bou- 
loigne,  dont  s'en  estoit  party  et  retiré  a  Romme  sans 
l'avoir  actendu,  comme  luy  avoit  mandé  ;  et  comme 
par  les  Allemaignes  estoit  bruyt  que  le  Roy  des  Rom- 
mains  disoit  et  faisoit  publicquement  dire  que  le  pape 
luy  avoit  mandé  que  le  Roy  ne  prenoit  ledit  voyage, 
si  n'est  pour  s'efforcer  de  usurper  le  Sainct  Siège 
apostolique  et  en  faire  a  son  vouloir,  et  ausi  pour  se 
faire  par  force  couronner  empereur  et  occuper  toutes 
les  Italles.  Lesquelles  choses  monstrerent  par  lectres 
et  disrent  de  bouche  au  pape,  et  en  oultre  luy  dirent  : 
a  Quant  au  regard  de  l'usurpacion  ,du  papat,  a  ce 
point  ne  respondoit  le  Roy,  disant  que  la  chose  d'elle 
mesme  se  doit  pencer  impossible  a  faire  par  raison  et 
increable  a  entreprendre,  veu  que  luy  et  ses  prédé- 
cesseurs ont  tousjours  esté  protecteurs  de  l'Esglise  et 
deffenseurs  de  son  droict  ;  ausi,  quant  a  ce  que  ledit 
seigneur  se  vouloit  faire  couronner  empereur  et  occup- 
per  les  Halles,  que  a  ce  n'avoit  oncques  pencé,  mais 
disoit  estre  ses  choses  controuvées  et  mises  par  l'in- 


248  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

vencion  du  Roy  des  Romains;  mais,  pour  respondre 
du  tout  a  la  principalle  cause  qui  le  mouvoit,  de  pas- 
ser les  mons  ;  c'estoit  mesmement  pour  vouloir  veoir 
la  Saincteté  du  pape  a  Boulongne,  comme  ledit  Père 
Sainct  luy  avoit  mandé ,  et  pour  conférer  et  trecter 
avecques  luy  du  bien  de  l'Eglize  et  prouffict  de  la 
chrestienté,  et  ausi  pour  la  cause  de  la  rébellion  de  sa 
ville  de  Gennes,  qu'il  vouloit  remectre  entre  ses  mains 
et  reduyre  a  la  raison,  comme  il  avoit  ja  par  armes 
faict,  et  estoit  dedans,  ayant  le  peuple  et  toute  la  ville 
a  sa  mercy,  pour  en  faire  a  son  plaisir,  et  du  tout  a 
son  vouloir;  dont,  toutes  sesdites  choses  considérées, 
s'esmerveilloit  grandement  de  ce  que  ledit  Sainct  Père 
luy  avoit  mandé  qu'il  l'actendroit  a  Bouloigne  (que 
par  armes  luy  avoit  peu  de  jours  devant  soubmise  et 
rendue  a  sa  Saincteté  et  obéissance  et  faict  tout  le 
secours  et  service  que  bon  filz  doit  faire  au  père),  ledit 
Père  Sainct  s'en  estoit  allé  a  Romme  sans  le  vouloir 
actendre,  comme  luy  avoit  promys;  et  ausi  s'esmer- 
veilloit de  ce  que  le  Roy  des  Rommains  s'estoit  jacté 
touchant  les  paroUes  susdites;  mais,  tout  ce  nonobs- 
tant, le  Roy,  comme  Roy  Très  Gristien  et  obbeissant 
filz  de  l'Eglise,  estoit  délibéré  de  tousjours  se  mons- 
trer  par  effect  protecteur  de  la  Saincteté  apostolique 
et  vray  deffenseur  de  l'Eglize  ;  et  au  surplus  prioit  le 
Père  Sainct,  pour  adverer  la  chose,  que  son  plaisir 
fust  envoyer  devers  le  Roy  des  Rommains  message 
exprès  pour  savoir  dont  lesdites  parolles  sont  venues 
et  faire  en  manière  qu'il  puisse  clerement  cognoistre 
le  bon  vouloir  dudit  Père  Sainct.  »  A  quoy  fist  ledit 
Sainct  l^ereresponce  en  disant  :  a  Au  regard  des  paroles 


Avril  1507]     COMMENT  LE  ROY  ENVOYA  A  ROMME,  ETC.         249 

que  Maximilien,  Roy  des  Rommains,  a  faict  publier 
et  semmer  par  les  Allemaignes,  je  respons  que  onc- 
ques  ne  les  diz  ne  n'en  sceu  jamais  riens.  Et  quant  a 
ce  que  le  Très  Grestien  Roy  de  France  s'esmerveille 
de  ce  que  ne  l'ay  actendu  a  Boulongne,  comme  je  luy 
avoye  mandé,  ne  fault  qu'il  pence  que  pour  sa  venue 
me  soye  retiré  a  Romme,  mais  fut  pour  ce  que  audit 
lieu  de  Bouloigne  me  trouvay  si  mal  de  ma  personne 
que  les  médecins  me  deffendirent  la  demeure,  disant, 
si  j'avoye  ma  sente  pour  recommandée,  que  besoing 
m'estoit  de  changer  l'air  et  me  retirer  icy,  ce  que  je 
fis.  Et  en  oultre,  de  ma  part,  je  veulx  estre  et  demeu- 
rer tous  temps  envers  ledit  très  cristianissime  Roy  de 
France  tout  ainsi  que  le  bon  père  doit  faire  envers 
l'obéissant  filz,  prest  a  toute  heure  a  luy  faire  tout  le 
plaisir,  secours  et  amytié  que  entièrement  se  pourra 
estandre  ma  puissance.  Et  au  surplus,  tout  en  pré- 
sent, despescheray  messages  pour  mander  au  Roy  des 
Rommains  qu'il  me  face  assavoir  dont  sont  procedées 
et  issues  lesdites  parolles,  pour  en  advertir  tout  au 
vray  vostredit  maistre  cristianissime  Roy  de  France.  » 
Et,  ce  dit,  ledit  messire  Jehan  de  Sainctz  prist  congé 
du  pape  et  s'en  revint  en  poste  devers  le  Roy,  lequel 
advertist  de  toutes  lesdites  choses.  Le  seigneur  de 
Gymel  demeura  a  Romme  devers  le  pape  pour  le  Roy, 
et  les  deux  galleres  de  Pregent  s'en  revindrent  droict 
a  Gennes. 

Le  Roy,  dedans  sa  ville  de  Gennes,  estoit  lors  a 
séjour,  ou  de  jour  en  autre  deliberoit  de  ses  affaires, 
en  se  enquerant  de  ceulx  qui  avoyent  esté  cause  prin- 
cipalle  de  la  division  et  revoltement  de  Gennes  et  mys 


250  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Avril  1507 

le  peuple  en  vouloir  de  prendre  les  armes  et  faire 
rebellyon  contre  luy  :  de  quoy  fut  tantost  adverty,  et 
tant  qu'il  eut  les  noms  de  tous  les  mutinyers,  des- 
quelz  l'une  part  estoit  en  la  ville  et  les  autres  estoyent 
fuytifz  ;  dont  délibéra  faire  grâce  et  pardonner  a  ceulx 
qui  s'estoyent  mys  entre  ses  mains  et  rendus  a  sa 
volunté  et  pugnir  les  absens  comme  criminelz  de  leze 
magesté,  rebelles  a  justice  et  deffyans  de  miséricorde  ; 
par  quoy  mist  gens  de  toutes  pars  a  chercher  et 
prendre  iceulx  qui,  a  sa  venue,  s'estoyent  absentez; 
et,  entre  autres,  sceut  que  ung  nommé  Demetryus 
Justynian,  des  plus  gros  de  la  ville  et  l'ung  de  ceulx 
qui  le  plus  avoit  mys  le  peuple  et  celuy  entretenu  en 
obstination  de  rébellion,  estoit  hors  de  Gennes  dedans 
une  sienne  place,  sur  la  coste  de  la  mer.  Par  quoy 
transmist  la  ung  nommé  Pregent  le  Bidoulx,  capitaine 
de  quatre  galleres,  et  avecques  luy  ung  autre  nommé 
MoUart  SufPray,  allemant,  seigneur  du  Ryage,  bien 
accompaigné  par  mer,  pour  prendre  ledit  Demetry 
Justinian,  lesquelz  s'en  allèrent  sans  bruyt  avecques 
quelque  guyde  de  Gennes,  qui  les  mena  droictement 
par  mer  viz  a  viz  du  lieu  ou  estoit  celuy  Demetry  : 
lesquelz,  le  plus  cellement  qu'ilz  peurent,  gaignerent 
terre  et,  deguysez,  s'en  allèrent  segretement  droict 
audit  logys,  ou  entrèrent  soubdainement,  leurs  espées 
au  poing  ;  et,  ce  voyant,  ledit  Demetry  voulut  vuyder, 
mais  fut  suyvy  si  tost  qu'il  n'eut  loisir  de  trouver  issue 
seurc  pour  s'en  fuyr  ne  lieu  segret  pour  se  cacher;  si 
fut  pris  et  ramené  a  Gennes  et  mys  en  bonne  garde 
et  seure  main  jusques  le  conseil  eust  veu  en  son  affaire 
et  ordonné  de  son   procès.  Plusieurs  autres  fuytiz 


Avril  1507]     COMMENT  LE  ROY  ENVOYA  A  ROMME,  ETC.        251 

furent  priz  et  menez  a  Gennes,  ou,  après  leur  procès 
faict,  furent  les  ungs,  par  les  places  de  la  ville,  tren- 
chez  les  testes  et  escartellés,  et  les  autres  pendus  a 
potences  par  les  cantons  des  rues,  et  les  autres  atachez 
près  de  portes  de  ladite  ville  ;  en  manière  que,  par  toutes 
les  rues,  paroissoit  a  ses  enseignes  que  justice  avoit 
manyé  les  rebelles  si  aigrement  que  tous  ceulx  de 
leur  secte,  voyant  le  spectacle  de  sévérité,  estoyent 
trancys  de  peur  et  effrayez  de  craincte,  comme  acten- 
dans  d'eure  en  autre  la  venue  des  bourreaulx  et  la 
corde  au  col.  Mais  le  Roy,  sur  tous  autres  le  plus 
humain,  ne  voulut  la  mort  de  tous  ceulx  qui,  contre 
sa  Majesté,  l'avoyent  justement  deservye,  mais  seules 
ment  d'aucuns  de  ceulx  qui,  a  la  prise  du  Gastellas, 
avoyent  a  ses  gens  usé  de  cruelle  tyrannye,  comme 
est  dit  dessus,  ou  d'autres  commisseurs  de  crimes  tant 
dampnables  que  de  toute  grâce  fussent  frustrez  ou 
forclux  de  miséricorde,  dont  l'excution  de  justice  fut, 
par  le  pouvoir  de  clémence,  adoulcye.  Toutesfoys 
toute  la  ville  de  Gennes,  n'ayant  ancores  planiere 
grâce,  estoit  espouventée  du  chastyment  des  malfaic- 
teurs  et  soubcieuse  de  sa  doubteuse  adventure;  et, 
pour  y  vouloir  au  mieulx  pourvoir^  furent  aucuns 
gennevoys  envoyez  devers  le  Roy,  de  par  la  ville,  le 
prier  que  son  plaisir  fust  de  avoir  pitié  de  son  pouvre 
peuple  et  prendre  de  chascun  d'eulx  le  serment  de 
fidélité  et  l'amende  honorable  et  proffitable,  scelon  sa 
bonne  ordonnance  et  l'advys  de  son  conseil  ;  a  quoy 
voulut  bien  entendre,  comme  prince  très  humain,  et, 
pour  ce,  ordonna  tantost  après  tenir  siège  royal  et 
mettre  fin  en  ses  affaires. 


252  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

XXVII. 

Comment  le  Roy  tint  en  son  palays  de  Gennes  siège 

ROYAL,  ou  LES  GeNNEVOYS  LUY  FIRENT  LE  SERMENT 
DE  FIDELITE,  ET  d'uNE  HARANGUE  FAITTE  EN  ITALIEN 
AVECQUES  LA  RESPONGE  DE  MESMES. 

Dedans  la  grant  court  du  palays  de  Gennes  fut 
dressé  ung  grant  eschaffault^  touchant  au  degrez  de 
l'entrée  de  la  porte,  par  ou  l'on  monte  en  la  salle 
dudit  palays,  et  sur  celluy  eschafîault  ung  autre  petit 
eschaffault  sur  lequel  estoit  une  haulte  chaere,  prépa- 
rée pour  le  Roy  et  couverte  de  drap  d'or,  et  le  dessus 
couvert  d'ung  poisle,  semmé  de  fleurs  de  lys,  et  le  bas 
couvert  d'ung  drap  pers,  semé  aussi  de  fleurs  de  lys. 
Et  la,  aux  deux  costez,  estoient  bancz  et  chaires  mises 
pour  asseoir  les  seigneurs  du  sang  et  les  cardinaulx 
qui  la  estoient.  Aux  deux  costez  estoient  les  gentis- 
hommes  et  les  archiers  de  la  garde,  a  deux  rancz, 
prenant  dudit  eschaffault,  en  tirant  jusques  a  la  porte 
de  l'entré  du  palays,  pour  faire  la  entrer  le  peuple  et 
garder  la  presse.  Lorsque  tout  fut  prest,  le  Roy  se 
myst  en  chaire,  et  autour  de  luy  tous  les  princes  et 
cardinaulx  qui  la  estoyent,  et  tous  ses  chamberllans 
avecques  ses  archiers  du  corps.  Et,  ce  fait,  ung  Roy 
d'armes,  nommé  Daulphin,  fist  la  son  criz,  de  par  le 
Roy,  que  chascun  eust  a  faire  sillence,  a  la  peine  d'estre 
désobéissant  audit  seigneur. 

Apres  toutes  ces  cerimonyes,   grant   nombre  de 

1.  «  Tout  tendu  de  belle  et  riche  tapisserie  »  (Saint-Gelais). 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       253 

peuple  de  Gennes  entra  dedans  le  palaysS  et  entre 
eulx  fut  ung  docteur  gennevoys,  nommé  messire 
Johan  de  lllice^,  lequel  s'approcha  de  l'eschaffault  du 
Roy,  et  la  dessus  se  mist  les  deux  genoilz  a  bas^  et 
les  yeulx  tenduz  vers  le  ciel,  portant  piteuse  et  esba- 
hie  chiere;  lequel,  a  voix  basse  et  tramblant,  dist  en 
langue  italienne  l'oraison  qui  s'ensuyt*  : 

Sequita  la  propositione  fada  per  misère  Joanne  de  llice,  doc- 
tore  de  Genua,  al  Christianissimo  Re  Luyse  duodecimo,  Re 
di  Franza,  duca  de  Milano  et  signor  di  Genua,  in  nome  del 
populo  Genoese^. 

Christianissimo  e  invictissimo  Re,  unico  e  supremo  Signor 
nostro  in  terra.  Questa  vostra  devotissima  cita  di  Genoa  et  uni- 
versalmenti  li  habitanti  in  quella  veramenti  ricognoscano  li 
infiniti  meriti  e  beneficij  delà  Maiesta  vostra,  per  il  passato  per 
noi  recevuti,  esser  tali,  e  tanti,  che  rendano  tutti  noi,  e  li  posteri 
nostri  in  perpetuum,  obligatissirai  a  dover  alla  M'»  vostra  ren- 
dere  e  referire  non  quelle  gracie  e  laude  che  se  converebono, 
ma  quai  possiamo  per  le  débile  nostre  faculta.  Ma  veramente, 
Glementissimo  re,  li  preteriti  beneficij  e  gracie,  al  tutto,  supera 
et  avanza  questo  ultimo  singularissimo  et  preclarissimo  dono 

1.  On  avait  convoqué  le  peuple  en  sonnant  les  cloches  (Jean 
Marot). 

2.  En  italien  de  Lerici. 

3.  Il  baisa  trois  fois  la  terre  (Jean  Marot). 

4.  Le  texte  qui  suit  a  été  transcrit  après  coup  sur  le  manuscrit 
par  une  main  italienne.  Des  feuillets  blancs  avaient  été  réservés 
à  cet  effet.  Par  suite  d'un  mauvais  calcul,  un  feuillet  et  demi  de 
parchemin  s'est  trouvé  en  excédent  et  est  resté  en  blanc  à  la 
suite  du  texte  itaUen. 

5.  Miniature  (fol.  mixxjx  r°  du  ms.)  représentant  le  roi  sous  un 
dais,  entouré  de  sa  cour,  avec  cinq  cardinaux  à  sa  droite.  Devant 
lui,  les  envoyés  de  Gênes,  tête  nue,  en  noir,  entre  deux  troupes 
d'archers.  Un  des  envoyés  (Lerici),  la  barrette  à  la  main,  à  genoux 
sur  le  degré  du  trône. 


254  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

cli  Gleraentia,  che  dignata  sia  venir  personalraente  a  liberarne 
di  tanta  Servitù  e  captivila  in  quanta  per  colpa  non  percio  di 
grande  numéro  di  homini  di  maie  afare  eravano  reduti.  Quali 
essendi  seguili  da  la  vulgar  e  ceca  gente,  cum  le  arme  e  a  forza 
la  Cita  hano  induta  a  errore.  Ma  la  Glementia  vostra  infînita, 
imitando  il  nostro  Redemptori  lesu,  et  non  percio  seguendo  na 
la  infructuosa  di  luda,  ma  di  Pietro,  salutifera  penitentia,  e  con- 
siderato  cum  gli  occhi  al  ciel  levati  che  tarde  non  fur  mai  gra- 
cie divine,  e  stata  tanto  superhabundantissima  che,  non  rispec- 
tato  il  dicto  errore,  ne  venuto  a  Liberar  et  Redimere,  in  modo 
tali,  Ghristianissirao  Re,  che,  cosi  como  per  tuto  il  mondo  la 
M.  V.  a  sua  grande  gloria  e  laude,  e  insignita  e  decorata  Chri™* 
meritissimamente  se  li  po  e  deble  adiungere  il  Iriumphal  litulo 
di  Glementissima,  se  non  superior,  saltem  non  inferior,  ma  coe- 
quale  a  li  altri  decorati  tituli.  E  per  che  poi  vostra  summa 
Glementia  ne  ha  ricevuti  a  sua  bona  gracia  e  sotto  il  tutissimo 
Glipeo  di  sua  protectione,  cessato  e  ogni  maie,  seguito  ogni  bene, 
e  Ghristo  in  croce  sta,  cum  le  bracie  aperte,  a  dover  pardonare 
ad  ogni  uno  che  a  luy  si  torna  e  il  suo  errato  ricognosce.  Per 
cio  tutti  universalmente  in  virtu  di  questo  novo  e  triumphal 
titulo  di  Glementia,  in  terra  prostrati,  supplicamo  la  M.  V.  si 
degni  concedere  le  infrascritte  gracie  e  Riqueste.  Prima,  che 
vogli  universalmente  perdonare,  secundo  para  e  iudicara  essa 
summa  Glementia.  Secundo,  remettre  e  canzellare  la  pena  e 
multa  pecuniaria  a  la  vostra  cita  inflita,  per  lo  error  predicto. 
Tercio,  anoi  concedere  e  condonare  li  privilegij,  gracie,  exemp- 
tione,  immunita,  e  altri  a  questa  cita  consueli.  Quarto,  cosi 
como  descendendo  la  anima  del  glorioso  Ghristo  al  limbo  per 
Redimere  e  Liberar  le  anime  gia  longo  tempo  captivate,  cosi,  in 
memoria  di  Sua  sanctissima  passione  e  liberatione  predicta,  si 
supplica,  e  humilmenti  requere  che  degnar  Si  vogli  la  M.  V. , 
per  questo  suo  advenlo  libcrare  li  soi  Gitadini  fin  al  présente 
giorno  nel  Gastelleto  retenuti  e  quelli  graciosamente  condonare 
a  le  isconsolatc  madré,  a  le  aftlicte  mogliere,  a  li  tribulati  parenti, 
a  perpétua  laude  e  gloria  delà  M.  V.,  et  acio  si  po  patisca  il 
iusto  per  lo  iniusto. 

Non  obmettero,  GlementissimoRe,  laltro  preclaro  dono  a  noi 
etiam  condonato  in  constituire  un  regio  gubernatore  sotto  il 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       255 

gouverno  del  quale,  per  sua  virtu,  summa  prudentia,  et  inge- 
nio,  speramo  questa  Cila,  cum  luto  il  suo  distretto,  dover  esser 
lalmciUi  rezuta  e  gubernata,  che  grande  gloria  ne  résulte  a  la 
M.  V.  e  da  noi  utile  pacifico,  e  stabilita  perpétua.  La  quai  Cita, 
cum  ogni  sua  pertinentia,  non  cum  quai  si  de,  ma  cum  quai  si 
po  humilita,  et  genibus  flexis,  prostergato  in  terra,  devotissi- 
mamente  se  aricommanda,  inducendo  et  allegando  il  dicto  dal 
Psalmista  :  «  Cor  contritum  et  humiliatum  Rex  ne  despicies.  » 
Amen. 

Sequita  la  risposta  facta  per  missere  Michèle  Rizo,  doctore, 
consigner  e,  e  maestro  de  requeste  ordinario  de  la  maison 
del  prefato  Christianissimo  Re,  per  commandamento  de  Soa 
Maiestade. 

E  sentencia  di  philosophi,  che  perfidia  noce  tanto  a  la  gene- 
racione  humana  quanto  giona  [sic]  la  observantia  de  la  bonna 
fede  :  «  Perfidia  tantum  incommodi  humano  generi  affert  quan- 
tum salutis  bona  fides  prestat.  »  Questa  perfidia  non  solamente  ha 
submerso  le  citade,  terre,  e  provincie,  como  si  lege  ne  le  historié 
di  Gapoa,  Numantia  e  Garthagine  e  moite  altre  cita  e  provin- 
cie :  ma  una  parte  delà  natura  angelica  casco  in  ruyna  per 
quella  irreparabilmente.  El  nostro  padre  Adam  per  la  rebel- 
lione  e  inobediencia  verso  el  suo  Signore  fo  condennato,  luy  e 
la  sua  posterita,  in  perpetuo.  E  quantum  che  nostro  signore  e 
redemptore  lesus  ne  habia  redempto  col  precioso  sangue,  non 
dimeno  nostra  natura  resta  imbécile  e  inferma  per  la  ditta 
colpa.  0  popole  Genoese,  me  se  concedesse  tanto  ingenio,  mémo- 
ria  e  facundia,  chio  potesse  condignamente  considerare  comme- 
morare,  e  explicare  la  gravita  de  vostre  exécrable  perfidia  !  Ma 
la  grandeza  et  enormita  di  quello  offuscano  l'intellecto,  pertur- 
bano  la  raemoria,  e  impediscono  la  lingua.  Pero  che  quando 
considero  la  perfidia  de  Gartaginesi  verso  Xantipo  Lacedemonio 
che  e  existimata  gravissima  ;  Quelle  de  Hannibal  verso  li  Noce- 
rini  et  Acerani,  Digneo  Domicio  contra  Bituito,  Re  di  Avernia, 
de  Servio  Galba  contra  le  tre  Gita  di  Portugalo,  tutte  insieme 
non  sono  a  comparare  a  questa  vostra  usata  e  commissa  verso 
el  Chris™"  e  pientissimo  re  nostro.  E  me  dole  che  non  la  posse 


256  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

bcne  explicare  a  fine  che  se  inlendesse  meglio  la  summa  Glemen- 
lia  e  bonla  de  Soa  Maesta  Ghri"^*. 

Me  ricordo  e  credo  molti  di  noi  présente  ne  habiano  memo- 
ria  che,  in  lanno  de  la  nativita  del  nostro  Signore  raille  qua- 
trocento  nonante  nove,  del  mese  de  Octobrio,  ricognoscendo 
che  nostro  vero  e  natural  signore  era  lo  Ghri"""  re  di  Franza 
e  che  longo  tempo  la  Cita  vostra  havea  prosperato  sotto  lor 
dominio  e  obediencia,  e  maximamente  nel  tempo  del  re  Garlo 
magno,  e  poi  de  récente  e  fresca  memoria  sotto  el  dominio  del 
re  Garlo  VI°,  del  re  Garlo  Septimo^  e  se  alcuno  altro  dapoi 
havea  gouvernato  e  dominato  la  cita  vostra,  era  infaudato  dal 
re  Ghri'""  de  Franza,  recognoscendo  in  dirrecto  e  supremo 
signore  :  elegistivo,  de  vostra  spontanea  volunta  e  proprio  moto, 
Sedeci  notabili  citadini,  ali  quali  per  commune  decreto  de  vos- 
tro  gran  Gonsiglio,  nemine  discrepante^  donastivo  commissione 
e  auctorita  de  mettere  la  Gita  vostra  e  dislritto  de  quella  a  la 
obediencia  de  soa  Ghri""^  M'*,  como  a  vero  naturale  e  supremo 
Signore,  li  fare  et  prestare  lo  debito  sacramento  de  fidelita.  Li 
quali  vostri  ambassiatori  se  transferino  a  la  Gita  de  Milano, 
dove  sua  Maiesta  era  in  quello  tempo,  e  li  fero  solennemente  la 
ditta  fideUta.  E  nel  mese  di  Novembrio  sequente,  in  la  gran 
Sala  de  questo  palazo,  me  proponente^  tutti  li  capi  di  casa  et 
homini  capaci  de  Rason  ratiffîcando  la  ditta  fidelita  e  luto 
quanto  per  li  ditti  Ambassiatori  era  stato  facto,  de  novo  se 
obligarono  e  iurarono  la  fidelita  in  raano  de  monsignor  di 
Ravastein,  per  soa  M'^,  Affirmando  che  la  redutione  de  la  Gita 
vostra  a  la  sua  obediencia  era  reformare  el  Stato  di  esse  Gita 
che  per  alcun  tempo  era  stato  detorpato  e  deformato  per  la 
tyrannia  de  alcuni,  et  vostre  particulari  odij  et  inimicicie 
intestine. 
«  Sed  quis  furor,  o  populi,  que  tanta  dementia,  cives?  » 
Ghe  e  quello  che  ve  ha  induto  a  rebellione  contra  el  re 
Ghri="°  nostro  signore,  el  quai  a  fatto  verso  voi  lutto  quello 
che  era  convenienle  a  iusto,  pio  c  amorevol  signore,  inconti- 
nenti  che  Seti  venuto  ala  obediencia  soa  ?  Ha  fatto  cessare  tute 
vostre  parcialita,  che  erano  causa  spesso  de  ogni  nostro  maie. 
Ha  ordinato  farve  administrare  iusticia  cosi  al  richo  como  al 
povero  senza  accepter  personne.  E  se  alcuno  manchamento  e 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       257 

stato  in  la  iusticia,  la  colpa  se  po  dare  a  voi,  che  non  havete 
advertito  a  Soa  M'*.  Ve  ha  difîesso  de  tute  oppressione  e  vio- 
lentie,  favorite  tuti  vostri  commercij  e  mercantie  e,  per  tulo,  vos- 
tra  navigatione-,  cum  le  baynere  e  ensegne  de  la  Soa  IVl^*,  seli 
slati  honorati  c  carezati.  E  quantum  che  tuta  Italia  habbia  sen- 
tito  li  danni  e  incommodi  de  la  guerra,  sola  la  vostra  cita  et  lo 
Genoese  hano  goduto  de  la  pace.  Ghe  e  quello  che  ve  mosso,  o 
popul  Genoese,  a  dismenticarve  de  tanti  beneficij,  etiam  per  voi 
commemorati,  et  el  tranquille  e  dolce  stato  nel  quai  voi  eravo,  e 
venir  contra  el  sacramento  de  la  fidelita  et  metter  la  Cita  vostra, 
le  personne,  lo  honore,  e  li  béni  in  cosi  évidente  ruyna  che,  se 
la  summa  Glemencia  e  pieta  del  Re  Chri^'^nonhavesseobviato, 
per  voi  non  e  rimasto  di  ruynare  e  sovertere  perpetuamente 
el  tutto  ?  Ghe  e  quello  che  a  possuto  fare  el  re  Ghri"""  in  vostro 
beneficio  che  habbia  lassato  de  farlo?  E  po  dire,  como  dice  il 
nostro  Signore  :  «  Popule  meus,  quid  feci  tibi  ?  » 

Longo  tempo  e  che  li  predecessori  vostri  hano  cognosciuto 
non  poder  esser  senza  iusto  signore.  Et  e  sentencia  di  philoso- 
phi  quod  «  Sub  iusto  principe  vivere  summa  est  libertas.  »  Se  voi 
non  havessivo  Signore  e  volessivo  elegere  uno,  a  pena  trovares- 
sivo  simile  al  re  Ghri*"".  Si  consideramo  la  origine  e  genealogia, 
e  la  piu  antiqua  e  continuata  de  Ghristiani ,  pero  che  il  re 
Qjjf^mo  g  Iq  Ginquanta  uno  descendente  del  primo  Re.  Se  consi- 
deramo la  vertu  sue,  tuto  e  pieno  de  Religione,  de  Iusticia, 
pieta,  prudente,  forte  e  temperato.  E  se  la  presencia  de  So[a] 
M'a  non  me  revocasse  dal  proposito,  dubitando  incorrere  vicio 
de  adulations,  io  ve  mostraria  che,  con  tuti  quelli  che  Sono  lau- 
dati,  ne  le  anliche  e  moderne  historié,  de  religione,  de  iusticia, 
de  pieta,  de  forteza  e  temperança,  sua  Ghri">*  M'*  se  po  compa- 
rare.  Lo  sano  e  soi  subditi.  Lo  sano  e  soi  servitori,  quale  sono 
continuamente  presso  di  Soa  M'^.  Lo  posseti  per  experiencia 
cognoscere,  Voi,  popul  Genoese,  che  havete  novamente  experto 
sua  magnanimita  in  havervi  vinto  con  tanta  celerita,  e  so[a] 
gran  bonta  in  volerve  perdonare  si  gran  colpa.  E  nientedi- 
meno,  obcecato  populo,  havete  procurato  meterve  fore  de  la  obe- 
diencia  de  Sua  M'^.  Voi  pigliastivi  le  arme  nel  principio,  facendo 
tumulto  e  sedicione,  e  poco  commettendo  crimen  leze  maiesta- 
tis.  E  perpetrasti  piu  homicidij  e  robarie,  e  per  violencia  caças- 
IV  17 


258  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

tivo  li  Nobili,  che  sono  luna  de  li  pri[n]cipale  de  vostra  Cita. 

Donastivi  ad  intendere  venir  a  venia  e  domandar  gracia  e 
perdon,  promettendo  posar  le  arme  e  remettere  el  tulo  al  pris- 
tino  stato.  El  bono  e  clementissimo  Re  liberalmente  vi  pardono, 
sperando  che  dovessivo  recognoscere  sua  bonta  e  clemencia  e 
disponerve  del  tutto  al  Suo  servicio,  como  fe  el  bon  Cynna 
Romano  verso  Octaviano  Imperadore,  poi  che  lui  donna  la  vita 
che  li  posseva  giustamente  logliere.  Ma  voi,  cechi  de  furore  e 
ingrati,  andando  de  mal  in  pegio,  havete  occupato  le  casleile  e 
terre  se  lenervano  per  soi  capitanij ,  assegiate  al[cune]  allre,  quale 
soi  gente  darme  con  soi  bandere  deffendevano,  impediti  et  depre- 
dati  le  victualie  e  homini  se  mandavano  a  le  sue  forteze  e  Cas- 
telle,  presoel  Gastellazo,  e,  sotto  fede,  crudelmente  trocidate  li 
homini,  assegiate  e  combatuto  el  suo  Gastelletto.  E,  quel  che  e 
pegio,  ve  havete  monito  e  fortifficato  per  resistere  a  sua  Maiesta, 
la  quai  veniva  in  persona.  Non  considerando  che  la  força  vos- 
tra verso  quella  de  So[a]  M'*  e  simile  a  quella  dun  pulice  ad 
uno  Elephante. 

0  damnata  e  detestabile  perfîdia!  o  summa  Dementia!  E  sio 
volesse  pesare  la  qualita  e  gravita  di  vostri  delicti  e  excessi,  e 
commensurarli  con  digna  pena,  non  solo  li  homini,  maie  mura 
e  la  terra  meritariano  perpétua  eversione.  E  tuti  gli  tormenti 
exquisiti  per  Fallace  [sic] ,  e  Dyonisio,  e  altri  tyranni ,  non  sarebeno 
sufficiente.  lo  so  bene  che  vi  despiace  intendere  exprobrare  et 
detestare  lo  errore  vostre.  Ma  vi  cognosco  de  tanto  ingenio,  che 
cognosceti  che  e  ditto,  errore  e  piu  grandi  e  meritar  piu  grave 
reprehesione.  lo  cognosco  nel  vulto  e  nelo  habito  che  seti 
Genoesi,  ma  li  fatti  e  le  opère  sono  contrarie,  e  piu  presto  da 
inimici,  havendo  exposta  la  patria  a  cosi  gran  pericolo.  E  son 
certo,  che  quando  voi  considerati,  li  capilli  se  rlvoltano  insuso  et 
le  viscère  se  commovano. 

«  Sed  respexit  vos  oculo  pietatis  Clementissimus  rex,  et  miser- 
tus  est  populi  sui.  »  Non  e  minor  la  gloria  di  Soa  M'*  Ghristia- 
nissima  in  haver  lemperato  la  giusta  indignalione  sua  verso 
voi,  che  havervi  viuto  e  redutaasoa  obediencia.  E  quando  con- 
sidero  li  casi,  per  li  quali  Valerius  Publicola,  Furius  Gamilius, 
li  doi  Scipioni  Alîricani,  Marco  iMarcello,  Marco  Galhone, 
ArchiLa  Tarenlino  et  li  altri  sono  laudati  de  la  vertu  de  lempe- 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       259 

rança,  senza  dubio,  in  questo  caso,  el  Re  Ghristianissimo  e 
digno  di  magior  laude,  e  quai  me  a  commandato  rispondere  a 
la  suppiicatione  vostra  : 

Clie  sua  Maiesta  perdona  e  remette  a  tutl  U  Genoesi  11  delicti, 
lanlo  de  leza  maiesta,  nel  primo  o  secundo  capo,  quanlo  altri 
quai  se  voglia,  e  de  quai  se  vole  gravita  et  importantia,  in  fino 
al  présente  giorno,  reservata  la  rasone  del  terzo,  quale  porra 
prosequire  civilmente  e  criminalmente  como  li  placera.  E  intende 
sua  Maiesta  Christianisslma  che  siano  inclusi  in  la  présente 
gratia  cosi  li  absenti  como  li  présent!,  dummodo  ipsi  absenti 
infra  uno  mese  dal  présente  di  coraparano  davanti  el  Governa- 
tore  e  suo  locotenente  e  iurano  in  soi  mano  la  fidelita  a  sua 
Maiesta  Christianisslma  ;  laquai  excettua,  et  exclude  da  la  ditta 
gracia  solamente  quelli  che  a  facto  particularmente  nominare. 

Et  ultra,  ex  pienitudlne  gracie,  remette  e  dona  la  multa  e 
pena  di  cento  mllla  scudi,  inclinando  a  essa  vostra  suppiica- 
tione. Et  ve  restltuisse  et  reIntegra  a  li  honori,  dignita  e  béni 
vostri. 

E  clrca  lo  artlculo  di  privllegij,  quale  sono  qui  in  prompto, 
sua  M'*,  per  conservare  la  auctorita  régla,  ha  ordlnato  che  siano 
rotti  actualmente,  cancellati  e  brusati.  E  nientedlmeno,  usando 
de  sua  pleta  e  Glemencia,  poi  che  gli  barète  fato  et  prestato  lo 
débite  sacramento  de  fidelita,  ve  fara  légère  le  concesslone, 
privllegij  e  ordinatione,  di  11  quall  intendi  che  habiati. 

E  a  lultima  parte  de  vostra  Suppiicatione,  sua  M**  ha  dep- 
putato  alcun  per  Intendere  se  sono  presoni  de  bona  guerra,  ou 
non.  E  in  ognl  caso,  11  fara  cosl  bene  tract^re,  che  vol  e  loro 
haveretl  causa  di  contentarve. 

0  summa  bonta  !  o  inextimabile  pletà  !  o  immensa  magnani- 
mita  !  Doveti  duncha,  populo  Genoese,  recognoscere  perpetual- 
mente  uno  tanto  beneficio  e  dono  che  sua  Christianisslma 
Maiesta  vi  ha  fatto  In  questo  di,  restltuendovi  La  patrla,  Lo 
honore,  La  vita,  donne,  figlioli  e  benl.  E  lo  doveti  cum  perpétua 
memorla  celebrare,  afin  che  ne  vol  ne  vostri  successorl  habiati 
a  incorrere  mai  piu  in  simile  errore.  Per  o  che  como  sua  Maiesta 
ha  usato  al  présente  de  summa  pleta  e  Glementia,  recascando, 
bisognarla  usare  de  immenso  rigore  e  summa  severlta.  La  quai 
dovesse  cedere  in  exemplo  perpetuo  a  tutti  subditti. 


260  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

Pour  ce  que  tous  n'entendent  entièrement  le  langage 
italien,  et  que  dedans  les  susdites  harangue  et  res- 
ponce  sont  mainctes  choses  recommandables,  dignes 
de  record,  alléguées,  affin  que  chascun  en  puisse  avoir 
cognoissance  et  entendre  la  substance,  je  diray  cy 
après  de  mot  a  mot  le  contenu  en  icelles,  dont  l'in- 
troite  de  la  proposicion  dudit  messire  Jehan  de  lUice, 
refferendaire  du  peuple  de  Gennes,  fut  telle  : 

«  Très  cristien  et  invictissime  Roy,  nostre  souve- 
rain et  unique  seigneur  en  terre,  ceste  vostre  très 
dévote  cyté  de  Gennes,  et  universallement  les  habitans 
en  icelle,  vrayement  nous  recognoissons  les  bénéfices 
et  mérites  infinys  de  la  Magesté  vostre  par  vous  faictz 
et  par  nous  receuz,  estre  telz  et  si  grans  que  tous 
nous  et  noz  posteres  rendent  perpétuellement  obligez 
a  devoir  rendre  et  refferer  a  vostre  Magesté,  non  telle 
grâces  et  louanges  comme  nous  devons,  mais  telles 
que  par  nostre  débile  faculté  pouvons.  Mais  vraye- 
ment, Roy  très  benign,  les  preteritz  biensfaictz  et 
grâces  a  tous  surmontez  et  passez  ce  derrenier  très 
singulier  et  très  noble  don  de  clémence  que  soyez  dai- 
gné venir  personnallement  nous  délivrer  de  si  grande 
servitute  et  captivité,  et  tant  que,  par  la  coulpe,  non 
pour  ce  de  grande  nombre,  d'ommes  de  mal  affaire, 
estyons  reduytz,  lesquelz,  estans  ensuyvys  de  la  vul- 
gaire et  aveillée  gent,  par  armes  et  a  force  la  cyté 
avons  esmeue  a  erreur.  Mais  vostre  clémence  infynie, 
prenant  doctrine  en  nostre  rédempteur  Jesu  Crist,  et 
nous,  pour  tant,  non  ensuyvant  l'obstination  infruc- 
tueuse de  Judas,  mais  de  Pierre  la  salutiffere  péni- 
tence, et  les  yeulx  au  ciel  levez,  considéré  que  tarde 
ne  fut  jamais  grâce  divine,  a  esté  tant  supperabun- 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       261 

dantissime  que,  non  regardé  ledit  erreur,  nous  estes 
venu  délivrer  et  rachapter  en  telle  manière,  Cristianis- 
sime  Roy,  que,  ainsi  comme  par  tout  le  monde  la 
Magesté  vostre,  a  sa  grande  gloire  et  louange,  est 
enseignée,  nommée  et  décorée  Cristianissime  a  bonne 
et  juste  cause,  si  le  triumphal  tiltre  Glementissime  se 
peut  et  doit  a  luy  adjoxter,  s'il  n'est  supérieur,  au 
moings  non  plus  bas,  mais  coegal  a  l'autre  honorable 
tiltre.  Et,  pour  ce  que  vostre  souveraine  clémence  nous 
a  receuz  a  sa  bonne  grâce  et  soubz  le  très  seur  escu 
de  sa  protection,  tout  mal  cesse  et  tout  bien  ensuyt, 
comme  Jhesu  Crist  estant  en  la  croix,  les  bras  estan- 
dus  et  ouvers,  a  devoir  pardonner  a  tout  homme  qui 
a  luy  se  tourne  et  recognoist  son  erreur  ;  pour  ce, 
tous  universellement,  en  vertu  de  ce  nouveau  tiltre  de 
clémence,  en  terre  prosternez,  supplions  vostre  Magesté 
que  nous  daignez  bailler  et  octroyer  la  grâce  et  requeste 
qui  s'ensuyt  :  Premièrement,  que  vueillez  universal- 
lement  pardonner  et  juger  scelon  vostre  souveraine 
clémence.  Secondement,  remectre  et  canceller  la 
peine  de  grande  pecune  a  vostre  cyté  afflicte  par 
l'erreur  susdite.  Tiercement,  a  nous  octroyer  et  don- 
ner les  privilleges,  grâces,  exemptions,  immunitez  et 
autres  libertez  a  ceste  cyté  accostumées.  Quartement, 
ainsi,  comme  l'ame  du  glorieulx  Jhesus  Crist  descendit 
aux  limbes  pour  rachapter  et  délivrer  les  âmes  ja  long 
temps  la  captives,  ainsi,  en  mémoire  de  sa  très  saincte 
passion  et  délivrance  susdite,  chascun  vous  supplie  et 
humblement  requiert,  si  vostre  Magesté  veust,  que 
daignez  par  cestuy  vostre  advenement  délivrer  voz  cita- 
dins jusques  a  ce  présent  jour  dedans  le  Castellet  rete- 
nus, et  gracieusement  les  donner  a  leurs  mères  incon- 


262  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

sollées,  a  leurs  femmes  afflictes  et  a  leurs  troublez 
parens,  a  la  perpétuelle  louange  et  gloire  de  la  vostre 
Magesté  et  affin  que  les  justes  ne  seuffrent  pour  les 
injustes. 

«  Je  ne  obmectray  pas,  Roy  clementissime,  l'autre 
honnorable  don  a  nous  ausi  a  octroyer,  pour  constituer 
ung  royal  gouverneur,  soubz  le  gouvernement  duquel, 
par  sa  vertu  souveraine,  prudence  et  advys,  espérons 
ceste  cyté,  avecques  toutes  ses  affaires,  devoir  estre 
tellement  regye  et  gouvernée  que  grande  gloire  en 
résultera  a  la  Magesté  vostre,  et  de  nous  utillité  pacif- 
fique  et  stabilité  perpétuelle.  Laquelle  cyté,  avecques 
toutes  ses  appartenences,  non  pas  comme  se  doit,  mais 
comme  se  peut  humilyer,  et,  genolz  plyez,  prosternée 
en  terre,  très  dévotement  se  recomande,  en  ramenant 
et  allegant  celuy  dit  du  psalmiste  :  <i  Cueur  contrict 
«  et  humilyé,  Roy,  ne  desdaigne  pas.  » 

Et,  ce  disant,  tout  le  peuple  de  Gennes  se  pros- 
terna et  coucha  du  ventre  en  terre,  les  testes  des- 
couvertes. 

Ce  faict,  le  cardinal  d'Amboise  et  messire  Michel 
Rys  aprocherent  la  chaire  du  Roy,  et  la  parlèrent 
assez  long  temps  ensemble,  comme  par  espace  de 
demy  cart  d'eure  ;  et  puys  ledit  messire  Michel  Rys, 
commys  de  par  le  Roy  pour  respondre  a  ce  que  les 
Gennevoys  avoyent  faict  devant  proposer,  fist  sadite 
responce  en  itallyen,  scelon  le  contenu,  comme  est 
cy  dessoubz  rédigé  en  françoys  : 

«  Sentence  est  du  philozophe  que  la  rebellyon  et 
désobéissance  autant  nuyst  au  genrre  humain  que 
l'observance  de  bonne  foy  luy  donne  d'ayde  :  Perfi- 
dia  tanttim  ineommodi  ,humano  gcneri  aff'ert,  quantum 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       263 

salutis  bona  fides  pr estât.  Geste  désobéissance  non  seul- 
lement  a  submergé  et  destruyt  les  cytés,  les  terres 
et  provinces,  comme  se  list  en  l'ystoire  de  Cappe, 
Numance  et  Gartage,  et  mainctes  autres  cytés  et  pro- 
vinces, mais  une  partye  de  la  nature  angelicque  a  mys 
et  chacé  en  ruyne,  par  elle,  irréparablement.  Nostre 
père  Adam,  par  la  rebellyon  et  inobedience  faicte  vers 
son  Seigneur,  fut,  luy  et  sa  postérité,  a  perpétuité  con- 
dempné  ;  et,  combien  que  nostre  Seigneur  et  Rédemp- 
teur Jésus  nous  aye,  par  son  precieulx  sang,  rachap- 
tez,  neautmains  (sic)  nostre  nature  en  demeure  imbecille 
et  enferme  par  ladite  coulpe.  0  peuple  gennevois, 
je  me  vouldroye  bien  de  si  grant  mémoire,  savoir  et 
faconde,  que  je  peusse  condignement  considérer,  com- 
mémorer et  expliquer  la  gravité  de  vostre  excecrable 
desloyauté  ;  mais  la  grandeur  et  enormité  d'icelle  me 
offusque  l'entendement,  me  perturbe  la  mémoire  et 
m'empesche  la  langue;  pour  ce  que,  quant  je  con- 
sidère la  desloyauté  des  Gartagynoys  vers  Xamtipus 
lacedemonien,  qui  est  très  griefve  extimée,  celle  de 
Hanibal  vers  les  Nocerins  et  Acerains,  Digneo  Domicius 
contre  Bituite,  Roy  de  Avernya,  et  de  Servius  Galba 
contre  les  troys  cytez  de  Portugal,-toutes  ensemble  ne 
sont  a  comparer  a  ceste  vostre,  perpétrée  et  commise 
vers  le  Très  Gristien  et  très  piteulx  nostre  Roy  ;  et  me 
dueil  que  je  ne  la  puys  bien  declairer,  affin  que  myeulx 
s'entendist  la  souveraine  bonté  et  clémence  de  sa  cris- 
tianissime  Magesté. 

«  Je  me  recorde,  et  croy  bien  que  mainctes  de 
vous  presens  avez  bien  mémoire,  que,  en  l'an  de  la 
nativité  nostre  Seigneur,  mil  quatre  cens  iiii"''  et  xix, 
ou   moys  d'octobre,  recogneustes  que  vostre   vray 


264  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

et  naturel  seigneur  estoit  le  Cristianissime  Roy  de 
France  ;  et  que  long  temps  vostre  cyté  avoit  prospéré 
soubz  leur  seigneurye  et  obéissance,  et  mesmement 
du  temps  du  Roy  Gharlemaigne  ;  et  puys,  de  nouveau 
et  fresche  mémoire,  soubz  la  dominacion  du  Roy 
Charles  sixiesme  et  du  Roy  Charles  VIP,  et  si  aucun 
autre  depuys  avoit  dominé  vostre  cyté,  ce  seroit  au 
préjudice  et  fraude  du  Cristianissime  Roy  de  France  ; 
et,  en  le  recognoissant  en  vostre  direct  et  souverain 
seigneur,  vous  esleustes,  de  vostre  franche  et  liberalle 
volunté  et  propre  mouvement,  seze  notables  cytadins, 
ausquelz,  par  commune  ordonnance  de  vostre  grant 
conseil,  nuly  contraryant,  donastes  commission  et  auc- 
iorité  de  mectre  vostre  cyté  et  despendences  d'icelle 
a  l'obéissance  de  sa  Cristianissime  Magesté,  comme  a 
vostre  vray,  naturel  et  souverain  seigneur,  luy  faire 
et  bailler  le  deu  serment  de  fidélité.  Lesquelz  vosdits 
ambaxadeurs  vers  luy  se  transportèrent  en  la  cyté  de 
Millan,  ou  sa  magesté  estoit  lors,  et  la  luy  firent  sol- 
lempnellement  ladite  fidélité  ;  et,  ou  moys  de  novembre 
ensuyvant,  en  la  grande  salle  de  ce  palays,  moy  pré- 
sent, tous  les  chiefz  de  maison  et  hommes  capables 
de  raison,  en  ratiffyant  ladite  fidélité  et  tout  ce  que 
par  lesdits  ambaxadeurs  avoit  esté  faict,  de  nouveau 
se  obligèrent,  et  jurèrent  la  fidélité,  en  la  main  de 
mons*^  de  Ravestain,  a  la  Magesté  du  Roy,  affirmant 
que  la  réduction  de  vostre  cyté  a  son  obéissance 
estoit  refformer  les  statutz  et  la  cyté  qui  par  aucun 
temps  avoit  esté  enlaydie  et  defformée  par  la  tirannye 
d'aucuns,  et  voz  pa[r]ticulieres  haynes  et  intestines 
in  imitiez. 

Sed  quis  furor,  opopuli,  et  que  tanta  demencia,  cives? 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       265 

«  Mais,  G  peuple  et  cytadins  gennevoys,  qui  est  celle 
et  la  si  très  grande  foulye  et  quelle  chose  vous  a 
induytz  a  rébellion  contre  le  Cristianissime  Roy 
nostre  seigneur,  lequel  a  faict  envers  vous  tout  ce 
qui  estoit  convenient  et  requis  a  juste,  piteulx  et 
amyable  seigneur,  incontinent  que  estes  venus  a  son 
obéissance?  Il  a  faict  cesser  toutes  voz  partialitez,  qui 
estoyent  souvant  cause  de  tout  vostre  mal  ;  ha  ordonné 
vous  faire  administrer  justice,  autant  au  riche  comme 
au  pauvre,  sans  accepter  personne,  et,  si  aucun  deffail- 
lementaesté  en  la  justice,  lacoulpe  s'en  peut  donner 
a  vous  mesmes,  qui  n'en  avez  sa  Magesté  advertye; 
vous  a  deffendus  de  toute  oppression  et  vyollence, 
favorizé  toutes  voz  merceryes,  changes  et  marchan- 
dyes;  et,  par  toute  vostre  navigacion,  avecques  la 
baniere  et  enseigne  de  sa  Magesté,  avez  estes  hon- 
nourez  et  cheriz;  et,  combien  que  toute  Itallye  ayc 
sentu  le  dommage  et  perte  de  la  guerre,  vostre  seulle 
cyté  et  les  Gennevoys  avez  jouy  du  bien  de  la  paix. 
Quoy  !  et  quelle  chose  est  ce  qui  vous  a  meuz,  o  peuple 
gennevoys,  a  oublier  tant  de  bienffaictz  par  vous 
mesmes  commémorez,  et  le  transquille  et  doulx  estât 
enquel  vous  estyez,  et  venir  contre  le  serment  de  la 
fidélité,  et  mectre  la  cyté,  les  personnes,  l'onneur  et 
les  biens  en  si  évidente  ruyne  que,  si  la  souveraine 
clémence  et  pitié  du  Roy  Cristianissime  n'y  eust 
obvyé,  par  vous  n'est  demeuré  de  ruyner  et  subvertir 
perpétuellement  le  tout?  De  ce  et  cela  que  le  Roy 
Cristianissime,  pour  vostre  proffict  et  bien,  a  peu 
faire,  qu'a  il  laissé  de  le  faire?  II  vous  peut  dire, 
comme  nostre  Seigneur  dist  aux  Juyfz  :  Popule  meus, 
quid  feci  tibi?  «  Mon  peuple,  qu'ay  je  faict  a  toy?  » 


266  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

«  Long  temps  y  a  que  voz  prédécesseurs  ont  cogneu 
ne  pouvoir  riens  sans  juste  seigneur.  Il  est  sentence 
du  phillozaphe  que  :  Sub  justo  principe  vivere  summa 
est  libertas,  qui  est  a  dire  que  :  «  Vivre  soubz  juste 
«  prince  est  souveraine  liberté.  »  Si  vous,  Gennevoys, 
n'avyez  seigneur,  et  vous  en  volussiez  ung  eslire,  a 
peine  le  trouveriez  vous  semblable  au  Roy  Cristia- 
nissime  :  si  nous  considérons  l'origine  et  généalogie 
de  celuy,  elle  est  la  plus  autentique  et  continuée  des 
crestiens,  pour  ce  que  le  Gristianissime  Roy  est  le 
cinquante  uniesme  descendant  du  premier  Roy  de 
France  ;  si  nous  considérons  sa  vertu,  toute  est  plaine 
de  religion,  de  justice,  de  pytié,  prudence,  force  et 
temperence;  et,  si  la  présence  de  sa  magesté  ne  me 
revocast  de  propos,  doublant  encourir  vice  de  adul- 
lation,  je  vous  monstreroye  que,  a  tous  ceulx  qui 
sont  louez  en  l'antique  et  moderne  hystoire,  de  reli- 
gion, de  justice,  de  pitié,  de  prudence,  de  force  et  de 
temperence,  sa  Gristianissime  magesté  se  peut  com- 
parer :  cela  scavent  ses  sugectz,  cela  scavent  ses  ser- 
viteurs, lesquelz  sont  continuellement  près  de  sa 
Magesté;  cela  povez  par  expérience  cognoistre,  vous, 
peuple  gennevoys,  qui  avez  nouvellement  sa  magna- 
nimité expérimentée,  en  vous  ayant  si  tost  vaincus, 
et  sa  grande  bonté,  en  vous  voulant  si  griefve  coulpe 
pardonner  ;  et  neantmoings,  peuple  aveigle,  avez  pro- 
curé vous  mectre  hors  de  sa  Gristianissime  Magesté  : 
vous  avez  au  commaincement  prises  les  armes,  en 
faisant  tumulte  et  sedicion,  et  commectant  cryme  de 
leze  magesté  ;  et  puys  avez  perpétré  homicide  et  robe- 
rye,  et  par  violence  chacez  les  nobles,  qui  sont 
les  ungs  de  principaulx  de  vostre  cyté.  Vous  avez 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.        267 

donné  a  entendre  venir  a  raison  et  demander  grâce 
et  pardon,  promectant  lesser  les  armes  et  remectre 
le  tout  au  premier  estât;  et  le  bon  et  tre[s]  humain 
Roy  liberallement  vous  pardonna,  espérant  que 
vous  deussiez  recoignoistre  sa  bonté  et  clémence, 
et  vous  disposer  du  tout  a  son  service,  comme  fist 
le  bon  Gynna  romain  vers  Octavyen  empereur,  pour 
ce  qu'il  luy  donna  la  vye  que  justement  luy  pouvoit 
tollir;  mais  vous,  aveiglez  de  fureur  et  ingratz,  en 
allant  de  mal  en  pys,  avez  occuppé  le  castellas  et  les 
terres  qui  se  tenoyent  par  ses  capitaines,  assiégées 
aulcuncs  autres  que  ses  gens  d'armes  avecques  leurs 
bendes  deffendoyent,  empeschez  et  destrossez  les 
victualles  et  hommes  qu'il  envoyoit  a  ses  forteresses 
et  chasteaulx,  prins  le  castellas  et,  sur  la  foy,  cruel- 
lement occys  les  souldars  qui  dedans  estoyent,  assiégé 
et  combatu  son  chastellet;  et,  qui  pys  est,  vous  estez 
munis  tous  et  fortiffyez  pour  vouloir  résister  a  sa 
magesté,  laquelle  est  venue  en  personne,  non  en  con- 
sidérant que  vostre  force  envers  celle  de  sa  magesté 
est  semblable  a  celle  d'ung  vermet  a  ung  éléphant. 

«  0  dampnée  et  détestable  perfidye  !  o  souveraine 
foulye!  si  je  vouloye  peser  la  qualité  et  gravité  de 
vostre  delict  et  excès  et  commesurer  condigne 
peine,  non  seullement  les  hommes,  mes  les  murailles 
et  la  terre  merit[eroient^]  par  perpétuelle  eversion  ; 
et  tous  les  tormens  exquys  par  Phalaris,  Denys  et 
Perilus  et  autres  tirans,  n'y  seroyent  bien  suffizans. 
Je  say  bien  qu'il  vous  desplaist  entendre  blasmer  et 
détester  vostre  erreur;  mais  je  vous  cognoys  de  tel 

1.  Le  texte  porte  :  Meritariane. 


268  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

entendement  que  cognoissez  bien  que  tant  plus  est 
l'erreur  grande  et  plus  griefve  reprehension  mérite. 
Je  cognoys  en  vostre  visage  et  habit  qu'estes  gen- 
nevoys  ;  mais  les  faietz  sont  contraires ,  et  plustost 
œuvres  d'ennemys,  en  ayant  exposé  le  pays  a  si  grant 
perilh;  je  suys  certain,  quant  vous  le  considérerez,  que 
les  ch[e]veulx  se  révolteront  en  sus  et  les  entrailles  se 
meuveront. 

«  Mais  le  Roy  très  humain  vous  a  regardez  de  l'ueil 
de  sa  pitié  et  a  eu  mercy  de  son  peuple.  Maindre 
n'est  la  gloire  de  sa  Gristianissime  Magesté,  en  ayant 
tempéré  sa  juste  indignation  vers  vous,  que  de  vous 
avoir  unys  et  reduys  a  son  obbeissance  ;  et,  quant  je 
considère  les  cas  par  lesquelz  ValeriusPublicola,  Furius 
Gamillus,  les  deux  Scipions  afFricans,  Marcus  Marcel- 
lus,  Marchus  Gatho,  Archita  Tarentinus  et  les  autres, 
sont  louez  de  la  vertu  de  temperence,  sans  doubte, 
en  cestuy  cas,  le  Roy  cristianissime  est  digne  de  plus 
grande  louange,  lequel  m'a  commandé  respondre  a 
vostre  supplication  : 

«  Que  sa  Magesté  pardonne  et  remect  a  tous  les 
Gennevoys  les  delictz  tant  de  leze  magesté,  au  pre- 
mier et  second  chief,  comme  autres  delictz  quoi  qu'il 
soyent  et  de  quelque  importance,  jusques  au  jour  pré- 
sent, réservé  le  droict  d'autruy,  qu'il  pourra,  crimi- 
nellement, civillement  ou  comme  il  luy  plaira,  pour- 
suyvre;  et  entend  sa  Magesté  Gristianissime  que,  en 
la  présente  grâce,  soyent  inclus  et  comprins  ainsi 
les  absentz  comme  les  presens,  pourveu  que  dedans 
ung  moys,  de  le  jour  d'uy,  compareront  devant  le 
gouverneur  ou  son  lieutenant,  et  jureront  la  fidélité 
entre  ses  mains  a  sa  Magesté  Gristianissime,  lequel 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       269 

excepte  et  forclost  de  la  grâce  seullement  ceulx  qu'il 
fera  particullairement  nommer^. 

«  Et  en  oultre,  par  grâce  planiere,  remect  et  donne 
la  tauxe  et  peine  de  cent  mille  escus,  en  obtempérant 

1.  La  rémission  fut  promulguée  le  H  mai  (Bibl.  de  l'Université 
de  Gênes,  ms.  V»,  fol.  216).  L'ordonnance  de  Louis  XII,  rendue 
au  palais  de  Gênes  en  mai  1507,  contresignée,  —  par  le  roi  seigneur 
de  Gênes,  —  des  cardinaux  d'Amboise,  San  Severino,  de  Final, 
de  Prie,  d'Albi,  des  ducs  de  Bourbon,  de  Calabre,  de  Longue- 
ville,  des  archevêques  de  Sens,  d'Arles,  des  évêques  de  Paris,  de 
Vabres,  de  Tournai,  de  Sisteron,  etc.,  de  Michel  Riz  et  autres, 
comprend  un  préambule  et  trente-trois  articles.  Le  préambule 
expose  l'ingratitude  des  Génois,  les  peines  qu'ils  ont  encourues 
(notamment  la  destruction  de  leurs  privilèges),  la  clémence  du 
roi.  —  Article  i<"".  Amnistie  pleine  et  entière,  sauf  pour  les  per- 
sonnes réservées  et  pour  celles  qui  refusent  le  serment.  —  Art.  2. 
Le  gouverneur  sera  un  personnage  prudent  et  vertueux,  d'outre- 
monts,  habitué  autant  que  possible  aux  idées  des  Génois.  Il  gou- 
vernera selon  les  statuts,  mais  les  Anciens  ne  pourront  délibérer 
hors  de  sa  présence.  Il  prêtera  serment  d'obéir  aux  statuts  et 
règles  ci-après.  —  Art.  3.  Les  potestats  et  officiers  seront  étran- 
gers à  Gênes  et  rendront  la  justice  sans  acception  de  personnes, 
selon  les  lois  et  l'usage.  Ils  seront  nommés  annuellement.  — 
Art.  4.  Tous  citoyens  et  fonctionnaires  prêteront  serment  de  fidé- 
lité au  roi,  à  ses  enfants  des  deux  sexes  et  ses  successeurs,  quand 
ils  en  seront  requis.  —  Art.  5.  Les  vassaux,  feudataires  etconve?i- 
tionati  rendront  hommage  aux  Anciens  dans  la  forme  accoutumée. 

—  Art.  6.  Toute  obéissance  sera  due  par  les' citoyens  au  gouver- 
neur, sauf  l'autorité  du  roi.  —  Art.  7.  Le  roi,  en  son  nom  et  au 
nom  de  ses  successeurs,  prend  l'engagement  de  défendre  le  terri- 
toire contre  toute  agression.  Mais  les  châtelains  préposés  par  l'Of- 
fice de  Saint-Georges  prêteront  au  roi  un  serment  de  fidélité,  dont 
le  texte  est  inclus.  —  Art.  8.  Le  roi  déclare,  pour  lui  et  ses  suc- 
cesseurs, ne  rien  vouloir  aliéner  de  Gênes,  en  tout  ni  en  partie. 

—  Art.  9.  Le  roi  n'établira  aucun  impôt  nouveau,  sauf  en  ^as 
d'urgence  et  sur  l'avis  des  Anciens,  pour  la  défense  de  la  ville  et 
la  réparation  des  forts.  —  Art.  10.  Les  amendes  appartiendront  à 
qui  de  droit,  sauf  dans  les  cas  réservés  au  roi  (hérésie,  lèse-ma- 
jesté, sédition,  fausse  monnaie,  homicide).  On  ne  changera  pas 


270  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

a  vostre  supplication,  et  vous  restitue  a  voz  honneurs, 
biens  et  dignitez. 

«  Et,  touchant  l'article  des  privilleges,  telz  sont 
que  promptement  sa  Magesté,  pour  conserver  l'octo- 

les  peines  corporelles  en  peines  pécuniaires.  — Art.  11.  Les  terri- 
toires génois  qu'on  recouvrerait  seront  réunis  à  Gênes.  —  Art.  12. 
Les  offices  seront  décernés  au  mérite  et  jamais  vendus.  — Art.  13. 
La  monnaie  sera  frappée  à  un  coin  nouveau,  avec  les  armoiries 
du  roi  jointes  à  celles  de  Gênes  et  le  nom  du  roi,  suivi  de  la 
simple  mention  :  «  Dominus  Janue.  »  —  Art.  Ik.  Les  Génois  ne 
pourront  être  cités  hors  de  la  ville  ou  de  leur  district;  ils  seront 
jugés  selon  leurs  lois.  Dans  le  cas  d'affaires  d'État,  le  roi  appré- 
ciera. —  Art.  15.  Les  Génois  pourront  commercer  et  circuler  par- 
tout, comme  des  sujets  français.  Toutefois,  ils  seront  obligés  de  se 
conformer  aux  règles  générales  de  paix  ou  de  guerre  ordonnées 
par  le  roi  et  ne  pourront  faire  la  paix  ou  la  guerre  pour  leur  propre 
compte.  —  A?^.  16.  Leurs  vaisseaux  porteront  le  pavillon  de  France 
à  la  place  d'honneur  et  le  pavillon  génois  au  second  rang.  — 
Art.  17.  Le  sceau  de  la  ville  restera  comme  par  le  passé.  — 
Art.  18.  Le  roi  n'entend  faire  aucune  concession  lésive  des  droits 
de  Gênes,  des  compères  de  Saint-Georges  ou  autres  compères.  — 
Art.  19.  Tout  sauf-conduit  pour  dettes  décerné  par  le  gouverneur 
sera  nul  s'il  n'est  approuvé  par  les  Anciens.  —  Art.  20.  Les  Génois 
seront,  comme  sujets  du  roi,  compris  dans  tous  ses  traités  de  paix 
ou  de  trêve.  — Art.  21.  Les  Génois  n'auront  aucun  droit  d'ambas- 
sade, sauf  près  du  roi  pour  des  réclamations  administratives.  — 
Art.  22.  Les  dépenses  extraordinaires  ne  dépasseront  pas  le  chiffre 
habituel,  sauf  les  exceptions  ci-dessus  {art.  9).  —  Art.  23.  Le  roi 
ne  délivrera  aucun  sauf-conduit  aux  débiteurs  de  Gênes  ou  de 
Saint-Georges.  —  Art.  24.  Par  mesure  de  contrôle  et  de  sûreté 
publique,  le  roi  présentera  les  candidats  aux  bénéfices  ecclésias- 
tiques. Aucun  titulaire  de  bénéfice  de  cent  ducats  ou  au-dessus 
ne  pourra  en  prendre  possession  sans  le  placet  du  gouverneur.  — 
Art.  25.  Le  roi  pourvoira  ultérieurement  aux  différends  de  Gênes 
et  de  Savone  dans  un  esprit  de  concorde  et  de  justice.  —  Art.  26. 
Le  gouverneur  et  les  Anciens  pourront  affecter  des  maisons  à  la 
réception  du  roi,  de  ses  successeurs  ou  de  ses  amis  ou  confédérés. 
—  Art.  27.  Tout  cri  est  interdit  sous  peine  de  confiscation  et  de 
mort,  notamment  les  cris  :  Adorno,  Freyoso,  Populo;  sauf  les  cris 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       271 

rite  royal,  ha  ordonnez  qu'ilz  soyent  rompus  realle- 
ment,  cancellez  et  brûliez;  et,  mesmement  en  usant  de 
sa  pityé  et  clémence,  pour  ce  que  luy  avez  faict  et 
baillé  le  deu  serment  de  fidélité,  vous  fera  lire  les  con- 
cessions, privilleges  et  ordonnances,  lesquelles  entend 
que  vous  ayez. 

«  Et,  a  la  derreniere  part  de  vostre  supplication, 
sa  magesté  a  depputé  aucun  pour  savoir  si  les  pri- 
sonniers du  chastellet  sont  de  bonne  guerre  ou  non, 
et,  en  tout  cas,  les  fera  si  bien  trecter  que  vous  et  les 
leurs  aurez  cause  de  vous  contanter. 

«  0  souveraine  bonté  !  o  inextimable  pytié  !  o  im- 
mense magnanimité  !  Doncques  devez,  peuple  genne- 
voys,  recognoistre  perpétuellement  ung  si  grant  béné- 
fice et  don  que  sa  Gristianissime  Magesté  vous  a  faict 
en  ceste  cy,  de  vous  restituer  le  pays,  l'onneur,  la 
vye,  donner  les  filz  et  les  biens,  dont  le  faict  devez 

de  «  Roi  »  ou  «  France.  »  —  Art.  28.  Les  syndicats  de  métier 
sont  abolis.  Toute  réunion  publique  ou  privée  devra  être  autorisée 
par  le  gouverneur;  le  tout  sous  peine  de  mort  et  de  confiscation. 

—  Art.  29.  Tous  les  privilèges  quelconques  de  Saint-Georges, 
pour  l'île  de  Corse  ou  autres,  sont  confirmés.  —  Art.  30.  Les 
domaines  actuels  de  Saint-Georges  (nommément  la  Corse,  Sar- 
zana,  Sarzanella,  la  Melia,  Illice  et  autres)^  sont  reconnus  ;  les 
règlements  intérieurs  sont  approuvés.  —  Art.  31.  Tout  ce  qui 
aurait  pu  être  fait  contrairement  aux  deux  articles  qui  précèdent 
est  nuL  —  Art.  32.  Les  officiers  royaux  seront  tenus  de  prêter 
main-forte  aux  réquisitions  de  Saint-Georges  pour  ce  qui  précède. 

—  Art.  33.  Les  privilèges  et  grâces  ci-dessus  seront  nuls,  en  cas 
d'infidélité  des  Génois.  —  Suit  la  formule  d'approbation,  de  per- 
pétuité et  de  scellement.  (Ordonnance  en  latin,  sauf  les  articles  29 
et  suivants,  rédigés  en  italien.  Transcription  italienne  du  temps, 
ms.  lat.  5902.  La  minute  de  cette  ordonnance,  avec  les  correc- 
tions, avec  les  signatures  autographes,  se  trouve  au  ms.  Dupuy  159, 
fol.  232-239.)  —  Jean  Marot  dit  que  le  roi  changea  en  croix  blanche 
(croix  de  France)  la  croix  rouge  de  Gênes. 


272  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

avecques  perpétuelle  mémoire  cellebrer,  affin  que 
vous  ne  voz  successeurs  ayez  a  encourir  jamais  plus 
en  semblable  erreur;  pource  que  sa  Cristianissime 
magesté  a  usé  a  présent  de  souveraine  pitié  et  humaine 
clémence,  en  recheant,  besoing  auroit  user  de  immense 
rigueur  et  souveraine  sévérité,  laquelle  devroit  céder 
en  exemple  perpétuel  a  tous  sugectz.  » 

La  mesmes,  en  la  présence  du  Roy,  furent  nom- 
mez particulièrement  tous  ceulx  qu'il  ne  vouloit  estre 
compris  en  la  grâce  dessu[s]dite,  lesquelz  furent  en 
audience,  par  ledit  messire  Michel  Ris,  declairez 
commisseurs  de  cryme  de  leze  magesté,  rebelles 
et  desobeissans  au  Roy,  et  leurs  biens  confisquez. 
En  oultre,  furent  apportez,  sur  les  eschauffaulx,  les 
livres  ou  estoyent  escriptz  et  emregistrez  leurs  pri- 
villeges,  tant  des  doze  ancyens,  gouverneurs  du  faict 
pollitique,  des  xii  de  l'office  de  la  baillie,  des  viii  de 
l'office  de  la  monnoye,  que  des  viii  de  l'office  Sainct 
George  ordonnez  sur  la  recepte  des  isles,  chasteaux, 
terres  et  seigneuries  de  Gennes;  et  est  assavoir  que, 
de  chascun  office,  estoyent  moytié  des  nobles  et  moy- 
tié  du  peuple  ;  et  la ,  voulant  le  Roy  user  de  puis- 
sance royal  etauctorité  seigneurieuse,  volut  et  ordonna 
lesdits  privilleges  estre  en  sa  présence  cancellez,  rom- 
pus et  bruslez,  ce  qu'ilz  furent  sur  lesdits  eschauffaulx, 
et  mys  en  cendre,  en  retenant  a  luy  et  de  son  domaine 
toute  la  souveraineté  et  seigneurye  de  ladite  cyté 
de  Gennes^  De  laquelle  seigneurye,  sont  les  isles  et 

1.  Néanmoins,  quelques  jours  après,  les  Génois  demandèrent 
(Instructions  du  2  juin  à  leurs  deux  ambassadeurs.  Atli  délia 
Società  Ligure,  t.  XXIII,  p.  6G7)  et  obtinrent  quelques  concessions 
(20  juin  1507.  Bibl.  de  l'Université  de  Gênes,  ms.  cité,  fol.  212  et 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       273 

terres  qui  s'ensuyvent  :  premièrement,  y  est  l'isle  de 
Corse,  située  en  Levant,  entre  Gennes  et  Barbarye, 
a  cent  milliaires  de  Gennes  près  Sardaigne,  terre  d'Es- 
paigne;  dedans  laquelle  sont  villes  et  cytés,  comme 
Boniface,  bonne  cyté  et  grande,  Calvy,  Bastya;  laquelle 
isle  a  de  tour  cincq  cens  milliaires  ou  environ  ;  autres 
fortes  places  y  a  sur  la  rive  de  la  mer  du  Levant, 
comme  Sarzane,  Spedya,  Levanto  et  Granaro^,  assises 
sur  rochiers  et  fortes  advenues,  distant  de  Gennes  : 
l'une  desdites  places,  de  xxx  mille  ;  l'autre  de  qua- 
rante, l'autre  de  cinquante  et  l'autre  de  soixante; 
chascune  a  dix  mille  l'une  près  de  l'autre,  pour  au 
besoing  donner  secours  d'eure  en  autre  ou  mestier 
en  seroit;  ausi  est,  de  ladite  seigneurye  de  Gennes, 

suiv.).  Un  mémoire  fut  rédigé  aussi  sur  les  améliorations  à  appor- 
ter à  la  justice  (Ibid.,  fol.  201-205).  —  Le  27  novembre,  ils  dépu- 
tèrent encore  près  du  roi  J.  de  Illice  et  Oberto  Spinola  (Arch.  de 
Gênes,  Istruzioni  e  relazioni  politiche,  filza  3,  2707  c).  —  Cf.  la 
réponse  du  roi  aux  ambassadeurs  de  Gênes,  Valenza,  le  11  août 
1511  (Gênes,  Archives  de  Saint-Georges,  Lettere).  Les  envoyés  de 
Saint-Georges  ne  cessèrent  aussi  de  presser  le  roi  de  leur  prêter 
main-forte  contre  les  habitants  de  Ghiavari,  auxquels  ils  récla- 
maient une  gabelle  ;  ils  s'attachèrent  aux  pas  de  Louis  XU  pen- 
dant son  retour  {Dépèche  du  H  juin  1507.  Ibid.).  Louis  XII,  ne 
voulant  pas  s'occuper  de  cette  affaire  toute  locale  et  judiciaire, 
poursuivi  d'ailleurs  par  les  réclamations  inverses  de  Ghiavari, 
avait  renvoyé  l'affaire  aux  Anciens  de  Gênes,  avec  ordre  de  laisser 
les  gens  de  Ghiavari  provisoirement  tranquilles  (6  juin.  Ibid.).  Le 
12  août,  sur  la  production  d'un  ordre  du  roi  par  les  gens  de  Ghia- 
vari, R.  de  Lannoy  confirma  une  ordonnance  de  son  prédécesseur 
Ravenstein,  rendue  le  12  juin  1505,  et  défendit  aux  collecteurs  de 
gabelles  de  rien  percevoir  à  Ghiavari  jusqu'au  jugement  du  pro- 
cès pendant  (Ibid.).  De  là,  une  vive  et  nouvelle  réclamation  de  la 
banque  de  Saint-Georges  et  l'envoi  d'une  nouvelle  ambassade  en 
France,  au  commencement  de  1508  {Ibid.). 
1.  Sarzana,  Spezia,  Levanto,  Ghiavari. 

IV  18 


274  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

une  autre  isle  en  Grèce,  nommée  Syo,  de  laquelle 
isle  possèdent  grand  partie  les  Justiniains  de  Gennes; 
autres  places  et  chasteaulx  sont  es  parties  d'Occidant 
de  ladite  seigneurye,  c'est  assavoir  :  Savonne,  Naule, 
Albingue  et  Vintemille^,  toutes  cytez,  le  gouffre  de 
Rappalle  et  le  port  de  Lespece,  Sainct  Petre  d'Araine, 
Rivereu,  Bosseneau,  Pontedesme^,  Jugum,  Vultabium, 
Gavy,  Nove,  bourg  Busalle,  Monjardin,  Cabella,  Sainct 
Gristofle,  Arcora,  Sarravalle^  et  Monigue,  avecques 
plusieurs  autres  bonnes  places  et  fors  chasteaulx,  des- 
quelz  je  n'ay  sceu  les  noms.  Mais  j'ay  sceu  par  le 
raport  d'ung  myen  oste  de  Gennes,  homme  octorizé 
et  ancyen,  que  la  bource  de  Sainct  George  est  extimée 
par  chascun  an  a  cent  mille  ducatz,  lesquelz  se  lievent 
seullement  sur  la  vendition  du  pain,  du  vin,  des 
draps  et  des  autres  marchandises  qui  viennent  hors 
de  Gennes  en  la  cyté  et  qui  sortent  de  la  cyté  pour 
aller  ailleurs.  Lesquelles  isles,  villes,  cytez,  chasteaux 
et  domaines,  le  Roy  mist  entre  ses  mains,  et  retint  a 
sa  seigneurie,  ou  mist  et  ordonna  capitaines,  lieute- 
nans  et  gouverneurs  soubz  luy,  pour  icelles  régir  et 
entretenir,  et  du  tout  a  la  manière  et  coustume  de 
France  gouverner. 

Apres,  fut  dit  par  celuy  Michel  Rys  ausdits  Genne- 
voys  que  le  Roy  les  avoit  pourveuz  d'ung  gouver- 
neur, lequel  estoit  en  présence,  nommé  messire  Raoul 
de  Lannay,  bailly   d'Amyens,  homme  d'aage,   ver- 

1.  Savona,  Noli,  Albenga,  Vintimiglia. 

2.  La  Spezia,  San  Pier  d'Arena,  Rivarolo,  Bolzaneto,  Ponte- 
decimo. 

3.  Ovada  (?),  Voltaggio,  Gavi,  Novi,  borgo  Busalla,  Mongiar- 
dino,  Cabella,  San  Gristoforo,  Arcola,  Serravalle. 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       275 

tueulx,  scient,  noble  et  bon  justicier^  lequel  fist  la 
le  serment,  en  mectant  les  mains  sur  les  Evangilles, 
jurant  et  promectant  de  bien  et  leallement  servir  le 
Roy  oudit  office,  de  faire  justice  au  grant  et  au  petit, 
sans  acception  avoir  a  personne,  et  de  s'aquicter  en 
manière  que  a  son  pouvoir  l'onneur  du  Roy  y  sera 
gardé,  le  bien  de  la  chose  publicque  entretenu  et  sa 
conscience  deschargée. 

En  ensuyvant,  montèrent  sur  l'eschaufault  les  qua- 
rante officiers  susdits,  et  la,  en  la  présence  du  Roy, 
firent  le  serment  de  fidélité,  en  baisant  la  paterne 
et  mectant  les  mains  sur  les  Evangilles.  Et,  après  que 
ceulx  eurent  faict  leur  serment,  tout  le  peuple  de 
Gennes  universallement  leva  les  mains,  en  cryant  a 
liaulte  voix  :  France!  France!  France!  France^! 

i.  Raoul  de  Lannoy,  seigneur  de  Morvilliers,  ex-gouverneur  du 
royaume  de  Naples,  où  il  avait  fait  ses  preuves. 

2.  Le  procès-verbal  du  serment  des  Génois,  le  11  mai  1507, 
après  avoir  rappelé  leur  crime  et  la  bonté  du  roi,  constate  qu'en 
présence  du  roi  sur  son  trône,  entouré  de  cinq  cardinaux  et  d'une 
nombreuse  cour,  au  milieu  de  la  place  du  palais  débordante  de 
foule,  les  magistrats  suivants  ont  prêté  serment,  la  main  levée, 
en  leur  nom  et  au  nom  du  peuple  :  les  A7iciens,  «  Nicoiaus  Spinula 
quond.  Franci,  Lucas  Justinianus,  Stephanus  de  Monelia,  Panta- 
leo  Italianus,  Georgius  de  Zoalio,  Petrus  Franciscus  Gataneus, 
Franciscus  de  Arquata,  Dominicus  de  Marinis,  Francus  de  Flisco, 
Lazarus  Picbenotus,  Augustinus  de  Ferrariis  et  Baptista  Lomel- 
linus;  »  les  officiers  de  la  Balia,  «  D.  Lucas  Spinola,  miles, 
D.  Jobannes  de  Auria,  miles,  Johannes  Baptista  de  Grimaldis, 
Franciscus  Lomellinus,  Baptista  de  Rapallo,  Franciscus  de  Carau- 
lio,  Melchion  [sic)  de  Nigrono,  Johannes  Ambrosius  de  Flisco, 
RaCfael  de  Furnariis,  Stephanus  Justinianus,  Antonius  Sauli  et 
Baptista  Bottus;  »  les  officiers  de  la  Monnaie,  au  nombre  de  huit 
(parmi  lesquels  Simone  Bigna,  Giov.-Giac.  Doria,  Giov.-B.  Sauli)  ; 
les  huit  officiers  de  Saint-Georges  (parmi  lesquels  Giov.-B.  Spinola, 
Giorg.  de'  Grimaldi,  Pietro  Gentile  Ricio).  !<>  Ces  officiers  recon- 


t>76  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

Et,  tout  ce  faict,  le  Roy  se  mist  hors  de  chaire  et 
s'en  alla  en  sa  chambre  ;  et  chascun  s'en  va  a  son  logis  ^ 

Les  Gennevoys  ainsi  mys  a  la  raison,  en  oultre, 
pour  paciffier  de  l'amende  proffitable  de  leur  f'or- 
faict,  baillèrent  au  Roy  cent  mille  escus^,  et  cent 
mille  pour  le  defFray  de  son  armée  ^,  et  quarante  mille 

naissent  le  roi  pour  leur  maître  et  seigneur  naturel  et  se  déclarent 
ses  sujets;  2°  ils  s'engagent  à  ne  participer  à  aucunes  machinations 
contre  lui,  spécialement  contre  son  autorité  à  Gènes,  et  à  les 
dénoncer;  3°  à  l'aider,  s'il  a  à  se  défendre,  contre  toute  personne 
vivante  et  mourante  sans  exception;  4°  à  donner  leurs  loyaux 
avis,  si  on  les  leur  demande  ;  5°  à  ne  communiquer  à  qui  que  ce 
soit  les  secrets  qu'on  pourra  leur  confier;  6°  à  agir  en  tout  comme 
bons  et  loyaux  sujets  (Ms.  lat.  5902;  copie  du  temps,  d'une  main 
italienne.  Texte  original  en  latin). 

1.  Le  12  mai,  Louis  XII  ordonna  de  faire  prêter  serment  aux 
capitaines  et  châtelains  des  places  fortes  ou  châteaux  de  l'État  de 
Gênes,  et  notamment  aux  capitaines  de  Sarzana  et  Sarzanella. 
Galeazzo  Pallavicini  fut  chargé  de  recevoir  ces  serments,  dont  le 
texte  fut  arrêté  par  le  roi  lui-même  (Minute  originale  de  la  formule 
de  ce  serment,  signée  Loys,  datée  de  Gênes  le  12  mai  1507,  sur  un 
simple  feuillet  de  papier.  Ms.  Dupuy  45,  fol.  76). 

2.  «  Ils  en  eschapperent  a  bon  marché  d'estre  quittes  pour  une 
petite  amende  civile  qui  n'estoit  pas  suffisante  pour  deffrayer  les 
menus  fraiz  que  avoit  cousté  l'armée  »  (Saint-Gelais).  Un  décret 
du  conseil  des  Anciens,  réuni  le  10  mai  sous  la  présidence  du 
nouveau  gouverneur,  Raoul  de  Lannoy,  remercia  le  roi  de  sa  clé- 
mence et  souscrivit  un  engagement  de  200,000  écus  d'or,  plus 
l'engagement  d'entretenir  les  troupes  (Bibl.  de  l'Université  de 
Gênes,  ms.  Vc,  fol.  210-211).  Cf.  Seysscl,  les  Louanges...,  éd.  Gode- 
froy,  p.  48. 

3.  Le  23  octobre  1507,  Gênes  se  plaint  de  n'avoir  pas  encore 
l'autorisation,  qui  lui  avait  été  promise,  de  frapper  240,000  écus, 
et  elle  accrédite  Guirard  Bonconte  près  du  roi  (Portefeuille  Fon- 
tanieu  156).  Le  25  novembre  1507,  la  commune  écrit  au  roi  pour 
le  remercier  de  ses  gracieuses  lettres,  datées  de  Blois  le  15  no- 
vembre, et  l'aviser  que  les  50,000  écus  qui  vont  échoir  seront 
payés  selon  ses  ordres,  non  à  Lyon,  comme  il  était  convenu,  mais 
à  Milan,  à  Et.  Grolier,  délégué  par  lui  (Ms.  Dupuy  159,  fol.  140). 


Mai  1507]  COMMENT  LE  ROY  TINT  EN  SON  PALAYS,  ETC.       277 

pour  faire  ung  chasteau  neuf  au  lieu  ou  est  la  tour  de 
Codefïa,  nommée  la  Lanterne^  ;  lequel  devoit  estre 
foussoyé,  en  Roch  enciz,  de  lx  pas  de  large,  et  tant 
de  parfond  que  la  mer,  qui  frape  la,  peust  passer  par 
tout  au  tour.  Pour  lequel  faire  et  fortiffier,  le  Roy 
ordonna  ung  nommé  Paule  de  Beusseraille,  maistre 
de  son  artillerye,  et  seigneur  d'Espy.  Oultre  plus, 
promisrent  lesdits  Gennevoys  et  furent  tenus  doresen- 
avant  de  souldoyer  quatre  cens  hommes  de  guerre  au 
chastellet,  et  cent  au  chasteau  neuf,  pour  le  Roy,  et, 
dedans  leur  port,  entretenir  pour  ledit  seigneur  troys 
galleres  armées  et  equippées-. 

4.  On  la  surnomma,  dit  Guichardin,  la  Driglia,  parce  qu'elle 
était  bien  placée  pour  brider  la  ville. 

2.  Le  roi  refusa  d'emporter  le  Sacro  Calino,  comme  on  le  lui 
conseillait.  Informé  que  les  aventuriers  de  son  armée  avaient  causé 
des  dégâts  à  S.  Pier  d'Arena,  il  fit  faire  à  ce  sujet  une  enquête 
secrète  et  en  paya  plus  que  la  valeur  (Saint-Gelais).  Cf.  Giusti- 
niani,  Annales.  Malheureusement,  tout  le  monde  n'imita  pas  sa 
modération  et  sa  justice;  vers  la  fin  de  cette  année,  un  incident 
fâcheux  mit  en  rumeur  toute  la  ville.  Le  suaire  et  le  pied  de  saint 
Barthélémy,  conservés  dans  le  sanctuaire  de  Saint-Barthélémy 
des  Arméniens,  furent  subrepticement  enlevés  le  10  décembre 
1507  par  un  voleur  sacrilège,  et  l'on  sut  ensuite  que  Tristan  de 
Salazart,  archevêque  de  Sens,  s'était  approprié  ces  insignes 
reliques  pour  sa  chapelle  de  Paris.  Les  Génois  réclamèrent  vive- 
ment contre  un  si  «  atroce  crime  ;  »  Giov.  da  Lerici  et  Eberto 
Spinola,  ambassadeurs  de  la  banque  de  Saint-Georges  près  de 
Louis  XII,  en  référèrent  au  cardinal  d'Amboise,  qui  n'opposa 
aucune  difficulté  (Dépêche  des  ambassadeurs,  Blois,  30  janvier 
1508.  Gênes,  Archives  de  Saint-Georges)  et  les  fit  rendre.  Le  con- 
seil de  Gènes,  pour  plus  de  sûreté,  les  fit  placer  dans  la  chapelle 
Sainte-Croix,  à  la  cathédrale.  A  la  demande  du  peuple,  il  finit  par 
autoriser  leur  retour  dans  la  chapelle  primitive  avec  des  précau- 
tions multiples;  il  fallut  désormais,  pour  ouvrir  le  sanctuaire, 
sept  clefs,  qu'on  répartit  entre  des  mains  sûres.  La  réintégration 


278  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

XXVIII. 
Gommant  ung  gennevoys,  nommé  Demetry  Justiniân, 

EUT   LA   TESTE   TRENCHÉE   A   GenNES. 

Dedans  les  prisons  du  Roy,  estoit  lors  ung  nommé 
Demetry  Justiniain,  des  plus  gros  du  peuple  gras  de 
la  ville  de  Gennes;  lequel,  comme  j'ay  dit,  avoit  meu 
le  peuple  a  sedicion  et  entretenu  en  sa  rébellion  contre 
le  Roy,  tant  que  ledit  peuple,  après  la  reducion  de 
Gennes,  crioit  contre  luy  a  haulte  voix,  disant  :  «  C'est 
le  traistre  qui  nous  a  seduytz  par  erreur,  commeuz  a 
guerres  civiles,  diverty  d'obéissance,  et  obstinez  a 
rébellion  !  »  Quoy  plus?  Son  procès  fut  faict,  sur  lequel 
fut,  par  le  conseil,  conclut  et  déterminé  que,  veu  sa 
désobéissance  et  rébellion,  et  l'erreur  dampnable  en 
laquelle  avoit  mys  et  tenu  le  peuple  de  Gennes,  qu'il 
estoit  digne  d'encourir  peine  capitalle  :  a  laquelle  fut 
jugé.  Dont  furent  faictz  les  eschauffaulx,  et  les  choses 
aprestées  pour  luy  trancher  la  teste,  dedans  une  belle 
place  près  du  mouUe  de  Gennes,  et  dit  que,  le  xif  jour 
dudit  moys  de  may\  vigille  de  l'Ascencion  Nostre  Sei- 
gneur, seroit  exécuté.  Chascun  courut  celle  part,  tant 
que,  depuys  viii  heures  du  matin,  ladite  pfece  et  les 
maisons  d'entour  furent,  jusques  au  soir,  toutes  plaines 
de  gens  du  Roy  et  du  peuple  de  la  ville,  actendans 

eut  lieu  en  grande  pompe  le  2  avril  1509  (Bibl.  de  l'Université  de 
Gênes,  ras.  V^,  fol.  218;  procès-verbal  du  2  avril). 

1.  Le  10  mai,  le  roi  donna  une  gratiiication  de  dix  sous  à  un 
peintre  génois,  nommé  dans  les  comptes  «  Tortenonon  »>  (KK.  48, 
fol.  168  vo). 


Mai  1507]  GOMMANT  UNG  GENNEVOYS,  ETC.  279 

illecques  la  venue  de  l'eure  de  ladite  despesche.  Mais, 
quant  ce  fut  sur  l'eure  de  vespres  basses,  fut  dit  sur 
le  lieu  que  ledit  Demetry  ne  seroit  pour  l'eure  exécuté  ; 
dont  aucuns  des  villains  de  Gennes  levèrent  les  espaules, 
disant  en  leur  langaige  :  «  Je  savoye  bien  qu'il  n'en 
mourroit  point,  car  il  est  garny  de  denare.  »  Ausi 
estoit  il,  car,  lorsqu'il  sceut  que  son  procès  estoit  faict 
et  luy  condempné  a  mourir,  voulut  donner  au  Roy 
quarante  mille  ducatz  pour  estre  respité  de  mort. 
A  quoy  ne  voulut  entendre  le  Roy,  disant  :  «  Autre 
chose  n'en  sera  faict,  si  n'est  ce  que  justice  en  a 
ordonné  !  »  Ce  qui  fut  faict  a  l'onneur  du  seigneur  et 
a  la  craincte  de  tous  malfaicteurs.  Et,  si  pour  argent 
en  eust  esté  quicte,  comme  plusieurs  disoyent  et  ce 
que  le  Roy  advisoit  bien,  quelque  autre  garny  de 
ducatz,  pencent  pour  autant  en  estre  absoult,  en  cas 
pareil  se  fust  peu  mectre  a  l'avanture.  Mais  en  advint 
que  le  le[n]demain,  qui  fut  le  propre  jour  de  l'Ascen- 
cion  Nostre  Seigneur,  sur  le  point  de  ix  heures  du 
matin,  fut  par  ung  prevost  des  mareschaulx  conduyt 
jusques  a  ladite  place  et  faict  monter  sur  l'eschaufault, 
ou  la  voulut  parler  et  dire  quelque  chose  au  peuple 
de  Gennes,  et  comaincer  quelque  ^propos.  Mais  le 
provost  ne  luy  voulut  donner  temps  de  finir  son  dire, 
disant  :  «  Parle  cum  de,  parle  cum  de*.  »  Et,  voyant, 
celuy. Demetry,  qu'il  ne  seroit  ouy,  gecta  ung  grant 
souppir  a  merveilles,  en  levant  les  yeulx  amont,  la  face 
toute  palye  et  blesme,  les  bras  encroisez,  se  tint  coy 
assez  long  temps.  Et,  ce  faict,  le  boureau  luy  benda 
les  yeulx;  puys,  de  luy  mesmes  se  raist  a  genoilz  et 

1.  Probablement  «  Parla  con  te.  » 


280  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

estandit  le  coul  sur  le  chappus.  Le  boureau  prinst 
une  corde,  a  laquelle  tenoit  actaché  ung  groux  bloc, 
a  tout  une  doulouere  tranchant,  hantée  dedans,  venant 
d'amont  entre  deux  pousteaulx,  et  tire  ladite  corde, 
en  manière  que  le  bloc  tranchant  a  celuy  gennevoys 
tumba  entre  la  teste  et  les  espaules,  si  que  la  teste 
s'en  va  d'ung  cousté  et  le  corps  tumbe  de  l'autre*. 
La  teste  fut  mise  au  bout  du  fer  d'une  lance  et  portée 
sur  le  sommet  de  la  tour  de  la  Lanterne,  qui  est  a 
touchant  et  au  dedans  du  moule  de  Gennes,  regardant 
celle  teste  droictement  sur  la  ville.  Le  corps  demeura 
mort  sur  ledit  eschaufault  tout  le  long  de  ce  jour; 
puys  fut  le  soir,  avecques  le  congé  de  la  justice,  de 
la  osté  et  porté  enterrer. 

Apres  que  lesdites  choses  furent  mises  a  fin^,  la 
ville  de  Gennes  fut  de  tous  pointz  accoisée,  les  pays 
circunvoisins  espouventez^,  les  Françoys  tous  rejouys 
et  le  Roy  tout  a  souhet.  Dont  je,  qui  lors  estoye  audit 
lieu,  voyant  la  grâce  de  Dieu  si  largement  estandue 
sur  l'affaire  des  Françoys,  la  gloire  du  Roy  prospérer 
et  son  honneur  accroistre,  pour  commaincer  a  luy 
vouloir  donner  louange  de  son  bienffaict  et  luy  diver- 

1.  On  remarquera  que  c'est  exactement  le  système  de  la  guil- 
lotine. 

2.  Louis  XII  nomma  Guillaume  de  Houdetot  capitaine  de  Godefa 
(Salvago). 

3.  A  ce  moment,  dit  Guichardin,  Louis  XII  pouvait  aller  où  il 
voulait;  il  était  maître  de  l'Italie.  Il  ne  tenait  qu'à  lui,  notamment, 
de  détrôner  Jules  IL  Au  contraire,  il  licencia  partie  de  son  armée 
avec  autant  de  bonne  foi  que  de  modération,  11  donna  ainsi  un 
démenti  aux  eilbrts  laits  en  Allemagne  par  Maximilien  et  Jules  II 
pour  envenimer  la  situation  et  accuser  le  cardinal  d'Amboise  d'as- 
pirer à  la  tiare. 


Mai  1507]  GOMMANT  UNG  GENNEVOYS,  ETC.  281 

cifier  passe  temps,  luy  presentay  ce  peu  d'escript 
comme  s'ensuyt^  : 

Or  est  Gennes  la  Supperbe  soumise, 
Qui  oncquesmais  ne  fut  au  dessoubz  mise 
D'omme  vivant,  ne  par  force  occuppée; 
Ains  a  dompté  le  pouvoir  de  Venise, 
Terre  en  la  Grèce  et  oultre  mer  acquise, 
Prins  Sarrazins,  et  Turcz  mys  a  l'espée, 
Espaigne  en  mer  vaincue  et  assouppée, 
De  Barbares  exclavez  grosse  somme, 
De  victoires  eue  2  plus  d'une  somme, 
Et  emporté  par  tout  loz  a  grant  erre  : 
Decheue  puys  par  ung  seuF,  qui  se  nomme 
Roy  de  la  mer  et  seigneur  de  la  terre. 

Ayant  ainsi  ''  usé  de  sa  maistrise 
Longue  saison,  sans  trouver  qui  luy  nuyse, 
Cuydant  tous  temps  estre  si  hault  huppée  : 
Le  Roy,  voyant  qu'elle  a  faulte  commise, 
A^  contre  elle  tant  usé  de  main  mise 
Que  par  armes  ^  l'a  conquise  et  happée, 
Sa  puissance  rompue  et  dissippée 
En  batailles,  ou  les  siens  prye  et  somme 
De  ruer  coups ^,  dont  l'ung  fiert,  l'autre  assomme; 
Ghascun  françoys  son  gennevoys  acterre  : 
La  est  présent,  pour  en  ordonner  eomme 
Roy  de  la  mer  et  seigneur  de  la  terre. 

Apres  ung  chief  de  si  haulte  entreprise, 
Ja  n'est  besoing  que  plus  on  loue  ou^  prise 
Gesar,  Gilla^,  Scipion  et  Pompée; 
De  Daire  ausi,  et  Cyrus'**,  vous  suffize, 

1.  Cette  pièce  fut  imprimée  en  1509. 

2.  Variante  dans  le  texte  imprimé  :  Diverses.  —  3.  Par  ung  Roij. 
—  k.  A  tant  aussi.  —  5.  En.  —  6.  Force.  —  7.  De  bien  faire.  — 
8.  Et.  — 9.  Les  faictz  Gesar.  —  10.  De  Dire,  aussi  de  Cyon. 


282  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

D'Alixender  et  Nynus,  qui  '  ont  prise 
Par  long  séjour  la  terre  et  usurpée  : 
Cestuy  a  faict  conqueste  anticipée, 
La  plus  noble  qu'onques  flst  jamais-  homme, 
Digne  de  tous  les  triumphes  de  Romme, 
D'immorteP  loz,  qui  par  mort''  ne  s'enterre, 
Mais  en  memoyre  eterne  le  renomme^ 
Roy  de  la  mer  et  seigneur  de  la  terre. 

Prince,  gardés  bien  Gennes  et  son  domme  ; 
Puys  reposez  seurement  vostre  somme, 
Et  ne  doubtez  picque  ne  symelerre, 
Ne  que  nuly  vous  deflace  ou  consomme^, 
Car  vous  serez  et  demourrez  en  somme 
Roy  de  la  mer  et  seigneur  de  la  terre  ^. 

1.  Et  Nymes,  qu'ilz.  —  2.  Humain.  —  3.  D'un  mortel  los.  — 
4.  Jamais.  —  5.  Par  quoy,  raison  veult  bien  qu'on  le  renomme.  — 
6.  Consumme. 

7.  A  la  suite  de  ce  poème  sont  imprimées  des  pièces  composées 
par  Jean  d'Auton  avant  la  prise  de  Gènes,  qu'il  n'a  pas  toutes 
insérées  dans  sa  Chronique  :  {"  La  ballade  «  Les  Genevoys,  de 
leur  propre  nature...  »  (Ci-dessus,  p.  176.)  î»  Rondeau  complé- 
mentaire. 3°  Une  ballade  dont  voici  le  début  : 

«  Tant  va  le  pot  a  l'eaue  qu'il  est  cassé; 
Faulx  Gennevoys,  je  dictz  cecy  pour  vous. 


Si  vous  voulez  que  tout  soit  effacé, 
Venez  au  roy  gros  licoz  a  vos  colz...  » 

4°  Rondeau  complémentaire.  —  On  y  a  ajouté  une  Épitaphe  de 
Guy  de  Rocbefort,  traduite  par  Jean  d'Auton  en  vers  français. 


Mai  1507]      COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  283 

XXIX. 

Comme  le  Roy  partit  de  Gennes  pour  s'en  aller 
A  Millan  et  a  ses  autres  villes  de  Lombar- 
DYE  ;  et  de  son  entrée  de  Pavye  et  de  Millan, 

AVEGQUES   PLUSIEURS   AUTRES   NOUVELLETEZ. 

Lorsque  toutes  ses  choses  furent,  comme  avez  ouy, 
ordonnées  et  mises  a  chief*,  le  Roy  eut  vouloir  de 
visiter  sa  duché  de  Millan  et  ses  autres  pays;  mais, 
premier  que  desemparer  Gennes,  fîst  mectre  man- 
neuvres  et  maistres  d'architecture  a  commaincer  son 
chasteau  neuf,  ou  tantost  furent  embesoignez  plus  de 
cinq  cens  ouvriers,  sans  les  serviteurs,  en  sorte  que 
le  commissaire  se  fîst  bien  fort  de  rendre  ledit  chas- 
teau dedans  six  moys  après  ce,  prest  a  mectre  dedans 
les  garnisons  au  couvert  ;  et  ausi,  pendant  ce  que  ledit 
chasteau  se  feroit,  affin  que  lé  gennevoys,  coustumiers 
de  mutynerye,  n'empeschassent  l'euvre,  ordonna  le 
Roy  demeurer  a  Gennes  grant  nombre  de  ses  gens 
d'armes  et  piétons,  pour  tousjours  leur  tenir  la  bride 
raide  et  les  garder  de  ruer^. 

1.  Avant  de  partir,  le  roi  chargea,  par  ordre  du  13  mai  1507, 
son  conseiller  François  Herpin,  qui  devait  prendre  possession  des 
places  de  la  Rivière,  de  remettre  au  comte  Giov.-L.  Fieschi  et 
à  son  fils  Geronimo  tous  leurs  biens  (Arch,  de  Gênes,  Materie 
Politiche,  mazzo  15).  Il  rendit  aussi  des  biens  à  Gabriel  de  la 
Chastre. 

2.  L'ambassadeur  florentin  Pandolfini  écrivait  le  28  avril  :  «  Gli 
nomini  di  questa  terra  restano  con  quella  disposizione  che  pos- 
sono  pensare  le  Signorie  Vostre  ;  è  credo  saranno  molti  si  leve- 
ranno  di  qui.  Dovrà  questa  loro  mala  disposizione  multiplicare, 


284  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

Et,  ce  faict,  transmist  les  mareschaulx  des  logys 
avecques  les  fourriers  a  bourg,  a  Busalle  et  a  Gavy 
mercher  les  logys;  et,  le  lendemain  de  l'Ascencion^, 
sur  les  troys  heures  du  matin,  deslogea  de  Gennes, 
dont  chascun  se  mist  apres^.  Toute  celle  nuyt,  fîst  ung 
temps  de  pluye  si  très  merveilleux  que  tous  les  che- 
mins estoyent  plains  d'eau,  et  tous  les  fleuves  desri- 
vez, mesmement  une  petite  rivière  qui  descent  des 
montaignes  sur  le  gravier  de  Poulcevre,  cheant  en  la 
mer  de  GenUes  ;  laquelle  rivière  estoit,  par  la  force  de 
la  pluye,  qui  tousjours  continuoit,  tant  royde  et  si 
très  impétueuse  que  c'estoit  chose  espouventable  a 
regarder,  mais  plus  dangereuse  a  passer,  mesmement 
a  gens  de  pié  et  a  ceulx  qui  au  desloger  avoyent  pris 
basse  monture  :  ce  que  le  Roy  n'avoit  faict,  ne  les 

vedendo  si  tagiieggiare  de'  danari  per  le  spese  dell'  impresa  fatta, 
levare  il  governo  di  San  Giorgio,  è  fare  nuove  fortezze  ;  che  tutte 
queste  cose  dovranno  seguire.  II  perche  io  mi  persuade  che, 
quando  le  occasioni  nasceranno  e  lo  comporteranno  e  tempi, 
questa  Maestà  sarà  manco  sicura  di  Genova  che  prima  »  (Desjar- 
dins, II,  245).  La  Conqueste  de  Gennes  conclut  ainsi  :  «  Et  pour  ce 
souloit  on  dire  Gennes  la  Superbe,  pour  ce  qu'elle  ne  fust  jamais 
prinse  par  force,  sinon  a  ceste  venue  des  Françoys  ;  et  l'appellent  on 
maintenant  Gennes  l'Humiliade  et  non  Gennes  la  Superbe,  w 
François  l^r  alla  plus  loin  :  «  Et,  au  lieu  de  leur  donner  le  tiltre 
que  le  feu  Roy  Louys  XIP  dernier  déceddé,  que  Dieu  absoiile, 
après  qu'il  les  eut  subjuguez  et  mys  à  son  obéissance,  qui  est  : 
Superhe  fuz  et  maintenant  suys  serve,  fauldra  mectre  :  Hic  fuit  Janua, 
car  aussy  bien  ne  servent  ils,  sinon  de  piller  Dieu  et  le  monde  » 
[Prinse  et  délivrance  de  François  1^^,  dans  les  Archives  de  Cimber, 
II,  304). 

1.  14  mai.  Il  entendit  la  messe  à  liusalla. 

2.  Il  emmena  avec  lui  quatorze  jeunes  génois,  dont  Pierre  Sauli 
et  Gabriel  Adorno,  sur  la  foi  d'une  sauvegarde  qui  leur  fut  donnée 
le  14  mai  (Sanuto,  VII,  79.  Bibl.  de  l'Université  de  Gènes,  ms.  Vc, 
fol.  216). 


Mai  1507]      COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  ^85 

autres,  qui  avoyent  de  quoy  le  faire  et  leur  seurté 
pour  recommandée.  Que  fut  ce?  plusieurs  mal  mon- 
tez et  sommiers  trop  chargez  s'en  allèrent  a  vau  l'eau. 
Et  tant  advint  que,  combien  que  au  desloger,  et 
jusques  près  de  Pontedesme,  qui  est  environ  my  voye 
de  Gennes  et  de  Busalle,  ladite  rivière  ne  fust  ancores 
trop  impétueuse,  tant  s'efforsa  de  pleuvoir  que,  avec- 
ques  l'impétuosité  de  l'eau,  elle  devint  si  très  enflée 
que  elle  couvroit  toute  la  grave,  si  qu'on  ne  pouvoit 
tenir  voye  ne  aller  droict.  La,  fallut  a  plusieurs  mal 
montez  et  autres  demeurer  contre  les  rochiers,  pour 
actendre  a  vuyder  l'eau  ou  se  mectre  en  péril  de  boire 
d'autant.  Je  n'en  diray  plus,  si  n'est  que  je  n'eu  onc- 
ques  si  grant  peur;  car  j'en  viz  plusieurs,  par  ou  me 
failloit  passer,  estant  a  la  mercy  des  vagues,  et  entre 
autres  ung  nommé  maistre  Pierre  Charron,  des  segre- 
taires  du  Roy,  lequel  fut  noyé  entre  Busalle  et  bourg, 
sans  ce  que  jamais  homme  le  peust  sauver;  combien 
que  plusieurs  des  allemans  du  Roy,  qui  la  estoyent 
passez  a  grant  danger,  et  autres  a  cheval,  se  missent 
en  leur  devoir  de  le  secourir,  mais  ne  sceurent  qu'il 
ne  fust  mort. 

Le  Roy,  qui  s'estoit  mys  des  premjers  a  chemin  et 
àvoit  chevauché  roydement,  avoit  gaigné  le  bourg  de 
Busalle,  cuydant  aller  jusques  a  Gavy,  six  mille  près 
de  la  ;  mais  la  rivière  fut  tant  périlleuse  a  passer  qu'il 
demeura  pour  ce  jour  audit  lieu  de  bourg.  Les  autres 
qui  peurent  passer  allèrent  oultre.  Sur  le  soir  com- 
mainça  le  beau  temps,  et  dura  toute  nuyt,  tant  que  les 
fleuves  furent  du  tout  asséchez  et  escoullez.  Par  quoy, 
le  Roy  deslogea  lendemain,  et  prist  son  chemin  a  Gavy, 
a  Nove,  a  Tourtonne  et  a  Voguere,  tirant  a  Pavye, 


286  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

dedans  laquelle  arriva  le  xviii™^  jour  dudit  moys  de 
may^. 

Au  devant  de  luy  furent  les  seigneurs  de  la  ville  et 
les  docteurs  de  l'université,  jusques  a  l'entrée  du  pont 
du  Tisin.  Et  la  fut  entre  autres  ung  docteur,  nommé 
Jazon  iVIaynus,  docteur  en  tout  droict^,  estimé  l'ung 
des  plus  excellens  de  toute  crestienté,  lequel  fist  une 
harangue  au  Roy  en  latin,  tant  retoric  que  tous  ceulx 
qui  l'entendirent  peurent  bien  cognoistre  qu'elle  pro- 
cedoit  du  plus  profond  ruisseau  de  la  fons  caballine^; 
auquel  fut  respondu  par  ung  nommé  maistre  Jehan 
Ponchier,  evesque  de  Paris,  qui  pareillement  en  très 
hault  et  retoric  latin  luy  fist  sa  responce*. 

Ausi  sortirent  de  Pavye  cent  jeunes  gentishommes 
a  pié,  tous  habillez  de  blanc  et  en  pourpoint,  lesquelz 
se  misrent  le  plus  près  du  Roy  qu'ilz  peurent  ;  disant 
que  la  costume  estoit,  quant  leur  prince  venoit  la  pour 
faire  son  entrée  ou  de  quelque  victoire,  que  les  gentis- 
hommes de  Pavye  devoyent  estre  tout  autour  de  luy, 
en  tel  habit  qu'ilz  estoyent,  et  ainsi  le  conduyre  jusques 

1.  Il  entendit  la  messe  le  15  à  «  Luthaize  »  (Voltaggio?),  le  16 
à  Tortona,  le  17  à  «  l'église  Saint-Laurent  »  (Pontecurone?),  le  18 
à  Voghera. 

2.  Jurisconsulte  célèbre,  plusieurs  fois  ambassadeur  sous  les 
Sforza. 

3.  La  Fons  Castalie,  qui  défraie  les  poètes  du  temps  (consacrée 
aux  muses,  Castalides). 

4.  Dans  sa  vie  de  Jason  Maino,  Paul  Jovc,  qui  était  présent  à 
la  réception,  raconte  que  Louis  XII  était  entouré  de  cinq  cardinaux 
et  de  cent  grands  personnages.  Il  demanda  à  Jason  Maino,  devant 
Paul  Jove,  pourquoi  il  ne  s'était  pas  marié  :  «  Ut  te,  commendante, 
Julius  pontitex  ad  purpureum  galerum  gestandum  me  habilcni 
sciât,  »  répondit  Maino  avec  beaucoup  de  saiig-froid.  Maino  mou- 
rut fort  âgé  et  fort  riche  ;  il  était  fils  d'une  concubine  ;  il  parlait 
et  écrivait  très  bien. 


Mai  1507]      COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  287 

a  son  logis;  a  ceste  fin  se  presentoyent  a  faire  le  devoir 
qu'ilz  estoyent  tenus;  a  quoy  le  Roy  les  receupt. 

La,  devant  l'entrée  du  pont  du  Tisin*,  avoit  ung 
tabernacle  de  verdure,  a  l'entrée  duquel  estoyent 
amont  eslevées  les  armes  du  Roy  ;  et,  au  plus  bas,  a 
costé  destre,  les  armes  du  cardinal  d'Amboise,  et  a 
senestre  les  armes  de  messire  Charles  d'Amboise, 
lieutenant  du  Roy  delà  les  mons.  Au  dedans  de  celuy 
tabernacle,  estoit  ataché  ung  rollet,  ou  avoit  en  escript 
les  deux  mectres  qui  s'ensuyvent  : 

Non  maris  lonii  sont  lictora  nostra  Ticini, 
Rex,  tibi  sed  lelos  porrigit  unda  sinus. 

Ce  qui  est  a  entendre  et  a  dire  : 

0  Roy,  noz  ryves  et  entrées  ne  sont  pas  tant  impétueuses  que 
celles  de  la  mer  lonye,  mais  sont  les  undes  doulces  du  Tisin, 
qui  te  baillent  sonjoyeulx  port. 

Des  l'entrée  de  celuy  fluve,  tout  au  travers,  jusques 
a  la  porte  de  la  ville,  avoit  ung  pont  couvert,  long  de 
deux  cens  pas  ou  environ,  au  millieu  duquel  estoyent 
actachez  les  mectres  dessoubz  escriptz  : 

Victor  ad  Eoum  sic,  Rex,  tranabis  Araxem, 
Tigris  et  Euffrates  sub  tua  castra  fluent, 

Roy  très  puissant.,  ainsi  vaincueur,  navigueras  le  fluve  Araxe, 
oriental,  jusques  aux  parties  du  Levant;  Tigris,  avecques  Euf- 
frates, ainsi  soubz  tes  fors  ruycelleront. 

A  l'entrée  de  la  porte  de  la  ville,  estoyent  en  escript 
ses  mètres  : 

Gonspice,  Rex,  proprias  arces,  qui  celsa  Capharei 
Jam  perfracta  tuo  cacumina  (sic)  marte  tenes. 

1.  Pont  du  xive  siècle. 


288  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

Regarde,  Roîj,  tes  propres  forteresses,  qui,  après  avoir  le  hault 
sommet  du  mons  Capharée  brisé  et  dis[t]ruyt,  par  tes  armes 
paisiblement  obtiens. 

A  l'entrée  de  la  grant  rue,  nommé  Rue  nove',  avoit 
ung  autre  tabernacle,  couvert  d'ung  drap  pers,  a  la 
cyme  duquel  estoyent  les  armes  du  Roy,  et  au  des- 
soubz  estoyent  escriptz  ses  mectres  : 

Ingredere,  o  Lacii  splendor,  spes,  gloria,  norma  : 
Gens  tua  victorem  cernât  ubique  ducem. 

0  lumière,  espérance,  gloire,  et  la  reigle  d'Itallye,  entres  icy; 
toute  la  gent  d'ung  costé  et  d'autre  te  regarde  comme  duc  vic- 
torieulx. 

Tout  le  long  de  ladite  grande  Rue  couverte,  est[o]yent 
amont  atachez  les  escus  de  France,  de  Rretaigne,  du 
cardinal  d'Amboise  et  de  messire  Charles  d'Amboise, 
lieutenant  du  Roy  ;  et  tout  le  dessus  de  la  Rue  couvert, 
faict  tout  le  bas,  et  au  long,  a  pilliers  de  verdure  : 
et,  des  l'entrée  d'icelle  Rue  jusques  près  l'entrée  du 
chasteau,  estoyent  atachez  amont  ses  mectres,  loings 
l'ung  de  l'autre  de  quarante  pas  ou  environ  : 

Rex  Regum  dominator  adest,  et  rector,  habenas 
Gum  Jove  divisas  qui  tenet  imperii. 

Le  Roy  dominateur  et  recteur  des  Roys  est  présent,  qui  les 
inclinations  du  monde  et  puissances  divisées  tient  avecques 
Jupiter. 

Accipe  populi  [sic]  plausus  et  corda  frementis, 
Qui  patrem  patrie  presidiumque  vocat. 

Prens  les  cueurs,  l'accueil  et  U admiracion  de  ton  peuple,  de 
joye  tressaillant,  qui  le  vray  secours  et  bon  père  du  pays  t'ap- 
pelle. 

1 .  Via  Nuova,  actuellement  Corso  Vittorio  Emanuele. 


Mai  1507J     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  289 

Alla  triumphantem  prospexit  Roma  Melellum, 
Clara  Ludovic!  gesta  Papia  colit. 

Rome  excelse  regarda  lors  Metellus  le  triumphant,  mais 
Pavye  honoure  les  clers  ges[t]es  de  Louys. 

Non  Appennini  salebrosa  cacumina  montis 
Es  veritus,  vallum,  frigora,  tella,  mare. 

Le  sommet  très  aspre  et  chemin  malaisé  du  mont  Appeninée, 
la  froideur  des  glaces^  l'empeschement  des  foussez-,  les  coups 
des  dartz  et  les  ondes  de  la  mer  ne  font  donné  craincte. 

Hanibal  ardenli  montem  dirrupil  aceto, 
Agmina  tu  infracto  vertice  tuta  locas. 

Avecques  ardent  vinaigre  Hanibal  froissa  la  montaigne,  et 
toy,  sans  fracture,  au  plus  hault  des  mons,  tout  a  seur  loge  tes 
gens  d'armes. 

Sola  Ludovici  Ligurem  frenare  superbum 

Dextra  valet,  Ligurum  sunt  fréta,  terra,  lacus. 

La  seulle  destre  de  Louys  peut  dompter  Gennes  la  Superbe, 
soubz  qui  sont  mers,  terres  et  fluves. 

Plusieurs  autres  mectres  estoyent  la  mys  et  faictz 
a  la  louenge  du  Roy  par  ung  escolier  de  Pavye,  nommé 
maistr[e]  George  de  Gandye;  lesquelz  je  lesse  pour 
eschever  prolixité  de  compte,  mais  diray  que  le  Roy 
ainsi  s'en  alla  droict  au  domme  faire  son  oraison,  et 
puys  au  chasteau  prendre  repos,  ou  séjourna  iiii  jours. 
Durant  lequel  temps,  plusieurs  banquetz  et  dances  en 
masques  furent  la  faictes,  ou  estoyent  grant  nombre 
de  dames,  belles  a  merveilles  et  habillées  moult  riche- 
ment. Les  princes  et  autres  gentishommes  françoys 
qui  la  estoyent  passèrent  ses  jours  joyeusement  ^ 

1.  Le  roi  entendit  la  messe  à  Pavie,  le  19  au  couvent  Saint- 
Thomas,  les  20  et  22  à  Santa  Maria  Impartica,  le  21  aux  Carmes, 
le  23  aux  Augustins,  le  24  à  la  Chartreuse. 

IV  19 


290  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

Et  puys,  le  Roy  adressa  vers  sa  popuilouse  cyté  de 
Millan  :  au  devant  de  luy,  a  ung  grant  mille  loings  de 
la  ville,  furent  les  seigneurs  et  cytadinstous  a  cheval, 
et  a  grant  nombre,  avecques  les  médecins  et  docteurs, 
et  les  enfans''  et  armuriers  de  ladicte  ville. 

A  l'entrée  de  la  porte  de  la  ville,  appellée  la  porte 
Tisenys^,  estoit  ung  spectacle  de  verdure,  faict  a 
beaulx  arceaulx  verdoyans,  ou  estoyent  pendues  les 
armes  du  Roy  au  plus  hault;  et,  au  deux  costez  du  bas, 
celles  du  cardinal  d'Amboise,  et  de  messire  Charles 
d'Amboise  lieutenant  du  Roy,  et  a  touchant  de  ladicte 
porte  estoyent  actachez  les  mectres  qui  cy  dessoubz 
sont  escriptz  : 

In  patriam  succède  tuam,  dignissime  Regum, 
Que  pridern  est  merilis  facta  beata  tuis. 

Hoc  deerat,  quod  te  incolumen  spectaret,  et  hostis 
Victorem  :  tribuunt  hec  quoque  dona  Del, 

0  le  plus  digne  des  Roys,  succède  a  ton  pais,  lequel  jady s, 
par  tes  mérites  et  bienjfaictz,  est  faict  sur  tous  autres  plus 
eureulx,  auquel  ne  deffailloit  autre  chose,  si  n'est  que,  sain  et 
en  bon  point,  te  peust  veoir,  et  vainqueur  de  tes  ennemys,  ce 
que  la  grâce  de  Dieu  t'a  donné. 

Des  l'entrée  de  la  ville  jusques  au  grant  domme,  et 
des  le  domme  en  retournant  jusques  au  chasteau, 
estoyent  les  Rues  tendues  de  hayes  de  verdure,  et  au 
dessus  couvertes  de  draps  jaunes  et  rouges  ;  le  devant 
des  murailles  des  maisons  tout  couvert  de  riche  tap- 
pisserye^;  et,  tant  que  duroient  lesdites  Rues,  toutes 

1.  Il  y  avait  des  compagnies  de  jeunes  gens  habillés  de  soie 
bleu  céleste  fleurdelisée  (Sanuto,  VII,  83). 

2.  Porta  Ticinese. 

3.  Un  ba7ino  du  8  mai  avait  ordonné  d'orner  les  rues.  Cf.  Mu- 
ralto,  Da  PauUo,  etc. 


Mai  1507]     CUMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  '291 

les  fenestres,  portes  et  ouvrouers,  et  autres  passées 
et  veues  desdites  maisons,  estoyent  plaines  et  empes- 
chées  de  dames,  toutes,  ou  presque,  vestues  et  accous- 
trées  de  draps  d'or  et  veloux  cramoisi,  ou  autres  riches 
soyes  ;  au  surplus,  tant  belles  qu'on  sauroit  a  souhect 
pencer,  et  le  plus  richement  aournées  de  quoy  se  pou- 
voyent  adviser. 

Sur  le  point  de  troys  heures  après  mydi,  le  Roy 
entra  dedans  sa  ville  de  Millan,  le  xxiui"^  jour  du  moys 
de  may.  Pour  parler  de  l'ordre  de  son  entrée  de  degré 
en  autre,  diray  ce  que  j'en  ay  peu  voir.  Premièrement, 
trois  cens  des  armuriers  de  ladite  ville,  tous  armez  a 
blanc  et  tous  emplumez,  portans,  les  ungs  demyes 
picques,  les  autres  hacquebutes,  les  autres  parti- 
zannes,  rançons  et  grans  espées  a  deux  mains,  mar- 
chèrent les  premiers,  a  deux  rangz;  lesquelz  avoyent 
troys  capitaines  a  cheval,  deux  devant  et  ung  derrière. 
A  la  queuhe  d'iceulx  estoyent  grant  nombre  de  Lom- 
bars,  tous  gorrierement  montez  et  acoustrez.  Puys 
suyvoit  le  prevost  de  l'ostel  et  tous  ses  archiers.  En 
après,  messire  Berault  Stuart,  capitaine  des  escossoys 
de  la  garde,  messire  Jacques  de  Gressol  et  messire 
Gabriel  de  la  Ghastre,  capitaines  des  archiers  de  la 
garde  fransoise,  lesquelz  menoyent  les  quatre  cens 
archiers  de  la  garde,  tous  a  cheval  et  en  armes.  Au 
derrière  d'eulx  estoyent  grant  nombre  de  gentis- 
hommes  a  cheval ,  françoys  et  lombars.  Puys  mar- 
choyent  a  pié  quatre  cens  enfans  de  la  ville,  tous  en 
pourpoint  de  velous,  satin  et  taffetas  pers,  semez  tous 
de  fleurs  de  lys  ;  desquelz  les  aucuns  portoyent  deux  a 
deux,  quatre  a  quatre,  sur  leurs  espaules,  avecques 
perches  propices  a  ce,  grosses  tours  en  faincte,  villes 


292  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

et  chasteaux,  glayves  et  armeures  de  diverses  sortes, 
pour  demonstrer  a  ses  enseignes  l'effect  de  la  victoire 
du  Roy  et  la  despoille  de  ses  ennemys  vaincus.  Apres 
estoit  ung  grant  curre  triumphal  a  chevaulx,  dedans 
lequel  estoyent  assizes  en  chaire  les  quatre  vertus 
cardinalles;  c'est  assavoir  :  Justice  et  Prudence,  au 
devant  de  celuy  curre;  et  Fortitude  et  Temperence 
au  derrière;  et  au  millieu,  sur  une  haulte  chaire, 
estoit  assix  le  dieu  Mars,  dieu  des  batailles,  tenant  en 
la  main  destre  ung  dart  agu,  et  en  la  senestre  main 
tenoit  une  palme,  en  signe  de  victoire.  Apres  mar- 
chèrent les  médecins  et  docteurs  de  la  ville;  puys  le 
capitaine  des  cent  allemans  de  la  garde,  lesquelz  armez 
de  hallecretz,  la  picque  au  poing,  et  tous  empennachez, 
cinq  a  cinq  marchèrent  par  ordre.  Apres  furent  les 
trompettes,  qui  sonnèrent  sans  cesser.  Le  Roy  fut 
après,  lequel  estoit  soubz  ung  poisle  que  six  des  plus 
grans  seigneurs  de  Millan  portoyent  ;  et,  tout  au  tour 
de  luy,  estoyent  les  xxiiii  archiers  escossoys  du  corps, 
tousapié;  et  luy,  ainsi  accompaigné,  estoit  monté  sur 
ung  coursier  blanc,  vestu  d'une  robe  de  drap  d'or 
trect  frizé  d'or,  le  chief  couvert  d'une  toque  de  velloux 
cramoisi ,  et  dedans  avoit  une  cornecte  de  taffetas 
rouge.  Apres  luy,  estoient  les  cardina[u]lx  d'Amboise, 
de  Ferrare,  de  Sainct  Severin,  de  la  Trimolle,  d'Alby 
et  de  Final.  Et  après  marchoit  le  duc  de  Bourbon,  le 
duc  de  Longueville,  messire  Charles  d'Amboise,  le 
seigneur  Jehan  Jacques;  messire  Galeas  de  Sainct 
Severin,  grant  escuycr;  messire  Loys  de  Brayzé,  grant 
senechal  de  Normendye,  et  messire  Guy  on  d'Amboise, 
capitaine  des  deux  cens  gentishommes  de  la  maison 
du  Roy,  lesquelz  gentishommes  estoyent  après  leurs- 


Mai  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  293 

dits  capitaines,  bien  montez,  leurs  haches  au  poing, 
et  tous  vestus  de  robes  de  vellours.  Apres  marchèrent 
grant  flote  de  gentishommes  lombars,  et  tant  de  peuple 
de  la  ville  qu'on  ne  pouvoit  passer  par  les  Rues.  Et 
ainsi  s'en  alla  le  Roy  descendre  au  grant  dôme,  ou 
fist  ses  dévotes  oraisons  et  offrit  larges  presens^  ;  et, 
ce  faict,  s'en  ala  droict  a  son  chasteau,  ou  artillerye 
tiroit  si  menu  que  l'ung  n'entendoit  parler  l'autre  : 
la  dedans  trouva  les  mortes  payes  et  gardes  dudit 
chasteau  en  bel  ordre,  tous  en  armes  et  arrangez  a 
double,  depuis  l'entrée  du  pont  jusques  a  la  porte  de 
la  salle  de  son  logis,  lesquelz  estoient  en  nombre  de 
cent  hommes  d'armes  et  deux  cens  archiers.  La 
estoyent  deux  capitaines,  l'ung  nommé  messire  Gilles^ 
de  Louvain,  françoys,  capitaine  du  chasteau,  et  l'autre 
Guillaume  Greston,  escossoys,  capitaine  de  la  roc- 
quecte. 

Pour  descripre  a  plain  toutes  les  choses  qui  la 
furent  faictes,  grant  prolixité  s'en  ensuyvroit,  et  par 
avanture  plustost  enn[ujy  que  fin.  Mais  toutes  les  rues 
estoyent  plaines  d'arcz  triumphans  et  tabernacles  de 
verdure.  Et,  entre  autres,  entre  le  domme  et  le  chas- 

1.  Il  n'en  est  pas  fait  mention  dans  le  registre  de  ses  offrandes. 
Disons  de  suite  que,  pendant  son  séjour  à  Milan,  où  il  ne  put 
attirer  Léonard  de  Vinci,  Louis  XII  entendit  la  messe  le  6  juin 
à  Sainte-Marie-des-Grâces;  les  9, 10  et  11  au  couvent  des  Anges; 
le  3  à  S.-Ambrogio;  les  1er,  2,  4,  5,  7,  8  à  S.-Agostino;  le  31  mai 
au  dôme;  les  27  et  29  à  la  chapelle  du  château;  les  26  et  30  chez 
les  Franciscains;  le  25  à  Notre-Darae-de-la-Consolation;  le  28  à 
une  Santa-Maria  non  spéciliée.  —  D'après  Paul  Jove,  témoin 
oculaire  (cité  par  Tiraboschi,  VII,  249),  Louis  XII  était  tellement 
épris  de  la  Cène  de  Léonard  de  Vinci  qu'il  aurait  désiré  la  trans- 
porter en  France. 

2.  Nicolas. 


294  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

teau,  dedans  une  rue  nommée  la  Rue  du  mons  de 
pitié  ^,  en  laquelle  sont  les  ostelz  dieu  et  les  hospitaulx 
de  la  ville,  avoit  ung  portai  de  verdure,  tenant  tout 
le  travers  de  la  rue,  faict  a  pilliers  et  arceaulx  de 
feuilles,  et  tout  couvert  de  mesmes,  le  dedans  semmé 
de  armes  de  France  et  de  Bretaigne;  et  dessus  avoit 
ung  mont  artificiel,  de  la  haulteur  d'ung  homme  ou 
environ,  lequel  estoit  tout  au  tour  environné  a  sixrangz 
et  semmé  d'escus  au  souleil,  ou  pouvoit  avoir  mille 
escus  ou  plus;  et,  dessus  ledit  portai,  au  plus  hault, 
estoit  l'ymage  de  Nostre  Seigneur,  tout  nu  et  flagellé  ; 
au  deux  boutz  et  dedans  ung  eschaffault  qui  la  estoit, 
avoit  deux  chaires,  parées  de  drap  d'or,  dedans  l'une 
desquelles  estoit  l'ymage  sainct  Ambroise,  patron 
et  protecteur  de  Millau,  tenant  ung  fouhect  en  la 
main;  et,  en  l'autre  chayre,  estoit  l'image  du  Roy, 
ayant  le  ceptre  au  poing.  Tout  autour  de  celuy  mons 
d'or,  avoit  quatre  petilz  enfans  habillez  en  angelotz, 
tenant  chascun  une  trompette  en  la  main,  garnye  de 
bannerolles  semées  de  croix  rouges  ;  et,  au  dessoubz 
de  ses  angelotz,  quatre  autres  petiz  enfans,  portant 
chascun  une  faille  ardant,  en  signe  de  feu  de  joye.  Et 
au  pié  de  celuy  mons  estoyent  escrips  ses  vers  : 

Exiguus  qui  coUis  erat,  nunc  aureus  est  mons, 
Hoc  Lua  Rex  mirum  dextera  larga  faciU 

Ce  lieu,  qui  loi's  petit  val  soloit  estre, 
Est  mainctenant  ung  grant  mons  d'or  couvert. 
Ce  grant  merveille  a  faict  ta  large  désire, 
Qui  aux  pauvres  a  son  trésor  ouvert. 

\.  Via  Monte  di  Pietà,  au  nord  du  Dorae;  le  magniliquc  «  Ospo- 
dale  Maggiore,  »  élevé  par  Filarcto  pour  les  Sforza,  se  trouvait 
à  l'opposé. 


Mai  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  295 

Tantost  que  le  Roy  fut  en  sa  cyté  de  Millau,  de 
toutes  pars  y  vindrent  ambaxades^.  Lé  Venissiains, 
voyant  la  me[r]  veilleuse  puissance  du  Roy  et  les  excessiz 
effors  d'armes  des  Fransoys,  eurent  doubte  sur  leur 
affaire  ;  mais,  pour  vouloir  faire  des  bons  varletz,  trans- 
mirent deux  ambaxades  en  court,  nommées  messire 
Jheronime  Treviran  et  messire  Paule  de  Pire,  lesquelz 
arrivèrent  a  Millan  le  xxvi®  jour  du  moys  de  may,  et 
s'en  allèrent  au  chasteau^,  pour  vouloir  la  faire  et  dire 
leur  charge.  Le  Roy,  qui  tantost  sceut  leur  venue,  entra 
en  salle,  ou  illecques  lesdis  Venissiains  actendoyent 
pour  parler  a  luy,  ausquelz  dist  qu'ilz  dissent  leur 
affaire  et  ce  qui  les  amenoit.  Tantost  se  mist  en  chaire, 
pour  ouyr  le  dire  d'iceulx  Venissiains,  qui  s'appro- 
chèrent et  commaincerent  leur  harangue  en  latin, 
disant  :  «  Sire,  toute  la  seigneurie  de  Venize,  sachant 

1.  Le  21  avril,  à  l'hôtel  de  la  Croix-Blanche,  à  Felizzano,  Gor- 
nelio  Galanti,  au  nom  de  Pandolfo  Petrucci,  suivant  pouvoirs  du 
13  avril,  certifiés  le  14,  et  de  la  commune  de  Sienne,  avait  sous- 
crit, en  présence  d'Etienne  Poncher,  Geffroy  Caries  et  autres,  une 
reconnaissance  de  20,000  écus  d'or  soleil,  payables  par  annuités 
de  5,000  écus,  le  l^-"  mai,  à  partir  de  1508.  En  cas  de  retard, 
l'annuité  précédente  était  abandonnée.  Galanti  subdéléguait  Louis 
Robertet,  secrétaire  du  roi,  et  quatre  magistrats  français  ou  mila- 
nais. L'acte  fut  reçu  par  les  notaires  Jean  Mayno,  secrétaire  du 
roi,  Jean  Huart,  prêtre  de  Péronne  (Archives  de  Sienne,  Archivi 
dei  imrticolari,  Carte  di  Ser  Antonio  Vitelli  ;  communication  de 
M.  le  Directeur  général  du  R.  Archivio  di  Stato,  in  Siena).  La 
ratification  expresse  et  le  serment  de  P.  Petrucci  devaient  être 
envoyés,  dans  le  mois,  au  cardinal  d'Amboise  ou  à  Florimond 
Robertet.  Ils  furent  libellés  par  cédule  du  26  avril  (mêmes  Archives, 
même  fonds). 

2.  Une  nouvelle  ambassade  spéciale  de  félicitations.  Les  ambas- 
sadeurs qu'ils  avaient  envoyés  à  Gênes  avaient  déjà  pris  part  à 
l'entrée  du  roi  à  Milan. 


296  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

la  bonne  prospérité  de  vostre  Cristianissime  Magesté  et 
la  triumphale  victoire  que  sur  voz  ennemys  avez  glori- 
seusement  (sic)  obtenue,  comme  voz  bons  amys,  loyaulx 
serviteurs  et  entièrement  confederez,  se  rejoissent 
avecques  vous,  en  vous  donnant  souveraine  louange 
des  victoriosissimes  elfectz  de  vostre  invictissime 
puissance,  par  laquelle  avez  la  redoubtée  en  mer  et 
craincte  en  la  terre  Gennes  la  Superbe  domptée  et  sub- 
mise. Mais,  Cristianissime  Roy,  si  le  hault  guerdon 
méritoire  de  glorieuse  renommée  avez  par  la  victoire 
deservy,  maindres  tiitres  d'honneur  par  la  vertu  de 
clémence  n'avez  aquys  :  dont  toute  la  seigneurie  de 
Venize,  en  aclribuant  loz  immortel  a  vostre  Cristia- 
nissime Magesté,  vous  offre  cueurs,  corps  et  biens, 
et  vivres  de  leurs  pays,  si  mestier  en  avez  ;  en  recom- 
mandant très  humblement  Testât  de  ladite  seigneurie 
de  Venize  a  la  bonne  grâce  de  vostre  Magesté  Cris- 
tianissime. »  Et,  ce  dit,  voyant  le  Roy  que,  sur  ses- 
dites  recommandacions,  jamais  telles  n'avoyent  faictes, 
finissoyent  leur  propos,  leur  fist  faire  responce  par 
maistre  Estienne  de^  Ponchier,  evesque  de  Paris,  lequel 
leur  dist,  ausi  en  latin,  que  le  Roy  se  rejoissoit  de 
leur  bonne  Visitation,  laquelle  il  avoit  très  agréable, 
disant  que  tousjours  auroit  leur  seigneurie  en  sin- 
gulière recommandacion  comme  de  ses  bons  amys, 
alyez  et  confederez;  et  que,  si  le  Turc  ou  autre  de  ses 
ennemys  leur  faisoit  guerre,  que  sans  faillir  les  secou- 
riroit  et  aideroit  de  sa  puissance;  et,  quant  au  regard 
de  la  haulte  louange  et  lionnourables  tiitres  que  pour 


1.  Ces  deux  mots  sont  ajoutés;  le  texte  primitif  portail  :  Jehan 
Ponchier. 


Mai  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  297 

sa  victoire  ilz  luy  actribuoyent,  la  lessoit  a  Dieu  seul- 
lement,  de  qui  viennent  toutes  victoires  et  d'où  pro- 
cèdent toutes  vertus. 

Pareillement  furent  la  les  ambaxades  de  Flourence, 
demandant  au  Roy  secours  pour  soubmectre  les 
Pizains,  disant  :  «  Sire,  vous  savez  que  autresfoys 
nous  avez  dit  que  nous  donneriez  rainfort  et  main  armée 
pour  ce  faire,  et  comme  avons  estez  tousjours  bons 
françoys  et  loyaulx  a  vostre  Gristianissime  Magesté; 
et  en  oultre  de  vous  avez  querelle  contre  eulx,  veu 
que  voz  ennemys  ont  contre  vous  par  armes  favorizez 
et  soustenuz,  et  donné  a  eulx  toute  l'ayde  qu'ilz  ont 
peu;  par  quoy,  si  ne  les  chastyez  a  ceste  foys,  dore- 
sennavant  ne  doubleront  prendre  alyence  contre  vous 
et  secourir  voz  autres  ennemys  :  dont  devez  par  rai- 
son estre  du  tout  enclin  a  leur  faire  cognoistre  leur 
deffault  et  reparer  leur  meffaict.  »  Le  Roy,  nonobstant 
toutes  les  remonstrances  des  Florentins,  ne  se  meut; 
mais,  comme  sage,  penca  que  le  deffault  des  Pizans 
n'esloit  qu'il  ne  fussent  a  luy  soubmys  et  que  de 
leur  franche  volunté  et  libéral  vouloir  s'estoyent  plu- 
sieurs foys  donnez  a  luy,  lesquelz,  au  moyen  de 
quelque  biemvoUence  qu'il  avoit  eue  a  iceulx  Floren- 
tins, ne  les  avoit  voulus  accepter  ne  recevoir  soubz  sa 
main  et  sauvegarde  ;  et,  tout  ce  considéré,  dist  :  «  Si 
les  Pizains  ont  priz  party  ou  alyence  contre  moy,  de 
riens  ne  m'ont  offencé,  veu  le  reffuz  que  j'ay  faict 
d'eulx  et  de  leur  seigneurie,  et  que  foy,  hommage 
ne  promesse  ne  m'ont  faict,  voyant  ausi  que  nécessité 
les  compelle  et  contrainct,  et  que,  premier  que  les 
Gennevoys  meussent  guerre  contre  moy,  iceulx  Pizans 
estoyent  leurs  alyez  et  confederez  :  dont  aucun  deffault 


298  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

n'ont  contre  moy  commys,  par  quoy  leur  deusse  faire 
la  guerre  ne  secourir  autruy  contre  eulx.  »  Lesquelles 
raisons  par  le  Roy  calculées  et  debatues,  délibéra  les 
lesser  en  leur  entier,  ce  qu'il  fist.  Et  me  fut  dit  que 
les  Florentins,  devant  le  temps  de  la  guerre  de  Gennes, 
avoyent  promys  au  Roy,  s'il  passoit  les  mons,  de  luy 
bailler  gent  et  argent  et  luy  faire  tout  le  secours  qu'ilz 
pourroyent,  de  quoy  ne  firent  riens  :  ce  qui  peut  estre, 
entre  autres  choses,  moyen  de  la  paix  des  Pizans  et 
du  reffuz  de  la  demande  d'iceulx  Florentins;  car  le 
droict  veust  que  a  celuy  qui  fault  promesse  que  pro- 
messe luy  soit  faillye. 

De  Gennes  venoyent  en  court  nouvelles  ;  disant  les 
aucuns  que  longuement  ne  tiendroyent  leur  foy  et  ser- 
ment les  Gennevoys,  si  n'est  autant  qu'il  se  sentiroyent 
les  plus  feibles  :  ce  qui  estoit  bien  a  croire,  car  plu- 
sieurs foys  en  avoyent  autant  faict;  mais,  pour  obvyer 
a  ce,  le  Roy  avoit  lessé  dedans  leur  ville  si  forte  main 
armée  qu'ilz  n'eussent  osé  toussir.  Les  autres  disoyent 
que,  si  le  Roy  desemparoit  Lombardye,  que  lesdits 
Gennevoys  ne  demeureroyent  gueres  de  temps  après 
sans  faire  quelque  bruyt.  Tout  plain  d'autres  nouvelles 
couroyent  en  court;  et,  entre  autres,  quelqun  des 
gentishommes  du  Roy,  venant  de  Gennes,  dist  que, 
depuys  la  prise  et  réduction  d'icelle,  s'estoit  trouvé 
la  dedans,  ou  avoit  ouy  plusieurs  des  Gennevoys 
parler,  entre  autres  ung  des  principaulx  :  et,  comme 
ledit  gentilhomme  et  celuy  gennevoys  fussent  quelque- 
foys  ensemble,  parlans  de  plusieurs  choses  touchant 
la  guerre  et  prise  de  Gennes,  entrant  de  propos  en 
autre,  ledit  gentilhomme  dist  audit  gennevoys  :  «  Or 
sa,  dist  il,  seignor  gennevoys,  si  fortune  vous  eust  esté 


Mai  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  GENNES,  ETC.  299 

si  doulce  qu'elle  vous  eust  donné  tel  avantage  sur  les 
Françoys  comme  elle  a  aux  Françoys  sur  vous,  par 
vostre  foy,  quel  party  leur  eussiez  vous  faict?  —  Par 
ma  foy!  dist  celuy  gennevoys,  puys  que  de  ce  me 
voulez  enquérir  par  serment,  nous  autres  Gennevoys 
estyons  tous  délibérez  de  mectre  a  l'espée  et  a  saque- 
ment  toute  vostre  gent,  avecques  tous  les  princes  et 
cardinaulx  et  autres  sans  en  excepter  ung  seul,  réservé 
la  personne  du  Roy,  que  nous  eussions  gardé  entre  noz 
mains  pour  en  faire  a  la  parfîn  scelon  l'ordonnance  de 
nostre  conseil. — Et  pour  quoy,  dist  celuy  gentilhomme, 
heussiez  vous  tant  mys  a  mort  de  grans  princes,  car- 
dinaulx et  autres  personnages  d'octorité,  qui  premier 
que  mourir  eussent  peu  paier  de  ranson  sept  ou  liuyt 
cent  mille  escus  ou  plus,  comme  le  duc  de  Bourbon, 
le  duc  de  Callabre,  le  conte  de  Foix  et  autres,  qui  pour 
ung  milion  d'or  ne  fussent  demeurez  ;  et  le  légat  de 
France  et  autres  seigneurs  d'eglize,  qui  eussent  peu 
payer  moult  grosse  somme  d'argent?  —  Tel  exploict, 
dist  le  gennevoys,  voulyons  ores  faire,  comme  pour 
cloure  le  pas  de  noz  combatz  des  plus  haultz  faictz 
d'armes  qui  furent  onques  faictz,  et  en  ensuyvant 
les  grandes  victoires  et  triumphalles  oeuvres  que  par 
cy  devant  ont  faict  noz  prédécesseurs  ;  et  ausi  pour 
arrondir  noz  croniques,  et  noz  gestes  magnifier  d'une 
gloire  tant  louable  et  si  honnorable  victoire  que  eust 
esté  ceste,  disant  que,  après  une  telle  victoire,  nul 
prince  du  monde  eust  osé  nous  assaillir  ou  présumé 
faire  guerre  a  nous,  comme  vaincueurs  des  vaincueurs 
et  dompteurs  de  la  plus  forte  main  du  monde.  » 


300  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

XXX. 

Gommant  Paule  de  Nove,  duc  de  Gennes,  fut  esgapité 

DEDANS   LE   PALAIS   DUDIT  LIEU  DE   GeNNES. 

Plusieurs  des  Gennevoys  qui,  a  la  venue  du  Roy, 
s'estoyent  absentez  et  fuyz  de  Gennes,  sachant  comme, 
au  jour  que  les  autres  Gennevoys  avoyent  faict  le  ser- 
ment, leur  grâce  avoit  esté  declairée,  s'en  retour- 
nèrent et  firent  le  serment,  comme  avoit  esté  ordonné. 
Les  autres  qui  n'estoyent  compriz  en  ladite  remission 
demeurèrent  ou  ilz  peurent  :  dont  les  aucuns  furent 
priz,  et,  entre  autres,  le  duc  de  Gennes,  nommé  Paule 
de  Nove,  lequel  s'en  estoit  fuy  en  l'isle  de  Corse, 
cuydant  estre  la  bien  asseur.  Mais  le  Roy,  saichant  qu'il 
estoit  la,  avoit  donné  charge  a  ung  nommé  Pregent  le 
Ridoulx,  capitaine  de  quatre  de  ses  galleres,  de  s'en 
aller  vers  ladite  isle  de  Corse  et  prendre  ledit  Paule 
de  Nove,  s'il  le  pouvoit  trouver  en  lieu  pour  ce  faire. 
Lequel  Pregent,  avecques  deux  de  ses  galleres  armées, 
s'en  alla  vers  ladite  isle,  le  plus  couvertement  qu'il 
peut.  Or,  avoit  celuy  Pregent  cognoissance  a  ung  dé 
patrons  d'aucunes  barches  de  Gennes,  son  bien  fami- 
lyer  et  amy,  qui  souvant  alloit  de  Gennes  en  Corse  et 
de  Corse  a  Gennes  mener  vivres  et  marchandise  ; 
auquel  parla  ledit  Pregent  et  luy  descouvrit  son  entre- 
prise, en  luy  disant  :  «  Seignor,  le  Roy  m'a  donné 
charge  d'une  chose,  laquelle  je  vous  diroye  volunticrs, 
pourveu  que  me  promissiez  ayder  en  mon  affaire  et 
que  tenissiez  la  chose  segrecte  ;  et,  en  ce  faysant, 
feriez  ung  bon  service  au  Roy,  et  a  moy  ung  singulier 


Mai  1507]  COMM'  PAULE  DE  NOVE  ...  FUT  ESCAPITÉ,  ETC.     301 

plaisir,  et  a  vous  mesmes  ung  grant  proffict  ;  car,  si 
vous  m'aydez  a  parachever  mon  entreprise,  j'en  feray 
tel  rapport  au  Roy  que  tousjours  serez  envers  luy 
pour  recomandé.  Et,  en  oultre,  j'ay  deux  cens  escus, 
tous  prestz  a  vous  bailler,  si  a  ce  me  vouliez  secourir.  » 
Lorsque  ledit  Gennevoys  ouyt  parler  de  deux  cens 
escus,  aprocha  l'oreille  en  disant  :  «  Seignor  Pregent, 
vous  savez  que  je  suys  tout  au  Roy  et  a  vous.  Et, 
touchant  ce  que  m'avez  dit,  s'il  y  a  chose  en  quoy 
je  puisse  servir  le  Roy,  et  a  vous  faire  plaisir,  soyez 
tout  seur,  en  me  tenant  promesse,  que,  a  mon  pou- 
voir, tant  seurement  et  a  segret  que  faire  se  poura, 
a  ce  m'emploiray.  »  Ce  dit,  ledit  Pregent  luy  dist 
son  intencion,  et  commant  il  estoit  la,  par  le  com- 
mandement du  Roy,  pour  vouloir  prandre  Paule  de 
Nove,  qui  estoit  dedans  l'isle  de  Corse;  ce  qu'il  ne 
pouvoit  bonnement  faire  sans  l'ayde  de  quelqun, 
disant  :  «  S'il  scet  aucunement  l'entreprise,  il  se 
absentera  ou  mectra  en  lieu  qu'on  ne  le  pourra 
trouver.  —  Taisez  vous,  dist  le  patron;  si  vous  me 
voulez  bailler  les  deux  cens  escuz,  je  vous  le  mectray 
entre  les  mains  et,  pour  le  moings,  en  lieu  ou  le 
pourrez  prendre  sans  faillir.  »  Ce  dit,  ledit  Pregent 
promist  par  sa  foy  bailler  les  deux  cens  escus,  tout 
incontinent  qu'il  auroit  priz  son  homme.  Tant  fut  que 
ledit  patron  s'en  ala  en  Corse,  ou  trouva  ledit  Paule 
de  Nove  bien  esbahy  ;  et  a  tant  demanda  audit  patron, 
qui  venoit  de  Gennes,  commant  alloit  du  tout.  «  Non 
gueres  bien,  dist  le  patron,  car  le  Roy  de  France  est 
demeuré  maistre,  et  a  faict  banyr  plusieurs  des  nostres 
et  trencher  la  teste  a  Demetry  Justiniain  ;  et  croy  que, 
s'il  vous  tenoit,  que  très  mauvaise  compaignye  vous 


30-?  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

feroit.  Mais,  vous  estes  icy  bien  seurement,  et  croy 
qu'il  cuyde  que  soyez  fui  en  Grèce.  »  Apres  plusieurs 
autres  paroUes,  ledit  patron  trouva  manière  de  mener 
ledit  Paule  de  Nove,  par  manière  de  passe  temps,  sur 
la  rive  de  la  marine,  ou  avoit  plusieurs  barches,  naulx 
et  galleres  de  Gennes  et  d'ailleurs,  et,  entre  autres, 
estoynt  celles  de  Pregent  deguysées,  ou  ledit  Pregent 
estoit,  lequel,  si  tost  qu'il  le  vist,  ses  gens  en  si 
beau  gibier,  mist  hors  quelque  nombre  de  ses  gens, 
armez  soubz  leur  mantes,  et  leur  monstra  ledit  Paule 
de  Nove,  disant  que  soubdainement  le  preinssent  et 
menassent  a  bort,  ou  seroit  prest  de  le  croquer  et 
mectre  en  sa  gallere.  Ce  qui  fut  faict,  car,  tout  en 
l'eure,  les  gens  dudit  Pregent  sortirent,  comme  pour 
vouloir  aller  quérir  eaues  doulces  ou  autres  pro- 
visions, pour  mectre  en  leurs  vaisseaulx;  et  peu  a 
peu  approchèrent  tellement  qu'il  luy  misrent  la  main 
sur  le  collet,  et  a  coup  le  guyderent  devers  Pregent, 
qui  le  fist  mectre  en  sa  gallere  et  fist  bailler  l'argent 
audit  patron  qui  l'avoit  faict  prendre. 

Le  duc  de  Gennes,  pauvre  viellart,  tout  esbahy, 
commainça  a  plourer  et  dire  :  a  Helas  !  or  voy  je 
bien  que  je  suys  mort  et  que,  pour  la  prise  de  mon 
corps,  ma  teste  payera  la  ranson,  combien  que  je  ne 
l'aye  deservy  ;  car  ce  que  j'ay  faict  n'a  esté  de  mon 
mouvement,  mais  pour  complaire  au  vouloir  du  peuple 
et  obvyer  a  sa  fureur,  car,  si  je  l'eusse  reffuzé,  ausi 
bien  m'eussent  ilz  occys.  Or  bien  face  le  Roy  de  moy 
ce  qu'il  luy  plaira  !  »  En  faisant  ses  plainctz  et  regrectz, 
fut  mené  a  Gennes,  et  la  faict  son  procès;  tellement 
qu'il  fut  dit  et  sentencyé  qu'il  devoit  encourir  peine 
capitalle,  comme  commisseur  de  crime  de  leze  magesté, 


Mai  1507]  LA  MANIERE  D'UNG  TOURNA  Y  FAICT  A  MILLAN.       303 

combien  qu'il  ne  se  trouvoit  point  qu'il  eust  prouchassé 
le  tiltre  et  honneur  ducal,  mais  que,  par  le  motif  du 
peuple,  il  eust  esté  esleu  duc  de  Gennes,  affin  que, 
avecques  l'autre  forfaict  qu'il  avoit  perpétré,  d'avoir 
entretenu  le  peuple  en  sedicion  et  rébellion  contre  le 
Roy,  il  fust  exemple  a  tous  autres  futurs.  Apres  la 
sentence  par  la  justice  donnée,  le  v™®  jour  du  moys 
de  jung,  dedans  la  place  du  palais  de  Gennes,  fut 
escapité,  et  partie  de  ses  biens  confisquez  et  partie 
lessez  a  sa  femme  :  laquelle  ne  fut  jamais  consentant 
ne  contente  qu'il  acceptast  ledit  office,  mais  luy  avoit 
tousjours  desloué  et  deffendu  a  son  pouvoir;  par 
quoy,  le  Roy  voulut  que  sa  maison  et  la  pluspart 
de  ses  biens  luy  demeurassent.  Laquelle  exécution 
donna  craincte  a  tous  les  Gennevoys  et  merveilles  a 
plusieurs  autres^. 

XXXI. 

Des  articles  contenans  la  manière  d'ung  tournay 
faict  a  millan  ;  faictz  lesdits  articles  par  ung 
Roy  d'armes  françoys,  nommé  Daulphin. 

«  A  l'onneur  et  louange  de  Dieu  le  créateur,  de  la 
glorieuse  vierge  Marie,  de  monseigneur  sainct  Michel 
l'ange,  de  sainct  George  et  de  toute  la  court  celes- 
tielle!  Pour  donner  plaisir  au  Roy,  et  excecuter  le 
noble  faict  des  armes,  et  pour  esche  ver  oisiveté, 
huyt  chevaliers  ou  gentishommes  de  non  et  d'armes, 

1.  Le  roi  fit  aussi  raser  à  Gênes  la  maison  de  Paolo  Batista 
Giustiniano,  un  des  chefs  de  l'insurrection  (Sanuto,  VII,  134). 


304  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

serviteurs  dudit  seigneur,  sont  délibérez  de  tenir  ung 
pas  dedans  la  cyté  de  Millan,  contre  tous  gentishommes 
de  nonr  et  d'armes,  a  cheval  et  a  pié,  en  la  manière 
qui  s'en  suit  : 

«  Et,  premièrement.  Lesdits  chevaliers  ou  gentis- 
hommes tiendront  a  cheval  en  harnoys  de  guerre,  a 
quatre  cources  de  lance  a  fer  esmoulu,  en  lice.  Et 
fourniront  lesdits  tenans  de  lances,  de  quoy  les 
assaillans  en  auront  le  choix. 

«  Item.  Apres  avoir  parfaict  lesdites  quatre  cources 
de  lance,  tiendront  a  une  course  de  lance  sans  lice,  a 
fer  esmoulu,  et  combatront  a  l'espée  d'estoc  et  de 
taille,  sans  nombre,  tant  que  sera  le  bon  plaisir 
du  Roy. 

«  Item.  Tiendront  lesdits  tenans  en  harnoys  de 
joxte  a  VI  cources  de  lance,  a  tous  venans,  a  lances,  a 
rochet,  et  porteront,  tant  assaillans  que  deffandans, 
telles  lances  que  bon  leur  semblera,  lesquelles  seront 
présentées  a  ung  officier  d'armes,  pour  estre  mer- 
chées  et  estre  mises  d'une  longueur. 

«  Et,  pour  le  combat  de  pié,  se  trouveront xii  tenans, 
c'est  assavoir  :  viii  tenans  et  un  aydes,  pour  la  pre- 
mière foys  seullemeni,  a  une  barrière,  a  ung  gect  de 
lance,  et  combatront  a  la  picque  d'allement,  et  a 
l'espée,  tant  que  sera  le  bon  plaisir  du  Roy.  Et, 
le  combat  desdits  xii  parachevé,  tiendront  lesdits 
VIII  tenans,  a  ladite  barrière,  contre  tous  assaillans. 

«  Item.  En  ensuyvant  lesdites  armes  de  pié,  tien- 
dront sans  barrière,  a  la  picque  et  a  l'espée  de  tail, 
au  bon  plaisir  du  Roy. 

«  Item.  En  après,  combatront  a  la  hache  sans  bar- 
rière, comme  dessus. 


Mai  1507]  LA  MANIERE  D'UNG  TOURNAT  FAICT  A  MILLAN.      305 

<ï  Puys,  combatront  a  l'espée  a  deux  mains,  sans 
barrière,  au  plaisir  du  Roy;  et  fourniront  lesdits 
tenans  tous  bastons  nécessaires  pour  lesdites  armes 
accomplir,  fors  seullement  de  lances  a  rochet. 

«  Item.  Pour  tenir  ordre  desdits  combatz,  tant  de 
cheval  que  de  pié,  il  y  aura  deux  escus  pendus  a  ung 
perron,  gardez  par  ung  officier  d'armes  :  desquelz 
escuz  l'ung  sera  d'argent,  auquel  ceulx  qui  vouldront 
accepter  le  combat  de  cheval  viendront  toucher  ;  et 
l'autre  escu  sera  d'or,  auquel  ceulx  qui  vouldront 
accepter  le  combat  de  pié  toucheront;  et  seront  enrôl- 
iez par  ledit  officier  d'armes,  affin  de  garder  a  chascun 
son  ordre  et  la  manière  du  combat  qu'ilz  accepteront. 

«  Et,  s'il  en  y  a  aucuns  qui  veullent  toucher  les 
deux  escus,  pour  parfaire  les  deux  emprises,  c'est 
assavoir  a  cheval  et  a  pié,  en  tout  ou  en  partie,  il 
leur  sera  respondu,  et  seront*  reçeuz  par  lesdits 
tenans.  Ausi  seront  tenus  lesdits  assaillans  de  porter 
leurs  escus,  armoyez  de  leurs  armes,  audit  officier 
d'armes,  pour  les  mectre  audit  perron  ;  autrement,  ne 
seront  plus  receuz. 

«  Item.  A  esté  ordonné  par  le  Roy,  nostre  sire, 
depuys  ses  articles  publiez,  que  le  jour  que  com- 
maincera  le  combat  de  cheval  a  iiii  courses  de  lance, 
a  fer  esmoulu,  sera  le  premier  jour  de  jung  pro- 
chainement venant,  et  la  chascun  sera  receu  selon 
ordre,  comme  dessus  est  dit.  » 

Cesdits  articles  baillez  et  publiez,  les  lices  furent 
faites  de  deux  cens  pas  de  long,  dedans  la  grant  place 
de  devant  le  chasteau.  En  entrant  dedans  ladite  place 

1,  Le  texte  porte  :  soront. 

IV  20 


306  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

pour  aller  au  chasteau,  sur  main  senestre,  furent  faictz 
de  la  longueur  des  lices  grans  chaffaulx,  pour  la,  au 
bout  d'iceulx,  du  costé  dudit  chasteau,  estre  le  Roy 
et  les  princes  et  seigneurs  qui  avecques  luy  estoyent. 
Dedans  iceulx  eschafïaulx,  tout  du  long,  furent  faictz 
lieulx  et  places  propices,  regardans  dedans  les  lices, 
pour  mectre  et  asseoir  les  dames  qui  la  viendroyent. 
De  l'autre  costé,  fut  faict  ung  eschaffault,  pour 
mectre  les  juges  desdits  combatz.  Au  bout  desdites 
lices,  du  costé  du  chasteau,  avoit  ung  peron,  hault  de 
dix  toises,  au  bas  duquel  avoit  ung  petit  eschaffault, 
pour  la  estre  le  Roy  d'armes  ordonné  pour  recepvoir 
les  noms  et  escus  de  ceulx  qui  vouldroyent  accepter 
le  combat.  Encontre  ledit  peron,  avoit  actachez  deux 
escus,  dont  l'ung  estoit  d'or,  auquel  touchoyent  ceulx 
qui  acceptoyent  le  combat  a  pié  ;  l'autre  estoit  d'argent, 
ou  ceulx  qui  vouloyent  accepter  le  combat  a  cheval 
touchoyent.  Entre  les  lices  et  les  eschafïaulx,  avoit 
une  place  de  quarente  pas  de  large  et  de  la  grandeur 
des  lices,  toute  garnye  et  semée  de  sabblon,  pour 
tenir  a  ferme  les  chevaulx  et  ceulx  qui  la  combatroyent. 
De  ce  tournoy  et  combat  fut  partout  nouvelles  ;  si  que, 
de  toutes  les  Italles,  y  vindrent  dames  a  si  grant 
nombre  que,  scelon  le  rapport  de  plusieurs,  y  en 
avoit  plus  de  troys  mille,  toutes  vestues  de  robes  de 
drap  d'or. 

XXXII. 

D'aucuns  grans  banquetz  et  choses  joyeuses 
qui  furent  lors  faictes  a  millan. 

Tandis  que  les  lices  et  eschaffaulx  se  faisoyent,  et 


Mai  1507]        D'UNG  BANQUET  SUMPTUEULX,  ETC.  307 

qu'on  s'apprestoit  pour  combatre,  dances  et  banquelz 
et  autres  joyeulx  passe  temps  se  mectoyent  en  avant 
par  la  ville  de  Millan;  tant  que,  pour  commaincer, 
ung  nommé  messire  Galeas  Visconte,  grant  seigneur 
a  Millan,  fist  ung  banquet  au  Roy,  ou  princes  et  car- 
dinaulx,  avecques  grant  nombre  de  gentishommes  et 
dames,  en  triumphal  estât  se  trouvèrent  et  toutes  les 
gardes  du  Roy.  Celuy  Galeas  avoit  ung  sien  filz,  jeune 
enfent,  lequel  fist  la  confirmer  au  cardinal  de  Ferrare, 
arcevesque  de  Millan,  et  pria  le  Roy  que  son  plaisir 
fust  que  a  son  filz  vousist  donner  en  sa  confirmation 
son  nom,  ce  qu'il  fist  voluntiers,  et  fut  la  nommé 
Louys,  et  confirmé  par  ledit  cardinal,  qui,  pour  ce 
faire,  prist  les  habitz  pontificaulx. 

XXXIII. 

D'UNG  BANQUET   SUMPTUEULX  QUE  LE   SEIGNEUR   JEHAN 

Jacques  fist  au  Roy  a  Millan*. 

Apres  celuy  banquet,  qui  fut  moult  grant,  le  sei- 
gneur Jehan  Jacques  prya  le  Roy  que,  a  ung  autre 
banquet  qu'il  luy  vouloit  faire,  fust  s6n  plaisir  de  ce 
trouver;  ce  que  le  Roy  luy  promist.  Dont  ledit  sei- 
gneur Jehan  Jacques,  mareschal  de  France,  fist  pre- 

1.  30  mai  1507.  Sur  cette  fête,  très  fameuse,  pour  laquelle  Jean 
d'Auton  donne  de  précieux  détails,  nous  ne  pouvons  que  ren- 
voyer au  récit  curieux  et  circonstancié  de  M.  Emilio  Motta,  dans 
ses  Nozze  principesche  del  quattrocento,  Corredi,  inventari  et  des- 
crisioni,  con  una  canzone  di  Claudio  Trivulzio  (publiées  pour  les 
noces  de  M.  le  marquis  Luigi  Alberico  Trivulzio  avec  M"«  la 
comtesse  Maddalena  Gavazzi  délia  Somaglia,  célébrées  à  la  villa 
del  Gernetto,  le  4  juin  1894),  pages  11  et  suiv. 


308  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

parer  ledit  banquet  dedans  sa  maison  de  Millan,  ouquel 
lieu  estoyent  grandes  salles  tapissées  et  galleries  et 
chambres  parées,  jardrins  et  lieux  propices  pour  la 
feste,  tables  garnyes  et  buffetz  d'argent  a  tous  costez. 

Et,  pour  en  savoir  mieulx  au  vray  reciter,  le  jour 
dudit  l3anquet,  des  l'eure  du  matin,  m'en  allay  audit 
lieu,  ou,  entre  autres  choses,  je  veiz  la  xi  grandes 
cuysines,  plaines  de  broches,  garnyes  de  toutes  viandes 
de  vollaille  et  de  venoison. 

Pour  ordonner  du  service  et  dresser  les  viandes  et 
asseoir  les  metz,  estoyent  députez  a  ce  viii'"'  maistres 
d'ostelz,  lesquelz  portoyent  chascun  ung  baston  bleu, 
couvert  de  fleurs  de  lys  d'or.  Doze  cens  serviteurs  y 
a  voit,  pour  porter  les  vyandes  et  servir  au  bufFectz, 
desquelz  la  pluspart  estoyent  en  pourpoint  de  vellours 
noir  ;  les  autres  estoyent  en  robe  de  taffetas  et  d'autre 
soye,  habillez  legierement,  pour  dilHgenter  l'aff'aire. 

Pour  recevoir  les  venans  et  donner  lieu  au  com- 
maincement  de  ladite  feste,  le  seigneur  Jehan  Jacques 
fist  faire  devant  sa  maison,  le  long  de  la  rue,  une 
grande  salle  de  vi''''  pas  de  long,  a  deux  rangz  de 
pilliers  de  verdure,  couverte  de  draps  de  bleu,  tous 
semez  de  fleurs  de  lys  d'or  et  d'estoilles  d'or.  Tout  le 
long  des  deux  costez,  encontre  les  tapisseries,  com- 
mainçant  a  bas,  estoyent  sièges  a  quatre  rangz,  en 
montant  comme  par  degrez,  pour  la  asseoir  les  sei- 
gneurs et  autres  qui  se  trouveroint  audit  banqueta  Et, 
au  plus  hault  desdits  sièges,  en  entrant  sur  main 
senestre,  estoit  ung  eschaffault  pour  les  menestriers, 

1.  Da  Paullo  estime  la  dépense  de  cette  ornementation  plus  de 
50,000  ducats  d'or. 


Mai  1507]         D'UNG  BANQUET  SUMPTUEULX,  ETC.  309 

qui  la  furent  des  le  matin,  sonnant  sans  cesser  de 
leurs  instrumens,  dont  y  avoit  trompettes,  haulxboys, 
tabourins,  violles  et  autres  manières  de  doulx  ins- 
trumens. 

Au  bout  de  ladite  salle,  avoit  ung  eschaffault  grant 
et  spacieulx,  sur  lequel  failloit  monter  par  six  degrez, 
ou  dessus  avoit  une  chayre  parée  de  drap  d'or,  laquelle 
estoit  la  mise  et  ordonnée  pour  le  Roy.  Dessus  celuy 
eschaffault,  duquel  la  place  estoit  couverte  de  tap- 
pis  vellu,  avoit  iiii  ou  v  cens  carreaulx  de  drap  d'or 
et  de  velloux  cramoisi,  pour  asseoir  les  dames  convyées 
audit  banquet. 

Sur  les  X  heures  du  matin,  la  marquise  de  Vigeve, 
femme  du  seigneur  Jehan  Jacques,  et  la  femme  de 
son  filz,  comtesse  de  Misot\  avecques  grant  suyte  de 
leurs  dames,  furent  la  assizes  au  pié  de  l'eschaffault 
du  Roy,  pour  recepvoir  et  recueillir  les  autres  dames 
qui  viendroyent  a  ce  banquet;  et,  comme  aucunes 
d'icelles  venoyent,  ladite  marquize  de  Vigeve  et  la 
comtesse  de  Misot  se  levoyent  de  leur  siège  et  les 
alloyent  recueillir  jusques  a  l'entrée  de  la  porte  de  la 
salle  et  puys  les  menoyent  asseoir  sur  l'eschaffault 
ou  estoit  la  chayre  du  Roy;  et  ainsi  recueilloyent  par 
ordre  lesdites  dames,  qui  la  vindrent  a  plains  chariotz^  ; 
tant  que,  en  moings  de  deux  heures,  furent  en  ladite 
salle  plus  de  xii  cens  dames,  toutes  vestues  de  draps 
d'or  ou  de  soye  et  toutes  d'acoustremens  neufz  et  tant 
riches  qu'elles  sembloyent  estre  Roynes  ou  autres  prin- 

1.  Paola  Gonzaga,  comtesse  de  Musocco. 

2.  «  Il  y  avoit,  dit  Saint-Gelais,  autant  de  dames  avec  leurs 
panaches  pour  leur  esventer  le  visaige  que  on  pourroit  veoir  de 
pluraeaulx  en  une  compaignée  de  mille  hommes  d'armes.  » 


310  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

cesses.  Les  unes  portoyent  robes  de  drap  d'or,  my 
party  de  velloux  cramoisi  ou  de  fin  satin  de  diverses 
couleurs;  et  plusieurs  y  en  avoit  portans  robes  toutes 
de  drap  d'or  frizé,  les  autres  a  grans  souleilz  d'or 
traict  my  party  de  velloux  et  satin  cramoisi.  Leur 
coeffure  estoit  telle  que  tout  le  front  et  la  chevelleure 
leur  paroissoit,  dont  partye  pendoit  derrière  entortillée 
et  l'autre  leur  couvroit  la  moityé  de  la  jouhe,  descen- 
dant près  des  espaules,  en  retournant  joindre  a  l'en- 
tortilleure  de  derrière.  Leurs  robes,  en  plusieurs 
endroictz,  estoyent  decoppées  et  fendues,  par  ou 
paissoit  la  blanche  chemise  de  fine  toille  de  Hollande  : 
somme,  en  tous  endroictz,  y  avoit  adresse  de  voye 
lubrique  et  enseignes  de  blandisses  féminins.  Quoy 
plus?  le  seigneur  Jehan  Jacques  avoit  convyé  et  envoyé 
quérir  lesdites  dames,  mesmement  celles  de  nom,  et 
les  plus  belles  de  Millan,  de  Pavye,  d'Ast,  de  Plaisance 
et  des  autres  villes  de  la  duché,  ou  avoit  sceu  trouver 
femmes  de  feste  et  de  bonne  chiere. 

Lorsque  lesdites  dames  furent  venues  et  mises  en 
place,  instrumens  sonnèrent  a  qui  myeulx  myeulx. 
Plusieurs  seigneurs  et  autres  prindrent  siège  en  acten- 
dant  le  Roy  a  venir,  lequel  fut  la  sur  l'eure  du  mydy. 
Avecques  luy  estoynt  Charles  duc  d'Allençon,  Charles 
duc  de  Bourbon,  Charles  duc  de  Savoye,  Anthoyne  de 
Lorreine,  duc  de  Callabre,  Françoys  d'Orléans,  duc  de 
Longueville,  Gaston  conte  de  Foix,  le  conte  de  Van- 
dosme,  mons""  Jehan  d'Albret,  seigneur  d'Orval,  Guy  de 
Laval,  seigneur  de  Laval,  René  de  Bretaigne,  conte  de 
Pointievre,  Jacques  de  Bourbon,  conte  de  Roussillon  ; 
lesquelz  furent  tous  du  banquet.  Ausi  furent  a  ccdit 
banquet  maistre  George  cardinal  d'Amboise,  le  cardinal 


Mai  1507]        D'UNG  BANQUET  SUMPTUEULX,  ETC.  311 

de  Ferrare,  le  cardinal  de  Nerboniie,  le  cardinal  de  Sainct 
Severin,  le  cardinal  de  Final,  les  cardinaulx  de  la  Tri- 
moille,  d'Albi  et  de  Prie,  l'arcevesque  de  Sens  et  grant 
nombre  de  prelatz,  les  ambaxadeurs  de  Venise^,  les 
chamberlans  et  maistres  d'ostelz  du  Roy,  et  en  somme 
toute  la  court,  avecques  les  seigneurs  de  Lombardye 
et  autres,  qui  la  estoyent  avecques  luy. 

Tantost  que  le  Roy  fut  la  venu  et  mys  en  chaire  2, 
les  dances  coramaincerent.  Mais  la  y  eut  si  grant  presse 
que,  pour  donner  place  aux  dames  et  autres  qui  vou- 
loyent  dancer,  faillut  que  le  Roy  mesmes,  qui  estoit 
amont,  descendis!  pour  faire  faire  place  :  ce  qu'il  fist, 
et  print  la  halbarde  d'ung  de  ses  archiers,  puys,  a  tour 
de  bras,  commainça  a  charger  sur  ceulx  qui  faysoyent 
la  presse,  tellement  que  soubdainement  la  place  fut 
vuyde  et  desempeschée,  tant  que  chascun  eut  lieu 
pour  dancer.  Charles  duc  d'Alençon,  Charles  duc 
de  Bourbon,  Charles  duc  de  Savoye,  Anthoyne  duc 
de  Callabre,  et  les  autres  princes  et  seigneurs  et  gen- 
tishommes  de  la  maison  du  Roy,  qui  la  furent,  dan- 
cerent  :  dont  les  aucuns  dancerent  en  masque,  por- 
tans  habillemens  cou  vers  de  fleurs  de  lys,  sur  leurs 
chapeaulx  grans  plumes  perses  et  jaunes  faictes  en 
manière  de  fleurs  de  lys,  les  autres  en  habitz  de  cor- 
deliers,  et  les  autres  en  diverses  manières  et  estranges 
habillemens.  Quoy  plus?  les  dames  dancerent  a  relays 

1.  Le  duc  de  Savoie,  ayant  appris  qu'on  placerait  avant  lui  les 
ambassadeurs  vénitiens,  s'en  alla,  et  les  ambassadeurs  vénitiens 
en  ûrent  autant,  d'après  Sanuto  (VII,  95).  Jean  d'Auton  cepen- 
dant contredit  ce  récit. 

2.  Le  roi,  en  arrivant,  baisa  par  courtoisie  toutes  les  dames  et 
demoiselles,  notamment  la  très  julie  marquise  de  Scaldasole, 
qu'il  admirait  fort  (Em.  Motta). 


312  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Mai  1507 

les  unes  après  les  autres,  toute  la  journée  jucques  sur 
les  vespre,  que  tables  furent  couvertes  et  le  banquet 
tout  prest. 

Puys,  le  Roy,  avecques  toute  la  noblece,  s'en  alla 
soupper.  La  dedans  estoyent  salles,  chambres,  gabi- 
netz,  garde  robes,  galleryes  ordonnées  :  les  unes  pour 
le  Roy,  les  autres  pour  les  princes  et  ambaxades,  les 
autres  pour  les  cardinaulx  et  les  autres  prelatz  de 
l'Eglize,  les  autres  pour  les  chamberlans  et  maistres 
d'ostelz  de  cheulx  le  Roy,  les  autres  pour  les  gene- 
raulx  et  trésoriers,  les  autres  pour  les  gentishommes, 
les  autres  pour  les  archiers,  les  autres  pour  les  alle- 
mans  de  la  garde  et  les  autres  pour  les  varletz  et  ser- 
viteurs des  seigneurs  qui  la  estoyent  :  lesquelz  furent 
tous  servis  de  viandes  exquises  et  de  divers  metz, 
avecques  très  bons  vins  et  de  toutes  sortes,  sans  ce 
qu'il  y  eust  faict  service,  tant  de  cuysine  que  de  buf- 
fect,  que  tout  en  vaisselle  d'argent,  toutes  les  pièces 
merchées  aux  armes  du  seigneur  Jehan  Jacques,  ce 
qui  estoit  ung  granttriumphe  et  merveilleuse  richesse. 
Les  dames  conviées  au  banquet  furent  toutes  mises 
ensemble,  le  marquys  de  Mantoue  seul  avecques  elles, 
si  n'est  que  chascune  avoit  son  escuyer,  pour  trancher 
et  servir  a  table  ^ . 

Apres  soupper,  le  Roy  et  les  princes,  avecques 
tout  plain  de  seigneurs  et  gentishommes,  furent  voir 
les    dames,    ou   la   devisèrent    de   plusieurs    choses 

1.  Selon  le  Loyal  serviteur,  il  y  eut  plus  de  500  personnes  assises 
à  ce  banquet,  sans  compter  la  table  des  dames,  lesquelles  se  trou- 
vaient au  nombre  de  cent  ou  cent  vingt.  Le  même  chroniqueur 
exalte  aussi  la  beauté  du  spectacle  et  la  perfection  de  la  chère, 
qu'il  déclare  sans  pareilles. 


Juin  1507]  D'UNG  BASTYON  QUE  M"-"  CH.  D'AMBOISE,  ETC.     313 

joyeuses  et  plaisantes.  Et,  ce  faict,  chascun  prist 
congé  ;  puys  le  Roy  s'en  alla  a  son  logis  et  la  com- 
paignye  se  départit. 

XXXIV. 

D'UNG  BASTYON  QUE  MESSIRE  CHARLES  d'AmBOISE,  LIEU- 
TENANT DU  Roy,  fist  tenir  a  Millan,  ou  le  Roy 

FUT  PRESENT  AVECQUES  TOUS  LES  PRINCES  ET  SEI- 
GNEURS QUI  LA  ESTOYENT  ET  GRANT  NOMBRE  DE 
DAMES. 

Pour  tousjours  donner  divers  passe  temps  au  Roy 
et  rejouyr  les  dames,  chascun  des  seigneurs  s'efforçoit 
de  faire  nouvelles  choses  :  dont,  après  que  le  banquet 
du  seigneur  Jehan  Jacques  fut  faict,  messire  Charles 
d'Amboise,  deux  jours  ensuyvant,  fist  ung  autre 
banquet  au  Roy  et  a  toute  sa  suyte,  auquel,  en  lieu 
de  dances,  fist  faire  ung  bastyon,  que  luy  mesmes 
avecques  autres  de  sa  bende  voulut  tenir  contre  tous 
venans.  Lequel  bastyon  fist  faire  en  ung  jardin,  près 
de  son  logis  de  Millan,  et  celuy  fossoyer  tout  autour, 
et  fermer  de  gros  boys  debout  mys  en  terre  et  au 
devant  tout  a  l'environ  fortiffyé  de  planchon  a  groux 
doux  et  chevilles  bien  actachées;  aux  deux  coings  du 
front  de  devant,  avoit  faict  faire  deux  tours  defïen- 
sables,  ou  pouvoyent  estre  en  chascune  d'icelles  xxv 
ou  XXX  hommes  armez,  pour  deffendre  lesdites  tours  ; 
le  devant  et  les  costez,  avecques  lesdites  tours  de 
celuy  bastion,  estoyent  de  six  piedz  de  haulteur,  et 
contre  le  derrière  avoit  ung  hault  eschaffault  pour 
assoir  les  juges  du  combat. 


314  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

Le  jour  du  banquet  venu^,  après  que  ledit  messire 
Charles  d'Amboise  eut  faict  publyer  ledit  combat,  de 
de  sa  bende  furent  Francisque  de  Gonsago,  marquys 
de  Mantoue,  Jacques  de  Bourbon,  conte  de  Roussillon, 
le  conte  de  Poinctievre,  le  seigneur  de  Laval,  messire 
Jacques  de  Ghabanes,  seigneur  de  la  Palixe,  messire 
Guyon  d'Amboise,  seigneur  de  Ravel,  messire  Ger- 
main de  Bonneval,  messire  Mery  de  Rochechouart, 
messire  Jehan  de  Bessé,  Louys  de  Janlys,  seigneur 
de  Monmor,  avecques  plusieurs  autres,  jusques  au 
nombre  de  cent  hommes  d'armes,  choisis  entre  les 
gentishommes  de  la  bende  du  seigneur  de  Ravel  et 
par  les  compaignyes  :  lesquelz  se  trouvèrent  dedans 
le  bastyon,  tous  en  armes,  au  jour  ordonné;  et,  si 
avoyent,  pour  deffendre  leur  fort,  grous  bastons 
embourez  et  l'espée  tranchant  sans  poincte  ;  et,  avec- 
ques ce,  avoyent  de  grandes  perches  fourchées,  pour 
reposser  ceulx  d'embas,  qui  s'efforceroient  pour 
monter  par  eschelles  ou  sur  pons.  Et  avoyent,  la 
dedans,  larges  tonneaulx,  tous  plains  d'eau,  et  force 
eclissoyres  et  artillerye  a  papier.  Messire  Loys  de 
Brezé^,  grant  senechal  de  Normendye,  avecques  les 
cent  gentishommes  de  sa  bende,  estoit  des  assaillans; 
ausi  estoit  messire  Robert  Stuart,  avecques  ses  cent 
hommes  d'armes  escossoys,  et  messire  Mercure,  capi- 
taine des  Albanoys,  et  autres,  jusques  au  nombre  de 

1.  l«''  juin  1507. 

2.  Louis  de  Brézé,  comte  de  Maulevrier,  baron  du  Bec-Crespin 
et  de  Mauny,  seigneur  d'Aurricher  et  de  Nogent-le-Roi,  maré- 
chal hi'réditaire  de  Normandie,  grand  sénéchal  du  pays,  pension- 
naire du  roi  (K.  78,  noS;  fr.  22276;  fr.  2G107,  194;  fr.  26106,  n*  5, 
etc.).  Son  tombeau  se  trouve,  comme  on  sait,  dans  la  cathédrale 
de  Rouen. 


Juin  1507]  D'UNG  BASTYON  QUE  W^  CH.  D'AMBOISE,  ETC.      315 

quatre  cens  hommes  d'armes  :  lesquelz,  sur  le  point 
de  quatre  heures  après  mydi,  aporterent  contre  ledit 
bastion  pons  et  eschelles  a  tous  costez  et  amenèrent 
grant  nombre  de  pyonniers  pour  combler  les  fossez. 
Le  Roy  estoit  au  logys  de  messire  Charles  d'Am- 
boise,  avecques  les  seigneurs  de  sa  suyte  et  grant 
compaignye  de  dames,  actendant  l'eure  de  l'assault 
dudit  bastyon;  et,  pendant  ce,  le  Roy  commainda 
aporter  le  sopper.  Et,  ainsi  que  le  premier  service  se 
faisoit,  les  trompettes  du  bastyon  et  des  assaillans 
sonnèrent  a  l'estandart  et  a  l'assault.  Ce  faict,  sans 
plus  actendre,  le  Roy  se  leva  de  table,  et  toutes  les 
dames,  en  lessant  le  soupper,  pour  courir  voir  assaillir 
et  deffendre  ledit  bastyon,  et  le  Roy,  ainsi  levé, 
avecques  les  gentishommes  et  dames  qui  la  estoyent, 
s'en  alla  ou  estoit  le  bruyt.  Ainsi  demeurèrent  tables 
couvertes  de  vyandes,  et  buffectz  garnys  de  vaisselle 
d'argent  et  de  bons  vins  a  foison  :  la  estoyent  plu- 
sieurs mordans,  qui,  des  le  matin  jusques  a  celle  heure, 
avoyent  esté  leans,  pour  seullement  vouloir  voir  le 
combat,  dont  aucuns  avoyent  bon  appétit;  et  eulx, 
voyant  que  chascun  avoit  lessé  le  soupper,  prindrent 
leurs  places  et  se  misrent  a  despescher  viandes,  si  a 
point  que  en  ung  moment  ne  demeura  que  les  nappes 
deschargées  et  vaisselle  vuyde;  puys  se  torchèrent  le 
bec  et  coururent  au  bastyon,  qui  fut  assailly  moult 
rudement  et  deffendu  a  toute  force.  Premièrement 
assaillirent  une  tour,  nommée  la  tour  d'Auvergne; 
et  la,  a  grans  coups  de  bastons  embourez  et  a  tail 
d'espée,  d'ung  costé  et  d'autre  longuement  se  bâtirent, 
et  tant  que  les  bastons  embourez  furent  tous  rompus 
et  couppez,  dont  grans  fourches,  grosses  perches  et 


316  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

levyers  furent  mys  en  besoigne.  Messire  Loys  de 
Brezé,  voyant  que  sans  eschelles  ne  feroyent  riens, 
les  fîst  dresser  et  combler  les  fossez  :  la  se  misrent 
gens  d'armes  a  monter  de  toutes  pars,  et  ceulx  du 
dedans,  a  tout  leurs  fourches  et  levyers,  les  repos- 
serent  contrebas,  en  leurs  gectant  grans  seaulx  d'eau 
et  cercles  attachez  l'ung  a  l'autre,  et  coups  a  toutes 
mains  sur  eulx,  lesquelz  assailloyent  a  grant  effort; 
mais  a  la  longue  furent  moult  foulez  et  batus  de  ceulx 
d'amont,  qui  grant  avantaige  avoyent.  Touteffoys,  lors- 
qu'i  levoyent  leur  visière,  pour  regarder  a  bas,  pour 
prendre  alaine,  ceulx  d'en  bas  leur  gectoyent  grans 
pellées  de  terre  moillée  contre  le  visaige;  et  a  coups 
de  perches  rompues  et  grous  boutz  de  boys  leur  don- 
noyent  la  ou  ilz  les  pouvoyent  trouver  au  descouvert, 
tant  que  plusieurs  en  blecerent.  Et  ainsi  se  commain- 
cerent  a  picquer,  tant  que  le  bout  de  leurs  espées 
s'approchèrent  contre  les  gorges  :  et  est  a  pencer 
que,  s'il  se  fussent  peu  joindre,  que  mortellement  se 
fussent  batus. 

Messire  Jacques  de  Ghabanes,  seigneur  de  la  Palixe, 
qui  estoit  a  l'autre  tour,  voyant  ceulx  d'embas  fouller 
et  eulx  revencher  a  l'oustrance,  leur  manda  que,  s'ilz 
vouloyent  aller  assaillir  la  tour  qu'il  gardoit,  que  luy 
et  ses  gens  ne  la  deffendroyent  que  a  coups  de  bas- 
tons  embourrez  :  lesquelz  ne  voulurent,  mais  n'enten- 
doyent  que  a  charger  ceulx  qui  les  avoyent  repossez. 
La  estoyent  les  capitaines  d'embas  tous  ennoirciz  et 
barbouillez  de  fange,  pour  l'eau  que  ceulx  d'amont 
gectoyent  dedans  les  fossez  :  messire  Mercure,  qui 
estoit  a  bas,  avecques  aucuns  de  ses  Albanoys,  tous 
armez  a  blanc,  s'essoya  maintes  foys  de  monter;  mais, 


Juin  1507]  D'UNG  BASTYON  QUE  M'^  CH.  D'AMBOISE,  ETC.      317 

par  ceulx  de  dessus,  fut  tousjours  rué  bas  et  tant  batu 
de  coups  de  baston  qu'il  ne  savoit  a  qui  le  dire,  mais 
il  soustint  moult  grant  faix.  Les  gentishommes  de  la 
bende  de  messire  Loys  de  Brezé  estoyent  tousjours 
a  l'assault,  qui  a  coups  de  perches  chergeoyent  les 
dessus,  tellement  que  plusieurs  de  leurs  espées  et 
basions  firent  voiler  des  mains  a  bas.  Messire  Robert 
Stuart  ne  desempara  jamais  le  pié  du  bastyon,  ou  la 
donna  et  receupt  maint  pesant  coup.  Les  Escossoys 
de  sa  bende  s'i  portèrent  très  a  point  et  maintes 
foys  s'essayèrent  de  monter  :  mais  tousjours  ceulx 
de  dessus  les  repossoyent.  La  soustindrent  plus  de 
deux  heures  l'assault,  et  tant  que  d'ung  costé  et 
d'autre  le  Roy  leur  commanda  reprendre  alaine.  Qui 
lors  eut  du  vin  mist  le  nés  a  la  bouteille. 

Et  puys,  de  rechief,  fut  sonné  ung  autre  assault,  ou 
fut  apporté  ung  pont  sur  roes,  de  la  haulteur  dudit 
bastyon,  et  a  force  de  gens  approché  contre  ledit  bas- 
tyon près  a  combatre  main  a  main,  ou  dessus  mon- 
tèrent XX  hommes  d'armes,  des  gentishommes  de  la 
bende  de  messire  Loys  de  Brayzé  et  des  escossoys  de 
messire  Robert  Stuart,  lesquelz  marchèrent  jusques 
sur  le  bort  du  pont  et  comaincerent  a  combatre  main 
a  main,  a  coups  d'espée.  Et  la  fut  ung  escossoys,  qui 
mist  le  pié  sur  le  bort  du  bastyon,  cuydant  entrer.  Mais 
ceulx  du  dedans,  a  grous  leviers  et  longues  perches, 
les  reposserent  et  chargèrent  sur  eulx  et  sur  leur  pont, 
tellement  que,  pour  le  faix  de  ceulx  qui  estoyent 
dessus  et  les  coups  que  ceulx  du  dedans  donnoyent, 
la  moytié  de  celuy  pont  tumba  par  terre  et  ceulx  qui 
estoyent  sur  celle  part,  lesquelz  au  cheoir  s'aiïbllerent. 
Sur  l'autre  partye  dudit  pont,  demeurèrent  deux  escos- 


318  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

soys,  moult  gaillars  hommes,  lesqiielz  n'abandonnèrent 
le  bort  du  bastion,  mais  la,  sur  ceulx  du  dedans,  a 
grans  coups  d'espée  frappoyent  au  désespéré,  sans 
vouloir  jamais  reculer;  et  la  receurent  tant  de  coups 
de  groux  bâtons,  et  mesmement  par  aucuns  desarmez 
qui  ruoyent  coups  au  délivre,  que  iceulx  escossoys 
furent  estonnez,  lesquelz  ne  pouvoyent  estre  secourus, 
pour  ce  que  ledit  pont  estoit  rompu,  ou  nul  autre  ne 
pouvoit  monter;  mais,  pour  ce,  ne  desmarchoyent  ung 
pas;  et  si  en  y  avoit  ung  d'iceulx,  après  qu'il  estoit 
estonné  et  hors  d'alayne,  se  couchoit  sur  le  pont,  et, 
lorsqu'il  avoit  repris  alaine,  recomainçoit  l'assault  et 
chargeoit  de  plus  en  plus  fort;  et  ainsi  le  fist  par  tant 
de  foys  qu'il  eut  a  la  parfin  d'ung  levier  sur  la  teste, 
en  manière  qu'il  fut  assommé  et  emporté  a  son  logis, 
ou  celle  nuyt  le  cerveau  luy  tumba  par  le  nez,  et 
mourut,  dont  fut  dommage.  L'autre,  son  compaignon, 
tout  estonné,  fut  mys  a  bas.  Les  autres  de  leurs  com- 
paignons,  a  grans  perches,  chargeoyent  a  tour  de 
bras  sur  ceulx  d'amont,  et,  comme  courroucez  du 
mal  de  leursdits  compaignons,  advisoyent  ceulx  du 
dedans  au  descouvert;  entre  autres,  en  choisirent  ung 
qui  avoit  le  chief  desarmé,  auquel  ung  escossoys  donna 
si  a  droict  d'une  longue  perche  qu'il  avoit  que  le  sang 
luy  fist  couler  de  la  teste  sur  le  visage.  Et,  ce  faict, 
ceulx  d'amont  recomaincerent  a  charger  embas  et 
gecter  grosses  tronces  de  boys,  barres  et  planchons 
et  ce  qu'ilz  pouvoyent.  Mais  ceulx  d'embas  estoyent 
tousjours  bendez  a  trouver  leurs  gens  au  descouvert, 
dont  en  blecerent  plusieurs,  et  tous  au  visage,  entre 
autres  le  conte  de  Poinctievre,  messire  Jehan  de 
Bessé,   gruyer   de    Bourgoigne ,    Pierre   de    Balsac, 


Juin  1507]         D'UNG  TOURNOY  ET  COMBAT,  ETC.  319 

baron  d'Entraigues^  et  tout  plain  d'autres,  dont  je 
n'ay  sceu  les  noms.  Mais ,  voyant  le  Roy  que  ses 
gens  se  batoyent  ainsi  a  l'oustrance,  envoya  ses  archiers 
pour  les  faire  départir,  ce  que  ne  peurent  :  dont  luy 
mesmes  descendit  de  son  eschafïault  et  les  alla  départir 
a  grant  peine.  Car  ja  tant  s'estoyent  picquez  et  esmeuz 
que  ceulx  qui  se  pouvoyent  toucher  se  mectoyent  les 
espées  contre  les  gorges  ;  et  croy  que,  si  entre  eulx 
n'eust  eu  barrière,  que  telle  chose  eust  esté  entre  eulx 
exploictée,  que  le  Roy  y  eust  eu  plus  de  perte  que 
de  plaisir;  mais,  par  son  commandement,  tout  fut 
cessé. 

XXXV. 

D'uNG  TOURNOY  ET  COMBAT  TENU  LORS  A  MiLLAN  PAR 
MESSIRE  GALEAS  DE  SAINGT  SeVERIN  ET  AUTRES 
LOMBARS  AVECQUES  LUY. 

Messire  Galeas  de  Sainct  Se  vérin,  grant  escuyer  de 
France,  avecques  vu  autres  lombars,  furent  prestz  de 
tenir  le  pas  en  la  place  du  chasteau  de  Millan,  ou 
estoyent  faictes  les  lices,  et  ordonnée  la  place  du 
combat  et  la  actendre  tous  venans  en 'la  manière  que 
par  les  articles  dessusdits  est  contenu  :  ou  se  trou- 
vèrent des  françoys  grant  nombre,  desquelz  furent 
Gaston  conte  de  Foix,  nepveu  du  Roy,  Guy  seigneur 
de  Laval,  le  jeune  Gandalle,  Françoys  de  Maugiron, 
Jehan  de  Ghandieu,  Guillaume  de  la  Hite^,  Loys  Ler- 

1,  Sénéchal  d'Agenois. 

2.  Guillaume  Ducos,  seigneur  de  la  Hite,  nommé  ensuite  com- 
mandant de  l'artillerie  à  Gènes. 


320  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

mite*  et  tout  plain  d'autres  gentishommes  de  la  maison 
du  Roy  et  hommes  d'armes  des  compagnies  de  delà 
les  mons  ;  ausi  se  trouva  sur  les  rangz  Jehan  Guillerme, 
marquis  de  Monferrat,  et  d'autres  lombars  grosse 
roupte  ;  lesquelz  commaincerent  a  ouvrir  le  pas,  sur 
le  commaincement  du  moys  de  jung;  et  la  coururent 
a  quatre  courses  de  lance  a  fer  esmoulu.  Des  pre- 
miers coururent  Gaston  conte  de  Foix,  lequel  rompit, 
aux  quatres  cources  premières,  troys  de  ses  lances. 
Le  marquys  de  Monferrat  courut  ausi ,  lequel  fut 
servi  de  quatre  grosses  lances,  painctes  de  rouge,  et 
courut  moult  rudement  et  droict,  tellement  qu'il  rompit 
son  boys  ;  et  a  la  tierce  course  plya  son  tenant  jusques 
sur  la  cruppe  de  son  cheval  et  a  peu  qu'il  n'allast  par 
terre.  Les  autres  ausi  coururent,  chascun  ses  quatre 
courses,  et  la  v''  hors  lice,  ou  furent  rompus  boys  a 
toutes  mains  ;  puys  combatirent  a  l'espée,  ou  furent 
donnez  plusieurs  grans  coups. 

Le  Roy  estoit  la  présent  en  son  eschaffault;  lequel, 
après  que  les  combateurs  avoyent  faict  leur  devoir, 
les  faisoit  départir.  Les  dames  a  plains  eschaffaulx  y 
estoyent  aussi,  tant  gorgiases  que  c'estoit  une  droicte 
fayerye. 

Dix  jours  entiers  durèrent  les  joxtes  et  combatz  : 
ou  fut  l'ung  jour  combatu  en  lice,  a  cource  de  lance  et 
fer  esmoulu;  l'autre  en  harnoys  de  joxte,  a  lances  a 
rochet,  et  l'autre  a  la  barrière,  ou  les  tenans  eurent 
quatre  aydes  pour  la  première  foys  et  la  combatirent 
a  ung  gect  de  lance,  et  a  la  picque  de  Suyce,  et  a 


1.  Ou  Lhermite,  fils  du  fameux  Tristan  Lhermite,  prévôt  des 
maréchaux  de  Louis  XI. 


Juin  1507]         D'UNG  TOURNOY  ET  COMBAT,  ETC.  321 

l'espée  d'estoc  et  de  taile  ;  puys  combatirent  sans  bar- 
rière, a  la  picque  et  espée  de  tail  et  a  la  hache  sans 
barrière,  et  puis  a  l'espée  a  deux  mains.  La  furent 
faictes  armes  a  merveilles  ;  chascun  s'efforçoit  de  faire 
tout  ce  qu'il  pouvoit. 

Messire  Galeas,  des  tenans,  combatit  très  bien  a 
cheval,  a  l'espée  ;  le  marquys  de  Monferrat  rompit  la 
force  de  lances.  Le  conte  de  Foix,  jeune  prince,  fut 
moult  prisé  et  loué  de  ses  coups  de  lance,  dont  en 
rompit  plusieurs.  Ausi  fut  le  sire  de  Laval.  Le  che- 
val du  s"^  de  Gandalle  eut  d'une  lance  au  travers 
du  col,  ce  qui  enuya  moult  a  son  maistre,  car  ledit 
cheval  estoit  fort  puissant,  moult  viste  et  très  a  la 
main  et  sondit  maistre  bon  chevaucheur.  Ung  des 
françoys,  assaillant,  nommé  Loys  Lermite,  eut,  a  l'une 
des  courses,  d'une  lance  au  travers  de  l'espaulle, 
dont  en  emporta  le  transon  et  fut  fort  blecé. 

A  la  barrière  et  aux  combatz  de  pié,  eut  grans  armes 
faictes.  Et  la,  entre  autres,  firent  merveilles  deux  fran- 
çoys, nommez  Jehan  de  Ghandiou,  hommes  d'armes  de 
la  compaignye  du  conte  de  Ravestain,  et  Guillaume 
de  la  Hyte,  l'ung  des  archiers  de  la  garde  de  la  bende 
de  messire  Gabriel  de  La  Ghastre  ;  et  tant  que,  a  l'ung 
des  combatz  de  l'espée  a  deux  mains,  celuy  de  Ghan- 
diou, jeune,  grant  et  puissant  a  merveilles,  se  trouva 
au  combat  contre  messire  Galeas  de  Sainct  Severin, 
tenant  le  pas  et  bien  puissant  et  adroict  chevalier  : 
lesquelz,  a  grans  coups  d'espée  a  deux  mains  se  char- 
gèrent rudement,  et  tant  que  chascun  fut  loué  en  ses 
faictz;  mais,  a  la  parfin,  celuy  Ghandiou  haulsa  si 
pesant  coup  d'espée  sur  la  teste  dudit  messire  Galeas, 
en  tirant  le  coup  a  soy,  qu'il  le  mist  des  mains  en 
IV  21 


322  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

terre,  et,  comme  il  voulust  recouvrer  pour  l'aterrer, 
le  Roy  dist  :  «  Ho!  ».  Dont  s'arresta  celuy  Ghandiou. 

A  la  picque  combatirent  après,  ou  ledit  Chandieu 
fist  merveilles;  ausi  estoit  il  puissant  a  l'avantaige. 
Au  combat  de  la  picque,  furent  plusieurs  Françoys 
aux  coups  départir,  entre  autres  ledit  Guillaume  de  la 
Hyte,  lequel  adressa  a  ung  lombart,  des  tenans,  bien 
puissant  et  homme  adroict,  lesquelz,  a  coups  de 
picque,  percèrent  en  plusieurs  lieux  leurs  harnoys  a 
jour  et  jucques  au  sang  ;  tant  en  fut  que  celuy  de  la 
Hite  donna  tant  de  coups  de  picque  au  lombart,  et  si 
menu,  que  a  la  parfin  le  respossa  tout  le  travers  de 
la  place,  en  le  menant  bâtant  jusques  au  bas  de  l'es- 
chaffault  du  Roy  :  de  quoy  ses  compaignons  n'estoyent 
bien  contens,  car  il  estoit  l'ung  des  myeulx  estimez 
de  leur  bende.  Mais  autre  chose  n'en  fut,  si  n'est  que 
le  Roy,  voyant  celuy  lombart  en  tel  party,  leur  imposa 
la  paix. 

Ung  autre  combat  fut  faict  a  la  hache  par  les  tenans. 
Messire  Galeas,  qui  tenoit  le  pas,  voyant  luy  et  ses 
tenans  ainsi  oultrez,  mist  en  place  ung  des  plus  puis- 
sans  et  adroictz  hommes  de  Lombardye,  et  le  meilleur 
joueur  de  la  hache,  qui  plusieurs  foys  avoit  faict  armes, 
comme  se  disoit.  Le  Roy  voulut  que  Guillaume  de  la 
Hyte,  bon  joueur  de  hache  et  très  puissant,  luy  fust 
mys  en  barbe,  lequel  fut  la  amené  par  son  capitaine, 
accompaigné  d'archiers  de  la  garde,  a  grosse  puis- 
sance. Le  duc  de  Bourbon,  le  conte  de  Vandosme  et 
autres  princes,  avecques  les  capitaines  des  gentis- 
hommes  et  gardes,  estoyent  tous  a  cheval,  au  dedans 
des  lices,  pour  icelles  garder  et  depa[r]tir  les  combatans, 
lorsqu'il  plairoit  au  Roy.  Le  Roy  estoit  a  son  eschaf- 


Juin  4507]         D'UNG  TOURNOY  ET  COMBAT,  ETC.  323 

fault  avecques  grande  noblece.  Les  dames  et  tout  plain 
de  seigneurs  françoys  et  lombars  estoyent  la  pour  veoir 
le  combat  de  ses  deux  champions  :  tenans  les  aucuns 
pour  le  lombart  et  les  autres  pour  le  françoys,  qui 
estoyent  deus  hommes  de  belle  taille,  jeunes  et  verdz. 
Que  fut  ce?  lorsque  iceulx  furent  en  place,  trompettes 
et  gros  tabourins  comaincerent  a  sonner;  et,  lorsque 
les  deux  champions  marchèrent  l'ung  contre  l'autre, 
comme  deux  lyons,  leurs  haches  d'armes  au  poing  et 
de  première  advenue,  ruèrent  grans  coups  et  pesans, 
en  continuant  longuement.  Le  lombart  estoit  moult  bon 
jouheur  de  hache  et  avoit  tousjours  l'ueil  a  la  marche 
de  son  homme,  pour  le  vouloir  prendre  a  pié  levé  ;  de 
quoy  se  donnoit  très  bien  garde  le  françoys,  en  ruant 
tousjours  coups  sur  le  lombart,  qui  bien  se  couvroit  : 
toutesfoys  on  n'oioit  que  coups  sur  le  harnoys  de  l'ung 
et  de  l'autre.  Le  Roy  estoit  la  qui  regardoit  ruer  les 
coups,  ou  prenoit  grant  plaisir,  car  ilz  se  batoyent  a 
toute  outrance.  Les  dames  pareillement  avoyent  la 
leur  passe  temps,  dont  plusieurs,  pour  l'onneur  de  la 
nation,  eussent  bien  voulu  que  le  lombart  eust  eu  du 
meilleur.  Et,  lorsque  le  lombart  donnoit  quelque  bon 
coup,  les  autres  monstroyent  chère  joyeuse  ;  et,  quant 
le  françoys,  qui  frappoit  a  coups  pesans,  ruoit  sur  son 
homme,  iceulx  lombars  estraignoyent  les  dens  et  fai- 
soyent  macte  chère.  Plus  d'une  heure  dura  celuy  com- 
bat, que  on  ne  savoit  qui  auroit  du  meilleur  ;  et  tant 
se  donnèrent  de  coups  que  plusieurs  pièces  de  leur 
harnoys  furent  percées  et  desclouées .  Que  diray  je 
plus?  ainsi  que  chascun  des  combatans  mectoit  dilli- 
gence  de  mectre  son  homme  a  oultrance,  le  fransoys 
advisa  son  coup  et  de   toute   sa  force   embarre   la 


324  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

hache  a  deux  mains  et  la  rua  droict  sur  la  teste  du 
lombart,  de  telle  force  que  tout  plat  s'en  va  par 
terre  ;  en  manière  que,  au  cheoir,  les  pièces  de  son  ba- 
tecu  luy  renversèrent  sur  le  dos,  tellement  qu'il  eut  le 
derrière  tout  descouvert.  Et,  voyant  le  françoys  son 
lombart  ainsi  tumbé,  et  qu'il  mectoit  peine  a  se 
reliever,  luy  voulut  donner  ung  autre  coup,  pour  le 
macter  du  tout  :  ce  que  le  Roy  ne  voulut,  mais  les  fist 
départir  par  les  gardes  des  Hces.  Et,  voyant  le  Roy  et 
autres  seigneurs  estans  la  les  armes  des  deux  cham- 
pions et  le  grant  coup  que  avoit  donné  celuy  françoys 
au  lombart,  extimerent  grandement  la  valleur  des 
deux  et  plus  celle  du  vaincueur,  combien  que  autres 
lombars  n'en  fussent  bien  contans*. 

Ainsi  s'estoyent  continuez  les  combatz  et  tournoys 
dedans  la  ville  de  Millan,  et  tant  que,  aux  courses 
des  lances  mesmement,  plusieurs  furent  blecés,  et  le 
plus  au  rompre  des  lances,  qui  furent  froissées  a 
droict  la  pongnée  :  dont  furent  blecez  en  la  main 
dextre  le  marquis  de  Monferrat,  Françoys  de  Mau- 
giron,  Jehan  de  Chandiou  et  tout  plain  d'autres.  La 
furent  faictes,  par  les  Françoys  et  Lombars,  armes 
très  louables,  sans  autre  bruyt  que  de  toute  joyeuse 
entreprise  et  amyables  combatz. 

Toutes  ses  belles  choses  mises  a  chief,  les  dames 
venues  la  se  disposèrent  en  aller;  mais,  premier,  le 
Roy  leur  dist  qu'il  leur  vouloit  faire  son  banquet,  ce 
qui  ancores  les  aresta. 

En  ce  mesmes  temps,   vint  a  Millan  le  cardinal 

1.  «  Gueres  de  gens  n'ont  veu  faire  de  plus  belles  armes  a  plai- 
sance que  celles  la  furent  »  (Saint-Gelais). 


Juin  1507]         D'UNG  TOURNOY  ET  COMBAT,  ETC.  325 

Saincte  Praxede^  que  le  pape  avoit  envoyé  légat  en 
Lombardye^.  Au  devant  de  luy  envoya  le  Roy  le  car- 
dinal d'Amboise,  légat  en  France,  les  cardinaulx  de 
Ferrare,  de  Bouloigne,  de  Saint  Severin,  de  Glermont, 
de  Final,  de  la  Trimoille,  de  Prye  et  d'Albi,  le  duc 
d'Alençon,  le  duc  de  Bourbon,  le  duc  de  Savoye,  le 
duc  de  Longueville,  le  conte  de  Vandosme,  le  conte 
de  Foix,  et  grande  suyte  d'autres  princes  et  seigneurs 
et  gentishommes  de  sa  maison  et  de  prelatz,  l'ar- 
cevesque  de  Sens,  l'arcevesque  d'Aiz,  l'evesque  de 
Paris,  l'evesque  de  Perigueulx^,  l'evesque  de  Sues- 
sons  ^,    l'evesque   de    Lodeve  ^,    l'evesque   de   Mar- 

1.  Antoniotto  Pallavicini,  patricien  génois,  évêque  de  Pales- 
trina  depuis  1503,  créé  cardinal  en  1489  par  Innocent  VIII  au  titre 
de  Sainte-Anastasie,  qu'il  échangea  ensuite  contre  celui  de  Sainte- 
Praxède,  protecteur  de  Savoie  en  cour  de  Rome  (ms.  lat.  5164, 
fol.  332,  362),  etc.,  était  un  génois,  ardent  ennemi  des  Vénitiens, 
comme  Jules  II.  Sanuto  cite  de  lui  un  mot  typique  :  lorsque  la 
prise  de  Modon  par  les  Turcs  vint  ébranler  la  puissance  véni- 
tienne et  retentir  douloureusement  dans  toute  la  chrétienté, 
Sainte-Praxède  s'écria  :  «  Enfin,  les  Génois  vont  pouvoir  com- 
mencer !  »  Il  accompagnait  en  dernier  lieu  Jules  II  à  Bologne 
(Sanuto,  VI,  495).  Jules  II,  en  l'envoyant  comme  légat  à  Savone, 
espérait  se  tenir  au  courant  des  événements  et  travailler  à  la 
ligue  contre  Venise.  Mais  Louis  XII,  méçcintent  du  pape  et  de 
ses  sympathies  trop  avouées  pour  les  Génois,  tint  strictement  le 
légat  à  l'écart.  Les  Vénitiens  l'accusèrent  d'avoir  voulu  s'entre- 
mettre entre  les  Génois  et  les  Français  et  d'y  avoir  échoué 
(Sanuto,  VII,  133),  mais  rien  ne  confirme  cette  imputation  fort 
invraisemblable. 

2.  Sur  cet  envoi,  v.  Paris  de  Grassis  (v.  ms.  lat.  5165,  fol.  329). 

3.  Geoffroy  de  Pompadour,  aumônier  du  roi. 

4.  Claude  de  Louvain. 

5.  Guillaume  Briçonnet,  évêque  de  Lodève,  puis  de  Meaux, 
ambassadeur  à  Rome,  le  célèbre  ami  de  Marguerite  de  Valois. 
Il  était  fils  aine  de  Guillaume  Briçonnet,  général  des  finances, 
puis  cardinal  et  premier  ministre  de  Charles  VIII.  Il  eut  pour 


326  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

seille* ,  l'abbé  de  Fescan^  et  tout  plain  d'autres.  Lesquelz 
furent  au  devant  dudit  légat  jusques  hors  la  ville,  et  ainsi 
l'amenèrent,  estant  soubz  son  poisle^,  jusques  au  grant 
domme,  ou  la  descendit  et  fist  ses  oraisons;  puys  tout 
a  pié,  s'en  alla  avecques  lesdits  seigneurs  loger  au 
palais,  assez  près  de  l'issue  dudit  domme  ;  et,  le  len- 
demain, s'en  alla  au  chasteau  devers  le  Roy,  ou  la  luy 
fist  les  recommandacions  du  pape^  et  luy  dist  plusieurs 
nouvelles  que  chascun  ne  sceut. 

Aussi,  durant  ce  temps,  les  docteurs  en  médecine 
de  Millan,  tous  ensemble  dedans  le  chasteau  en  la 
grande  salle,  ou  le  Roy  se  trouva,  s'assemblèrent  ;  et, 
eulx  ainsi  assemblez,  ung  d'iceulx,  nommé  Ambrosius 
Rosatus,  s'aprocha  du  Roy  et  la  luy  fist  une  oraison 
en  langaige  itallien,  que  le  Roy  entendoit  assez, 
lequel  dist  : 

frères  Nicolas,  contrôleur  général  de  Bretagne,  Denis,  évêque  de 
Toulon,  puis  de  Lodève,  puis  de  Saint-Malo,  et  pour  sœur  Cathe- 
rine, qui  avait  épousé  Tiiomas  Bohier,  général  des  finances,  que 
nous  avons  vu  créer  chevalier. 

1.  Antoine  du  Four. 

2.  Antoine  Bohier,  cousin  germain  d'Antoine  Duprat,  abbé  de 
Fécamp  et  de  Saint -Ouen  de  Rouen,  de  la  famille  financière 
des  Bohier.  Le  H  novembre  1503,  à  Lyon,  le  roi  lui  fait  donner 
1,000  livres  (TU.  orig.,  Bohier,  n°  20). 

3.  Sous  un  poêle  de  damas  blanc  (Sanuto,  VII,  98).  A  chaque 
entrée,  le  légat  gardait  le  poêle  et  le  donnait  à  ses  gens  (v.  le 
Journal  de  son  voyage,  rédigé  par  le  maître  des  cérémonies  Bal- 
dassar  Nicolai,  de  Viterbe,  aux  Archives  du  Vatican,  reg.  Pio  61 , 
fol.  117  v°  et  suiv.,  analysé  dans  notre  ouvrage  la  Diplomatie  au 
temps  de  Machiavel,  t.  II,  p.  164  et  suiv.).  C'est  sans  doute  ce  qui 
fait  dire  ironiquement  par  Jean  d'Auton  :  son  poêle. 

4.  «  Qui  feyt  toutes  les  congratulations  que  ceulx  de  ceste 
nation  la  ont  bien  accoustumé  de  faire  aux  princes  qui  ont  la 
force  entre  leurs  mains,  »  dit  Saint-Gelais. 


Juin  1507J         D'UNG  TOURNOY  ET  COMBAT,  ETC.  327 

a  Cristianissime  magesté  et  invictissime  Roy,  nostre 
souverain  seigneur,  en  ensuyvant  les  honnorables 
faietz  et  œuvres  immortelles  de  voz  feuz  prédécesseurs, 
vivans  ores  en  mémoire  et  en  gestes  reluysans,  mes- 
mement  des  triumphans  Roys,  qui  jadis  par  plusieurs 
foys  secoururent  et  remirent  sus  le  Sainct  Siège  apos- 
tolicque,  et  grandes  victoires  obtindrent  contre  les 
Lombars,  que  par  armes  submirent,  comme  le  Roy 
Desiderius,  Roy  des  Lombars,  ennemy  de  l'Eglize,  que 
le  preux  Roy  Gharlemaine  vainquit  en  bataille  mortelle 
et  enmena  prisonnier  en  France,  et  autres  faietz  très 
recomandables  ;  vous ,  sire ,  comme  imictateur  de 
leurs  biensfaictz,  en  adjoxtant  a  iceulx  titres  de  glo- 
rieuse renomée,  avez  par  armes  submys  les  Lombars 
et  par  deux  foys  a  force  conquestez,  et  les  orguilleux 
Gennevoys  en  bataille  vaincus  et  domptez,  qui  onques 
par  autres  n'avoyent  estez  abbatus  ne  soumarchez; 
et,  par  la  force  inmoderée  de  vostre  redoubté  excer- 
cite,  avez  toutes  les  Italles  soumises,  desquelles 
choses  nous  nous  rejoissons  et  louons  Dieu,  comme 
très  eureulx  d'estre  soubz  la  main  et  en  la  seigneurie 
de  tant  excellant  seigneur  et  si  redoubté  prince  ; 
en  suppliant  très  humblement  vostre  christianissime 
magesté  que  vostre  bon  plaisir  soit  d'avoir  tousjours 
pour  recommandé  nostre  coUiege  et  congregacion, 
ou  a  présent  sont  cinquante  docteurs  en  l'art  de 
médecine.  » 

Ce  dit,  le  Roy  dist  a  maistre  Jehan  Ponchier, 
evesque  de  Paris,  qui  la  estoit  présent,  l'intencion  et 
substance  de  sa  responce;  lequel  Ponchier  leur  dist 
en  latin  le  vouloir  du  Roy,  qui  se  rejoissoit  de  leur 
bonne  visitacion  et  qui  moult  agréable  avoit  le  hault 
et  bon  excercice  de  médecine,  et  que  tousjours  les 


328  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

auroit  pour  recomandez,  en  recognoissant  leur  grant 
savoir,  seure  expérience  et  bonne  fidélité. 

Mainctes  bonnes  chères  et  joieulx  passetemps  furent 
lors  faictz  a  Millan,  ou  chascun  s'efforçoit  de  faire 
a  qui  myeulx  myeulx;  et,  pour  cloure  le  pas,  le 
Roy  fist  son  banquet  après  les  autres,  et  ordonna 
faire  la  feste  dedans  la  Roquecte  du  chasteau,  ou  les 
princes  et  les  cardinaulx,  avecques  toutes  les  dames 
de  feste  qui  la  estoyent,  se  trouvèrent.  Le  Roy  s'ef- 
força de  festyer  les  dames,  lesquelles  pour  luy  com- 
plaire firent  si  bonne  chère  qu'elles  burent  d'autant  et 
a  toutes  mains. 

Apres  soupper,  les  dances  vindrent  en  place,  ou  le 
Roy  mesmes  voulut  dancer,  qui  très  bien  s'en  savoit 
ayder  ;  toutesfoys  ne  dança  guère  ;  et,  comme  fut  dit, 
il  dança  la  marquise  de  Mantoue,  belle  dame  a  mer- 
veilles, et  puys  fist  dancer  les  princes  et  seigneurs 
qui  la  estoyent,  voire  les  cardinaulx  de  Nerbonne  et 
de  Sainct  Severin,  et  aucuns  autres,  qui  s'en  aqui- 
terent  comme  ilz  sceurent. 

Apres  les  dances,  le  Roy,  pour  donner  nouveau 
plaisir  aux  dames,  envoya  quérir  ses  lucteurs,  entre 
autres  deux,  dont  l'ung  estoit  breton,  et  des  someil- 
liers  de  sa  chappelle,  l'autre  estoit  ung  nommé  OUi- 
vier,  des  gentishommes  du  duc  de  Gallabre,  lesquelz 
estoyent  les  meilleurs  et  les  plus  fors  luyteurs  qu'on 
sceust  trouver  nulle  part  ;  et  la,  devant  le  Roy  et  les 
dames,  se  donnèrent  actrapes,  trousses  et  grans  saulx. 
Tant  d'autres  plaisans  deduys  et  divers  esbas  furent 
la  faictz  que  ce  fut  merveilles,  et  tout  a  l'onneur  du 
Roy  et  au  plaisir  de  dames,  lesquelles,  les  unes  bien 
maries  de  desemparer  si  tost,  et  les  autres  bien 
joyeuses  de  la  veue  de  tant  de  belles  choses,  prindrent 


Juin  1507]  GOMMANT  LE  ROY  CATHOLIQUE  FERRAND,  ETC.    329 

congé  du  Roy  et  s'en  allèrent  a  leur  hostelz,  ou, 
longs  jours  après,  tindrent  entre  elles  parolles  des- 
dites choses. 

Entre  ses  bonnes  chieres  et  banquetz,  le  cardinal 
de  Ferrare,  arcevesque  de  Millan\  fist  le  sien  dedans 
son  logys  de  Millan,  ou  furent  conviez  le  cardinal 
d'Amboise,  de  Nerbonne,  de  Saint  Severin,  de  la  Tri- 
moille  et  les  autres  qui  estoyent  lors  a  Millan,  et  la 
servys  et  entretenus  honnorablement.  Et  tantost  après 
ce,  le  cardinal  de  la  Trimoille^  fut  griefvement  ma- 
lade, et  tant  que  dedans  huyt  jours  après  il  mourut. 
Dont  plusieurs  en  parlèrent  comme  ilz  voulurent,  sans 
dire  pourtant  que  a  ce  banquet  eust  trop  mengé  de 
saulce;  mais,  toutesfoys,  s'il  eust  esté  servy  par  la 
main  de  ses  bons  serviteurs,  myeulx  a  l'aventure  s'en 
fusl  trouvé.  On  dit  voluntiers  qu'il  ne  fut  oncqu[e]s  si 
bonne  feste  ou  il  n'y  eust  quelqun  mal  digne  ^. 

XXXVI. 

Gommant  le  Roy  catholique  Ferrand,  Roy  d'Arra- 

GON,  ESTANT  A  NAPLES,  MANDA  AU  ROY  Qu'iL  S'en 
VOULOIT  ALLER  EN  SONDIT  PAYS  d'ArRAGON,  ET  QUE 
TRES  VOLUNTIERS  LE  VOIRROIT  EN  PASSANT,  S'iL 
ESTOIT  SON  PLAISIR. 

Le  catholique  Roy  Ferrand  d'Arragon,  estant  lors  en 

1.  Beau-frère  de  Ludovic  le  More. 

2.  Jean  de  la  Trémoille,  frère  de  Louis,  archevêque  d'Auch, 
évêque  de  Poitiers,  titulaire  de  50,000  livres  de  bénéfices,  récem- 
ment fait  cardinal. 

3.  Jean  Bouchet,  à  portée  d'être  bien  renseigné,  attribue  sim- 
plement sa  mort  à  une  fièvre  «  continue.  »  Son  coeur  fut  laissé 


330  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

son  Royaume  de  Naples  avecquessa  femme,  Anne  (sic) 
Germaine  de  Foix,  nyepce  du  Roy,  sachant  tout  au 
vray  les  honnorables  victoires  obtenues  par  le  Roy  et 
les  louables  triumphes,  dist  qu'il  s'en  vouloit  aller  en 
son  pays  d'Espaigne,  et  qu'il  s'en  iroitpar  mer  ou  luy 
failloit  passer  par  le  plus  court  et  assez  près  des  pays 
du  Roy  en  mer;  sur  quoy  advisa  et  se  délibéra  de 
veoir  le  Roy  a  la  passée,  non  seuUement  pour  l'envye 
qu'il  avoit  de  le  voir,  mais  pour  craincte  qu'il  avoit 
de  sa  puissance,  qui  lors  occupoit  la  mer  et  la  terre 
par  ou  il  luy  failloit  passer  ;  par  quoy  luy  envoya  mes- 
sages audit  lieu  de  Millau  et  lectres  contenant  com- 
mant  il  estoit  sur  son  parlement  pour  s'en  aller  en 
ses  pays  d'Espaigne,  et  qu'il  desiroit  surtout  a  le 
veoir  et  parler  a  luy  a  Gennes  ou  a  Savonne  ou  en 
quelque  autre  lieu  qu'il  luy  plairoit.  De  quoy  le  Roy 
fut  très  joyeulx,  disant  ausdits  messagiers  que,  s'il 
venoit,  qu'il  s'essayeroit  de  le  recueillir  honnorable- 
ment  et  le  trecter  a  plaisir,  et  que  le  très  bien  fust  il 
venu  ;  et,  au  surplus,  penceroit  le  lieu  plus  a  main  et 
pour  l'aise  dudit  Roy  d'Arragon;  ce  qu'il  fîst,  con- 
cluant que  a  Savonne,  ville  sur  port  de  mer,  de  sa 
seigneurie  de  Gennes,  le  recevroit,  et  que  la  parleroint 
ensemble;  et,  des  lors,  envoya  Gaston,  conte  de  Foix, 
frère  de  la  Royne  d'Arragon,  avecques  luy  James 
l'infent  de  Foix,  et  autres  seigneurs  de  France  pour 
aller  au  devant  dudit  Roy  d'Arragon  et  accompaigner 
le  conte  de  Foix,  auquel  dist  le  Roy  :  «  Allez  vous 
embarcher  a  Savonne  et  prenez  galleres  et  brigandins 


à  Milan,  dans  l'église  des  Frères  Mineurs,  et  son  corps  rapporté 
à  Thouars. 


Juin  1507]  GOMMANT  LE  ROY  CATHOLIQUE  FERRAND,  ETC.    331 

pour  VOUS  mener  jusques  la,  ou  sera  le  Roy  d'Arragon, 
et  luy  dictes  que  audit  lieu  de  Savonne  me  trouvera 
lorsque  je  sauray  sa  venue,  et  me  mandez  incontinent 
par  voz  cursoires  toutes  nouvelles,  et  le  plus  tost  que 
pourez.  »  Ce  dit,  le  conte  de  Foix  et  ses  gens  s'en 
allèrent  embarcher  et  se  misrent  sur  mer,  tirant  vers 
le  chemin  ou  pençoyent  passer  le  Roy  d'Arragon. 
Apres  qu'ilz  eurent  navigué  deux  journées,  le  conte 
de  Foix,  qui  estoit  bien  jeune  et  n'avoit  accostumé  la 
marine,  se  sentit  malade  de  fieuvres;  par  quoy  falut 
prendre  terre  et  se  reposer  quelque  temps,  et  ce  pen- 
dant envoya  cursoires  en  mer  pour  savoir  si  ledit 
d'Arragon  estoit  prest,  lesquelz  sceurent  que  tantost 
monteroit  en  mer,  et  que,  vers  la  feste  de  sainct 
Jehan  Baptiste,  seroit  a  Savonne,  ou  le  Roy  luy  avoit 
ja  mandé  qu'il  se  trouveroit. 

Le  Roy  envoya  ausi  a  Savonne  ung  des  mareschaulx 
des  logis,  nommé  Anthoyne  de  Pierrepont,  dit  d'Ari- 
zolles^  avecques  partye  des  fourriers,  auquel  com- 
manda expressément  loger  ledit  Roy  d'Arragon  dedans 
son  chasteau  de  Savonne,  ou  avoit  très  beau  logis  et 
fort,  assix  sur  la  mer  d'ung  costé,  et  d'autre  avoit  le 
domme  et  la  ville,  ouquel  failloit' monter  par  une 
droicte  montée  et  assez  haulte.  Ausi  voulut  que  les 
gens  dudit  Roy  d'Arragon  fussent  myeulx  logez  que 
les  siens  propres,  et,  actendu  que,  sans  sauf  conduyt, 
oustaiges  ne  autre  seureté  que  de  sa  bonne  fyence  et 
vraye  fidélité,  il  se  mectoit  franchement  entre  ses 
mains  et  en  sa  seigneurie  et  dangier,  voulut  et  ordonna 

1.  D'Arizolles  mourut  en  1510  ambassadeur  en  Angleterre 
(cf.  La  Mure,  Histoire  des  ducs  de  Bourbon,  III,  226). 


332  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

qu'il  fust  honnouré,  logé  et  trectétout  ainsi  ou  myeulx 
que  sa  personne,  et,  a  ceste  cause,  transmist  a  Savonne 
deux  de  ses  maistres  d'ostelz,  nommez  l'ung  d'iceulx 
Jehan  Guerin,  seigneur  de  Columbiers,  et  messire 
Rigault  Doreille,  chevalier,  seigneur  de  Villeneuve  ^ 
ausquelz  commanda  aller  audit  lieu  de  Savonne  pour 
la  faire  le  préparatoire  et  appareil  de  toutes  choses 
nécessaires  pour  recueillir,  trecter  et  festyer  ledit  Roy 
d'Arragon  ;  ausi  envoya  avecques  lesdits  maistres 
d'ostelz  partye  de  ses  officiers  pour  les  servir  en  cest 
affaire  ;  lesquelz  firent  telle  dilligence  que,  tout  a  coup, 
eurent  vins  de  Languedoc,  de  Corse,  de  Provence  et 
autres,  a  plaines  caves  et  celiers,  et  telle  provision  de 
voUaile,  comme  pouletz,  pigeons,  cailles,  tourtres  et 
autres  gibier  que,  en  actendant  ledit  Roy  d'Arragon, 
plus  de  mille  et  cinq  cens  pièces  se  perdirent,  com- 
bien qu'il  eussent  grandes  salles  et  greniers  et  autres 
lieux  a  ce  propices  pour  nourir  ledit  gibier.  Pareille- 
ment les  cytadins  de  Savonne  apresterent  les  choses 
nécessaires  et  ordonnèrent  leur  affaire  pour  recevoir 
le  Roy  et  ledit  Roy  d'Arragon,  disant  que  plus  d'hon- 
neur ne  si  haulte  gloire  sauroint  jamais  avoir  que 
d'avoir  dedans  leur  ville  l'onneur  des  Roys  terriens  et 
les  plus  puissans  princes  du  monde. 

Le  Roy  des  Romains ,  ennemy  du  Roy  et  envyeulx 
de  sa  prospérité,  estoit  lors  aux  Allemaignes,  bien 
courrocé  de  la  prise  de  Gennes  et  fort  dolant  de  la 
gloire  des  Françoys,  disant  que  ancores,  s'il  peult, 
leur  donnera  ung  allarme,  et,  pour  ce  faire,  fist  asa- 
voir  a  tous  les  électeurs  de  l'Empire  et  a  tous  les 

\.  En  Auvergne,  et  de  Golombines.  V.  plus  loin. 


Juin  1507]  GOMMANT  LE  ROY  CATHOLIQUE  FERRAND,  ETC.    333 

tenus  et  sugeetz  au  courronnement  qu'il  estoit  déli- 
béré et  prest  de  s'en  aller  a  Romme  faire  la  couron- 
ner empereur,  en  les  sommant  et  requérant,  comme 
obligez  et  tenuz  a  ce,  de  le  vouloir  accompaigner  et 
servir;  et,  pour  délibérer  de  la  manière  de  son  voyage 
et  tenir  sur  ce  conseil,  manda  les  princes  et  aucuns 
prelatz  des  AUemaignes  et  seigneurs  des  cantons  et 
ligues  des  Suyces,  sugeetz  audit  couronnement  :  les- 
quelz,  assemblez,  furent  prestz  de  ouyr  le  propos  et 
entendre  le  vouloir  dudit  Roy  des  Romains,  lequel 
dist  en  audience  : 

«  Seigneurs  et  amys,  la  cause  pour  quoy  vous  ay 
cy  assemblez  touche  plusieurs  choses  concernant  le 
proffict  du  bien  public  et  l'onneur  de  nostre  impérial 
Magesté.  Vous  savez,  premièrement,  commant,  en  toute 
la  chrestienté,  n'a  que  ung  seul  Empire  temporel,  que 
noz  prédécesseurs,  princes  alemans,  ont  longuement 
obtenu  et  possidé,  lequel  Empire  ne  fut  oncques 
vacant  si  longuement  que  de  noz  temps  les  voyez, 
combien  que,  par  la  voix  des  électeurs  et  vouloir  du 
peuple,  j'en  aye  par  la  grâce  de  Dieu  obtenu  la  plus- 
part  du  tiltre,  et  ne  reste  seullement  plus  que  de  m'en 
aller  a  Romme  la  prendre  par  les  mains  du  Saint 
Père  le  pape  la  couronne  impérial,' laquelle,  a  l'ayde 
de  Dieu  et  par  vostre  bon  secours,  j'espère  de  brief 
aller  prendre  et  recevoir.  Et,  après,  assez  a  cler  pou- 
vez estre  advertys  comme  le  Roy  de  France,  nostre 
ennemy,  nous  a  par  cy  devant  oultragé,  et  de  fresche 
mémoire,  combien  que  luy  eussions  mandé  qu'il  n'en- 
treprinst  surprendre  sur  les  droictz  de  la  seigneurie 
de  nostre  empire,  toutesfoys  par  armes  et  a  force  s'est 
emparé  de  la  forte  cyté  de  Gennes,  chambre  d'Em- 


334  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

pire,  et  icelle  soumise  du  tout  a  son  obéissance  et 
reduyte  a  son  domaine,  pris  la  foy  et  serment  de 
fidélité  des  seigneurs  et  du  peuple  de  Gennes,  mise 
entre  ses  mains  toute  la  seigneurie  d'icelle,  cancellez 
et  anullez  ses  status  et  privilleges,  cassez  les  coings 
de  la  monnoye  ou  nostre  ymage  estoit  inscultée  et 
escripte,  faict  trancher  testes  a  plusieurs,  faict  faire 
forteresses  et  chasteaulx,  et,  en  somme,  ladite  cyté, 
au  grant  préjudice  de  nostre  Empire,  détenue  et  usur- 
pée. Et  ancores  foys  doubte  qu'il  ne  vueille  du  tout 
occupper  les  Italles  et  nous  contredire  le  couronne- 
ment impérial.  Par  quoy,  a  ceste  cause,  vous  ay 
mandé,  affin  que  chascun  de  vous,  comme  estes  tenus 
et  obligez,  me  vousissiez  donner  sur  ce  conseil,  con- 
fort et  aide.  » 

Les  princes  et  seigneurs  de  l'Empire,  oyant  le  dire 
et  propose  du  Roy  des  Rommains,  dirent  tous  qu'ilz 
estoyent  prestz  et  appareillez  de  toute  leur  puissance 
le  servir  a  ses  despens  envers  tous  et  contre  tous,  et 
que,  si  son  argent  estoit  prest,  que,  lorsqu'il  voul- 
droit,  auroit  cinquante  mille  Allemans\  ou  plus,  si 
besoing  en  avoit.  Mais,  entre  autres,  les  seigneurs  des 
Ligues  luy  remonstrerent  comment  le  Roy  de  France 
et  eulx  estoyent  confederez,  et  comment  ilz  avoyent 
eu  souvant  et  esperoient  ancores  avoir  grant  nombre 
de  ses  deniers,  au  moyen  des  guerres  qu'il  avoit  eues 
en  Lombardye  et  ailleurs  delà  les  mons;  par  quoy 
n'estoyent  délibérez  de  eulx  declairer  ses  ennemys  ne 
de  servir  homme  vivant  contre  luy,  si  ce  n'estoit  que 

1.  8,000  chevaux  et  22,000  hommes  de  pied,  payés  pour  six 
mois,  selon  Guichardin.  La  diète  de  Constance  se  sépara  le 
20  août. 


Juin  1507]  GOMMANT  LE  ROY  CATHOLIQUE  FERRAND,  ETC.    335 

au  couronnement  du  Roy  des  Rommains  voulust  con- 
tredire ;  mais,  sur  celle  querelle,  encontre  tous  autres, 
servyroint  voluntiers  ledit  Roy  des  Rommains.  «  Or 
bien,  dist  il,  soyez  prestz  au  nombre  de  dix  mille 
lorsque  je  vous  manderay,  pourveu  que  me  veillez 
servir  envers  tous  et  contre  tous.  »  Les  seigneurs  des 
Ligues  et  cantons,  après  se[s]dites  choses,  envoyèrent 
ambaxades  devers  le  Roy  pour  luy  dire  et  remonstrer 
comment  ilz  estoyent  sugetz  a  l'Empire,  mesmement 
a  servir  l'empereur  au  voyage  de  son  couronnement, 
ce  qu'il  failloit  que  ilz  fissent,  comme  sommez  et 
requys  de  ce  faire;  mais,  si  de  sa  part  en  vouloit 
avoir  quelque  nombre,  que  vouluntiers  luy  en  baille- 
royent.  Ausquelz  fist  le  Roy  responce  que,  s'ilz  vou- 
loyent  servir  contre  luy  le  Roy  des  Rommains,  de  la 
en  avant  se  passeroit  d'eulx,  en  manière  que  jamais  a 
sa  poye  ne  seroyent  ne  n'auroyent  gages  de  luy, 
disant  :  «  J'ay  en  mes  pays  de  France  assez  hommes 
pour  me  deffendre,  o  l'ayde  de  Dieu,  du  pouvoir  du 
Roy  des  Rommains  et  de  tous  ses  alyez  !  »  Sur 
laquelle  responce  tindrent  conseil  les  seigneurs  des 
Ligues  et  cantons,  ou  alléguèrent,  les  aucuns,  com- 
ment ilz  estoyent  tenuz  de  servir  l'empereur,  mes- 
mement au  couronnement;  les  autres  disrent  que  ilz 
estoyent  tenus  ausi  de  servir  le  Roy  de  France,  par  plu- 
sieurs raisons  :  premièrement,  car  avoyent  aliénée  et 
confederacion  avecques  luy;  secondement,  avoyent 
aucuns  d'eulx  gages  et  pencions  de  luy;  tiercement, 
que  cent  hommes  de  leurs  pays  tenoit  tousjours  a  gages 
et  a  la  garde  de  son  corps,  qui  estoit  a  eulx  moult 
grant  honneur  et  proffict;  quartement,  que  en  si 
bonne  extime  les  avoit  tousjours  eu,  et  que,  a  toutes 


336  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

ses  guerres,  tant  en  France  comme  hors  France,  les 
avoit  euz  a  sa  soulde  et  a  groux  nombre,  ce  qui  de 
moult  avoit  enrichiz  et  entretenus  leurs  pays;  «  et, 
quant  au  regart  du  Roy  des  Rommains,  oncques  ne 
nous  fist  gaigner  denier;  et  si,  par  avanture,  a  ce 
besoing  nous  souldoye  deux  ou  troys  moys,  ce  sera 
tout  ce  que  de  luy  pourrons  jamais  avoir,  et  perdrons 
pencions  et  gages  et  souldes  et  la  bienveillance  du  Roy 
de  France.  Pour  ce,  est  le  meilleur  de  dire  au  Roy  des 
Rommains  que  voluntiers  le  servirons  envers  tous  et 
contre  tous,  réservé  contre  le  Roy  de  France.  j>  Et 
ainsi  envoyèrent  devers  ledit  Roy  des  Rommains  pour 
luy  dire  le  vouloir  dé  seigneurs  des  ligues  et  cantons 
des  Suyces,  de  quoy  ne  fut  content  ;  mais  autre  chose 
n'en  fut,  si  n'est  que  iceulx  Suyces  furent  devers  le 
Roy  luy  dire  que,  contre  luy,  ne  serviroyent  le  Roy 
des  Rommains,  mais  estoyent  tous  prestz  de  le  servir, 
comme  avoyent  accoustumé. 

Voyant,  le  Roy,  comment  le  Roy  des  Rommains 
s'aprestoit  pour  passer,  disant  qu'il  passeroit  par  la 
duché  de  Millau  par  force,  et  que  moult  grant  nombre 
avoit  de  gens  d'armes,  comme  se  disoit  ;  car  il  estoit 
bruyt  qu'il  avoit  dix  mille  chevaulx  et  quarente  mille 
hommes  de  pié  tous  près  a  marcher,  ce  qui  fist  demeu- 
rer le  Roy  ancores  long  temps  delà  les  mons,  délibé- 
rant, si  ledit  Roy  des  Rommains  veust  passer  par 
force,  de  luy  donner  la  bataille  et  luy  garder  le  pas- 
sage, en  manière  que,  premier  qu'il  le  gaigne,  cous- 
tera  la  vye  de  cent  mille  hommes  armez.  Et  tant  ne  se 
fya  au  dire  et  secours  des  Suyces  qu'il  n'envoyast  en 
France  quérir  dix  mille  hommes  de  pié,  et  y  trans- 
myst  le  capitaine  Audet  Desye,  Guillaume  de  la  Hite 


Juin  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  MILLAN,  ETC.  337 

et  aultres,  et  manda  a  ung  nommé  Georges  de  Duref- 
fort,  cadet  de  Duras,  et  autres  capitaines  en  France, 
que  a  toute  dilligence  luy  amenassent  dix  mille  Gas- 
cons, qui,  tantost  après  le  mandement  du  Roy,  furent 
près  et  mys  a  chemin. 

XXXVII. 

Comme  le  Roy  partit  de  Millan  pour  s'en  aller 
EN  AsT  ET  A  Savonne,  ou  se  devoit  rendre  le 
Roy  d'Arragon. 

Le  x^^  jour  du  moys  de  jung,  le  Roy  partit  de  Mil- 
lan\  ou  de  la  s'en  alla  disner  a  Binasque,  dix  mille 
loings  dudit  lieu  de  Millan  ;  de  la  s'en  alla  droict  a 
Lumel,  a  Valence,  a  Felissant  et  en  Ast,  ou  se  repousa 
VIII  jours  ^  en  actendant  nouvelles  du  Roy  d'Arragon, 
qui  ancores  n'estoit  sur  mer. 

Le  Roy,  estant  en  Ast,  voulant  tousjours  pourveoir 
a  ses  affaires,  manda  venir  par  devers  luy  tous  ses 
capitaines  de  delà  les  mons,  ausquelz  dist  :  «  Vous 
scavez  que  ja  long  temps  a  que  je  suys  deçà  les  mons, 
et  les  exploictz  d'armes  que,  a  l'ayde  de  Dieu,  nous 
avons  faictz  sur  noz  ennemys,  lesquelz  sont,  comme 
savez,  soumys  a  la  raison  et  domptez  en  obéissance, 
et,  en  oultre,  comme  il  a  esté  bruyt  de  la  venue  du 
Roy  des  Romains,  ce  que  ja  long  temps  m'a  détenu 
de  par  deçà,  me  cuydant  trouver  au  devant  de  luy  ; 

1.  Il  y  était  encore  le  11  au  matin;  il  alla  le  11  couchera  Bere- 
guardo.  Arch.  nat.,  KK  88,  fol.  162. 

2.  Il  en  repartit  le  septième  jour  au  matin;  il  n'y  passa  que  six 
jours.  Arch.  nat.,  KK  88,  fol.  162  v». 

IV  22 


338  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

mais  est  bon  a  savoir,  veu  sa  longue  demeure,  qu'il 
n'est  prest  a  passer.  Or,  a  toutes  fins,  j'ay  transmys 
quérir  dix  mille  hommes  de  pié  en  France  et  x  mille 
ou  plus,  qui  sont  de  par  deçà,  avecques  xiiii  cens 
hommes  d'armes,  mes  deux  cens  gentishommes  et  les 
deux  cens  archiers  de  messire  Jacques  de  Gressol 
pour  luy  mectre  en  barbe,  s'il  en  est  besoing.  Je  m'en 
voys  a  Savonne,  la  ou  le  Roy  d'Aragon  se  doit  trou- 
ver, comme  il  m'a  mandé,  et  la  esté  quelque  temps, 
je  suys  dehberé  de  m'en  aller  jusques  a  Lyon.  Et,  affin 
que,  si  le  Roy  des  Rommains  marche,  a  sa  venue  me 
puisse  trouver,  et  que  on  ne  face  doubte  de  mon 
retour,  je  laisse  icy  mon  escuyrie,  mon  harnoys,  mes 
gentishommes  et  archiers  et  tout  mon  sommage,  espé- 
rant que,  s'il  marche,  d'estre  icy  vi  jours  après  que 
j'en  auray  sceu  vrayes  nouvelles.  Et,  au  surplus,  vous 
veulx  a  tous  pryer  et  commander,  en  tant  comme  je 
puys  et  que  vous  craignez  a  m'offencer  et  desobeyr, 
que  vous  ayez  a  obeyr  au  commandement  de  messire 
Charles  d'Amboise,  mon  lieutenant  gênerai,  tout  ainsi 
que  a  ma  propre  personne,  et  qu'il  n'y  ait  faulte  ;  et, 
en  ce  faisant,  cognoistrez  au  besoing  que  vostre  ser- 
vice sera  par  moy  guerdonné  et  voz  biensfaictz  reco- 
gneuz.  »  Ce  propos  ainsi  fyny,  tous  les  capitaines 
françoys  luy  promisrent,  tous  a  une  voix,  de  ainsi  le 
faire. 

Apres  ce,  le  Roy  sceut  par  ses  coureurs  que  le  Roy 
Ferrande  d'Arragon  estoit  près  a  partir  de  Naples 
pour  se  rendre  a  Savonne,  comme  entre  eulx  avoit  ja 
esté  ordonné,  et  qu'il  auroit  avecques  luy  la  Royne  sa 
femme  et  grant  nombre  de  dames  et  bien  xiiii  cens 
gentishommes  de  ses  gens  ;  sur  quoy  advisa  que  dedans 


Juin  1507]     COMME  LE  ROY  PARTIT  DE  MILLAN,  ETC.  339 

Savonne  avoit  peu  de  logis  pour  recullir  tout  son  train 
et  ceîuy  dudit  Roy  d'Arragon  ;  par  quoy,  fist  ung  rolle 
de  ses  gentishommes  et  autres,  a  peu  de  nombre,  les- 
quelz  ordonna  aller  avecques  luy,  et  lessa  le  surplus 
en  l'Astizanne  et  en  la  duché  de  Millan.  Puys  s'en  par- 
tit d'Ast  et  se  mist  a  chemin,  tirant  droit  a  Savonne, 
ou  ariva  le  jour  de  la  feste  sainct  Jehan  Baptiste  ^ ,  et 
la  trouva,  au  dehors  de  ladite  ville,  les  seigneurs  et 
citadins,  les  processions  et  le  populaire  pour  le  recueil- 
lir et  honnourer  ;  lesquelz  le  convoyèrent  en  bel  ordre 
tout  le  long  d'une  grande  rue  parrée  jusques  a  la  porte 
de  son  logis,  qui  estoit  ung  peu  au  dessoubz  du  chas- 
teau,  le  domme  entre  deulx,  et  estoit  sondit  logis  la 
maison  de  l'evesque  de  Savonne,  moult  belle  et  bien 
apropriée.  La  dedans  s'en  entra,  ou  trouva  sa  chambre 
toute  dressée  et  les  officiers  de  sa  maison  pour  le  ser- 
vir, chascun  en  son  office.  Temps  fut  de  prendre 
refreschissement,  car  lors  la  challeur  estoit  audit  lieu 
tant  extremme  que  les  plus  legierement  vestus  a  poine 
la  pouvoyent  supporter,  et,  avecques  ce,  tant  de 
petites  mouches,  picantes  comme  aguillons,  y  cou- 
royent  que  chascun  en  portoit  la  merche,  car  la  nuyt 
sortoyent  des  fentes  et  trouz  des  chambres  des  mai- 
sons, et  ceulx  qui  la  dormoyent  nudz  et  descouvers 
en  estoyent  actainctz  et  piquez,  en  manière  que  plu- 
sieurs en  avoyent  corps  et  visaiges  tous  bosselez  et 
rougeollez;  mais,  en  ceste  pestillence  ennuyeuse,  chas- 
cun passa  le  temps  comme  il  peut,  en  chassant  les 
mouches,  lesquelles  couroyent  mesmement,  et  le  plus, 
a  ceulx  qui  estoyent  logez  près  la  marine.   A  quoy 

1.  24  juin. 


340  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

tenir  se  sceut  bien  le  Roy  mesmes,  qui  vers  ladite 


marine  estoit  logé. 


XXXVIII. 


De  la  venue  et  entrée  du  Roy  d'Arragon  a  Savonne, 
et  du  recueil  et  tregtement  que  le  roy  luy  fist, 
et  de  la  familiarité  qu'llz  eurent  ensemble  ^ 

Le  Roy  Ferrand  d'Arragon  estoit  ja  party  de  Gayete 
et  monté  en  mer  pour  s'en  revenir  en  Espaigne  et 
passer  par  Savonne,  comme  avoit  mandé  au  Roy.  De 
quoy  le  pape  adverty  s'en  alla  a  Hostie,  ung  port  de 
mer,  terre  d'Eglize,  sur  la  passée  dudit  Roy  d'Arra- 
gon, et  la  fist  faire  grandes  provisions  et  gros  appa- 
reil pour  le  cuyder  illecques  recueillir  et  trecter.  Mais, 
saichant  lors,  celuy  Roy  d'Arragon,  que  le  pape  n'avoit 
eu  a  gré  le  voyage  du  Roy  a  l'occasion  de  la  prise  de 
Gennes,  dont  estoit  mal  contant,  comme  se  disoit, 
pour  ne  donner  occasion  au  Roy  de  pencer  quelque 
chose,  et  ausi  qu'il  luy  failloit  passer  par  ses  dangiers, 
ne  voulut  parler  a  luy  ne  descendre  a  Hostie,  mais 
luy  manda  qu'il  avoit  haste  de  s'en  aller,  et  le  vent  a 

1.  Miniature  au  fol.  cxxiui  r"  dums.,  représentant  l'arrivée  du 
roi  d'Aragon.  A  droite,  une  porte  fortifiée  avec  l'inscription 
Savonne,  encombrée  des  archers  du  roi.  En  avant  de  cette  porte, 
une  petite  estacade  de  bois,  sur  laquelle  Louis  XII,  suivi  de  trois 
ou  quatre  personnages,  reçoit  dans  ses  bras  Ferdinand.  Ferdi- 
nand, sur  une  passerelle  en  bois,  sort  d'une  barque  aux  couleurs 
de  Louis  XII  (jaune  et  rouge),  dans  laquelle  on  voit  la  reine,  des 
dames,  deux  cardinaux,  divers  personnages.  Une  jetée  arrondie, 
derrière  la  porte,  est  couverte  d'une  foule  bigarrée.  La  mer  est 
bleue  et  semée  de  barques  aux  couleurs  du  roi. 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  341 

gré  pour  ce  faire,  par  quoy  ne  pouvoit  pour  l'eure 
arrester,  et  ainsi  passa  oiiltre.  Le  conte  de  Foix  luy 
fut  au  devant,  par  mer,  avecques  grande  noblece  de 
France,  qui  luy  dist  nouvelles  du  Roy  et  commant  il 
estoit  ja  a  Savonne,  pour  la  le  recueillir  et  festoyer. 
Dont  s'avança  et  fist  singler  a  plaines  voisles,  tant  que 
bientost  fust  oultre  le  havre  de  Gennes  et  a  la  veue 
de  Savonne,  et  de  la  tran[s]mist  devers  le  Roy  ung 
nommé  domp  James  Darbyon*  pour  l'advertir  de  sa 
venue,  et  ausi  transmist  a  Savonne  le  mareschal  de 
ses  logis  avecques  ses  a  pousantadours  »,  qui  sont  ses 
fourriers,  pour  la  mercher  ses  logis.  Ausquelz  le  Roy 
bailla  ung  nommé  Anthoyne  de  Pierrepont,  dit  d'Ari- 
zolles,  mareschal  des  logys,  pour  leur  monstrer  leurs 
cartiers  et  les  conduyre  partout;  ce  qu'il  fist,  et  leur 
bailla  leur  cartier  près  du  chasteau,  ou  estoit  ordonné 
le  logis  du  Roy  d'Arragon. 

Le  Roy  sceut,  par  ledit  domp  James  Darbyon,  que 
le  Roy  d'Arragon  estoit  près  et  que  a  ce  jour  seroit  a 
Savonne,  dont  fut  le  Roy  bien  joyeulx,  et  dist  a  celuy 
domp  James  Darbyon  :  «  Puys  qu'il  plest  au  Roy 
d'Arragon,  vostre  maistre,  de  me  venir  veoir  en  mes 
pays,  je  metray  peine  de  le  trecter  a  ^on  vouloir  et  de 
le  recueillir  joyeusement.  »  Et,  ce  dit,  luy  transmist 
au  devant  maistre  Georges,  cardinal  d'Amboise,  les 
cardinaulx  de  Nerbonne,  de  Sainct  Severin,  de  Final, 
d'Alby  et  de  ses  princes  et  seigneurs  grousse  route, 
lesquelz  luy  furent  au  devant  troys  lieues  en  mer,  et 
la  luy  dirent  commant  le  Roy  l'avoit  ja  actendu  quatre 
jours,  et  que  moult  luy  tardoit  l'eure  qu'il  ne  le  veist. 

1.  Jaime  d'Albion,  ambassadeur  en  France. 


342  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

Ausquelz  fist  le  Roy  d'Arragon  joyeuse  chère  et  bon 
recueil,  disant  :  «  J'ay  tant  honnourable  louenge  ouye 
du  Roy  de  France,  et  par  expérience  tant  vertueuses 
œuvres  en  luy  cognues  que,  a  ceste  cause,  raison  m'a 
meu  d'entreprendre  le  venir  jusques  en  ses  pays  veoir, 
honnourer  et  visiter,  désirant,  sur  toutes  choses,  luy 
faire  compaignye  fraternelle  et  amyable,  et  prendre 
avecques  luy  familière  cognoissance  et  aliénée  perpé- 
tuelle, et  moy,  confyant  de  son  nom  christianissime  et 
très  excellente  renomée,  sans  autre  seureté  que  de  sa 
seulle  fidélité,  mettre  entre  ses  mains  et  en  ses  dan- 
giers,  disant  que  plus  grant  eur  ne  plus  noble  com- 
paignye ne  pourroye  au  monde  rancontrer.  » 

Ce  dit,  fist  naviguer  vers  Savonne,  duquel  lieu  se 
pouvoyent  ja  choisir  et  adviser  tout  a  cler  les  galleres 
et  fustes,  qui  estoyent  tendues  et  tapissées,  et  avoyent 
estandars  amont.  Pour  veoir  la  venue  et  arrivée  dudit 
Roy  d'Arragon,  qui  a  voisle  tendue  approchoit,  chas- 
cun  sortit  de  Savonne  et  print  place  autour  du  mouUe, 
sur  la  marine  et  sur  les  tours  et  murailles  de  la  ville, 
au  droict  de  la  venue,  en  manière  que  tout  estoit  plain 
de  peuple. 

A  la  rive  du  moulle,  par  ou  le  Roy  d'Arragon  devoit 
descendre,  le  Roy  fist  faire  ung  pont  de  boys,  entrant 
en  mer  environ  xii  pas  large,  a  passer  troys  hommes 
de  front,  faict  a  gardes  et  assix  sur  pillotiz,  et  sur  la 
fousseure  couvert  d'ung  drap  rouge  actaché  a  petitz 
clouz  pour  faire  la  aborder  la  gallere  du  Roy  d'Arra- 
gon et  sortir  par  la  do  la  mer  pour  entrer  en  la  ville. 
Et,  lorsqu'il  fut  environ  ung  mille  près  de  la  ville,  le 
Roy,  avecques  tous  ses  princes,  gentishommes  et 
archiers  de  sa  garde,  se  trouva  au  bort  du  pont. 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  343 

encontre  lequel  avoit  ung  hault  boulouart,  ou  je, 
avecques  plusieurs,  montay  pour  veoir  tout  a  cler  la 
rencontre  des  Roys. 

Or  est  a  entendre  que,  dedans  les  fustes  et  galleres 
du  Roy  d'Arragon,  n'avoit  nulz  chevaulx  :  par  quoy  le 
Roy  avoit  faict  la  mener  en  main  une  mulle  richement 
harnachée,  pour  monter  ledict  Roy  d'Arragon;  et 
avoit  commandé  aux  autres  de  ses  princes  qui  la 
estoyent,  et  a  ses  autres  gentishommes,  qu'ilz  eussent 
la  mulles  et  haquenées  pour  bailler  aux  gentishommes 
d'Espaigne  et  porter  en  crouppe  les  dames  de  la  Royne 
d'Arragon,  dont  elle  en  avoit  moult  grant  nombre 
richement  accoutrées,  et  toutes  a  l'espaignolle,  com- 
bien que  plusieurs  d'icelles  fussent  fransoyses. 

En  ceste  manière,  actendoit,  le  Roy,  le  Roy  d'Arra- 
gon, qui  tant  approcha  qu'il  entra  dedans  le  moule  de 
Savonne,  ou  avoit,  pour  le  Roy,  grousse  route  de  navires 
armez  et  artillez,  lesquelz  commaincerent  a  tirer  artil- 
lerie a  toutes  mains.  Pareillement  les  galleres  et  fustes 
du  Roy  d'Arragon  firent,  a  l'entrer  dudit  moulle, 
telle  meute  d'artillerie  qu'on  n'eust  oy  la  tonner.  Le 
capitaine  Pregent  le  Bidoulx,  avecques  ses  quatre  gal- 
leres, couvertes  de  fleurs  de  lys,  et  toutes  ensemble, 
estoit  entré  dedans  le  moulle  comme  le  Roy  d'Arra- 
gon; et  la,  après  les  autres,  fîst  descharger  son  artil- 
lerie, dont  il  avoit  grousses  coulevrines  a  roe  et  canons 
serpentins,  tellement  qu'il  sembloit  que  tout  basist. 
Des  tours  de  la  ville  et  du  chasteau  pectoit  artillerie 
comme  tonnerre;  sur  la  marine,  n'apparroissoit  que 
feu  et  fumée  ;  fin,  plus  d'une  heure  continua  ce  bruyt, 
tel  que  s'estoit  chose  espouventable  a  ouyr  et  merveil- 


344  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

leuse  a  veoir.  Aussi  estoyent  la  trompectes  et  haulx- 
boys,  qui  soufïloyent  sans  cesser. 

Cepandant,  le  Roy  d'Arragon  fist  mectre  de  fil  ses 
galleres,  et  la  sienne,  en  laquelle  il  estoit,  tirer  devant, 
laquelle  estoit  toute  couverte  et  parée  de  draps  de  la 
couUeur  et  livrée  du  Roy,  c'est,  assavoir  de  jaune  et 
rouge;  et  tous  les  mathelotz  et  rameurs  vestus  de 
jaune  et  rouge,  avecques  cappetes  de  mesmes.  Ses 
autres  galleres  et  fustes  estoyent  richement  accous- 
trées  et  parées  de  mesmes.  Quoy  plus?  le  Roy  d'Ar- 
ragon fist  adresser  sa  gallere  droict  au  pont,  ou  le  Roy 
estoit  :  lequel,  lorsqu'il  vit  approcher  la  gallere  du 
Roy  d'Arragon,  comme  d'ung  demy  gect  de  pierre 
près,  descendit  de  sa  mulle  et  s'en  alla  sur  le  pont, 
ou  ja  abordoit  la  gallere,  et  si  près  que  l'escalle  de 
ladite  gallere,  premier  que  le  Roy  fust  au  bort  dudit 
pont,  fut  dessus  avalle.  Ce  faict,  le  Roy  marche  celle 
part,  et  s'en  entra  dedans  ladite  gallere,  avecques  luy 
deux  de  ses  gens  seullement,  c'est  assavoir  messire 
Charles  d'Amboise,  son  lieutenant  delà  les  mons  et 
grant  maistre  de  France,  lequel  fist  entrer  dedans,  et 
messire  Galeas  de  Sainct  Severin,  grant  escuyer  de 
France,  lequel  entra  après  îuy. 

Le  Roy  d'Arragon  fut  auprès  du  bort  de  l'escalle, 
lequel,  tout  en  l'eure  que  le  Roy  fut  entré,  mist  le 
bonnet  au  poing  et  le  genoil  en  terre,  et  le  Roy  après, 
en  eulx  embrassant  assez  longuement.  Ce  faict,  le  Roy 
fist  bailler  les  clefz  de  la  ville  au  Roy  d'Arragon,  lequel 
les  receut  amyablement,  et  puys  les  fist  retourner 
entre  les  mains  du  Roy,  lequel  dist  au  Roy  d'Arra- 
gon :  a  Allez  vous  en  devant,  je  m'en  voys  amener  la 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  345 

Royne  ;  »  laquelle  fut  la  présentée  au  Roy  par  le  car- 
dinal d'Amboise,  et  icelle,  le  genoil  en  terre,  fist  la 
révérence  au  Roy,  lequel  auxi  la  baisa  et  la  prist  par 
la  main  pour  la  enmener.  Cependant  le  Roy  d'Arra- 
gon  et  le  cardinal  d'Amboise,  viz  a  viz  de  luy,  chemi- 
nèrent le  pont.  Le  Roy  d'Arragon  descendit  le  pont, 
ou  la  atouchant  luy  fut  présentée  la  muUe  que  le  Roy 
luy  avoit  ordonnée,  sur  laquelle  il  monta,  et  actendit 
la  a  venir  le  Roy,  qui  amena  la  Royne  sa  nyepce  jusques 
sur  le  pont  ;  puys  se  mist  devant  et  dist  de  loings  au 
Roy  d'Arragon,  qui  l'actendoit  :  «  Marchez,  marchez, 
je  meneray  la  Royne  après;  »  ce  que  ne  voulut  le  Roy 
d'Arragon,  mais,  le  bonnet  au  poing,  disoit  qu'il  n'yroit 
point.  Et  tandis  le  Roy  monta  sur  sa  mulle  et  fîst  mon- 
ter derrière  luy  la  Royne  ;  puys,  dist  au  Roy  d'Arra- 
gon :  «  Allez  devant,  car  la  costume  de  France  n'est 
pas  que  les  femmes  tiennent  le  rang  de  leurs  maris  ;  b 
et  adonc  se  mist  devant,  jusques  a  l'entrée  du  portai 
de  la  ville,  près  dudit  pont  de  xx  pas  ou  environ. 

A  l'entrée  dudit  portai  furent  les  seigneurs  de  la 
ville,  tenant  ung  large  poisle  soubz  lequel  se  misrent 
les  Roys  et  la  Royne  d'Arragon.  Le  cardinal  d'Amboise 
et  Gonsalles  Ferrande,  duc  de  Terrenove,  marchoient 
les  premiers  après  les  Roys.  D'autres  princes  estoyent 
la  du  party  du  Roy  :  le  duc  d'Allençon,  le  duc  de 
Rourbon,  le  duc  de  Longueville,  le  duc  d'Albanye,  le 
conte  de  Foix,  le  conte  de  Vandosme,  le  marquys  de 
Mantoue,  le  marquys  de  Monferrat,  et  d'autres  grande 
baronnye,  avecques  les  cardinaulx  susdits.  Avecques 
le  Roy  d'Arragon  estoyent  des  principaulx  :  Gonsalles 
Ferrande,  duc  de  Terrenove  en  Callabre,  le  duc  de 


346  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

VilleformoseS  le  conte  d'Arande^,  le  marquys  de 
Suye,  domp  Jehan  d'Arragon^  domp  Ferrande  de 
Tholedo,  domp  Anthoine  de  Gardonne,  filz  du  duc  de 
Gardonne;  le  conte  de  Gapache*,  dit  Villemarin,  capi- 
taine de  toutes  les  galleres  du  Roy  d'Arragon,  et  grant 
nombre  d'autres  seigneurs  et  gentishommes  espai- 
gnolz,  lesquelz  eurent  la  chevaulx  tous  près  pour  les 
mener  jusques  a  leurs  logis.  Ausi  furent  montées  toutes 
les  dames  en  cruppe  et  menées  par  les  Françoys 
jusques  au  chasteau. 

Depuys  l'entrée  de  la  porte  de  la  ville  jusques  a 
l'entrée  dudit  chasteau,  au[x]  deux  costez  de  la  rue  ten- 
due, estoient  les  archiers  de  la  garde  et  les  Allemans 
du  Roy,  tous  en  ordre  et  a  pié,  la  hallebarde  au  poing, 
entre  lesquelz  passèrent  les  Roys  :  ce  que,  entre  autres 
choses,  regarda  voluntiers  le  Roy  d'Arragon  et  ses 
Espaignolz. 

Toute  ceste  rue  estoit  tendue  et  couverte  de  ver- 
dure, et,  en  approchant  du  chasteau,  avoit  au  travers 
de  ladite  rue  ung  arceau  de  verdure,  ou  avoit  en 
escript  ses  mectres  : 

Quis  me  felicera,  qui  me  neget  esse  beatam  ? 
Ecce  habeo  Regum,  leta  Saona,  decus. 

Qui  veult  nyer  qu'en  tout  eur  je  riabhonde, 
Quant  en  moij  est  Vonneur  des  Boys  du  inonde  ? 

\ .  Probablement  de  Yilla-Hermosa. 

2.  Aranda. 

3.  Le  bâtard  don  César  d'Aragon  était  pensionnaire  de  la  cour 
de  Franco  jjour  4,000  livres  (quittance  du  20  février  1502,  a.  st. 
TU.  orig.,  Aragon,  n»  3). 

4.  Capaccio. 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  347 

Le  Roy  doncques,  en  la  manière  susdite,  convoya 
le  Roy  d'Arragon  jusques  au  dedans  du  chasteau  et, 
eulx  descendus  de  cheval,  le  mena  jusques  en  la  salle, 
et  puys  conduyt  la  Royne  jusques  en  sa  chambre  ;  et, 
après  quelque  joyeulx  propos  tenus  entre  eulx ,  le 
Roy  avecques  ses  gens  s'en  alla  a  son  logis,  et  chascun 
des  autres  se  retirèrent  en  caze. 

Et  n'est  a  oublyer  que  le  Roy  d'Arragon,  voulant 
monstrer  la  grande  seureté  et  singulière  fience  qu'il 
avoit  du  Roy,  ne  voulut  menger  d'autres  viandes  que 
celles  qu'il  luy  avoit  faict  aprester,  sans  vouloir  estre 
servy  que  par  la  main  des  officiers  du  Roy  et  en  sa 
vaisselle,  dont  il  y  en  eut  d'or  a  grant  quantité,  et 
d'argent  a  places  couvertes.  Ausi,  pour  sa  personne 
et  pour  la  Royne,  ne  voulut  avoir  autres  lictz,  ne  dor- 
mir ailleurs  que  dedans  les  lictz  de  camp  et  le  linge 
que  le  Roy  avoit  faict  aprester  pour  eulx  au  chasteau . 

Ce  soir,  les  Roys  soupperent  chascun  a  son  logys, 
l'ung  et  l'autre  servis  d'une  sorte  de  vin,  de  pareilles 
viandes  et  par  mesmes  officiers,  c'est  assavoir  par  les 
officiers  du  Roy,  qui  misrent  extrême  dilligence  et 
toute  cure  pour  bien  servir  et  honnorablement  trecter 
le  Roy  d'Arragon,  car  ainsi  le  vouloit  le  Roy. 

Apres  soupper,  les  varletz  de  chambre  du  Roy 
furent  dresser  la  chambre  et  parer  le  lict  du  Roy  d'Ar- 
ragon, lequel  ne  voult  que  aucuns  des  siens  y  tou- 
chassent; ains,  premier  que  nul  desdits  officiers  du 
Roy  sortissent  de  la  chambre,  voulut  estre  couché. 
Et  ce  faict  chascun  se  retira. 

Au  dedans  du  chasteau  et  tout  autour  de  la  chambre 
du  Roy  d'Arragon  estoient  les  princes  d'Espaigne  qui 
la  estoyent,  comme  Gonsalles  Ferrande,  duc  de  Terre- 


348  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

nove,  et  sa  femme^  le  duc  de  Villeformose,  le  conte 
d'Arande,  le  marquys  de  Suye  et  aucuns  autres,  pour 
lesquelz  les  princes  et  seigneurs  de  France  avoyent  la 
faict  porter  et  dresser  de  leurs  lictz  de  camp  ce  qu'il 
y  en  failloit,  et  ausi  pour  les  dames  de  la  Royne,  tant 
que  chascun  fut  illecques  ausi  bien  couché,  ou  myeulx 
par  avanture,  qu'il  n'eust  esté  en  sa  propre  case. 

Le  Roy,  tantost  après  soupper,  voulut  reposer, 
comme  celuy  qui  toute  jour  n'avoit  eu  passetemps 
que  de  presse  et  de  bruyt,  dont  estoit  tout  ennuyé  et 
fatigué,  par  quoy  se  mist  au  lict  pour  prendre  repos. 

Les  seigneurs  et  autres  gentishommes  espaignolz, 
qui  estoient  logez  par  la  ville,  trouvèrent  leurs  cham- 
bres tandues  et  lictz  de  camp  dressez  que  les  Fran- 
çoys  leur  avoyent  la  faict  apprester,  et  le  banquet 
partout,  ou  messire  Jacques  de  Ghabbanes,  seigneur 
de  La  Palixe,  et  plusieurs  des  capitaines  françoys  et 
autres  gentishommes  de  la  maison  et  des  pencionnaires 
du  Roy  se  trouvèrent  pour  accueillir,  trecter  et  fes- 
tyer  les  Espaignolz,  combien  que,  peu  de  temps 
devant  ce,  eussent  entre  eulx  eu  mortelle  guerre  et  a 
la  deffortune  des  Françoys.  Mais  d'autre  chose  n'es- 
toit  lors  nouvelles  que  de  bien  festyer  lesdits  Espai- 
gnolz ;  ausi  estoit  ce  le  plaisir  du  Roy  et  courtoisie 
des  siens  :  de  quoy  lesdits  Espaignolz,  de  ce  rejoys  et 
contantz,  s'esmerveillerent,  en  recommandant  de 
moult  la  mode  liberalle  de  France. 

Le  cardinal  Saincte  Praxede,  légat  lors  en  Lombar- 
die,  estoit  a  Savonne  ;  lequel  délibéra  le  lendemain, 
jour  de  la  feste  sainct  Pierre  et  sainct  Pol,  de  chanter 

1.  Duna  Maria  Manrique  de  Hito-Banos. 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  349 

messe  en  note  au  grant  domme  de  Savonne,  pour 
l'onneur  du  prince  des  apostres,  duquel  estoit  la  grande 
sollempnité,  et  des  deux  plus  grans  Roys  de  la  chres- 
tienté,  qui  la  estoyent  presens;  et  pour  ce,  au  matin, 
sur  le  point  de  viii  heures,  avecques  plusieurs  des 
autres  cardinaulx  qui  la  estoyent,  et  tout  plain  d'eves- 
ques  et  autres  prelatz,  fut  prest  a  dire  la  messe,  a 
laquelle  se  voulurent  ensemble  trouver  les  Roys. 

Le  Roy  d'Arragon,  sachant  que  le  Roy  vouloit  aller 
a  ceste  messe,  luy  voulut  tenir  compaignye;  et  luy, 
avecques  grant  nombre  des  princes  et  seigneurs  d'Es- 
paigne,  descendit  du  chasteau  et  s'en  alla  au  logis  du 
Roy,  qui  ja  estoit  prest  et  l'actendoit  pour  aller  a 
l'eglize.  Les  archiers  de  la  garde  et  les  Allemans 
estoyent  arrengez  a  deux  rangz,  depuys  la  porte  de 
la  chambre  du  Roy  jusques  devant  le  grant  autel  du 
domme,  pour  la  faire  faire  place  et  départir  la  presse, 
qui  estoit  moult  grande.  Les  deux  Roys  furent  ensemble 
par  l'espace  d'une  bonne  heure,  ou  ung  peu  plus,  et 
la  parlèrent  de  toute  joyeuseté. 

Et,  lorsqu'il  fut  temps  d'aller  a  la  messe,  le  Roy, 
voyant  la  franchise  et  hberalité  du  Roy  d'Arragon, 
qui,  sans  autres  hostages  que  de  la  seulle  fience  qu'il 
avoit  en  luy,  s'estoit  ainsi  mys  entre  ses  mains,  se 
délibéra  luy  faire  tout  l'onneur  qu'il  pourroit,  et  luy 
dist  qu'il  se  mist  devant  :  lequel  ne  voulut,  disant 
qu'il  ne  luy  appartenoit,  et  qu'il  n'yroit  point.  Et 
voyant,  le  Roy,  qu'il  ne  vouloit  marcher,  dist  de 
rechief  :  «  Marchez  devant,  car  si  j'estoye  cheux  vous 
et  en  voz  pays,  sachez  que  je  feroye  ce  de  quoy  me 
prieriez  ;  et,  pour  ce  qu'estes  en  mes  pays,  vous  en 
ferez  ainsi,  car  je  le  veulx,  et  si  vous  en  prie.  »  Et,  ce 


350  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

dit,  le  Roy  d'Arragon  se  mist  devant,  et  le  Roy  après. 

A  l'issue  de  la  porte  du  logys  du  Roy,  a  luy  se  vint 
présenter  ung  nommé  Miquel  Pastor,  cathellan^,  capi- 
taine de  quatre  galleres  que  le  Roy  d'Arragon  avoit 
transmises  au  Roy  a  Gennes  ;  lequel  Pastor  demanda 
chevallerye  au  Roy,  et  qu'il  luy  pleust  le  faire  cheva- 
lier de  sa  main  :  ce  qu'il  fist  voluntiers,  en  luy  baillant 
l'accollée,  ou  nom  du  bon  chevalier  Sainct  George. 
Et,  ce  faict,  la  fut  ung  foui,  qui  estoit  au  Roy  d'Arra- 
gon, lequel  commainça  a  crier  a  plaine  teste  :  «  0  sei- 
gneur Miquel  Pastor,  le  très  eureulx,  qui  est  ores  faict 
chevalier  de  la  main  du  plus  noble  et  du  plus  grant 
Roy  de  tout  le  monde  !  » 

Tout  cela  faict,  les  Roys  cheminèrent  vers  l'eglize  ; 
a  leur  queue,  grant  suyte  de  princes  et  prelatz.  Ainsi 
cheminèrent  jusques  a  la  porte  de  ladite  esglize,  et  la 
se  prindrent  les  deux  Roys  par  les  mains,  le  Roy 
d'Arragon  a  la  haulte  main,  et  cheminèrent  jusques 
devant  le  grant  autel,  ou  avoit  deux  chaires  parées, 
desquelles  l'une  estoit  pour  le  Roy  et  l'autre  pour  le 
Roy  d'Arragon,  atouchant  l'une  de  l'autre  et  d'une 
mesme  haulteur;  et,  au  devant  desdites  chaires,  ung 
banc  couvert  de  drap  d'or,  de  la  haulteur  du  siège 
desdites  chaires,  ou  ung  peu  plus  hault,  pour  la  des- 
sus appuyer  les  Roys  et  eulx  agenoiller  devant;  et 
estoyent  assises  icelles  chaires  sur  main  destre,  en 
montant  audit  grant  autel.  A  main  senestre,  avoit  une 
autre  chaire  plus  haulte,  viz  a  viz  de  celle  des  Roys, 
ordonnée  pour  le  légat,  cardinal  Saincte  Praxede. 

Les  Roys  furent  en  leurs  chaires,  et  la  messe  comain- 

1.  Catalan. 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  351 

cée  par  les  chantres  du  Roy  d'Arragon  et  aucuns  de 
ceulx  du  Roy,  qui  la  n'avoit  mené  tous  les  chantres 
de  sa  chappelle,  pour  la  presse^.  Or,  s'en  alla  ledit 
cardinal  Saincte  Praxede,  en  ses  pontificaulx  habitz, 
devant  le  grant  autel,  ou  illecques,  tout  environné  de 
prelatz,  fist  l'introite  de  sa  messe  et  puys  se  retira  en 
sa  chaire,  tournant  la  face  vers  les  Roy  s  ;  et  la,  tout 
assix,  chanta  la  messe,  jusques  au  Per  omnia. 

Du  costé  des  Roys,  fut  mys  ung  grant  banc  de  long 
entre  le  grant  autel  et  les  chaires,  ou  furent  assix, 
premièrement  et  au  plus  hault,  Charles,  duc  d'Alençon  ; 
après,  GonsallesFerrande,  puys  le  conte  de  Vandosme  ; 
Francisque  de  Gonsago,  marquys  de  Mantoue  ;  Jehan 
Guillerme,  marquys  de  Monferrat,  et  quelques  autres 
des  seigneurs  d'Espaigne.  De  l'autre  costé,  estoyent 
assix  sur  ung  autre  banc  les  cardinaulx  d'Amboise, 
de  Nerbonne,  de  Sainct  Severin,  de  Final,  de  Bayeulx 
et  d'Alby,  avecques  tout  plain  d'arcevesques  et  eves- 
ques,  qui  estoyent  la  tous  droictz.  Tout  auprès  du  Roy, 
estoit  debout  Françoys  d'Orléans,  duc  de  Longueville, 
lequel  estoit  au  derrière  de  la  chaire,  appuyé  tout 
encontre;  ausi  estoyent  la  tout  autour  Jehan  Stuart, 
duc  d'Albanye,  Loys  d'Orléans,  marquys  de  Routhe- 
lin,  messire  Charles  d'Amboise,  grant  maistre  de 
France,  le  seigneur  Jehan  Jourdan,  Jacques  de  Bour- 
bon, conte  de  Roussillon,  messire  Jacques  de  Cha- 

1.  Louis  XII  aimait  fort  la  musique  (voy.  l'Épître  de  Marie 
d'Angleterre  dans  les  Épitres  familières  de  Bouchet).  De  Savone 
même,  il  écrivit,  le  27  juin,  aux  Florentins  pour  leur  demander 
la  grâce  d'un  détenu,  le  frère  Alexandre  «  Gopin,  »  tant  comme 
religieux  que  «  aussi  pour  les  vertu  et  sciencez  de  musique  qui 
sont  en  sa  persone  »  (GhampoUion-Figeac,  Documents  historiques 
inédits,  I,  676). 


352  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

bannes,  seigneur  de  La  Palixe,  et  tous  ses  chamber- 
lans,  avecques  grant  nombre  de  ses  gentishommes 
et  pencionnaires.  Autour  du  Roy  d'Arragon,  estoyent 
ausi  grant  nombre  de  princes  et  seigneurs  d'Espaigne. 
C'estoit,  a  bien  le  prendre,  une  assemblée  digne  d'ami- 
ration  et  de  triumphe  souverain. 

Que  fut  ce  ?  l'evangille  de  la  messe  fut  dict  par  ung 
evesque,  qui  faisoit  le  dyacre,  lequel,  après  ce,  prinst 
le  livre  ouvert  au  droict  de  l'evangille  et  le  porta  aux 
Roys  qui  estoient  apuyez  sur  le  banc,  et  joignant  l'ung 
de  l'autre;  et,  premièrement,  présenta  l'evangille  a 
baiser  au  Roy,  lequel  l'adressa  au  Roy  d'Arragon,  qui 
ausi  la  reffusa  ;  et,  ce  voyant,  l'evesque  arresta  le  livre 
ouvert  entre  eulx  deux;  lesquelz  tout  a  la  foys  bai- 
sèrent l'evangille,  l'ung  d'ung  costé  et  l'autre  d'autre. 

La  paix  fut  pareillement  portée  aux  Roys  par  ledit 
evesque,  lequel  ausi  la  présenta  premièrement  au  Roy. 
Mais  en  fut  faict  comme  de  l'evangille  :  car  tous  deux 
a  la  foys  la  baisèrent  au  pié,  qui  estoit  une  croix,  ayant 
le  bas  en  la  façon  et  largeur  d'ung  pié  de  calice. 

La  messe  dicte,  la  bénédiction  fut  donnée  par  ledit 
cardinal  Saincte  Praxede,  qui  avoit  la  toute  la  puis- 
sance du  pape  :  a  laquelle  les  Roys  et  toute  la  sei- 
gneurie plyerent  les  genolz  et  joignirent  les  mains. 

Et,  après  la  benedicion  donnée,  le  cardinal  d'Am- 
boise  se  leva  et  approcha  les  Roys,  en  leur  disant  qu'il 
failloit  aller  a  l'autel  pour  avoir  le  baiser  de  paix  ; 
lesquelz  se  misrent  a  marcher  vers  l'autel  ;  et  le  cardi- 
nal Saincte  Praxede  avança  le  pas  vers  eulx,  pour 
leur  donner  osculum  pacis;  et  la,  eut  refus  a  l'onneur 
d'ung  costé  et  d'autre.  Mais  le  Roy,  sachant  honneur 
estre  réciproque  et  retourner  a  qui  le  faict,  et  comme 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  353 

estant  cheux  luy,  voulut  tousjours  faire  l'onneur  au 
Roy  d'Arragon;  par  quoy  fîst  signe  audit  cardinal 
qu'il  s'adressast  premier  a  luy  :  ce  qu'il  fist,  puys  au 
Roy.  Ce  qui  sembloit  a  plusieurs  prejudicier  a  l'on- 
neur de  France,  disant  que  la  prééminence  d'onneur 
sur  tous  les  Roys  cristiens  appartient  au  Roy  de  France 
comme  au  plus  noble  des  humains,  et  que,  entre  autres, 
est  dit  seul  et  intitulé,  par  prérogative  et  excellence, 
le  Roy  Ghristianissime.  Mais  d'a[u]cune  chose  ne  peult 
prejudicier  au  Roy  l'onneur  par  luy  faict  a  autruy 
libéralement  et  non  accepté  par  auctorité,  comme  fist 
tousjours  le  Roy  d'Arragon,  qui,  a  tous  honneurs, 
refussa  l'avantaige,  premier  que  l'accepter,  sachant 
ausi  que,  par  le  maistre  des  cerimonies,  a  Romme, 
sur  et  devant  tous  autres  Roys  chrestiens,  le  Roy  de 
France  est  le  premier  aux  honneurs^. 

Pour  entrer  en  propos,  après  la  messe  dicte,  les 
Roys  s'en  allèrent  ensemble,  comme  devant;  et,  a 
l'issue  du  domme,  montèrent  sur  leurs  mulles  et  tirè- 
rent vers  le  logis  du  Roy,  jusques  devant  la  porte,  ou 
illecques  se  départirent.  Le  Roy  s'en  entra  en  son 
logis,  et  le  Roy  d'Arragon  s'en  alla  disner  au  chasteau. 

Apres  que  les  Roys  eurent  disné  chascun  a  son  logis, 
lesquelz  ancores  n'avoyent  ensemble  f^enu  propos  que 
de  joyeulx  passetemps,  pour  dire  de  plus,  sur  le  point 
de  XII  heures  du  matin,  le  Roy,  accompaigné  d'au- 

l.  Rome  était,  en  effet,  la  grande  régulatrice  du  cérémonial. 
Le  roi  de  France  y  passait  immédiatement  après  l'empereur, 
avant  les  autres  rois  (voy.  la  Diplomatie  au  temps  de  Machiavel. 
Cf.  Mémoires  concernans  la  préséance  des  roys  de  France  sur  les 
roys  d'Espaigne,  par  T.  Godefroy,  advocat  en  parlement.  Paris, 
Chevalier,  1612,  in-A". 

IV  23 


354  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

cuns  de  ses  princes  et  du  cardinal  d'Amboise,  s'en 
alla  au  chasteau  voir  le  Roy  d'Arragon,  lequel  luy 
vint,  a  bas,  au  devant.  Et  eulx  ensemble  remontèrent 
et  parlèrent  en  chambre,  touchant  aucunes  choses 
segretes  entre  eulx  ;  pour  lesquelles  communiquer  et 
deduyre,  et  que  l'affaire  d'entre  eulx  requeroit  quelque 
peu  de  prolixité  de  langage,  le  Roy  voulut  que  le  car- 
dinal d'Amboise,  en  qui  se  fyoit  de  moult,  eust  ceste 
charge  a  mener  et  a  trecter,  en  son  lieu,  avecques  le 
Roy  d'Arragon,  de  la  menée  entre  eulx  entreprise. 
Et,  pour  ce,  ledit  Roy  d'Arragon  et  le  cardinal  d'Am- 
boise se  retirèrent  dedans  une  chambre  a  part  ;  et  la 
furent  eulx  deux  ensemble  par  l'espace  de  troys  grosses 
heures  ou  plus.  Et  je,  qui  lors  estoye  la  dedans  une 
salle  avecques  plusieurs,  et  près  de  la  porte  de  la 
chambre  ou  se  tenoit  le  conseil,  combien  que  j'eusse 
bonne  envye  de  savoir  du  trecté  quelque  chose,  toutes- 
foys,  ce  fut  pour  moy  ung  segret  escript  en  lectres 
fermées  et  ung  conseil  célébré  a  porte  close.  Mais  l'op- 
pinion  de  chascun  estoit  que  la  se  trectoit  quelque 
amour  fraternelle,  perdurable  paix  et  seure  ahence. 
Que  fut  ce?  ledit  Roy  d'Arragon  et  ledit  cardinal 
d'Amboise,  après  leur  conclusion  faicte,  sortirent  de 
la  chambre  et  s'en  allèrent  en  la  chambre  ou  estoit  le 
Roy,  lequel  advertirent  de  tout  ce  qu'ilz  avoyent  trecté 
et  conclut.  Et  la  firent  les  deux  Roys,  entre  eulx,  les 
promesses  qu'ilz  voulurent  et  parlèrent  en  segret,  et 
premièrement  de  leurs  affaires. 

Et  après  ce,  le  Roy  fut  deviser  avecques  la  Royne 
d'Arragon,  sa  nyepce,  laquelle  puys  en  enmena  soup- 
per  a  son  logis,  avecques  grant  nombre  de  ses  dames 
et  des  seigneurs  d'Espaigne  pour  la  convoyer,  laquelle, 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  355 

après  soupper,  renmena  jusques  au  chasteau.  Et  la 
parlèrent,  luy  et  le  Roy  d'Arragon,  assez  long  temps; 
puys  s'en  retourna  a  son  logis,  ou  ledit  Roy  d'Arra- 
gon le  voulut  reconduyre  ;  mais  ne  le  voulut  souffrir. 

Tantost  que  le  Roy  fut  retourné  a  son  logis,  les  capi- 
taines des  gardes  furent,  avecques  les  quatre  cens 
archiers  et  les  cent  Allemans,  devant  et  tout  autour 
du  logis  du  Roy  ;  et  la  assirent  leurs  guectz,  ou  toutes 
les  gardes  estoyent  tousjours  :  ce  que  le  Roy  d'Arra- 
gon et  les  seigneurs  d'Espaigne  regardoyent  volun- 
tiers,  et  se  mectoyent  aux  creneaulx  du  chasteau  tous 
les  soirs,  pour  veoir  de  la  asseoir  le  guect,  ce  qui  fai- 
soit  beau  a  regarder  :  car,  sceion  commun  dire,  il  n'y 
avoit  prince  en  toute  chrestienté  qui  eust  telle  garde 
et  si  bien  ordonnée. 

Nouvelles  vindrent  lors  au  Roy  que  la  Royne  estoit 
grosse  ;  lesquelles  nouvelles  apporta  ung  nommé  mes- 
sire  Jehan  Le  Roux,  seigneur  de  la  Tour,  des  gentis- 
hommes  de  la  Royne,  auquel  le  Roy  fist  très  joyeuse 
chère,  et  fist  publier  les  nouvelles  par  tous  ses  pays 
de  delà  les  mons  ;  dont  furent  faictz  partout  les  feuz 
de  joye. 

La  Royne,  qui  lors  estoit  a  Grenoble,  ou  Daulphiné, 
d'eure  en  heure  avoit  nouvelles  du  Roy  et  si  grant 
envye  de  le  veoir  que  a  toute  heure  luy  escripvoit 
qu'il  s'en  retournast  en  France  ;  et  ausi  Madame  Claude 
luy  prioit,  par  tous  messagiers,  qu'il  s'en  revint  en 
ses  pays  :  par  quoy  luy  tardoit  qu'il  n'estoit  a  chemin, 
disant  que,  tout  en  l'eure  que  le  Roy  d'Arragon  seroit 
deslogé,  que  sans  séjour  se  mectroit  en  voye. 

Pour  continuer  propos,  doncques  le  lendemain  de 
la  feste  Sainct  Pierre  et  Sainct  Pol,  qui  fut  le  derre- 


356  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

nier  jour  du  moys  de  jung,  les  Roys  ouyrent  messe  a 
part  et  disnerent  chascun  a  son  logis. 

Et,  après  disner,  le  Roy,  avecques  grosse  suyte  de 
seigneurye  de  France,  fui  veoir  le  Roy  d'Arragon  au 
chasteau,  ou  la  divisèrent  longuement  ensemble. 

Puys  la  Royne  et  ses  dames  furent  en  place  pour 
dancer.  Les  Roys  dancerent  chascun  son  tour  ;  et  puys 
les  princes  estans  la  presens  et  autres  gentishommes 
françoys  et  espaignolz  ranforcerent  les  dances.  La  me- 
nèrent les  Roys  et  autres  de  leurs  suyte[s]  très  joyeuse 
vye  et  plaisant  passetemps,  qui  dura  jusques  sur  l'eure 
de  vespres.  Et,  lorsque  fut  temps  de  soupper,  le  Roy  en 
enmena  a  son  logis  le  Roy  et  la  Royne  d'Arragon  pour 
soupper  avecques  luy  ;  et,  lorsque  tables  furent  cou- 
vertes, les  Roys  et  la  Royne  lavèrent^  ensemble,  et 
après  fut  baillé  a  laver  a  Gonssalles  Ferrande .  L'acciepte 
fut  telle  que  le  Roy  fist  mectre  a  l'onneur  le  Roy  d'Arra- 
gon, puys  se  assist  après,  et  la  Royne  ^  en  enssuyvant  ; 
et  au  bas  bout  du  banc  fist  assoir  Gonssalles  Ferrande. 
Auprès  du  banc,  ou  estoyent  assix  les  Roys  et  Gons- 
salles^, du  costé  du  bas  bout,  fut  mys  ung  autre 
banc  et  une  petite  table  ;  et  la  fut  assize  une  dame  d'Es- 
paigne,  dame  d'honneur  de  la  Royne.  Durant  le  soup- 
per, furent  la  tenus  maintz  plaisans  propos  et  divisé 
de  choses  joyeuses,  et  les  Roys  très  haultement  ser- 
viz,  car  chascun  mectoit  dilligence  a  ce  faire.  Apres 


1.  Se  lavèrent  les  mains. 

2.  Les  Français  trouvèrent  à  la  reine  une  «  merveilleuse 
audace  »  et  l'accusèrent  de  peu  de  courtoisie,  même  envers  son 
propre  frère  Gaston  de  Foix  {le  Loyal  sej^viteur). 

3.  On  remarqua  extrêmement  l'honneur  rendu  par  Louis  XII 
à  Gonsalve  de  Gordoue  (Guichardin). 


Juin  1507]   DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  357 

soupper,  l'eau  fut  apportée  pour  laver  les  mains  :  si 
se  lavèrent  les  Roys  et  la  Royne  ensemble  ;  et  puys 
fut  baillé  a  laver  audit  Gonssalles  Ferrande,  qui  tenoit 
grosse  gravité.  Or,  furent  les  Roys  a  diviser  la  long 
temps  ;  et  après  sortirent  du  banc,  ou  tousjours  avoit 
demeuré  ledit  Gonssalles  quant  et  eulx. 

Le  Roy  d'Arragon  s'enquist  lors  ou  estoit  messire 
Hérault  Stuart,  seigneur  d'Aubigny,  disant  qu'il  le 
verroit  voluntiers,  pour  ce  qu'il  le  cognoissoit  moult 
bon  chevalier  et  sage,  et  que  autres  foys  l'avoit  veu  en 
Espaigne  et  en  Grenade  a  son  secours  contre  les  Mores, 
et  la  faire  maintes  proesses  ;  dont  avoit  grant  envye 
de  le  veoir.  Lequel  seigneur  d'Aulbigny  estoit  en  la 
ville  malade  de  goûte  a  son  logis.  De  quoy  fut  adverty 
le  Roy  d'Arragon,  lequel  dist  :  «  Et  vrayement,  puys- 
qu'il  est  malade  et  qu'il  ne  peut  venir  icy,  je  l'iray 
veoir  jusques  a  son  logis.  —  Or,  allez,  dist  le  Roy,  et 
ce  pandant,  je  meneray  la  Royne  a  l'esbat.  »  Et  dist 
a  messire  Gabriel  de  La  Ghastre  :  «  Allez  avecques 
voz  cent  archiers  conduyre  le  Roy  d'Arragon  jusques 
au  logis  de  mons""  d'Aulbigny.  »  Et  ce  dit,  le  Roy 
d'Arragon  et  Gonssalles  Ferrande,  avecques  grousse 
suyte  de  barronnye  d'Espaigne  et  de  France,  et  mes- 
sire Gabriel  de  La  Ghastre  avecques  ses  cent  archiers 
pour  le  conduyre,  s'en  alla  droict  au  logis  du  seigneur 
d'Aulbigny  :  lequel  estoit  tant  pris  de  goûte  qu'il  ne 
se  pouvoit  lever  sans  ayde  ;  et,  lorsqu'il  sceut  que  le 
Roy  d'Arragon  luy  faisoit  l'onneur  de  le  venir  veoir 
jusques  a  son  logis,  se  fist  lever  et  porter  en  une 
chaire  jusques  a  la  porte  de  sa  chambre,  ou  le  Roy 
d'Arragon  le  trouva,  comme  il  se  faisoit  porter  au 


358  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juin  1507 

devant  de  luy  jusques  dehors  ;  ou,  si  tost  qu'il  apper- 
ceut  le  Roy  d'Arragon,  se  fîst  mectre  bas,  le  genoil 
en  terre,  et  dist  :  «  Ha  !  sire,  et  commant  pourray  je 
a  suffire  rendre  grâces  a  vostre  catliolicque  magesté, 
d'avoir  pour  moy  prise  la  peine  a  venir  jusques  cy 
quant  je  plustost  me  devoye  a  piedz  et  a  mains  ache- 
miner que  vous  veoir  prendre  ce  travail.  Mais  plaise 
vous  savoir,  sire,  que  l'empeschement  de  mon  mal 
(qui  tant  ne  me  griefve  que  l'ennuy  de  vostre  peine) 
m'a  defFendu  la  voye  et  coppé  le  chemin  et  mys  en 
Testât  que  chascun  me  peut  veoir.  Toutesfoys,  sire, 
pour  le  boneur  de  vostre  joyeuse  Visitation,  mon  mal 
est  tout  alliegé,  et  moy  tout  sain,  ce  me  semble.  » 
Lors  le  Roy  d'Arragon  approcha  le  seigneur  d'Aulbi- 
gny  et  mist  pié  a  terre,  puys  l'embrassa,  en  luy  fai- 
sant moult  bonne  chère  et  joyeulx  visage.  Gonssalles 
Ferrande,  pareillement,  et  les  autres  seigneurs  d'Es- 
paigne,  qui  la  estoyent,  luy  firent  grant  honneur;  et 
puys  le  Roy  d'Arragon  le  fist  retourner  en  sa  chambre 
et  remectre  au  lict,  ou  s'assist  auprès  de  luy.  La  fut 
apporté  la  collacion,  ou  beurent  ensemble,  et  ceulx 
qui  la  furent  presens. 

Le  Roy  d'Arragon  et  le  seigneur  d'Aulbigny  divi- 
sèrent longuement,  en  parlant  de  leurs  vieilles  guerres 
de  Grenade  et  de  plusieurs  autres  bons  propos  et 
joyeuses  choses  ;  et,  ce  faict,  ledit  Roy  d'Arragon  dist 
adieu  audit  seigneur  d'Aulbigny  et  s'en  retourna  au 
chasteau,  les  archiers  du  Roy,  a  pié,  autour  de  luy,  et 
messire  Gabriel  de  La  Ghaslre,  auquel  parla  tout  le 
long  de  la  rue  jusques  au  chasteau,  et  luy  demanda 
du  faict  et  de  Testai  des  gardes  du  Roy  et  de  ses 


Juin  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.  359 

gentishommes,  qu'il  reputoit  a  grande  chose  et  trium- 
phalle  ordonnance^. 

Tandis  que  le  Roy  d'Arragon  fut  au  logis  du 
s""  d'Aulbigny,  le  Roy  avoit  mené  la  Royne  d'Ar- 
ragon sur  la  marine  a  l'esbat,  ou,  des  navires  et 
galleres  de  France  et  d'Espaigne  qui  la  estoyent, 
furent  tirez  coups  d'artillerye  a  l'envyz,  et  la  dedans  les 
mathellotz  se  gecterent  d'amont  en  bas  et  donnèrent 
au  Roy  divers  passetemps  ;  et  puys  le  Roy,  qui  avoit 
la  Royne  d'Arragon  en  crouppe  derrière  luy,  l'en  rem- 
mena au  chasteau,  ou  ja  estoit  le  Roy  d'Arragon,  qui 
se  trouva  en  la  basse  court  au  devant  du  Roy  ;  et  la 
firent  collacion  et  parlèrent  quelque  temps  ensemble, 
puys  chascun  s'en  retira. 

Dedans  les  galleres  du  Roy  d'Arragon  estoient  lors 
plusieurs  Françoys  tenus  par  force,  lesquelz  avoyent 
esté  priz  durant  le  temps  des  guerres  de  Naples  et 
mys  en  galiere  :  dont  les  aucuns  furent  cognuz  et  leur 
cas  remonstré  au  Roy,  qui  les  demanda  audit  Roy 
d'Arragon  ;  lequel  les  promist  a  faire  délivrer,  ce  qu'il 
fist  depuys. 

Apres  que  le  Roy  et  le  Roy  d'Arragon  furent  dépar- 
tis du  chasteau,  comme  j'ay  dit,  le,  Roy  d'Arragon 
transmist  a  Gaston,  conte  de  Foix,  son  beau  frère, 
deux  colliers  d'or,  jusques  a  son  logis,  avecques  une 
raspiere  et  la  saincture  pour  mectre  en  escherpe,  le 
tout  riche  a  merveilles  :  car  les  deux  chaynes  pesoyent 
chascune  mille  escus,  desquelles  l'une  estoit  faicte  a 
quatre  groux  chaynons  doubles,  et  l'autre  a  menu 
ouvraige,  laquelle  pouvoit  faire  plusieurs  tours  au- 

1 .  D'après  le  Loyal  serviteur,  le  roi  d'Aragon  témoigna,  de  son 
côté,  beaucoup  de  considération  à  Louis  d'Ars  et  à  Bayard. 


360  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

tour  du  coul,  et  toutes  garnyes  de  riche  pierrerye. 

Lorsque  le  Roy  fut  retiré  en  sa  chambre,  les  capi- 
taines de  gardes  assirent  leurs  guectz  tout  autour  de 
sa  chambre  et  de  son  logis,  en  manière  qu'il  se  pou- 
voit  dormir  tout  seurement. 

Ausi  fut  faict  comandement  de  par  le  Roy,  a  la  peine 
de  grosse  amende,  par  toute  la  ville  de  Savonne,  que, 
incontinent  le  jour  couché,  chascun  chief  d'oustel  eust 
a  mectre  devant  sa  fenestre,  sur  la  rue,  une  torche 
ou  chandelle  ardant  jusques  au  jour,  affin  que,  de 
nuyt,  par  les  rues,  n'y  eust  nulle  brigue,  et  que  nul 
ne  peust  aller  ne  sortir  en  rue  qui  ne  fust  cognu  et 
ad  visé  :  ce  qui  fut  faict  continuellement  durant  le  temps 
que  le  Roy  d'Arragon  fut  audit  lieu  de  Savonne,  et 
tellement  que  par  la  ville  faisoit  la  nuyt  ausi  cler,  ou 
a  peu  près,  que  de  jour. 

La  n'eut,  entre  les  Françoys  et  Espaignolz,  une 
seule  question  ne  parolle  que  d'amytié.  Ausi  avoit  faict 
le  Roy  deffendre  a  tous  Françoys,  a  peine  de  la  hart, 
de  ne  prendre  débat  ne  dire  parolles  injurieuses  aus- 
dits  Espaignolz,  et  comandé  que  chascun  mist  toute 
peine  de  les  bien  trecter  et  accueillir  :  ce  que  chascun 
fist  a  son  pouvoir. 

Le  premier  jour  du  moys  de  juillet,  les  Roys,  après 
leur  messe  ouye'',  disnerent  chascun  a  son  logis;  et, 
le  vespre  venu,  le  Roy  et  la  Royne  d'Arragon  furent 
soupper  au  logis  du  Roy,  ou,  comme  devant,  mist  ledit 
Roy  d'Arragon  a  l'onneur,  combien  que  tousjours  le 
refusast,  le  bonnet  au  poing,  mais  ainsi  le  failloit  faire 
pour  le  mieulx.  A  ce  soupper,  furent  les  Roys  servys 

1.  Louis  XII  l'entendait  tous  les  jours  (Arch.  nat.,  KK.  88, 
fol.  171  v). 


Juillet  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.         361 

par  les  officiers  du  Roy,  qui  très  appoinct  s'en  acqui- 
terent,  comme  costumiers  de  ce  faire.  Viandes  exquises 
et  vins  delicieulx  furent  a  largece  la  mys  en  avant,  et 
faict  entre  les  Roys  vie  privée  et  familière,  et  chère 
joyeuse  et  amyable. 

Messire  Charles  d'Amboise,  grand  maistre  de  France 
et  lieutenant  du  Roy  delà  les  mons,  fîst  a  celuy  soir  son 
banquet  a  Gonsalles  Ferrande,  ou  furent  plusieurs  des 
autres  princes  et  seigneurs  d'Espaigne  :  pour  lesquelz 
festyer  et  entretenir  furent  la  des  Françoys  ceulx  les- 
quelz on  extimoit  plus  sollempnelz  et  gens  de  feste  ; 
et  entre  autres  y  estoit  messire  Jacques  de  Chabbanes, 
seigneur  de  La  Palixe,  lequel  estoit  moult  beau  che- 
valier et  grant,  et  l'ung  des  plus  hardis  et  adroictz, 
et  des  myeulx  extimez  qu'on  sceust,  que  plusieurs  des 
Espaignolz  qui  la  estoyent  cogneurent  bien,  car  autres 
foys  l'avoyent  veu  en  la  Poille  et  en  des  lieulx  ou  plus 
le  doubtoyent  a  rancontrer  que  audit  banquet,  ou 
ledit  seigneur  de  La  Palixe  et  les  autres  Françoys  qui 
la  estoyent  mectoyent  toute  dilligence  a  bien  trecter 
et  entretenir  ledit  Gonssalles  et  les  autres  seigneurs 
d'Espaigne.  Ausi  messire  Charles  d'Amboise,  qui  fai- 
soit  le  banquet,  leur  faisoit  la  meilleur  chère  de  quoy 
se  pouvoit  adviser,  et  de  l'onneur  ce  qu'il  pouvoit. 

A  toutes  ses  bonnes  chères  estoyent  gentishommes 
atitrez  pour  quaqueter  a  plaisir  et  dire  choses  nou- 
velles et  plaisantes;  desquelz  estoyent  messire  Mery 
de  Rochechouart,  seigneur  de  Mortemar,  qui  disoit 
merveilles,  messire  Germain  de  Ronneval,  gouverneur 
de  Limosin,  le  seigneur  de  Janlys  et  tout  plain  d'autres 
gentishommes,  lesquelz  a  l'envy  dirent  estranges  nou- 
velles, et  firent  nouveaulx  comptes,  et  donnèrent  a 


362  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

iceulx  Espaignolz  tant  de  divers  passetemps  que,  après 
ce,  disoyent  que  oneques  n'avoyent  trouvé  meilleur 
compaignye  ne  si  plaisante. 

Or  eurent  souppé  les  Roys  et  la  Royne,  et  après 
s'en  allèrent  dedans  ung  beau  jardrin  la  dedans  bien 
cloz  a  grosses  murailles  crenellées  et  fenestrées  au  bas 
par  ou  l'on  regardoit  sur  la  mer,  qui  batoit  de  ce  costé. 
Le  Roy  et  la  Royne  d'Arragon,  sa  nyepce,  s'assirent 
dedans  leurs  chaires,  encontre  une  des  fenestres  qui 
regardoit  en  la  mer,  et  la  divisèrent  longtemps  en- 
semble. Le  Roy  d'Arragon  et  le  cardinal  d'Amboise 
estoyent  ausi  assix  sur  leurs  chaires,  contre  une  des 
autres  fenestres  regardant  sur  mer,  lesquelz  pareille- 
ment divisèrent  de  plusieurs  choses  et  longuement  : 
ou  estoyent  assistans  les  cardinaulx  de  Nerbonne,  de 
Sainct  Severin,  de  Final  et  d'Alby,  l'arcevesque  de 
Sens,  l'arcevesque  d'Ays,  l'evesque  de  Paris,  l'evesque 
de  Lodeve,  l'evesque  de  Marseille,  l'evesque  de  Gis- 
teron*  et  d'autres  prelas  et  seigneurs  d'Eglize,  a  grant 
nombre;  pareillement  y  estoyent  le  duc  de  Longue- 
ville,  le  duc  d'Albanye,  le  conte  de  Foix,  le  conte  de 
Vandosme,  le  marquis  de  Mantoe,  le  marquys  de  Mon- 
ferrat;  ou  ausi  se  trouvèrent  Gonssalles  Ferrande, 
messire  Charles  d'Amboise,  messire  Jacques  de  Ghab- 
banes,  et  tous  les  autres  espaignolz  et  françoys  qui 
avoyent  estez  au  banquet  que  avoit  faict  ledit  messire 
Charles  d'Amboise.  Et  ainsi,  dedans  celuy  jardrin, 
fut  la  joyeusement  passé  la  serée  et  plusieurs  bons 
propos  mys  sus. 

Et,  lorsqu'il  lut  heure  de  se  retirer,  le  Roy  dist  au 

1.  François  de  Dinteville. 


Juillet  1507]  DE  LA  VENUE  ...  DU  ROY  D'ARRAGON,  ETC.         363 

Roy  d'Arragon  qu'il  allast  devant,  disant  :  «  Je  mene- 
ray  la  Royne  après;  allez,  dist-il,  vous  et  mons'  le 
cardinal.  »  Ce  qu'il  fist,  ledit  cardinal  d'Amboise 
main  a  main  ;  et  le  Roy  prist  la  Royne  d'Arragon  a 
la  haulte  main  et  dist  a  Gonssalles  :  «  Prenez  la  Royne 
a  l'autre  costé,  seignor  Gonssalles?  »  Lequel,  le  bon- 
net au  poing  et  le  genoil  bas,  approcha  la  Royne  et 
la  prinst  a  l'autre  main  ;  et  ainsi  s'en  allèrent  avecques 
grande  suyte  de  noblece,  en  marchant  jusques  hors  la 
porte  du  logis.  La  furent  mules  et  haquenées  prestes 
pour  monter  les  Roys,  les  seigneurs  et  les  dames  qui 
estoient  la.  Le  Roy  d'Arragon  fut  monté,  et  le  Roy 
ausi,  lequel  fist  monter  la  Royne,  sa  nyepce,  en 
cruppe  derrière  luy.  Les  dames  de  la  Royne,  et  quel- 
ques autres  des  princes  et  prelatz  et  autres  gentis- 
hommes  qui  la  furent,  montèrent  a  cheval.  Et,  ce  faict, 
le  Roy  et  le  Roy  d'Arragon,  tous  deux  de  front,  mar- 
chèrent droict  au  chasteau  et  toute  la  seigneurie  après  ; 
et,  eulx  montez  amont,  s'arresterent  au  pié  des  degrez 
de  l'eschelle  par  ou  l'on  monte  en  la  salle  du  chasteau, 
ou  le  Roy  d'Arragon  descendit  de  sa  mulle,  et  luy 
mesmes  ayda  a  la  Royne  sa  femme  a  descendre,  et 
puys  osta  son  bonnet  de  dessus  le  chief,  en  remercyant 
le  Roy  de  l'onneur  que  a  luy  et  a  la  Royne  luy  avoit 
pieu  de  faire. 

Quelque  peu  de  temps  parlèrent  et  divisèrent  illec- 
ques  ensemble,  et  conclurent  de  tout  leur  affaire  ;  et, 
comme  fut  dit,  promirent  l'ung  a  l'autre  d'eulx 
secourir  et  ayder  envers  tous  et  contre  tous,  tant  que, 
pour  comaincer,  le  Roy  d'Arragon,  sachant  que  le 
Roy  des  Rommains  se  deliberoit  de  vouloir  faire  la 
guerre  au  Roy  et  entrer  en  Lombardie,  donna  la  charge 


364  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

a  Gonssalles  Ferrande  d'envoyer  a  Naples  quérir  six 
mille  Espaignolz  qu'il  avoit  la  lessez,  pour  venir  en 
Lombardye  au  secours  du  Roy,  si  besoing  en  avoit ^. 

Ausi  dist  le  Roy  d'Arragon  au  Roy  que  le  lende- 
main, au  vouloir  de  Dieu,  se  mectroit  sur  mer  pour 
s'en  aller  en  Espaigne  :  de  quoy  le  Roy  adverty,  com- 
manda a  ses  maistres  d'ostelz  qu'ilz  fissent  advitailler 
de  pain,  de  vins  et  de  chairs  toutes  les  galleres  et 
fustes  dudit  Roy  d'Arragon,  si  appoinct  que  ce  fust 
pour  le  conduyre  et  defFrayer  tout  son  train  jusques 
a  ses  pays,  et  que,  par  toute  la  ville  de  Savonne, 
fussent  tous  les  Espaignolz  ausi  deffrayez. 

Le  Roy,  revenu  a  son  logis,  s'en  alla  prendre 
repoux.  Et  chascun  print  le  chemin  de  son  Cartier  et 
se  retira  en  caze. 

XXXIX. 

Des  noms  d'aucuns  des  officiers  de  la  maison  du 
Roy,  lesquelz  se  trouvèrent  et  servirent  a  ce 

VOYAGE. 

Tandis  que  les  Roys,  que  j'ay  lessez  en  leurs  cham- 

1.  Le  secret  des  délibérations  fut  très  bien  gardé,  et  les  histo- 
riens, réduits  comme  le  public  aux  conjectures,  ont  cru  à  des 
pactes  qui  n'existèrent  pas  (voy.  Razzi,  Vita  di  Piero  Soderini, 
p.  27).  Le  cardinal  de  Sainte-Praxède,  tenu  à  l'écart,  fit  seul 
quelques  confidences,  qui  ne  sont  pas  exactes  (Filippi,  il  Convegno 
in  Savona  tra  Liiigi  XII  e  Ferdinando  il  cattolico.  Savona,  1890, 
in-S").  En  réalité,  les  rois  convinrent  seulement  du  statu  quo. 
Nous  avons  dit  le  dernier  mot  de  cette  remarquable  entrevue, 
d'après  l'engagement  signé  par  Louis  XII  le  30  juin  1507,  enga- 
gement qui  se  trouve  aux  archives  de  Simancas,  dans  notre 
mémoire  rE7}trevuc  de  Savone,  1507  (Paris,  Leroux,  1890,  in-8o). 


Juillet  1507]  D'AUCUNS  OFFICIERS  DE  LA  MAISON  DU  ROY.    365 

bres,  reposèrent,  en  continuant  propos,  et  a  celle  fin 
ausi  que  tous  ceulx  qui,  a  ce  très  heureux  et  reco- 
mandable  voyage  de  Gennes,  ont,  a  la  guerre  et  la 
paix,  accompaigné  et  servy  le  Roy,  ne  soyent,  par  def- 
fault  de  mémoire,  frustrez  de  loyer  de  l'onneur  de 
l'affaire,  et  que  leurs  biensfaictz  ne  soyent  ores  mes- 
cogneuz  ne  en  l'avenir  oublyez  ;  après  avoir  faict  récit 
des  noms  et  description  des  faictz  de  ceulx  que  j'ay 
peu  veoir  a  l'ueil  en  besongne,  et  ouy  le  vray  dire 
des  ungs  sur  l'affaire  des  autres,  pour  parler  de  tout, 
ay  voulu  cy  nommer,  des  officiers  et  domestiques  de 
la  maison  du  Roy,  ceulx  qui  s'ensuyvent  : 

Premièrement,  de  la  chapelle  du  Roy. 

Maistre  René,  cardinal  de  Prye,  maistre  de  ladite 
chappelle  ;  l'evesque  de  Perigueulx ,  aumosnier  du 
Roy;  frère  Anthoine  de  Furno,  confesseur  du  Roy*, 
avecques  tous  les  chappellains^  et  chantres  de  sadite 
chappelle. 

Les  chambellans. 

Françoys  d'Orléans,  duc  de  Longueville;  messire 
Loys  d'Albih,  seigneur  de  Piennes^;  messire  Jehan 
d'Amboise,  seigneur  de  Rucy  ;  messire  Berault  Stuart, 
seigneur  d'Aulbigny;  messire  Françoys  de  Roche- 
chouart,  seigneur  de  Champdenyer  ;  messire  Robinet 

1.  Évêque  de  Marseille. 

2.  Parmi  lesquels  Jean  d'Auton,  qui  s'omet  modestement.  II 
convient  de  dire  qu'il  omet  aussi  la  présence  de  Jean  Marot. 

3.  Louis  de  Hallwyn,  seigneur  de  Piennes,  chevalier  de  l'ordre 
{TU.  orig.,  Hallwyn,  n^^  11-16).  Son  héritier,  Jean  de  Hallwyn, 
bâtard  de  Piennes,  fut  reçu  dans  la  compagnie  des  cent  gentils- 
hommes du  roi  (commandant,  le  duc  de  Longueville)  (fr.  26113, 
1331). 


366  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

de  Fremezelles  ;  le  seigneur  du  Bouchage  ;  le  seigneur 
du  Gouidray  ^ . 

Les  maistres  (Vosteh. 

Messire  Charles  d'Amboise,  grant  maistrede  France  ; 
Jehan  Guerin,  seigneur  de  Goulumbiers;  messire  Ri- 
gault  Doreille,  seigneur  de  Villeneufve^;  le  seigneur 
de  Ghasteaudreulx  ;  le  seigneur  de  Luppé  ;  le  seigneur 
Sourdon  ;  le  gouverneur  de  Goussy,  Georges  d'Aucy  ; 
le  seigneur  de  Beaumont;  le  seigneur  de  Gongres- 
sault;  Loys  Herpin;  le  seigneur  de  Brillac. 

Pannetiers  et  varlets  tranchans. 

René  de  Gossé,  premier  pannetier;  messire  Jehan 
de  Sainctz,  seigneur  de  Marigny  ;  le  seigneur  de  Pal- 
luau  ;  le  bailly  de  Gaen  ;  le  seigneur  d'Urtebiz%  et  Brillac . 

Les  varletz  de  chambre. 

Gharles  de  Rochechouart,  seigneur  de  Monpipeau, 
premier  varlet  de  chambre  ;  Françoys  de  Grussol,  sei- 
gneur de  Beaudigner;  Pierre  de  Tardes;  Guyot''^  de 
la  Baulme  ;  Jehan  de  la  Loue  ;  maistre  Jacques  le  cirur- 
gien  ;  Macé  de  Villebreme  ;  Guillemin  le  barbier  ;  Per- 
rinet  Tenot  ;  Nantier  ;  Rifflart  ;  Oudin  de  Mondousset  ; 
Bigue^. 

Maistre  Anthoyne  Tavart  ;  Guillemin  de  Marques  ; 

1.  Jean  du  Puy,  seigneur  du  Coudray  et  de  Dames  en  Berry, 
grand  maitre  des  eaux  et  forêts  (ms.  Glairamb.  782). 

2.  Et  de  Golombines,  sénéchal  d'Agen  et  de  Gascogne  (1511. 
Ms.  Glairamb.  782). 

3.  Louis  de  Hurtebye,  seigneur  dudit  lieu,  au  pays  de  Gou- 
tances  (fr.  26107,  n»  248). 

4.  D'Apchier,  seigneur  de  la  Baume. 

5.  Jean  de  la  Bigue,  ou  de  Bigue,  poète. 


Juillet  1507]  D'UNG  PETIT  TRECTÉ  BAILLÉ  LORS  AU  ROY.       367 

Françoys  Planchete  ;  Andrieu  de  Paule,  maistre  de  la 
fouriere. 

De  la  garde  robbe. 

Guillaume  Gaspart,  maistre  de  la  garde  roble  (sic)  ; 
Symon  Billou,  porte  manteau. 

Les  médecins. 
Maistre  Salmon  ;  maistre  André*.  Maistre  Guillaume 
de  Sauzay,  libraire  du  Roy. 

Les  hussiers  de  salle. 
Allabre  de  Saulle,  premier  hussier  ;  Phelippe  de 
Pomperye,  dict  Popo;  Guillaume  Furet;  Jehan  d'Or- 
léans ;  Jannot. 

Les  mareschaulx  des  logis  et  les  fourriers. 
Anthoyne  de  Pierrepont,  dict  d'Arizolles,  et  Pierre 
de  Montallembert,  seigneur  de  Granzay,  mareschaulx 
des  logis. 

Les  fourriers. 

Jehan  de  Foville  ;  Henry  de  Mauville  ;  Bernard  Pel- 
letan  ;  Guillaume  Pailler  ;  Georges  GifFart  ;  Mathurin 
Richart,  dict  Bazoges  ;  Jehan  Goppin  ;  Jehan  Roux  ; 
Estienne  Durant  ;  Charles  Ganche  :  Pierre  de  Gordon  ; 
Hamellot;  Girouart;  Louys  Gharnyer^ 

Lesquelz  furent  audit  voyage  de  Gennes. 

XL. 

D'UNG  PETIT  TRECTÉ,  SUR  l'eXIL  DE  GeNNES,  FAICT  PAR 
BALLADES,  BAILLÉ  LORS  AU  ROY. 

Durant  les  triumphes  et  entrées  du  Roy  en  ses  villes 
1.  André  Buau. 


368  CHRONIQUES  Ï)E  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

de  Lombardye,  et  l'assemblée  de  luy  et  du  Roy  d'Ar- 
ragon  après  la  prise  et  réduction  de  Gennes  la  sup- 
perbe,  je,  lors  suyvant  la  court  partout,  avecques  mes 
tablettes,  pour  enregistrer  les  faictz  de  ce  temps,  en 
tous  lieulx  ou  pouvoye  trouver  estrangiers,  me  reti- 
roye  pour  savoir  nouvelles,  et  tant  m'en  enquys  aux 
Gennevoys,  aux  Romipetes,  aux  Allemans  et  Venis- 
siains,  desquelz  avoit  tousjours  en  court,  que  je  sceu 
comment  Gennes  se  complaignoit  de  Romme,  d'Alle- 
maigne  et  de  Venise,  pencent  devoir  avoir  eu  d'icelles 
secours,  et  commant  Romme,  mal  contente  de  la  prise 
de  Gennes  et  de  son  servaige,  la  consolloit  de  ce 
qu'elle  pou  voit,  comme  sa  confédérée  amye  et  de 
nouveau  alyée;  pareillement  fuz  adverty  commant 
Allemaigne  a  ceste  cause  estoit  très  mutinée  et  marrie, 
preste  a  luy  donner  secours  contre  France,  si  elle 
eust  peu  ;  mais  deffault  d'argent  l'arrestoit,  et  gardoit 
d'aller  avant  ^,  et  aussi  comme  Venise,  tirant  au  plus 
apparant,  comme  non  asseurée  de  France,  calloit  la 
voisle,  et,  pource  qu'elle  ne  luy  pouvoit  nuyre,  se  tenoit 
de  son  party,  comme  du  party  des  plus  fors.  Dont 
toutes  ses  choses  ouyes  et  sceues  au  vray,  sur  ce,  le 
trecté  qui  s'ensuyt,  pour  bailler  au  Roy  audit  lieu  de 
Savonne,  composay,  et  l'atachay  a  ma  cronicque-  : 

Mars,  ascendant  en  la  clere  maison 

1.  Cf.  le  discours  adressé  par  l'évêque  de  Lodève,  Guillaume 
Briçonnet,  à  Jules  II  (plaq,  contemp.  :  Bretonneau,  Histoire  de 
la  maison  de  Briçonnet) . 

2.  Cette  pièce  fut  imprimée  à  la  suite  de  les  Triumphes  de 
France,  de  Jehan  d'Ivry,  pour  Guillaume  Eustace,  petit  in-4", 
en  1509,  sous  ce  titre  :  «  Lexil  de  Gennes  la  superbe,  faict  par 
frère  Jehan  Danton,  historiographe  du  Roy.  »  Elle  est  suivie  de 
«  Lepitaphe  de  maistre  Guy  de  Rochefort,   feu   chancellier  de 


Juillet  1507]  D'UNO  PETIT  TRECTÉ  BAILLÉ  LORS  AU  ROY.      369 

Du  Scorpion  exploictant<  sa  saison 
Par  les  degrez  a  son  cours ^  ordonnez-, 
Ses  yeulx  ardans,  a  fureur  inclinez, 
Et  la  forme  de  sa  rude  figure 
Gecla  sa  bas  sur  les  fins  de  Ligure, 
Pour  esmouvoir  a  guerres  et  contemps 
Sa  région  et  tous  les  habitans. 

Lors  Neptunus,  gouverneur  de  la  mer, 
Fist  grosses  nefz  et  carraques  armer. 
Et  desplyer3  leurs  trinquetz  et  leurs  voisles, 
Dont  Eolus  mist  ses  vens  sur  les  belles 
Pour  avancer  le  veslan  et  conduyre; 
La-*  vint  Aquille  artique  en  la  mer  bruyre; 
Vulturne  ausi,  du  gouffre  oriental, 
Et  Gercius^,  le  vent  occidental. 
Le  pestiffere  Auster  vint  du  mydy 
Sur  les  ondes  soufflant  a  l'estourdy  ; 
La  furent  tous  les  autres  vens  en  trouppe^, 
L'ung  en  prore'^,  l'aultre  en  rate  et  en  pouppe, 
Ghascun  au  lieulx  ordonnez  et  prefix  ; 
Pallinurus,  Amiclas  et  Tephis 
Issirent  lors  des  paludz^  infernaulx 
Pour  gouverner  barques,  fustes  et  naulx, 
Et  a  leur  port  mener  le  navigage. 

Près  Acheron,  sur  le  bort  du  rivage 
De  Flegyas,  en  profondes  cavernes^ 
Les  Gicloppes,  mareschaulx  des  Avernes, 
Martellerent  glayves,  escuz  et  armes-, 
Puys,  Vulcanus,  en  forgant  ses  allarmes, 
Gros  tonnerres^  vomist  a  plaine  gorge; 

France,  translaté  de  latin  eu  françois  par  le  dessusdit.  »  Nous 
indiquons  en  note  les  principales  variantes  de  l'imprimé,  posté- 
rieures au  manuscrit. 

1.  Var.  imprimée  Expletant.  —  2.  Corps.  —  3.  Desploiant.  — 
4.  Lors.  —  5.  Cercinus.  —  6.  Trompe.  —  7.  Présent.  —  8.  Palays. 
—  9.  Tonnoires. 

IV  24 


370  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

Yris  ausi  picques  et  noises^  forge, 

Hayne  et  discors,  en  lieu  de  poignans  darlz, 

Pour  convoyer  2  en  guerre  les  souldartz; 

Apres  survint  EriLhoine  tout  presl, 

Qui  de  curres  avoit  faict  grant  appresl 

Pour  charyer  au  besoing  le  sommage, 

Et  aux  vainqueurs  faire  honneur^  et  hommage; 

Puys^  Bellona  fist  corner  sa  bucyne, 

Tant  que  Hercules  fut  quérir  Proserpine 

Et  délivrer  des  ongles  de  Pluto, 

Gerberus,  Mort,  Megere  et  Aletho; 

Du  Laberinthe  yssit  le  Mynostaure, 

Accompaigné  de  Nesus^  le  centaure 

Et  de  Millon,  actendant  sur  les  stades 

Les  griefz  effors  des  mons  Olimpiades, 

Ge^  qui  a  cler  signifye  et  demonstre 

Que  la  guerre  veult  la  faire  sa  monstre. 

Que  fut  ce  lors?^  sedicions  civilles, 
Les  Liures  eurent  emmy  ^  leurs  villes, 
Tant  que  les  ungs  les  autres  exillerent 
Et  les  maisons  Tung  a  l'autre  pillèrent; 
Puys  voulurent  les  Gaules  debeller 
Et  contre  tous^  de  faict  se  rebeller, 
Combien  que  au  Roy  eussent  devant  promys 
D'estre  a  jamais  ^'^  ses  subgectz  et  amys  ; 
Par  quoy  fut  dit  et  par  luy  arresté 
Qu'il  assauldroit  la  superbe  cyté. 
Si  s'adressa  avecques  son  effort 
Vers  celle  part,  ou  se  trouva  si  fort 
Qu'il  s'en  alla  devant  Gennes  loger. 
Que"  fist  par  mer  et  par  terre  assiéger, 
Prinst  sur  ses  mons,  mallgré  tous  les  rainfors 

\.  Haches.  —  2.  Esmouvoir.  —  3.  Foy.  —  4.  Ce  vers  et  les  trois 
vers  qui  suivent  manquent  dans  le  texte  imprimé.  —  5.  Nephus. 
—  6.  Ce  vers  et  le  suivant  manquent  clans  l'imprimô.  —  7.  Tout 
cela  faict.  —  8.  Dedens.  —  9.  Iceutx.  —  10.  De  demourer.  —  H.  Qu'il, 


Juillet  1507]  D'UNG  PETIT  TRECTÉ  BÂILLÉ  LORS  AU  ROY.       371 

Des  Gennevoys,  leurs  bastions  et  fors', 
Et  par  deux  foys,  arangée  bataille 2, 
Ses  ennemys  vainquist  et  raist  a  taille; 
Dont  se  rendit  a  luy  Gennes  crainctive, 
La  hart  au  coul,  comme  pouvre  captive, 
Laquelle  prist  a  mercy  soubz  sa  main, 
En  luy  monstrant  son  vouloir  très  humain. 
Sans  la  vouloir  subvertir  ne^  destruyre, 
Mais  doulcement  la  soubraectre  et  reduyre. 
Combien  qu'elle  eust  faulte  commise  telle 
Que  deservist  pugnicion  mortelle; 
Pour  ce,  luy  fîst  toutes  ses  armes  rendre, 
Et  puys  voulut'»  hommage  d'elle  prendre 
En  son  palais,  assix  en  royal  siège, 
Ou  fist  brusler  son  premier  privillege; 
Apres  soubmist  a  son  royal  pouvoir 
Son  dommaine,  seigneurie  et  devoir. 
Et  si  la  fîst  si  bien  fortiffyer^ 
Que  d'elle  plus  ne  se  deust  deffyer. 

Ce  faict,  tous  ceulx  dont  estoit  alyée, 
En  la  voyant  ainsi  prise  et  liée, 
Gomme  tristes  et  douUans  de  l'affaire, 
Chascun  a  part  en  voulut^  son  dueil  faire; 
Romme  en  parloit  comme  très  courroussée; 
AUemaigne  s'en  douUoit  en  pencée  ; 
Venize  avoit,  sur  ce,  parolles  fainctes; 
Autres  terres  et  seigneuryes  mainctes 
Des  Italles  et  estranges  pays 
Furent,  de  ce,  poureulx  et  esbays. 

Dont  je,  qui  lors  les  gestes  escrivoye 
De  noz  Françoys,  ainsy  que  j'en  savoye, 
Suyvant  le  Roy  toute  part,  a  l'aller 
Et  au  venir,  escoutant  a  parler 

1.  Et  leurs  fors.  —  2.  En  ragée  bataille.  —  3.  Exiller  ou.  — 
4.  Voulant.  —  5.  Fructifier.  —  6.  Voulant. 


372  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

L'ung  et  Tautre  pour  nouvelles  savoir, 
Ce  que  yen.  peu  entendre,  oyr  et  veoir 
Et  recueillir  au  plus  près  de  Teffect, 
J'ay  mys  icy^  en  mémoire  du  faicl. 

GENNES. 

Apres  le  bruyt  d'eureuse  renommée 
Par  moy  aquys,  et  louange  estimée 
D'honneur  de  priz  et  œuvre  méritoire, 
Ayant  soubmys  maincte  ville  fermée, 
Mainct  dur  effort  et  maincte  grosse  ^  armée, 
Et  obtenir  contre  tous  la  victoire  ; 
France  a  marché  dedans  mon  territoire, 
Et  par  armes  m'a  vaincue  et  forcée 
Tant  que  je  suys,  par  contraincte,  pressée 
Luy  obbeyr,  et  fault  que  je  la  serve; 
Or  est  du  tout  ma^  gloire  rabbessée. 
Supperbe  fuz  et  maintenant  suys  serve. 

De  ce  meschief  seras  par  moy  blasmée, 
Romme  ingrate,  veu  que  je  t'ay  sommée 
De  me  donner  secourable  adjutoire, 
Pencent  ausi  estre  la  tienne  amée, 
Et  soubz  le*  loz  de^  ta  gloire  palmée, 
DefTendue  par  main  gladiatoire. 
Et  toutesfoys  ton  rainfort  senatoire  ^ 
M'a  deffailly  au  besoing  et  lessée, 
Dont  j'ay  esté  tant  batue  et  blecée 
Qu'il  n'est  moyen  qui  d'exiF  me  conserve; 
Ainsi  déchoit^  chose  trop  exaulcée. 
Superbe  fuz  et  mainctenant  suys  serve. 

0  Allemaigne,  es  tu  morte  ou  pasmée? 
Ta  promesse  n'est  que  vent  et  fumée, 

1.  Moy.  —  2.  Dure.  —  3.  Ma  grand.  —  4.  Toti.  —  5.  Et.  — 
6.  Servatoire.  —  1.  De  pys.  —  8.  Dechiet. 


Juillet  1507]  D'UNG  PETIT  TRECTÉ  BAILLÉ  LORS  AU  ROY.      373 

Chascun  le  voit^  c'est  ung  poinct  peremptoire; 
L'on  m'eust  d'assault  bien  prise  ou  affamée 
Et  mise  a  sac^,  pillée  et  emflamée, 
Sans  ton  secours,  le  cas  est  tout  notoire. 
Venize,  ausi,  qui  savoye  l'istoire^, 
Et  riens,  pour  ce,  ne  t'en  es  efforcée, 
Mais  telle  est  ore  en  pouvoir  '>  rainforcée, 
Qui  pour  autruy  son  domaine  reserve, 
Par  moy  seras  en  ce  cas  adressée. 
Superbe  fuz  et  mainctenant  suys  serve. 

Prince,  je  suys  decheue  en  ma  pencée, 
Voulant  trop  hault  monter  comme  incencée, 
Dont  raison  veult  que  chasty^  j'en  deserve; 
Or,  suys  je  a  bas  pour  trop  m'estre  avancée. 
Vêla  comant  j'en  suys  recompencée  ! 
Superbe  fuz  et  mainctenant  suys  serve. 

ROMME. 

Oyant  le  cry  de  ta  piteuse  plaincte 
Et  la  forme  de  ta  dure  complaincte, 
Touchant  le  grief  et  ennuyeulx  servaige 
Ou  tu  es  mise  et  détenue  en  craincte, 
Comme  exillée  a^  force  et  par  contraincte, 
Dont  tu  soustiens  trop  excessif  oultrage, 
Triste  en  pencée  et  doulante  en  courage 
Suys  de  ton  mal,  veu  la  nostre  alyence 
Et  amytié,  et  que  n'ay  eu  puissance 
De  te  donner  a  temps  ayde  et  secours  ; 
Par  quoy  te  fault  avoir  la  pacience. 
Toutes  choses  viennent  a  leur  decours. 

Babilloyne  est  ruyneuse  et  estaincte, 
Nynive  ausi  et  autre  cyté  maincte, 

\.  Scait.  —  2.  Sang.  —  3.  Geste  histoire.  —  4.  Puissante  et.  — 
5.  Chastoy.  —  6.  Par. 


374  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

Comme  Thebes,  Arges,  Troye  et  Gartage; 

Assirye  première  eut  son  actaincte, 

Puys  Perse,  et  Mede  et  Grèce  eurent  Testraincte, 

Ghascune  autour  sucedant  au  partage  ; 

Puys,  moy,  qui  eu  sur  toutes  l'avantage, 

Fuz  destruicte,  roupie  '  et  mise  a  l'oustrance 

Par  moy  mesmes  et  les  effors  de  France, 

Qui  mainctes  foys  ont  sur  moy  faict  leurs  cours, 

Sans  y  pouvoir  faire  de  résistance. 

Toutes  choses  viennent  a  leur  decours. 

Tu 2  fuz  jadys  de  richesses  enceincte^, 
De  mons  et  mers  avironnée  et  ceincte, 
SeuUe  dicte  Royne  de  navigage  ; 
Ore  es  a  bas,  et  pour  avoir  enfraincte 
Ta  foy  petite  et  ta  promesse  faincte, 
Dont  tu  avoye  a  France  faict  hommage, 
G^est  le  moyen  de  ta  perte  et  dommage. 
Et  la  cause  de  ta  peine  et  suffrance, 
Affîn  ausi  qu'il  n'y  eust  différence 
D'autres  a  toy,  et  que  toutes  noz  cours 
Sachent  n'avoir  de  durée  asseurence. 
Toutes  choses  viennent  a  leurs  decours. 

Prince,  on  ne  doibt  avoir  seure  esperence 
En  ce  règne,  veu,  par  clere  apparence. 
Son  temps  faillir  et  ses  jours  estre  cours; 
Il  ne  se  peut,  par  armes  ou  chevance, 
Perpétuer;  tousjours  sa  fin  avance. 
Toutes  choses  viennent  a  leurs  decours. 

ALLEMAIGNE. 

Pour  empescher  France  et  mectre  a  reffaire 
Tant  qu'elle  n'eust''  seurté  de  te  meffaire, 
Sachant  par  vray  que  lu  es  dcssoubz  l'aigle, 

1.  Toute.  —  2.  Je.  —  3.  Ensainte.  —  4.  Tant  qu'elle  eust. 


Juillet  1507]  D'UNG  PETIT  TRECTÉ  BAILLÉ  LORS  AU  ROY.      375 

Au  cas  qu'elle  ne  se  voulust  retraire 
De  son  propos,  son  adverse  el  contraire 
Me  declairay,  en  quelque  lieu  qu'elle  aille, 
Ce  nonobstant,  a  d'estoc  et  de  taille 
Si  droictement  poursuyvye<  sa  queste 
Qu'elle  a  de  toy  faict  sa  prise  et  conqueste; 
De  quoy  je  suys  doullante  bien  souvant; 
Mais  a  tant  fault  que  j'en  demeure  en  reste. 
Qui  n'a  de  quoy  ne  peult  aller  avant. 

Combien  que  j'eusse  envye  de  parfaire 
Une  armée  pour  combatre  ou  deffaire 
Tes  ennemys^  et  leur  donner  bataille, 
Si  n'ay  je  sceu  a  mon  pouvoir  tant  faire 
Que  j'aye  a  temps  pourveu  a  ton  affaire 3, 
En  manière  qu'il  te  profficte  ou  vaille, 
Et  si  ne  tient  a  moy  que  je  ne  saille 
A  ton  secours  ;  mais,  lorsque  je  suys  preste, 
Deffault  d'argent  mon  entreprise  arreste-, 
Car,  si  la  croix  ne  va  tousjours  devant, 
Homme  des  myens  de  marcher  ne  s'appreste. 
Qui  n'a  de  quoy  ne  peut  aller  avant. 

Pour  te  vouloir  rejoyr  et  complaire. 
Et  a  la  France  ennuyer  et-*  desplaire, 
Ta[n]t  que  a  plain  champ  on  l'oppresse^  ou  assaille, 
Vers  mes  vassaulx  me  suys  allé''  retraire 
Pour  les  sommer,  requérir  et  actnaire 
A  ce^  besoing,  affm  que  homme  n'y  faille  : 
L'ung  diffère,  l'autre  promesse  baille, 
L'ung  veust  avoir»,  l'autre  dit  qp'on  luy  preste, 
Et  l'autre  faict  du  payement  enqueste, 
Qui  est  plus  loings^  que  le  souleil  levant; 
De  riens  n'y  sert  ta  prière  ou  requeste. 
Qui  n'a  de  quoy  ne  peut  aller  avant. 

\.  Tant  poursuivyt  sa  conqueste.  —  2.  Telles  advenues.  —  3.  A 
ton  faire.  —  A.  Et  luy.  —  b.  Tant  que  en  la  fin  on  le  presse.  — 
6.  Voulu.  —  7.  Au  f/rand.  —  8.  L'ung  n'avoir  rien.  —  9.  Long. 


376  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

Prince  indigent  ne  peult  faire  grant  feste 
Ne  par  dessus  autres  lever  la  teste, 
Tant  soit  hardy,  vertueulx  ou  savant, 
S'il  s'efforce  pour  nyent  se  tempeste; 
Par  quoy  luy  fault  soy  taire  au  plus  honneste. 
Qui  n'a  de  quoy  ne  peult  aller  avant. 

VENISE. 

J'ay  bien  ouy  et  entendu  le  dire 
De  toy,  Gennes,  marrye  et  plaine  d'ire, 
De  la  douleur  qui  t'est  ore  advenue, 
Dont  ne  me  peulz  tant  rejoyr  ne  rire 
Que  sur  ce  n'aye  a  pencer  a  suffire, 
Doubtant  avoir  une  telle  venue, 
Pencent  commant  France  t'a  prévenue 
Si  très  souldain,  et'  par  armes  ^  soubmise, 
Je  ne  me  suys  raeslée  ou  entremise 
De  ton  secours,  voyant  ses  grans  effors, 
Mais  au  vouloir  d'elle  me  suys  commise. 
Tousjours  me  tiens  avecques  les  plus  fors. 

Ores,  as  tu  a  ceste  foys  du  pyre  ; 
Mais  ne  pences  pourtant  que  je  souppire, 
Si  ta  force  déchoit  3  ou  dimynue, 
Car  de  long  temps  je  souhecte  et  désire 
Que  ton  pouvoir -^  amaindrisse  et  empire, 
Pour  ce  que  trop  m'as  au  court  détenue. 
Qui  t'eust  pillée  et  mise  toute  nue. 
Sans  te  lesser  ne  robe  ne  chemise, 
J'eusse  lors  faict  par  la^  mer  a  ma  guise; 
Mais  ancores  doublé  je  tes  rainfors. 
Et,  au  surplus,  pour  garder  ma  franchise, 
Tousjours  me  tiens  avecques  les  plus  fors. 

Si  ton  secours  fust  venu  de  l'Empire, 

1.  Suppr.  et.  — 2.  Par  armes  et.  —  3.  Descroist.  —  4.  Ta  valeur. 
—  5.  En  la. 


Juillet  1507]  D'UNG  PETIT  TRECTÉ  BAILLÉ  LORS  AU  ROY.      377 

De  tant  que  France  eusse  peu  desconfîre, 

J'eusse  pour  toy  alors  la  main  tenue; 

Ou  si  quelqu'un  eust  dit  :  «  Je  me  retire  I  » 

J'eusse  couru  a  celuy  tout  de  tire, 

Et  la  despoille  en  eusse  retenue; 

Mais,  quant  je  viz  l'armée  survenue 

En  tes  destroiclz,  qui  tout  rompt  et  debrise, 

Soubdainement  je  pourpence  et  m'avise 

Qu'il  fault  garder  mes  bastilles  et  fors, 

A  celle  fin  que  ne  soye  surprise. 

Tousjours  me  tiens  avecques  les  plus  fors. 

Prince,  qui  faict  sur  mes  fins  entreprise, 
Si  je  ne  suys  butiniere  a  la  prise  ' , 
S'il  est  foible,  je  le  chace  d'efîors, 
S'il  est  puissant,  je  le  loue  et  le  prise  ^ 
Et  l'entretiens  par  cautelle  et  faintise. 
Tousjours  me  tiens  avecques  les  plus  fors. 

FRANGE. 

En  ensuyvant  les  œuvres  magnifîcques 
Et  dignes  faictz  de  louanges  publicques 
Que  firent  lors  mes  eureulx  possesseurs. 
Pour  adjoxter  aux  triumphes  auten tiques^ 
Nouveaulx  tiltres  de  vertus  autentiques. 
A  l'exemple  des  bons  prédécesseurs, 
Louis  XII'"%  ung  des  myens''  sucesseurs, 
Apres  avoir  maincte  force  domptée, 
La  superbe  Gennes  a  surmontée, 
Par  son  pouvoir  faict  esclater  et  fendre 
Mons  et  rochiers,  et  la  faict  sa  montée, 
L'espée  au  poing,  pour  le  bon  droict  deffendre. 

Romme  et  Gennes  en  ont  faict  leurs  répliques. 
Et  contre  moy  leurs  accors  pacifiques, 

1.  En  la  prime.  —  2.  Et  prise.  —  3.  Aux  louenges  antiques.  — 
4.  De  mes. 


378  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

Confederez  '  comme  amyes  et  seurs  ; 

AUemaigne  ra'eust  faict  ennuys  et  picques, 

Et  mys  sur  moy  hallebardes  et  picques, 

Si  elle  eust  sceu  trouver  les  moyens  seurs  ; 

Venise  ausi  m'a  mys  ses  advenceurs, 

Qui  de  leur  ritz  d'hosstelier  m'ont  trectée^; 

Mais,  veuz  leurs  ditz  et  manière  escoulée^, 

Si  quelqun  veust  contre  moy  son  arc  tendre, 

Tantost  seray  en  armes  apprestée, 

L'espée  au  poing,  pour  le  bon  droict  deffendre. 

Or,  en  say  je,  par  mes  ars  et  pratiques, 
Tant  des  estatz  nobles  que  pollitiques, 
Et  des  plus  grans  magistres  et  censeurs''. 
Qui,  au  dedans  de  leurs  closes  boutiques, 
En  demeurent  asséchez^  et  hetiques, 
Plus  estonnez  ^  que  pouvres  ramasseurs, 
Qui  m'aplaudent  et  usent  de  doulceurs, 
Me  désirant  outre  mer  transportée  ; 
Mais  ja,  pour  ce,  ne  seray  desgostée 
Tant  que  si  nul  entreprend  de  m'offendre, 
Que  tout  souldain  ne  soye  remontée, 
L'espée  au  poing,  pour  le  bon  droict  deffendre. 

Prince,  je  tiens  force  tant  redoubtée 
Que  j'ay  soubmys  Gennes  et  conquestée, 
Ce  que  n'oza  oncques  nul  entreprendre, 
Et  n'ay  pas  peur  qu'elle  me  soit  ostée. 
Car  nuyt  et  jour  par  moy  sera  guetée, 
L'espée  au  poing,  pour  le  bon  droict  deffendre^. 

1.  Considères.  —  2.  Ce  vers  manque.  —  3.  Suppl.  à  la  suite  de 
ce  vers  :  Je  qui  suis  France  en  tous  lieux  redoublée.  —  4.  Causeurs. 
—  5.  Tous  a  sec.  —  6.  Esbahys. 

7.  La  victoire  de  Gênes  réjouit  d'autant  plus  les  Français 
qu'elle  effaçait  les  fâcheux  souvenirs  de  la  campagne  de  Naples 
qu'on  aurait  voulu  rayer  de  l'histoire.  Elio  fut  chantée  par  André 
de  la  Vigne,  par  Jean  Le  Maire.  Symphorien  Ghampier  com- 
posa à  ce  propos  l'opusculo  Expeditio  in  Gcnuenses,  que  nous  avons 


Juillet  1507]  GOMMANT  LE  ROY  DARRAGON  S'EN  ALLA.  379 

XLI. 

Gommant  le  Roy  d'Arragon  s'en  alla  de  Savonne 

EN  ESPAIGNE,  ET  LE  ROY  S'eN  REVINT  EN  FRANCE. 

Comme  avez  ouy  cy  devant,  le  Roy  et  le  Roy  d'Ar- 
ragon, par  l'espace  de  im  jours  entiers,  furent  ensemble 

cité  déjà,  où  il  passe  en  revue  les  plus  grands  conquérants  con- 
nus de  l'antiquité  :  César,  Alexandre,  Miltiade,  Alcibiade,  Thra- 
sibule,  etc.,  pour  les  comparer  à  Louis  XII.  Ce  dithyrambe 
classique  se  termine  par  les  distiques  suivants  : 

«  Parthenopem  cursim  victam  (première  conquête  de  Naples) 

Parmeque  labores  (Fornoue) 

Desine  mirari,  Gallia  :  majus  habes. 
Indomitos  Ligures,  Genuam  Ludovicus  et  urbem 

Fracta  jubet  solo  frena  referre  die. 
Discite  jam  quid  sit  Ludovicum  offendere  gentes. 

Vincere  scit  :  victos  et  retinere  docet.  » 

Nous  avons  déjà  cité  les  Triumphes  de  France  de  Jean  d'Ivry. 
Voy.  aussi  le  Carmen  de  expugnatione  genuensi  cum  multis  ad  gai- 
licam  historiam  pertinentibus,  paru  en  1508  (Paris,  1507,  7  kal. 
martii),  avec  des  dédicaces  de  l'auteur  (Valerand  de  Varanis)  à 
Adrien  de  Hanencourt,  doyen  d'Amiens  {ex  domo  nosira  Chole- 
torum,  Ghaillot,  près  Paris,  7  id.  febr.  1507),  à  Raoul  de  Lannoy, 
«  dulcis  mî  Mecenas  »  (Paris,  7  id.  febr.  1507)  :  grand  poème 
épique  latin,  chantant  les  exploits  des  Français  dans  le  monde, 
l'arrivée  des  Furies  à  Gênes,  etc.,  la  modération  du  roi,  qui  n'a 
toléré  notamment  aucun  excès  contre  les  femmes.  Ce  poème  est 
suivi  de  pièces  latines  à  François  de  Melun,  prévôt  de  Saint- 
Omer;  à  Geoffroy  Buisardi  (Bussardus),  théologien,  qui  revient 
d'Italie;  à  Gilles  «  Delphi  »  (sans  doute  Dauphin),  théologien  et 
poète  insigne;  à  Fabre  d'Étaples,  illustre  philosophe;  à  Jacques 
«  Pape»  (Le  père?),  poète;  au  prieur  de  Ghaillot.  André  de  la  Vigne, 
secrétaire  de  la  reine,  publia  l'Atolite  portas  de  Gennes  (plaq.  goth. 
petit  in-4o  de  4  feuillets,  s.  d.),  qui  contient  un  chant  de  gloire  et 
cinq  rondeaux,  le  tout  en  vers  français.  Jean  Marot  écrivit  pour 
la  reine  son  grand  poème  épique  le  Voiage  de  Gènes  (voy.  ci-des- 


380  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

en  la  ville  de  Savonne,  pays  du  Roy,  ou,  après  leurs 
bonnes  chères  et  aliénées  faictes  entre  eulx,  fut  ques- 
tion de  desloger.  Et  combien  que  plus  longue  demeure 
eust  esté  au  gré  de  l'ung  et  de  l'autre,  toutesfoys  les 
affaires  de  leurs  pays  naturelz  leur  commandoient  le 
départir.  Dont  le  Roy  d'Arragon,  qui  long  temps 
devant  ce  n'avoit  esté  en  ses  pays  d'Espaigne,  aiant 
tout  son  appareil  prest  pour  monter  en  mer,  le  Roy 
et  luy,  estant  lors  au  chasteau  de  Savonne,  le  second 
jour  du  moys  de  jullet,  sur  les  troys  heures  après 
mydy,  voulut  desloger  et  la  prendre  congé  du  Roy  ; 
ce  que  le  Roy  ne  voulut,  disant  :  «  Puysque  départir 
se  fault,  et  que  au  venir  vous  ay  trouvé  sain  sur  la 
mer,  a  l'aller  vous  rendray  en  tel  estât  et  mesme  lieu, 
si  je  puys.  » 

Ce  dit,  les  Roys  montèrent  sur  leurs  mules  ;  et  puys 
le  Roy  fist  monter  la  Royne  d'Arragon  en  cruppe  der- 

sus.  Ce  poème  a  été  publié  par  Cl.  Marot;  voy.  encore  le  poème 
latin  pompeux  de  Fauste  Andrelin  :  P.  Faiisti,  de  regia  in  Genuen- 
ses  Victoria  libri  très,  in  quibus  depolytico  statu,  de  Régis  clxmcntia, 
et  in  urbem  genuensem  ingressu  multa  scitu  dignissima  comperias. 
Prxmisso  excultissimo  Germani  de  Ganay  epigrammate.  Ex  sedibus 
Ascensianis,  ad  nonas  julias  M  DIX).  Ce  poème  est  dédié  par 
l'auteur  à  Germain  de  Ganay,  son  Mécène.  Une  cause  notable 
de  satisfaction  pour  les  Français  fut  aussi  que,  pour  faire  face  à 
l'expédition,  le  roi  avait  dû  leur  demander  un  supplément  de 
taille,  que  les  États  lui  accordèrent  :  la  rapidité  de  la  victoire  et 
les  indemnités  de  guerre  (bien  que  diminuées)  permirent,  à  force 
d'économie,  et  en  réduisant  le  train  personnel  de  la  maison  du 
roi,  de  ne  pas  recourir  à  cet  impôt,  et  le  roi  y  renonça,  malgré 
le  vote  des  Etats,  fait  extraordinaire,  qui  ne  s'était  pas  vu,  dit-on, 
depuis  saint  Louis  (Cl.  de  Seyssel,  les  Louanges  du  bon  Roy..., 
p.  106).  Rappelons  que,  sous  le  règne  de  Louis  XII,  les  tailles 
s'élevaient  en  moyenne  à  environ  1,550,000  livres.  Sous  Fran- 
çois ler,  elles  montèrent  à  5,000,000,  dont  la  maison  du  roi,  à 
elle  seule,  absorbait  1,500,000  livres. 


Juillet  ISOTJ  GOMMANT  LE  ROY  D'ARRAGON  S'EN  ALLA.  381 

riere  luy,  comme  tousjours  avoit  faict  par  avant.  La 
furent  grant  nombre  de  gentishommes  l'rançoys,  les- 
quelz  eurent  clievaulx  et  haquenées,  pour  porter  en 
cruppe  les  dames,  et  autres  monteures  pour  les  gen- 
tishommes d'Espaigne  qui  la  estoyent,  lesquelz  tan- 
tost  furent  montez.  Lé  quatre  cens  archiers  et  les 
cent  Suyces  de  la  garde  furent  la  tous  a  pié,  la  hal- 
barde  au  poing.  Et,  lorsque  tout  fut  mys  en  ordre,  les 
Roy  s  descendirent  du  chasteau,  et  avecques  leur  estât 
marchèrent  ensemble  tout  le  long  de  la  rue,  divisant 
tousjours  de  plusieurs  choses,  et  tant  qu'ilz  ariverent 
jusques  sur  la  marine,  ou  estoyent  les  galleres  du  Roy 
d'Arragon  :  la  misrent  pié  a  terre  ;  et,  ce  faict,  le  Roy 
conduyt  le  Roy  et  la  Roy  ne  d'Arragon  jusques  dedans 
leur  gallere,  ou  la  prindrent  congé  l'ung  de  l'autre, 
et  très  amyablement  s'entre  accollerent;  puys  la  Royne, 
le  genoil  en  terre,  dist  son  adieu  au  Roy,  lequel  ausi 
luy  dist  adieu  et  la  baisa.  Et,  a  chief  de  ses  faictz,  le 
Roy,  avecques  sa  noblece,  se  mist  a  retour  vers  son 
logis  ;  et  le  Roy  d'Arragon  fist  singler  voisles  vers  son 
pays  d'Espaigne. 

Tantost  après  le  départ  du  Roy  d'Arragon,  le  Roy 
transmist  a  Naples,  avecques  lectres  dudit  Roy  d'Ar- 
ragon, ung  espaignol  nommé  Peralte,  pour  illecques 
prendre  et  lever  troys  mille  cinq  cens  hommes,  et 
iceulx  faire  venir  en  Lombardye  pour  ranforcer  son 
armée  et  se  trouver  au  devant  du  Roy  des  Rommains. 
Lequel  Peralte  fut  en  poste  au  Royaume  de  Naples, 
et  fist  incontinent  son  amas,  puys  s'en  revint,  a  tout 
ses  gens,  en  Lombardye,  joindre  avecques  les  Fran- 
çoys  pour  servir  le  Roy  contre  ledit  Roy  des  Rom- 
mains. 


382  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

Le  Roy,  voyant  lors  son  entreprise  du  tout  a  son 
vouloir  mise  a  fin,  et  toutes  ses  affaires  de  delà  les 
mons  en  bon  ordre,  se  disp[o]sa  de  retourner  en 
France  et  desloger  le  lendemain,  par  quoy  les  mares- 
chaulx  des  logis  et  les  fourriers  furent  devant.  Le  len- 
demain, iif  jour  de  juUet,  sur  le  point  de  troys  heures 
après  mynuit,  le  Roy  fut  a  cheval,  avecques  peu  de 
nombre  de  ses  gens,  et,  a  la  lumière  des  torches,  se 
mist  en  voye,  tirant  par  les  montaignes  droict  a  Suze. 
Ses  gens,  a  la  fille,  se  misrent  après,  chascun  au  plus 
tost  qu'il  peut,  car  il  chevauchoit  roidement,  et  tant 
que,  sur  les  viii  heures,  fut  arrivé  a  ung  groux  bourg 
nommé  Mallegiste^,  a  l'entrée  du  Piémont,  devers 
Savonne.  De  la  s'en  alla  par  le  Piemond  droict  a  Suze, 
et,  par  le  Daulphiné,  droict  au  mont  Genève,  a  Rrian- 
son,  a  Ambrun,  a  Gap,  a  Grenoble  et  a  Lyon 2,  ou 
trouva  la  Royne,  laquelle  fut  moult  joyeuse  de  sa 
venue,  et  tant  qu'elle  ne  pouvoit  plus.  La  fut  le  Roy 
le  surplus  du  moys  de  jullet^  et  tout  le  moys  d'aost'^, 

1.  A  Millesimo,  a  Milesme  »  (Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  172). 

2.  Il  traversa,  en  effet,  le  mont  Genèvre  à  petites  journées  et 
arriva  le  soir  du  16  juillet  à  Lyon  ;  il  était  parti  le  matin  d'Hey- 
rieux  (Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  174  et  174  V). 

3.  Le  samedi  17  juillet  1507,  à  huit  heures  du  matin,  il  fit  à 
Lyon  une  entrée  pompeuse  par  la  porte  du  Rhône.  Il  fut  reçu 
par  les  corps  de  la  ville.  Les  rues  étaient  entièrement  tendues, 
sur  son  passage,  en  drap  jaune  et  rouge  et  en  tapisseries;  le  pont 
était  garni  de  bannières,  la  porte  ornée  d'un  poêle  fleurdelisé.  A 
la  porte,  rue  Grenette,  à  la  place  de  l'Herberie,  aux  Changes,  il 
y  avait  des  eschaffaxdts,  avec  autant  de  représentations  morales 
et  des  jeunes  personnes  richement  habillées,  qui  débitaient  des 
compliments  (Relation  des  entrées  solemnelles  dans  la  ville  de  Lyon, 
de  710S  rois...,  imp.  pour  messieurs  du  Consulat.  Lyon,  Delaroche, 
1752,  in-4»). 

4.  C'est  une  erreur.  Le  roi  s'installa  à  Blois  au  miUeu  du  mois 


Juillet  1507]  GOMMANT  LE  ROY  D'ARRAGON  S'EN  ALLA.  383 

en  actendant  si  le  Roy  des  Rommains  marcheroit, 
comme  se  disoit  lors,  pour  entrer  en  Lombardye,  ou 
se  vouloit  trouver  le  Roy  pour  luy  donner  la  bataille, 
comme  avoit  promys  a  ses  gens  d'armes  de  delà  les 
mons,  a  son  département. 

Le  Roy,  estant  lors  a  Lyon,  ayant  nouvelles  de  jour 
en  autre  comme  le  Roy  des  Rommains  estoit  en  bransle 
de  marcher,  fist  haster  ses  gens  de  pié,  qu'il  avoit 
envoyé  quérir  en  Gascongne,  desquelz  l'une  partie 
d'icelz  s'en  allèrent  par  mer  descendre  a  Gennes,  et 
les  autres,  par  la  Savoye,  droict  a  Millan. 

Le  Roy  pareillement  [estoit]  tousjours  en  delibera- 
cion  et  prest  de  retourner  delà  les  mons,  si  ledit  Roy 
des  Rommains  marchoit  en  avant,  auquel  avoit  trans- 
mys  en  ambaxade  ung  docteur,  chappellain  du  cardi- 
nal d'Amboise,  lequel  chappelain  n'avoit  voulu  ouyr, 
mais  le  detenoit  comme  prisonnier  :  de  quoy  le  Roy 
adverty,  aucuns  autres  ambaxadeurs  des  Allemaignes, 
estant  lors  en  court,  fist  pareillement  détenir  et  mectre 
au  chasteau  de  Pierre  Encise  a  Lyon,  et  garder  jus- 
ques  a  ce  que  ledit  docteur  détenu  en  Allemaigne  fust 
délivré.  Laquelle  chose  sachant,  le  Roy  des  Rommains 
en  envoya  celuy  docteur,  et  ausi  furent  lesdits  Alle- 
mans  despeschez. 

En  ce  mesme  temps,  le  Roy  fist  despescher  deux 
ambaxadeurs,  c'est  assavoir  ung  nommé  messire  Jehan 
de  Sainctz,  pour  aller  en  Angleterre,  et  ung  autre, 
nommé  Gabriel  Fourestier,  Roy  d'armes  de  Normen- 
dye,  lequel  envoya  en  Allemaigne  :  ausquelz  demanday 

d'août  (Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  175,  185  et  185  v»).  Du  reste, 
Jean  d'Auton  corrige  plus  loin  cette  erreur  par  les  renseigne- 
ments très  exacts  qu'il  donne  lui-même. 


384  CHRONIOUES  DE  LOUIS  XII.  [Juillet  1507 

de  leur  charge,  pour  en  savoir  dire  quelque  chose  par 
ma  cronique  ;  mais  autre  chose  n'en  peu,  si  n'est  que 
ledit  messire  Jehan  de  Sainctz  me  dist  que  a  son 
retour  en  pourroye  savoir  quelque  chose,  et  ledit  Fou- 
restier  me  dist  ausi  :  «  J'ay  une  charge,  en  laquelle  peu 
de  gens  prandroyent  plaisir  a  porter  ;  car,  aux  Alle- 
maignes,  a  ores  pour  nous  peu  de  seureté.  Toutesfoys, 
pour  le  service  du  Roy,  n'est  adventure  que  je  ne 
pregne.  »  Et  sur  ce  s'en  allèrent  lesdits  ambaxadeurs. 
La  Royne,  estant  lors  avecques  le  Roy  a  Lyon, 
voyant  qu'il  estoit  en  bransle  de  respasser  les  mons, 
ne  faisoit  pas  bonne  chère  et  mectoit  toute  peine  de 
le  vouloir  faire  mectre  a  chemin  pour  s'en  aller  a  Bloys 
veoir  Madame  Glaude  leur  fille,  disant  qu'elle  s'es- 
moyoit  et  avoit  moult  grant  soubcy  de  luy.  A  quoy 
dissimula  le  Roy,  disant  :  «  Je  suis  délibéré,  sans  point 
de  faulte,  de  m'en  retourner  bientost  ;  mais  ancores 
est  mestier,  pour  donner  craincte  a  mes  ennemys  et 
asseurer  mes  gens,  que  je  demeure  icy  quelque  temps. 
Et  pour  le  myeulx  me  semble  que  vous  devez  vous 
en  aller  devant  a  Bloiz,  pour  la  vous  reposer  et  faire 
voz  couches  ;  et  tantost  après  je  m'en  iray  sans  fail- 
lir. »  La  Royne,  voyant  que  c'estoit  le  plaisir  du  Roy 
et  le  myeulx  pour  sa  personne,  fut  contente  de  s'en 
aller  devant.  Et,  pour  s'en  aller  plus  a  son  aise,  le  Roy 
advisa  qu'il  la  feroit  porter  en  une  legiere  lictiere  au 
coul,  par  ses  AUemans  ;  desquelz  en  ordonna  xxiiii  des 
plus  fors,  VIII  a  la  foys  et  a  relaiz.  En  ceste  manière, 
le  xxvii®  jour  du  moys  de  jullet*,  la  Royne,  estant  ja 

1.  Date  et  itinéraire  fort  exacts  (voy.  Arch.  nat.,  KK.  88,  fol.  175 
et  175  \o). 


Août  1507]  COMMENT  ...  MAISTRE  RENÉ  DE  PRYE,  ETC.  385 

bien  fort  enseincte,  partit  de  Lyon,  tirant  droict  a  la 
Bresle  et  a  Tarare,  ou  le  Roy  fut  avecques  elle,  et  de 
Tarare  s'en  retourna  a  Lion,  en  luy  promectant  estre 
bientost  a  Bloiz  :  par  quoy  elle  s'en  alla  plus  joyeuse- 
ment jusques  audit  lieu  de  Bloiz. 

XLIL 

Comment,  audit  lieu  de  Lyon,  maistre  René  de  Prye, 

EVESQUE  DE  BAYEULX,  RECEUT  LE  CHAPPEAU  ROUGE 
PAR  LA  MAIN  DE  MAISTRE  GEORGES,  CARDINAL  d'Am- 
BOISE,  LEGAT  EN  FRANCE  ET  DELEGUE  A  CE  PAR  LE 
PAPE. 

Le  v""^  jour  d'aoust,  le  Roy  fut  ouyr  messe  a  Nostre 
Dame  de  Confort,  colliege  de  Sainct  Dominique,  a 
Lyon,  ou  le  chappeau  Rouge,  pour  bailler  a  maistre 
René  de  Prye,  evesque  de  Bayeulx,  fut  la  apporté 
avecques  les  bulles  du  pape  adroissantes  a  maistre 
Georges,  cardinal  d'Amboise,  pour  bailler  ledit  chap- 
peau. La  fut  ung  docteur  en  théologie  suyvant  la  court, 
nommé  frère  Anthoyne  de  Furno,  evesque  de  Mar- 
ceille,  de  l'ordre  des  Jacoppins,  lequel  dist  la  messe 
en  note,  chantée  par  les  chantres  de  la  chappelle  du 
Roy.  Et  après  la  messe  dicte,  celuy  de  Furno  fîst  ung 
sermon  en  latin,  ou  le  Roy  estoit  présent  et  toute  la 
court  ;  par  lequel  sermon  élucida  et  esclarcist  la  gé- 
néalogie d'Amboise  et  de  Prye,  dont  ceulx  desdites 
maisons  estoient  entre  eulx  proches  parens  et  alyez, 
et  monstra  commant  plusieurs,  issus  jadis  desdites 
maisons  d'Amboise  et  de  Prye,  avoyent  lors  faictz 
grans  secours  et  loyaulx  services  au  Royaume  de 
IV  25 


386  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1507 

France  ;  en  déclarant  ausi  le  souverain  honneur  apos- 
tolicque  et  de  cardinalité,  ramenant  au  propos  les 
quatre  vertus  cardinales,  c'est  assavoir  Prudence, 
Magnanimité,  Continence  et  Justice  ;  en  remonstrant 
comme  tout  honneur  mondain  et  toute  vye  humaine, 
tandant  au  bien  souverain,  doyvent  estre  regiz  et  gou- 
vernez scelon  la  moralité  de  ses  vertus,  lesquelles  sont 
de  telle  efficace,  que  tous  ceulx  qui  d'elles  sont  armez 
ne  peuvent  estre  de  vice  soubmarchez,  ne  vaincus  par 
fortune.  Plusieurs  autres  bonnes  choses  au  propos 
afférentes  furent  la  dictes  par  la  bouche  du  docteur 
excellant.  Et,  ce  faict,  ledit  maistre  René  de  Prye 
receupt  Nostre  Seigneur  très  dévotement.  Puys  luy 
fut  mys  sur  la  teste  le  chappeau  Rouge,  par  la  main 
dudit  maistre  Georges,  cardinal  d'Amboise  et  légat  en 
France.  A  chief  de  ses  soUempnelles  choses,  le  Roy, 
avecques  grande  suyte  de  princes,  de  cardinaulx, 
arcevesques  et  evesques,  et  toute  sa  maison,  s'en  alla 
disner  leans,  ou  le  cardinal  nouveau  fist  le  banquet, 
auquel  chascun  fut  trecté  a  souhect  et  honnorablement 
servy. 

XLIII. 

Gommant  le  Roy  des  Rommains  retira  son  armée, 
ET  gommant  le  Roy  s'en  retourna  a  Bloiz. 

Le  Roy  des  Rommains,  qui  lors  estoit  avecques  son 
armée  près  a  marcher,  voyant  que  ses  gens  despen- 
doyent  son  argent  sans  riens  faire,  dist  qu'il  yroit  en 
avant  ;  et,  de  faict,  se  mist  au  champs,  comme  pour 
vouloir  marcher  et  tenir  camp.  Or,  advint  que  le 
terme  du  payement  fut  venu,  dont  les  AUemans  firent 


Août  1507]     GOMMANT  LE  ROY  DES  ROMMAINS,  ETC.  387 

question,  de  quoy  ne  fut  nouvelles.  Mais  voyant,  ledit 
Roy  des  Rommains,  que  sans  argent  ne  passeroyent 
oultre,  les  voulant  par  promesses  acheminer,  assem- 
bla les  seigneurs  des  Allemaignes  et  les  capitaines  qui 
la  estoient,  ausquelz  dist  :  «  Messeigneurs  et  amys, 
vous  voyez  les  grans  injures  et  tors  faictz  par  cy  devant 
que  nous  ont  faict  les  Françoys,  qui,  malgré  nous, 
tiennent  la  Lombardye  et  la  forte  ville  de  Gennes,  qui 
est  terre  d'Empire,  comme  savez  ;  et  commant  ilz  sont 
en  armes  en  la  duché  de  Millan,  pour  nous  garder  le 
passage  et  nous  contredire  le  voyage  de  noslre  impé- 
rial couronnement.  Par  quoy,  a  la  peine  d'estre  repu- 
tez  lâches  et  meschantz,  nous  est  besoing  les  aller 
assaillir  et  combatre.  Pour  ce,  je  vous  pry  que  chas- 
cun  de  nous  y  face  loyal  devoir  et  deu  acquict.  Si  l'ar- 
gent nous  est  ores  court,  saichez  que,  sans  faillir, 
assez  en  conquesterons  sur  noz  ennemys  ;  et  avecques 
ce,  eulx  vaincus,  je  vous  promectz  que,  a  chascun  de 
vous,  scelon  voz  seigneuries  et  estatz,  je  donneray 
villes  et  chasteaulx  et  autres  seigneuries  de  la  duché 
de  Millan,  et  tant  de  chevance  qu'il  n'y  aura  celuy  qui 
a  largesse  n'en  soit  pourveu.  »  A  chief  de  propos,  les 
AUemans  voulurent  sur  ce  prendre,  conseil,  lequel 
tindrent  entre  eulx,  disant,  tous  d'une  voix,  que  sans 
argent  ne  marcheroyent.  «  Gommant,  dirent  les  au- 
cuns, l'entend  le  Roy?  Il  cuyde,  a  l'oyr  parler,  que 
les  Françoys  soyent  desja  deffaictz,  et  la  Lombardye 
prise.  Autrement,  a  ce  que  pouvons  entendre,  en 
va;  car,  dedans  la  ville  de  Millan  et  par  les  places 
de  la  duché,  sont  plus  de  xviii  cens  hommes  d'armes 
françoys,  avecques  les  gentishommes  et  archiers  de  la 
garde  du  Roy  de  France,  et  plus  de  xx  mille  hommes 


388  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [Août  1507 

de  pié.  Et,  avecques  ce,  ledit  Roy  de  France  est  a 
Lion,  sur  le  Rosne,  prest  a  retourner  a  Millan,  comme 
il  est  bruyt,  avecques  grosse  armée.  Noz  ennemys 
tiennent  les  places  et  ont  force  argent.  Nous  n'avons 
pas  ung  blanc  et  summes  aux  champs  a  l'aventure. 
Quoy  plus  ?  l'yver  s'aproche,  qui  sera  moult  contraire 
au  mal  vestus;  somme,  en  ceste  emprise,  ne  pouvons 
pour  ceste  heure  avoir  honneur  ne  proffict  :  car  la 
meilleure  et  plus  seure  pièce  de  nostre  harnoys,  qui 
est  argent,  nous  deffault.  Par  quoy  est  impossible  de 
marcher  en  avant.  »  Et  ainsi  firent  leur  responce  au 
Roy  des  Rommains  :  de  quoy  fut  très  mal  content,  et, 
sans  autre  chose  faire,  s'en  retire  et  son  armée  se 
despart*. 

Desquelles  choses  fut  le  Roy  tost  adverty  par  ses 
gens  de  la  duché  de  Millan,  qui  ja  estoient  en  armes 
et  aux  champs  pour  garder  le  passage  audit  Roy  des 
Rommains.  Par  quoy  le  Roy,  ainsi  adverty  de  celle 
départie,  le  lendemain  de  la  Nostre  Dame  de  my  aost, 
s'en  partit  de  Lyon  et  s'en  alla  a  Bloiz,  ou  trouva 
la  Royne  et  Madame  Glaude  sa  fille,  laquelle  il  avoit 
grant  désir  de  veoir  et  trouver  en  bon  point  :  ce  qu'il 
fist  ;  et  la,  a  toute  joye  et  lyesse,  passa  son  yver. 

XLIV. 

Gommant,  durant  le  temps  que  le  Roy  estoit  delà 

LES  MONS,  MESSIRE  JeHAN  ChAPPERON  ET  UNG  NOMMÉ 

Anthoyne  d'Auton,  seigneur  dudit  lieu,  se  mis- 

1.  On  peut  voir  dans  Sanuto  (VII,  173,  174)  les  sonnets  iro- 
niques faits  en  Italie  sur  ce  système  d'avortement  perpétuel  des 
projets  du  roi  des  Romains. 


1507J      GOMMANT  ...  MESSIRE  JEHAN  CHAPPERON,  ETC.  389 

RENT  SUR   MER,   OU   FIRENT  PLUSIEURS  COURGES,    DE 

QUOY  LE  Roy  fut  mal  content. 

Lorsque  le  Roy  estoit  a  son  voyage  de  delà  les  mons, 
comme  j'ay  dit,  le  Roy  des  Rommains  et  les  Flamens, 
sachant  son  esloing,  et  luy  et  son  armée  hors  le  royaume 
de  France,  recommaincerent  la  guerre  au  duc  de 
Gueldres,  parent  du  Roy,  et  donnèrent  sur  ses  pays  : 
lequel,  avecques  l'ayde  des  gens  de  sa  terre  et  d'au- 
cuns Françoys  qui  a  luy  s'estoyent  retirez,  lors  très 
vigoureusement  se  deffendit  ;  mais,  pour  longuement 
soustenir  grosse  charge  de  guerre  et  souldoyer  grant 
nombre  de  gens  d'armes,  ne  pouvoit,  combien  qu'il 
eust  le  vouloir  asseuré  et  le  cueur  vertueulx. 

Tantost  furent  semmées  les  nouvelles  de  ceste  guerre 
en  France,  dont  aucuns  gens  d'armes  françoys,  estant 
lors  en  garnison  en  Bourgongne,  oyant  ce  bruyt,  dirent 
que  voluntiers  se  trouveroint  au  secours  de  ce  pouvre 
prince,  duc  de  Gueldres,  tant  pour  vouloir  faire  ser- 
vice au  Roy,  de  qui  il  estoit  parent,  que  pour  exécu- 
ter la  guerre  et  soustenir  la  querelle  des  foulez.  Dont, 
entre  autres,  deux  gentishommes  de  la  compaignye 
de  messire  Aymar  de  Prye,  nommez,  l'ung,  messire 
Jehan  Chapperon,  très  hardy  chevalier,  seigneur  de 
Couhé  de  Vache  en  Aulnys,  et  l'autre  Anthoyne  d'Au- 
ton,  seigneur  dudit  lieu  d'Auton  en  Xantonge,  jeune 
et  bien  gailla[r]d  homme  d'armes,  dirent  que  passer 
par  terre  estoit  chose  difficille  a  faire  pour  les  ambus- 
ches  des  Flamens,  qui  gardoyent  lors  les  passages. 
Voulant  y  aller  par  mer,  firent  provision,  ledit  Chap- 
peron, d'une  nef  de  im  cens  tonneaux,  et,  le  seigneur 
d'Auton,  d'une  barche  de  lx  tonneaux.  Et,  ce  pendant 


390  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1507 

qu'ilz  armèrent  et  équipèrent  leurs  vaisseaulx,  mes- 
sire  Jehan  Ghapperon  transmist  devers  le  duc  de 
Gueldres  ung  homme  d'armes  de  ceulx  de  messire 
Aymar  de  Prye,  nommé  le  Chevalier  Vert,  pour  avoir 
son  adveu  pour  luy  et  pour  ledit  seigneur  d'Auton,  et 
ausi  pour  en  rescripre  au  Roy,  qui  estoit  lors  delà 
les  mons.  Celuy  Chevalier  Vert  fist  son  message  en 
manière  qu'il  passa  jusques  en  Gueldres,  et  la  bailla 
les  lectres  de  Ghapperon  au  duc  de  Gueldres,  lequel 
les  receut  voluntiers,  et,  par  icelles  cognoissant  le  bon 
vouloir  dudit  Ghapperon  et  du  seigneur  d'Auton, 
acepta  leur  service  et  leur  despescha  et  envoya  par 
ledit  Ghevalier  Vert  lectres  d'aveu,  et  en  rescrivit  au 
Roy.  Advint  que  ledit  Ghevalier,  en  retournant,  fut 
cognu  par  les  Flamans  estre  françoys;  et,  pour  ce, 
le  prindrent  et  aresterent,  et  luy  trouvèrent  les 
lectres  du  duc  de  Gueldres,  dont  le  detindrent  prison- 
nier par  l'espace  de  six  moys.  Par  quoy  ledit  Ghappe- 
ron ne  peut  avoir  son  adveu  ne  autres  nouvelles  du 
duc  de  Gueldres,  si  n'est  que,  par  aucuns  venans 
dudit  pays  de  Gueldres,  ouyt  dire  que  ledit  duc  avoit 
despesché  son  messagier  auquel  avoit  baillé  son  adveu 
et  lectres,  pour  adresser  au  Roy,  touchant  l'affaire, 
qui  fut  tel  que,  après  les  nouvelles  ouyes  de  l'adveu, 
messire  Jehan  Ghapperon  et  ledit  seigneur  d'Auton 
mirent  cinq  cens  hommes  de  guerre  en  leurs  vais- 
seaulx, c'est  assavoir  iiii  cens  dedans  la  nau  dudit 
Ghapperon,  et  cent  dedans  la  barche  du  seigneur 
d'Auton,  et  se  mirent  sur  mer,  a  Queuhe  de  vache, 
lesqueulx  s'en  allèrent  a  une  rade  sur  mer,  nommée 
La  Palixe,  près  La  Rochelle,  pour  la  faire  advitailler 
leurs  vaisseaulx,  ou  demeurèrent  ung  moys.  Et,  comme 


1507J      GOMMANT  ...  MESSIRE  JEHAN  CHAPPERON,  ETC.  391 

ilz  fussent  la  pour  faire  leur  prochas  de  vivres,  deux 
autres  navires  marchans  angloys,  chargez  de  drap  et 
de  saumons  d'estaing,  passèrent  près  desdits  navires 
de  guerre  sans  vouloir  faire  révérence,  comme  mar- 
chans doyvent,  scelon  les  ordonnances  de  mer  ;  mais, 
par  leur  fierté,  voulurent  aller  au  dessus  du  vent.  Ce 
que  voyant  le  capitaine  Ghapperon,  estant  en  sa  nef 
de  guerre,  leur  fist  tirer  deux  coups  d'artillerie  pour 
les  arrester,  lesquelz  sans  autre  bruyt  s'arresterent 
et  ancrèrent  près  la  nef  dudit  Ghapperon.  Apres  qu'ilz 
furent  la  actachez,  le  seigneur  d'Auton  s'en  alla  dedans 
la  nef  de  son  comp[a]ignon  et  laissa  en  la  barche  ung 
nommé  Gombault,  son  lieutenant.  Ge  faict,  le  capitaine 
Ghapperon  et  ledit  seigneur  d'Auton  soupperent  en- 
semble et  couchèrent  celle  nuyt  dedans  la  nef  dudit 
Ghapperon. 

Celle  nuyt,  les  mathelotz  de  la  barche  du  seigneur 
d'Auton,  après  bien  dringuer,  disrent  aux  gens  de 
guerre  qui  estoient  la  dedans  :  «  Que  voulez  vous  dire, 
mess""*?  vous  estes  gens  de  guerre,  cherchant  vostre 
adventure  sur  mer,  laquelle  avez  icy  en  veue  rancon- 
trée  et  belle  prise.  Et  sachez  que  ses  navires  d' An- 
gloys que  voyez  icy  près  sont  de  bonne  guerre  et 
loyalle  prise,  car  ce  sont  cursoires  contrefaisant  mar- 
chans, lesquelz,  s'ilz  vous  tenoyent  ausi  près  de  Lon- 
dres que  ilz  sont  près  de  La  Rochelle,  vous  prendroyent 
prisonniers  et  destrousseroient.  Pour  ce,  leur  devez 
allerdonner  ung  allarme  et  nous  irons  avecques  vous.  » 
Et,  ce  dit,  sur  la  mynuyt,  que  le  capitaine  Gombault 
se  fut  retiré  en  sa  chambre,  ung  nommé  Perot  d'Au- 
jac,  et  ung  autre  nommé  Aulbert  de  Massoignes,  jeunes 
gentishommes ,  avecques  les  mariniers,  jusques  au 


392  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1507 

nombre  de  doze,  entreprindrent,  a  la  suasion  desdits 
mathelotz,  d'aller  ravager  les  navires  desdils  Angloys; 
et,  de  faict,  sortirent  de  la  barche  et  se  mirent  dedans 
ung  esquif,  sur  l'eure  de  mynuyt,  et  s'en  allèrent 
gecter  dedans  l'ung  des  navires  d'iceulx  marchans, 
ou  se  bâtirent  bien  estroict  a  l'entrée,  car  les  Angloys, 
dont  aucuns  d'eulx  oyrent  venir  les  Françoys,  crièrent 
allarme,  tellement  que  chascun  se  mist  en  deffence; 
ou  furent  d'ung  costé  et  d'autre  plusieurs  blecez.  Mais, 
a  la  parfîn,  les  Françoys  entrèrent  par  force  et  prin- 
drent  la  dedans  quatre  pièces  de  draps  avecques  les 
mantes  et  habillemens  des  Angloys.  Ce  bruyt  fut  grant, 
tellement  que  le  capitaine  Ghapperon  et  le  seigneur 
d'Auton,  qui  assez  près  de  la  estoyent,  oyrent  le  hutin, 
qui  gueres  ne  dura  ;  car  les  Françoys  firent  a  coup 
leur  prise  et  s'en  retournèrent  a  leur  barche.  Mais, 
par  lesdits  capitaines,  tout  en  l'eure,  fut  envoyé  ung 
gentilhomme  nommé  René  Balan,  seigneur  de  Maule- 
vrier  en  Anjou,  devers  le  maistre  des  navires  engloys, 
pour  savoir  quel  bruyt  c'estoit.  «  Ce  sont,  dist  il, 
aucuns  de  voz  Françoys  qui,  par  force  et  d'emblée, 
sont  venus  assaillir  noz  navires  et  entrer  dedans,  et 
ont  iceulx  pillez  en  seureté  et  emporté  ce  qu'ilz  ont 
voulu  et  blecez  mes  gens,  sans  ce  qu'il  y  ait  guerre 
ne  division  entre  le  Roy  de  France  et  le  Roy  d'An- 
gleterre, mon  maistre,  au  moings  de  quoy  je  soye 
adverty  ne  que  je  sache.  —  Or,  vous  en  venez  parler 
au  capitaine  Ghapperon,  dist  celuy  René  Balan,  et 
soyez  seur  que  se  quelque  extorcion  ou  grief  vous  a 
esté  faict  par  ses  gens  ou  autres  de  son  adveu,  que 
telle  raison  vous  en  sera  faicte  cjue  deverez  estre 
contant.    »  Et,    ce  dit,   le   maistre  d'iceulx  navires 


1507]      GOMMANT  ...  MESSIRE  JEHAN  CHAPPERON,  ETC.  393 

angloys  s'en  alla  parler  au  capitaine  Chapperon,  auquel 
dist  Gommant  ses  gens  Festoient  venu  piller  de  nuyt 
et  par  force  entrer  en  ses  navires,  ou  avoyent  prins 
et  emporté  ce  qu'ilz  avoyent  peu.  Sur  quoy  ledit 
Chapperon  fist  inquisicion  et  trouva  que  ceulx  de  la 
barche  du  seigneur  d'Auton  avoyent  faict  l'exploict  : 
pour  lequel  avérer,  ledit  seigneur  [d'Auton],  tout  en 
l'eure,  transmist  quérir  Andrieu  Gombault,  son  lieute- 
nant en  la  barche,  et  ceulx  qui  avoyent  esté  au  ravage, 
ausquelz  dist  :  «  Etcommant  va  cecy,  Gombault?  Qui 
vous  a  meu  d'envoyer  ou  souffrir  aller  mes  gens  faire 
ce  bruyt  de  nuyt  et  piller  les  navires  de  ce  marchant 
angloys  qui,  a  la  seureté  du  capitaine  Chapperon  et 
de  moy,  s'est  ycy  arresté  comme  en  nostre  sauve- 
garde et  fyence,  sachant  que,  entre  le  Roy  nostre 
maistre  et  le  Roy  d'Angleterre,  n'a  guerre  ne  division, 
mais  paix,  amitié  et  concorde  ?  Dont,  nous  autres  Fran- 
çoys,  n'avons  droict  ne  querelle  contre  les  Angloys,  ne 
marque  sur  les  marchans  d'Angleterre.  Par  quoy  fault 
que  vous  respondez  de  cest  affaire  et  reparez  le  mef- 
faict.  »  Sur  quoy  ledit  Gombault  s'excusa,  disant  qu'il 
ne  savoit  aucune  chose  de  l'entreprise,  et  que,  pen- 
dant ce  qu'il  estoit  en  sa  chambre,  ladite  cource  avoit 
esté  faicte,  de  quoy  n'en  avoit  jamais  riens  sceu, 
jusques  a  celle  heure.  Voyant,  le  seigneur  d'Auton, 
l'excuse  de  son  heutenant,  demanda  a  ung  nommé 
Perot  d'Aujac  et  es  autres  qui  avoient  esté  audit 
ravage,  qui  les  avoit  meuz  de  ce  faire,  disant  :  «  Si 
nous  sommes  ores  gens  de  guerre  et  sur  mer,  si  n'est 
il  pas  dit  pourtant  ne  permys  que  nous,  en  manière 
de  pirates  ou  larrons  de  mer,  devions  faire  la  guerre 
a  autres  que  aux  ennemys  du  Roy  et  du   duc  de 


394  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1507 

Gueldres,  duquel  nous  disons  avoir  l'adveu,  ne  que 
tout  nous  soit  de  prise.  A  ceste  fin  vous  fault  res- 
pondre,  pour  quoy  ne  en  quelle  querelle  avez  esté 
courir  sur  les  navires  des  Angloys,  ausquelz  n'avons 
nulle  question  ne  defïy  de  guerre.  »  Geluy  d'Aujac  et 
ung  autre  nommé  Aulbert  de  Massoignes,  jeunes  gen- 
tishommes,  firent  responce  que  les  mathellotz  de  leur 
barche  leur  avoyent  mys  en  teste  et  dit  que  iceulx 
Angloys  estoyent  de  bonne  guerre  et  de  droicte  prise  ; 
disant  que  c'estoyent  escumeurs  de  mer,  et  qu'il  leur 
pouvoyent  courir  sus  sans  danger  :  par  quoy,  comme 
non  usitez  de  la  mer  et  nouvelliers  en  icelle,  pencent 
avoir  bon  droict  et  bien  faire,  avoyent  creuz  iceulx 
mathelotz,  et,  a  leur  suasion,  faicte  ladite  course,  et 
ainsi  s'en  excusèrent.  Dont  ledit  d'Auton  fist  rendre 
le  pillage  et  bailler  tout  audit  marchant  angloys  ;  et, 
pour  faire  droict  du  tout,  furent  lesdits  mathelotz 
envoyez  prisonniers  a  ung  nommé  Pierre  Langloys, 
vis  admirai,  estant  lors  a  La  Rochelle,  pour  en  faire 
justice,  comme  de  raison;  et  puys  renvoyez  lesdits 
Angloys  tout  a  seureté. 

XLV. 

D'aucunes  courses  et  prises  que  messire  Jehan 
Chapperon  et  le  seigneur  d'Auton  firent  en  mer 

SUR  LES  FlAMENS,  ENNEMYS  DU  DUC  DE  GUELDRES, 
DUQUEL  S'AVOUOYENT  ICEULX  GhAPPERON  ET  d'Au- 
TON. 

Tantost  après  que  les  navires  d'Angleterre  curent 
pris  le  vent  pour  eulx  retirer,  ung  autre  navire  espai- 


1507]  D'AUCUNES  COURSES  ET  PRISES,  ETC.  395 

gnol,  de  Sainct  Sebastien  d'Espaigne,  du  port  de 
III  cens  tonneaulx,  chargé  de  marchandise,  passa  près 
de  la,  a  une  heue  desdits  navires  du  capitaine  Ghap- 
peron  et  du  seigneur  d'Auton,  et  s'en  alla  ancrer  a 
ung  lieu  nommé  Ghief  de  Boys,  près  La  Rochelle,  pour 
illecques  faire  change  de  marchandise  :  lequel,  après 
avoir  mys  ancre  a  fons,  pour  ce  qu'il  estoit  nouvelle- 
ment arrivé,  le  seigneur  d'Auton  voulant  savoir  qu'il 
estoit,  se  mist  après  avecques  sa  barche.  Et  luy,  appro- 
ché jusques  a  pouvoir  parler  ensemble,  demanda  a 
ceulx  qui  la  dedans  estoyent  d'où  estoit  celuy  navire  : 
lesquelx  dirent  qu'il  estoit  d'Espaigne.  «  Et  bien  !  dist 
le  seigneur  d'Auton,  tout  ung,  tout  ung,  noz  maistres 
sont  bons  amys,  dont  nous  devons  l'ung  l'autre  secou- 
rir. »  Puys  dist  au  maistre  du  navire  espaignol  : 
fi  Seignor,  je  vous  veulx  bien  advertir  que  ung  myen 
compaignon,  nommé  Ghapperon,  et  moy,  sommes 
nouvellement  mys  sur  mer  pour  servir  le  Roy  nostre 
maistre  et  aucuns  de  ses  alyez.  Mais  noz  navires  sont 
ung  peu  mal  garnyes  d'artillerye  ;  par  quoy  nous  est 
mestier  en  recouvrer  :  pour  ce,  si  vous  en  avez 
davantage,  nous  vous  voulons  bien  prier  de  nous  en 
prester  ou  vendre  a  crédit,  pour  nous  ayder  a  faire 
nostre  navigage,  et  nous  vous  donnerons  bonne  seu- 
reté  de  voz  pièces.  »  Ge  que  ne  voulut  ledit  espaignol, 
disant  qu'il  n'estoit  point  tenu  de  les  en  fournir,  et 
qu'il  n'en  avoit  pièce  qui  besoing  ne  luy  fist  ;  par  quoy 
n'en  auroyent,  s'ilz  ne  l'avoyent  par  force.  «  Sy  par 
amour,  dist  le  seigneur  d'Auton,  n'en  voulez  vendre  ou 
prester,  sachez  que  autrement  en  aurons.  »  Et,  se  dit, 
s'en  retourna  devers  le  capitaine  Ghapperon,  auquel 
fist  rapport  du  reffus  dudit  espaignol  :  de  quoy  se 


396  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1507 

mal  contanta,  disant  qu'il  en  aura  s'il  se  peult  joindre 
avecques  luy  ;  et  en  l'eure  fist  lever  ancre.  Et,  ce  faict, 
tirèrent  vers  Chief  de  Boys,  a  voisle  tendue,  adres- 
sant vers  le  navire  de  celuy  espaignol,  lequel,  voyant 
l'escarmouche  dressée  contre  luy,  dist  qu'il  se  ostera 
de  la  voye  :  dont  fist  hastivement  lever  ses  appareilz 
et  se  mist  a  la  fuyte,  et  eulx  après,  et  tant  les  suy- 
virent  que,  environ  la  mynuyt,  l'actaignirent  près 
d'une  isle  nommée  l'isle  Dieulx'^.  L'espaignol,  qui 
estoit  artilhé  bien  a  point  et  garny  de  gens  de  main  a 
suffire,  voyant  qu'il  estoit  actainct,  dist  a  ses  gens  : 
«  Sus,  compaignons  !  il  nous  est  besoing  de  deffendre 
le  navire  pour  garentir  noz  vyes  et  sauver  noz  biens  ; 
car  la  fuyte  ne  nous  peut  plus  de  riens  servir.  Pour  ce, 
chascun  mecte  la  main  a  la  deffence,  car  mestier  en 
est.  »  Et,  ce  dit,  fist  charger  son  artillerie  et  armer 
ses  gens,  et  iceulx  mectre  a  la  deffence  de  son  navire. 
Le  capitaine  Chapperon  et  son  compaignon  commain- 
cerent  a  donner  dessus  coups  d'artillerie,  et  le  vou- 
lurent mectre  entre  eulx  deux  pour  l'assaillir  de  tous 
costez  :  lequel  se  deff'endit  a  coups  d'artillerye,  et 
tant  que  plus  d'une  grosse  eure  se  bâtirent,  ou  plu- 
sieurs d'ung  costé  et  d'autre  furent  blecez  ;  et  eust 
esté  pris  ledit  espaignol,  mais  en  se  deffendant  ad  visa 
le  vent  et  se  mist  au  dessus,  et,  pour  fuyr  plus  tost, 
mist  la  mizenne  soubz  l'estouyn,  qui  est  une  voisle 
tenant  a  ung  des  boutz  de  l'antenne,  pendant  hors 
sur  le  bort  du  navire,  mise  la  pour  faire  hastive  fuyte 
ou  viste  chace.  Ainsi  se  mist  l'espaignol  a  fuyr;  le 
capitaine  Chapperon  se  mist  après  et  le  suyvit  jusques 

\.  L'île  d'Yeu. 


1507]  D'AUCUNES  COURSES  ET  PRISES,  ETC.  397 

au  jour,  mais  le  perdit,  sans  le  pouvoir  approcher 
d'ung  gect  de  canon  près  :  par  quoy  le  lessa  et  se 
mist  au  retour  vers  ou  estoit  demeuré  la  barche  du 
seigneur  d'Auton,  qui  n'estoit  la  ;  car,  ainsi  que  ledit 
Chapperon  suyvoit  l'espaignol,  quatre  urques^  de  Fla- 
mans  passèrent  par  la,  que  avoit  suyvy  ledit  seigneur 
d'Auton  vers  les  raz  Sainct  Mahé  ^  ;  et  avecques  sa 
seuUe  barche  les  prist  tous  et  garda  jusques  a  la  venue 
de  son  compaignon,  lequel,  en  revenant  de  la  chace 
dudit  espaignol,  rencontra  une  autre  urque  de  Fla- 
mans  et  la  prist,  puys  se  rendit  deux  jours  après  et  se 
rassembla  avecques  le  seigneur  d'Auton,  qui  avoit  sa 
prise  en  une  rade  en  Bretaigne  près  le  Gonquet,  ou 
séjournèrent  viii  jours  ;  et  la,  durant  ce  temps,  firent 
composicion  avecques  leurs  prisonniers  flamens,  les- 
quelx  promirent  a  payer  mille  escus,  pour  laquelle 
rançon  assigner  baillèrent  deux  ostages  ;  et  fut  ap- 
poincté  par  lesdits  capitaines  françoys  que  iceulx  Fla- 
mens porteroyent  leur  rançon  au  duc  de  Gueldres, 
maistre  d'iceulx  Françoys,  et,  la  rançon  payée,  en 
envoyant  certification  et  descharge  de  ce,  leur  envoy- 
royent  leurs  ostages  :  ce  que  ne  firent  lesdits  Flamens, 
mais  s'en  allèrent  en  leur  pays  s^s  payer  leurdite 
rançon,  et  lesserent  leurs  ostages,  que  lesdits  Fran- 
çoys retindrent  en  actendant  tousjours  nouvelles  de 
leurs  prisonniers,  qui  ancores  sont  a  revenir. 

Tantost  après  ce  partirent  du  Gonquet,  et  adres- 
sèrent vers  la  coste  d'Angleterre,  ou,  entour  la  my 
oust,  eulx  estans  la,  trouvèrent  ung  cursoire  flament, 


1.  Urque  ou  orque,  grand  bateau. 

2.  Saint-Mathieu. 


398  CHRONIQUES  DE  LOUIS  XII.  [1507 

lequel  estoit  d'Arnemue',  qui  est  une  ville  de  Flandres. 
Or  estoit  ledit  cursoire  bien  equippé  et  du  port  de 
quatre  cens  tonneaulx,  accompaigné  d'une  grosse 
barche  d'Espaigne.  Et  eulx,  a  une  veue  l'ung  de  l'autre, 
s'entre  adviserent  et  cogneurent  qu'ilz  estoyent  tous 
gens  de  guerre  :  si  se  mirent  en  ordre  chascun  pour 
assaillir  son  ennemy  et  defFendre  sa  pièce,  et  tant  que 
sur  l'eure  de  vespres  commaincerent  a  eulx  entre 
approcher.  Dont  les  capitaines  françoys  dirent  a  leurs 
souldartz  qu'ilz  avoyent  trouvé  jeu  party,  disant  : 
a  Nous  avons  une  nef  et  une  barche  de  guerre,  et 
autant  en  avons  en  barbe  rancontré  qui  nous  présen- 
tent l'escarmouche  que  nous  leur  devons  première- 
ment donner,  telle  que  ce  soit  a  nostre  honneur  et 
adventage.  Or  sus,  que  chascun  de  nous  monstre  ce 
qu'il  saura  faire,  car  besoing  en  est.  »  Et,  sur  ce  pro- 
pos, chascun  dist  que  pour  mourir  ne  fauldra  a  ce 
hutin.  Le  flament  et  espaignol  pareillement,  voyant 
qu'ilz  avoyent  trouvé  a  qui  besoigner,  se  délibérèrent 
de  faire  leur  devoir  au  coups  départir.  Et,  pour  aviser 
la  manière  des  Françoys,  la  barche  espaignolle  aloit 
devant  le  navi